Le recueil Espaces Insécables va sortir la semaine prochaine. Mon éditeur me propose de mettre en ligne une interview. Ça tombe bien, j'ai plein de questions.
D'abord, de quoi parle ce recueil ? Quel en est le fil conducteur ?
J'ai rassemblé ici des nouvelles qui d'une manière ou d'une autre parlaient toutes de choix – celui dont il est question est souvent un choix impossible entre liberté et engagement. Choix impossible car les deux sont nécessaires. La première nouvelle à pour objet de montrer que faire un choix est un privilège qui se gagne, qui n'est pas acquis : si l'on n'est pas vigilant, plus on avance en âge, et plus les choix sont faits – ne reste plus qu'à continuer sur son élan. La direction est choisie, et les bifurcations se font rares. Et avoir à choisir, n'est-ce pas reconquérir un peu de liberté ?
Oui, mais quand on l'a gagnée, il faut encore trouver quoi en faire. Les pièges sont multiples – les solutions aussi, certaines ne sont pas très orthodoxes sans doute, ce sont souvent les plus rigolotes.
Mon précédent recueil « Le Miroir aux Eperluettes » parlait beaucoup d'amour et de regard. Il y a de l'amour aussi dans celui-ci, bien sûr, parce que à mes yeux l'amour est le sel de la vie, une composante oh combien précieuse, puisque c'est une de celles qui ouvrent grand les horizons. Mais elle n'est plus la seule. Toutes les histoires présentées ici cherchent à ouvrir des horizons, d'une manière ou d'une autre – en s'alliant de manière inattendue avec une autre race, en jouant à des jeux absurdes, en expérimentant des sensations inédites, en se lançant des défis fous – comme ceux que se lance Aïda, qui ne sait pas elle-même pourquoi elle le fait – et le découvre un peu tard. Toutes ces histoires sont à mes yeux des histoires de victoire – des victoires à petits pas sur l'enfermement qui nous guette tous. Des bouffées de liberté gagnées par des voies diverses.
Et c'est là que j'ai eu deux chocs, coup sur coup : l'illustration de Gilles Francescano, et la préface de Catherine Dufour. Toutes les deux magnifiques, et tellement surprenantes... pour moi.
J'ai d'abord vu la couverture de Gilles comme toute de rouages et engrenages implacables, écrasant une double vision de l'humanité broyée : une humanité fragile, représentée à la fois par un pur visage féminin, mais aussi par la silhouette un peu pataude d'un cosmonaute maladroit. Tous les deux enfermés et réduits dans les cliquetis d'une mécanique impitoyable et inhumaine. Avais-je donc décrit cela ?
Un ami m'a dit alors ce qu'il avait, lui, perçu dans le dessin, qui pouvait donc être vu bien autrement. L'humanité, charnelle dans ses roses et gras tracés tendre au fusain, émergeant victorieusement des rouages implacables. Renversement total. Les deux sont aussi vrais l'un que l'autre, sans doute. Merci Gilles, pour avoir ainsi fait parler ton imaginaire en réponse au mien.
Et puis, là, la préface de Catherine... ah, mes préfaciers sont inspirés, et me laissent sur le c... Là où JC Dunyach parlait d'instants parfaits, C. Dufour parle de souffrances et de ratages, de suicides psychiques et de méfiance, et de héros qui font tous seuls leur malheur. Oserai-je après cela dire que j'adorerais tester le Passe-plaisir ? Que les Spiriens me paraissent être des créatures fascinantes ? Que la manière dont Serge a rencontré Laura n'a rien détruit mais juste ajouté dans sa vie quelque chose de précieux ? j'aimerais assez, parfois, qu'un dictat extérieur vienne mettre un peu de pagaille dans mon existence bien réglée, surtout s'il n'abîme rien.
Alors forcément, ça fait cogiter. Et les évidences m'assaillent. Ma manière de penser n'est donc pas universelle. J'aurais dû m'en douter : les signes se multipliaient.
A l'évidence, par exemple, je suis une universitaire atypique. La plupart de mes collègues sont en quête de bagages et d'une culture de plus en plus construite, étayée, invincible – dont le stade ultime serait sans doute de connaître toutes les pensées et tous les travaux, de manière à porter dans ses valises un vaste univers de réponses déjà écrites. Plus aucune question ne serait plus alors déconcertante ou inattendue, et rien ne viendrait troubler l'ordre inaltérable et serein de leurs parfaites forteresses.
Alors que moi, dont la mémoire fuit comme une passoire (je préfère inventer les réponses plutôt que de puiser dans celles des autres) j'adore ce qui bouscule, ce qui fait s'effondrer les édifices de certitude, j'adore trouer les murs pour aérer et faire entrer le soleil – et chaque fois qu'une faille s'ouvre, je m'en réjouis comme d'une victoire.
Alors je ne sais pas comment vous lirez ce recueil, ni ce qu'il vous dira, mais j'espère que le voyage sera plaisant, et à votre goût...
Amicalement
Sylvie
D'abord, de quoi parle ce recueil ? Quel en est le fil conducteur ?
J'ai rassemblé ici des nouvelles qui d'une manière ou d'une autre parlaient toutes de choix – celui dont il est question est souvent un choix impossible entre liberté et engagement. Choix impossible car les deux sont nécessaires. La première nouvelle à pour objet de montrer que faire un choix est un privilège qui se gagne, qui n'est pas acquis : si l'on n'est pas vigilant, plus on avance en âge, et plus les choix sont faits – ne reste plus qu'à continuer sur son élan. La direction est choisie, et les bifurcations se font rares. Et avoir à choisir, n'est-ce pas reconquérir un peu de liberté ?
Oui, mais quand on l'a gagnée, il faut encore trouver quoi en faire. Les pièges sont multiples – les solutions aussi, certaines ne sont pas très orthodoxes sans doute, ce sont souvent les plus rigolotes.
Mon précédent recueil « Le Miroir aux Eperluettes » parlait beaucoup d'amour et de regard. Il y a de l'amour aussi dans celui-ci, bien sûr, parce que à mes yeux l'amour est le sel de la vie, une composante oh combien précieuse, puisque c'est une de celles qui ouvrent grand les horizons. Mais elle n'est plus la seule. Toutes les histoires présentées ici cherchent à ouvrir des horizons, d'une manière ou d'une autre – en s'alliant de manière inattendue avec une autre race, en jouant à des jeux absurdes, en expérimentant des sensations inédites, en se lançant des défis fous – comme ceux que se lance Aïda, qui ne sait pas elle-même pourquoi elle le fait – et le découvre un peu tard. Toutes ces histoires sont à mes yeux des histoires de victoire – des victoires à petits pas sur l'enfermement qui nous guette tous. Des bouffées de liberté gagnées par des voies diverses.
Et c'est là que j'ai eu deux chocs, coup sur coup : l'illustration de Gilles Francescano, et la préface de Catherine Dufour. Toutes les deux magnifiques, et tellement surprenantes... pour moi.
J'ai d'abord vu la couverture de Gilles comme toute de rouages et engrenages implacables, écrasant une double vision de l'humanité broyée : une humanité fragile, représentée à la fois par un pur visage féminin, mais aussi par la silhouette un peu pataude d'un cosmonaute maladroit. Tous les deux enfermés et réduits dans les cliquetis d'une mécanique impitoyable et inhumaine. Avais-je donc décrit cela ?
Un ami m'a dit alors ce qu'il avait, lui, perçu dans le dessin, qui pouvait donc être vu bien autrement. L'humanité, charnelle dans ses roses et gras tracés tendre au fusain, émergeant victorieusement des rouages implacables. Renversement total. Les deux sont aussi vrais l'un que l'autre, sans doute. Merci Gilles, pour avoir ainsi fait parler ton imaginaire en réponse au mien.
Et puis, là, la préface de Catherine... ah, mes préfaciers sont inspirés, et me laissent sur le c... Là où JC Dunyach parlait d'instants parfaits, C. Dufour parle de souffrances et de ratages, de suicides psychiques et de méfiance, et de héros qui font tous seuls leur malheur. Oserai-je après cela dire que j'adorerais tester le Passe-plaisir ? Que les Spiriens me paraissent être des créatures fascinantes ? Que la manière dont Serge a rencontré Laura n'a rien détruit mais juste ajouté dans sa vie quelque chose de précieux ? j'aimerais assez, parfois, qu'un dictat extérieur vienne mettre un peu de pagaille dans mon existence bien réglée, surtout s'il n'abîme rien.
Alors forcément, ça fait cogiter. Et les évidences m'assaillent. Ma manière de penser n'est donc pas universelle. J'aurais dû m'en douter : les signes se multipliaient.
A l'évidence, par exemple, je suis une universitaire atypique. La plupart de mes collègues sont en quête de bagages et d'une culture de plus en plus construite, étayée, invincible – dont le stade ultime serait sans doute de connaître toutes les pensées et tous les travaux, de manière à porter dans ses valises un vaste univers de réponses déjà écrites. Plus aucune question ne serait plus alors déconcertante ou inattendue, et rien ne viendrait troubler l'ordre inaltérable et serein de leurs parfaites forteresses.
Alors que moi, dont la mémoire fuit comme une passoire (je préfère inventer les réponses plutôt que de puiser dans celles des autres) j'adore ce qui bouscule, ce qui fait s'effondrer les édifices de certitude, j'adore trouer les murs pour aérer et faire entrer le soleil – et chaque fois qu'une faille s'ouvre, je m'en réjouis comme d'une victoire.
Alors je ne sais pas comment vous lirez ce recueil, ni ce qu'il vous dira, mais j'espère que le voyage sera plaisant, et à votre goût...
Amicalement
Sylvie