Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 5:07 pm

silramil a écrit :il faudrait à mon avis que tu admettes que tes analyses fonctionnent mieux avec certains textes (Foyle, Ubik...) qu'avec d'autres - ce n'est pas pour dire qu'elles ne marchent pas sur certains textes (il faudrait analyser sérieusement), mais si on réfléchit à un continuum d'oeuvres de SF, et qu'on constate que certaines ont un fort coefficent de métaphysique/sublime, il faut bien nommer le reste, qui est dominant dans d'autres oeuvres et constitue d'autres pôles du continuum.
Oui, tout à fait. Dans Tous à Zanzibar, rien de tout cela à première vue.
Une remarque et une question subsidiaires là-dessus :
1) On en a déjà parlé bien plus haut (faute d'une vraie enquête systématique pour laquelle je ne suis pas équipé, quoi faire d'autre qu'en parler et émettre des hypothèses ?), mais je me demande si, en France spécialement, le "fort coefficient" n'a pas "déteint" sur la perception d'ensemble du genre par ceux qui ne le lisaient pas (cf les titres ; les à- côtés barjos, etc.)
2) Pourquoi, en France, les œuvres "à fort coefficient" ont-elles eu un tel succès auprès des lecteurs spécialisés, voire un statut culte (je pense en particulier à Lovecraft, Van Vogt et Dick) alors même que les fans US leur préféraient plutôt des "rationalistes" comme Heinlein ? Dantec pourrait être perçu comme le prolongement cet étrange tropisme national.

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Hoêl
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Message par Hoêl » mer. oct. 13, 2010 5:20 pm

Lem a écrit :
silramil a écrit :il faudrait à mon avis que tu admettes que tes analyses fonctionnent mieux avec certains textes (Foyle, Ubik...) qu'avec d'autres - ce n'est pas pour dire qu'elles ne marchent pas sur certains textes (il faudrait analyser sérieusement), mais si on réfléchit à un continuum d'oeuvres de SF, et qu'on constate que certaines ont un fort coefficent de métaphysique/sublime, il faut bien nommer le reste, qui est dominant dans d'autres oeuvres et constitue d'autres pôles du continuum.
Oui, tout à fait. Dans Tous à Zanzibar, rien de tout cela à première vue.
Une remarque et une question subsidiaires là-dessus :
1) On en a déjà parlé bien plus haut (faute d'une vraie enquête systématique pour laquelle je ne suis pas équipé, quoi faire d'autre qu'en parler et émettre des hypothèses ?), mais je me demande si, en France spécialement, le "fort coefficient" n'a pas "déteint" sur la perception d'ensemble du genre par ceux qui ne le lisaient pas (cf les titres ; les à- côtés barjos, etc.)
2) Pourquoi, en France, les œuvres "à fort coefficient" ont-elles eu un tel succès auprès des lecteurs spécialisés, voire un statut culte (je pense en particulier à Lovecraft, Van Vogt et Dick) alors même que les fans US leur préféraient plutôt des "rationalistes" comme Heinlein ? Dantec pourrait être perçu comme le prolongement cet étrange tropisme national.
Lem , il me semble que pour beaucoup sur ce forum Heinlein est également un auteur culte .
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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mer. oct. 13, 2010 5:31 pm

silramil a écrit :Le vertige métaphysique est une chose ; le vertige de la science-fiction en est une autre.
De même que la crise de foi est une chose et le trip psychédélique une autre.

Silramil, tu as parlé, je crois, de “sublime populaire”. J'aime bien l'idée et surtout l'expression. Si par “populaire” on entend “accessible à un grand ou très grand nombre de gens”, eh bien, il me semble que cela entraîne l'apparition de la notion de fabrication. Le vertige métaphysique et la crise de foi, c'est pas quelque chose qu'on peut acheter, a priori. Alors que, des bouquins de SF, on en trouve plein, facilement c'est pas cher. (Et des drogues enthéogènes aussi, mais c'est plus difficile parce qu'elles ont en général illégales, évidemment.)

Je viens d'employer l'adjectif “enthéogène”. Je précise que ce n'est pas sans une certaine ironie.

Derrière les livres, derrière les drogues évoquées ci-dessus, il y a un processus de fabrication au minimum artisanal, mais le plus souvent industriel. Bon, les drogues illégales sont l'objet d'un capitalisme ultra-libéral débridé puisqu'à la base ceux qui en assurent la diffusion s'affranchissent des lois, alors que les livres de science-fiction relèvent d'une économie beaucoup plus douce, mais ça ne change rien sur le principe : il y a un acte d'achat, ou de prêt, ou de don, ou de vol.

On peut donc considérer que, du point de vue de l'économie de marché, le vertige obtenu grâce à un livre de science-fiction et le trip procuré par une dose de ce-que-tu-voudras à l'intérieur d'une certaine gamme de substances sont analogues : c'est pour ça que le client il paye, c'est pour ça que le client il revient.

Enfin, sauf s'il a fait un mauvais trip.
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Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 5:45 pm

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Mais ceci est une chose ancienne, bien antérieure aux années 50. Et la SF n'est jamais très loin.
Les drogues ou le tétrachlorure de carbone que René Daumal pratiquait alors n'ont eu aucune part dans les expériences d'hypnotisme et de découblement tentées par les trois "phrères simplistes" [le club de lycéens fondé par Daumal à la fin des années 10]. Quand Daumal avait trop poussé sur le tétrachlorure ou le tabac opiacé, il n'était plus réceptif, nos expériences échouaient. Mais lorsqu'il était, si l'on peut dire, de sang froid, nous arrivions par une méthode à nous, assez simple, à communiquer sans l'intermédiaire de personne. La drogue peut donner l'illusion de forcer les portes de l'invisible, mais on n'y pénètre alors comme par effraction et c'est sans doute le plus sûr moyen de vous attirer les ennuis que l'on sait. (…)
Daumal a sans doute retrouvé, par lui-même, quelques unes des possibilités concrètes d'enfreindre les lois qui déterminent notre assujettissement aux catégories de l'espace et du temps. On retrouve sous sa plume des considérations sur quelques aspects d'un monde entrevu qui rejoignent les observations déjà faites par la plupart des usagers de ces chemins. Dans cet hors-espace, Daumal remarque, par exemple, que les objets et les corps sont lumineux par eux-mêmes, une "veine invisible de l'espace, rigide comme l'acier" le relie étendu à son lit au René Daumal qui se meut sans encombre loin de son corps.
Ether, opium, NDE, sanskrit, dissidence surréaliste et roman scientifique génial (Le Mont Analogue), ce type a tout pour te plaire…

Lem

Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 5:48 pm

Hoêl a écrit :Lem , il me semble que pour beaucoup sur ce forum Heinlein est également un auteur culte .
Bien sûr. Mais ce n'est pas lui faire injure que de rappeler qu'il n'a jamais eu ici une popularité équivalente à celle rencontrée aux USA ; les lecteurs français lui ont toujours préféré les fous.

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Message par Fabien Lyraud » mer. oct. 13, 2010 5:49 pm

Si l'on suit Roland, promouvoir la SF permettrait de réduire la consommation de drogue. :D
Bienvenu chez Pulp Factory :
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Le blog impertinent des littératures de l'imaginaire :
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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mer. oct. 13, 2010 5:58 pm

Lem a écrit :ce type a tout pour te plaire…
Je ne voudrais pas faire insulte à sa mémoire, d'autant que son bouquin que tu cites est dans ma liste d'achats depuis des temps immémoriaux, mais éther et opium, ça fait un chouïa junkie, quand même.
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Message par Lem » mer. oct. 13, 2010 6:24 pm

Je ne voudrais pas faire insulte à sa mémoire…
C'était avant tout un mystique, quelqu'un qui cherchait, et un type très touchant, d'après ses lettres et les deux biographies que j'ai lues. Il a tout essayé pour, selon la formule consacrée, traverser les apparences. Il est mort d'une maladie pulmonaire en 44, alors qu'il était en train d'écrire son "roman à la Wells" (le Mont ; à lire vraiment, c'est très beau). A la fin de sa vie, il était entré dans le cercle de Gurdjieff, où passaient aussi, semble-t-il, les tout jeunes Barjavel et Pauwells, de temps en temps… A toi de voir.

Le voici très jeune :

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Et quelques jours avant sa mort :

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Lensman
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Message par Lensman » mer. oct. 13, 2010 6:36 pm

silramil a écrit : Quand des questions métaphysiques se profilent (souvent sans se présenter comme telles), il ressent un frisson particulier, OK (=pouvoir de saisissement) ; il ne se trouve pas, loin de là, dans la situation d'un métaphysicien spéculant sur la réalité.

Le vertige métaphysique est une chose ; le vertige de la science-fiction en est une autre. Que parmi les émotions recyclées dans la SF, il y ait des morceaux de métaphysique, je ne le conteste pas. Qu'on retrouve la vraie métaphysique dans la SF (comme démarche intellectuelle ou comme interface avec le monde), c'est aussi destiné à l'échec que de s'efforcer d'y apprendre la physique ou l'informatique.
Je me demande même si les sportifs ne ressentent pas, par moment, ce genre de "vertige" (j'admets que pour le sport, je ne peux parler que pour moi, mais j'ai l'impression que c'est un peu ça). Cet état d'"enthousiasme", d'"exaltation" me semble aussi très lié à la jeunesse du sujet, à un âge, justement, où on s'exalte facilement. En musique aussi, c'est courant (et parfois pour des musiques qui, que.. bon...)
Après, je doute que ce soit l'âge où les métaphysiciens d'élite donnent leur maximum, mais un spécialiste de ce corps de métier va peut-être me détromper...
Oncle Joe

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mer. oct. 13, 2010 7:05 pm

Lensman a écrit :Je me demande même si les sportifs ne ressentent pas, par moment, ce genre de "vertige"
Sécrétion d'endorphines ?
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Message par Roland C. Wagner » mer. oct. 13, 2010 7:20 pm

Lem a écrit :A la fin de sa vie, il était entré dans le cercle de Gurdjieff,
Sauf que, si ma mémoire est bonne, il n'a jamais rencontré le Grand Guru.

Ceci explique peut-être cela.

Après tout, Daumal il avait étudié le sanskrit, lui.
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silramil
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Message par silramil » mer. oct. 13, 2010 7:43 pm

Lem a écrit :
silramil a écrit :Selon moi, oui, pour la simple et bonne raison que c'est de la fiction. Qui plus est, de la fiction qui se désigne comme telle, et pas une fiction jouant à brouiller les lignes comme dans le réalisme.
Il me semble que les lecteurs de fiction réaliste savent également très bien qu'ils lisent une fiction. Madame Bovary n'est pas plus réelle que Gilbert Gosseyn.
Le lecteur d'un texte de science-fiction joue à y croire.
Le lecteur de tout roman joue à y croire. Ce n'est pas un critère. En quoi la spéculation métaphysique dans les romans de Victor Hugo aurait-elle plus d'impact que celle de Philip K. Dick ? Et si c'était le cas, comment expliquer que Dick – ou Dantec pour prendre un exemple bien de chez nous – aient une telle aura "prophétique" ? Je ne dis pas qu'ils faillent prendre cela très au sérieux mais que pour une part de leurs lecteurs, ces auteurs ont délivré une pensée dont l'impact s'est prolongé au-delà de la fiction.
Arf.
Tu raccourcis un peu ce que j'ai dit, là. C'est d'autant plus bizarre comme lecture que ce que j'affirme va plutôt dans ton sens.
Pour compléter les points que tu reprends
1) bien sûr que la fiction est toujours simulation - le problème ici est que le corollaire implicite est que la métaphysique dans la SF (pour autant qu'il y en ait) est une "simulation de métaphysique". ( et d'autre part, la fiction réaliste joue d'un brouillage - dire que le lecteur de Mme Bovary sait que c'est de la fiction revient à ignorer que beaucoup de lecteurs tiennent pour significatifs et révélateurs de la réalité ce qui se passe dans le roman.)
2) Tu as coupé mon raisonnement : le lecteur de SF joue à croire à la métaphysique du texte de SF => il ne modifie pas sa vision du monde pour autant. Là, je ne comparais pas la SF au réalisme ; mais la métaphysique dans la fiction (càd aussi bien Hugo que Dick) ) à la métaphysique dans le champ du discours sur la réalité. On peut s'amuser avec des concepts métaphysique à longueur de fiction, sans que ça influence notre vision du monde.

Deplus, je doute que les théories de Dick aient eu le moindre impact sur les conceptions du réel : elles servent à illustrer des théories philosophiques, elles ne les inspirent pas.

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Message par silramil » mer. oct. 13, 2010 7:47 pm

Roland C. Wagner a écrit : Silramil, tu as parlé, je crois, de “sublime populaire”. J'aime bien l'idée et surtout l'expression. Si par “populaire” on entend “accessible à un grand ou très grand nombre de gens”, eh bien, il me semble que cela entraîne l'apparition de la notion de fabrication. Le vertige métaphysique et la crise de foi, c'est pas quelque chose qu'on peut acheter, a priori. Alors que, des bouquins de SF, on en trouve plein, facilement c'est pas cher.
Yep, il y a un peu l'idée d'une accessibilité pour le plus grand nombre ; et effectivement, une des voies d'exploration possible de la théorie de Lem (mais je ne sais pas si ça l'intéresserait) ce serait de se demander comment on produit du pseudo-vertige métaphysique, au même titre que de la pseudo-science, tout ça faisant du sense of wonder, c'est-à-dire pour parler français : du fun !

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Message par silramil » mer. oct. 13, 2010 7:48 pm

Lensman a écrit :
silramil a écrit : Quand des questions métaphysiques se profilent (souvent sans se présenter comme telles), il ressent un frisson particulier, OK (=pouvoir de saisissement) ; il ne se trouve pas, loin de là, dans la situation d'un métaphysicien spéculant sur la réalité.

Le vertige métaphysique est une chose ; le vertige de la science-fiction en est une autre. Que parmi les émotions recyclées dans la SF, il y ait des morceaux de métaphysique, je ne le conteste pas. Qu'on retrouve la vraie métaphysique dans la SF (comme démarche intellectuelle ou comme interface avec le monde), c'est aussi destiné à l'échec que de s'efforcer d'y apprendre la physique ou l'informatique.
Je me demande même si les sportifs ne ressentent pas, par moment, ce genre de "vertige" (j'admets que pour le sport, je ne peux parler que pour moi, mais j'ai l'impression que c'est un peu ça). Cet état d'"enthousiasme", d'"exaltation" me semble aussi très lié à la jeunesse du sujet, à un âge, justement, où on s'exalte facilement. En musique aussi, c'est courant (et parfois pour des musiques qui, que.. bon...)
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Et il ne faut pas oublier que les shamans et les oracles antiques étaient tous des drogués.

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Hoêl
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Message par Hoêl » mer. oct. 13, 2010 7:54 pm

Lem a écrit :
Hoêl a écrit :Lem , il me semble que pour beaucoup sur ce forum Heinlein est également un auteur culte .
Bien sûr. Mais ce n'est pas lui faire injure que de rappeler qu'il n'a jamais eu ici une popularité équivalente à celle rencontrée aux USA ; les lecteurs français lui ont toujours préféré les fous.
Ca , c'est pas faux .

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