Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lensman
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Message par Lensman » sam. nov. 28, 2009 7:04 pm

silramil a écrit :
Lensman a écrit : Mais ça, pour le gros des lecteurs, et pour la critique en général, ça n'arrive pas.
Voilà un aspect non négligeable du problème: cette littérature demanderait un apprentissage considérable (et subi avec joie...), et ne pourrait donc toucher qu'une frange particulière du public.
intuitivement, j'aurais tendance à dire que les autres littératures font l'objet de ce type d'apprentissage également, mais que c'est un cercle vicieux, ou vertueux. Si beaucoup de gens en lisent, ils vont inciter leurs enfants à en lire, sinon, non.
Je ne connais pas beaucoup de cas de gens qui se mettent à lire un genre à partir de l'âge adulte.
Oui, mais là, je parle d'un investissement très fort, dont on a très souvent des témoignages chez les auteurs de SF eux-mêmes.C'est un rituel: "J'ai découvert la SF à l'âge de 6 ans en lisant les aventures de Fripounet chez les Martiens". Il y a des contre-exemples, mais encore une fois, les exemples, eux, sont en nombre écrasant. Et ces lecteurs et auteurs ont une tendance très forte aussi à se réunir, à se rencontrer, à échanger, d'une manière parfois caricaturale pour certains (les conventions, souvent raillées, même dans le milieu). Une volonté aussi, furieuse chez certains, d'écrire et réécrire l'histoire du genre.
Je sais bien qu'on pourra trouver certains de ces facteurs et comportements ailleurs, mais en SF, ça prend des proportions que je crois unique dans le monde de la culture. Et ce, avec un "déni" critique (apparemment).
On est tout de même dans un phénomène sociologique, et je pense que ceux de l'extérieur nous regardent souvent bizarrement, à cause de ça (ils ne savent pas ce qu'ils perdent... hé hé!)
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Lensman
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Message par Lensman » sam. nov. 28, 2009 7:07 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :fond de nous-mêmes, on s'en foutrait un peu...
Dans les choses qu'il vaudrait mieux trancher en préalable il y a ça : on peut difficilement discuter avec intérêt d'un sujet dont on se fout (même un peu).
Je corrige: pas d'investissement affectif.
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Lensman
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Message par Lensman » sam. nov. 28, 2009 7:13 pm

systar a écrit : Plus on vieillit, plus on a du mal à apprendre de nouvelles langues...
Et les jeunes linguistes remplacent les vieux...
Cela me rappelle (bien que ce soit sans rapport) une horrible anecdote;
On a demandé à Galland (chef de l'aviation de chasse allemande) comment se faisait-il que autant de pilotes allemands de la fin de la guerre étaient des as. Il a répondu à peu près: parce que leurs autres camarades sont morts.
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Message par systar » sam. nov. 28, 2009 7:15 pm

Lensman a écrit :
systar a écrit : Plus on vieillit, plus on a du mal à apprendre de nouvelles langues...
Et les jeunes linguistes remplacent les vieux...
Cela me rappelle (bien que ce soit sans rapport) une horrible anecdote;
On a demandé à Galland (chef de l'aviation de chasse allemande) comment se faisait-il que autant de pilotes allemands de la fin de la guerre étaient des as. Il a répondu à peu près: parce que leurs autres camarades sont morts.
Oncle Joe
J'ajoute un autre facteur:
De plus, les Français sont nuls en langues étrangères.

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Erion
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Message par Erion » sam. nov. 28, 2009 7:16 pm

Lensman a écrit : On est tout de même dans un phénomène sociologique, et je pense que ceux de l'extérieur nous regardent souvent bizarrement, à cause de ça (ils ne savent pas ce qu'ils perdent... hé hé!)
Oncle Joe
Il y a un concept pour ça : les otakus.

Ne pas oublier qu'à l'origine, le terme otaku ne désigne pas les amateurs de mangas, mais les amateurs de SF.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par Lensman » sam. nov. 28, 2009 7:18 pm

Erion a écrit :
Lensman a écrit : On est tout de même dans un phénomène sociologique, et je pense que ceux de l'extérieur nous regardent souvent bizarrement, à cause de ça (ils ne savent pas ce qu'ils perdent... hé hé!)
Oncle Joe
Il y a un concept pour ça : les otakus.

Ne pas oublier qu'à l'origine, le terme otaku ne désigne pas les amateurs de mangas, mais les amateurs de SF.
Maudite engeance!
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MF
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Message par MF » sam. nov. 28, 2009 7:21 pm

Lensman a écrit :... les conventions, souvent raillées, même dans le milieu...
Je vais en profiter pour reposer ma question : qu'est-ce qui a fait que la BD est sortie de ce mode de fonctionnement en boucle interne, en particulier via Angoulême ?
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Lem

Message par Lem » sam. nov. 28, 2009 7:28 pm

Erion a écrit :au Japon, le roman japonais n'existe pas. C'est pour ça que les propos du critique japonais sont importants : il faut écarter la prouesse intellectuelle pour que le roman psychologique puisse exister (cela donnera au Japon ce qu'on va appeler : "le roman du moi"). Et il y aura une conséquence concrète : la disparition de la proto-Sf autochtone japonaise avant les années 20 (qui reviendra par les detective stories et les magazines). On est là dans une question de concurrence dans un champ littéraire, où il faut vraiment écarter un concurrent et faire advenir ce qui n'est pas encore.
Accepté car je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Avec quand même un étonnement : la protosf japonaise était à ce point consistante qu'elle menaçait (ou même empêchait d'éclore) un "roman japonais" encore dans les limbes ? Je trouve ça curieux. La protosf japonaise n'était donc pas composée de… romans ?
il y a là, véritablement une volonté délibérée de la part des élites littéraires d'écarter la SF des genres légitimes, et d'une perception que la SF était dangereuse pour l'existence même d'un roman japonais reconnu par le monde entier occidental.
Si tu veux un vrai rejet/déni, il est là, il est exprimé, explicite et on a des conséquences mesurables.
En effet, ça y ressemble. Mais – excuse-moi – je ne vois pas en quoi ça empêche de considérer l'invisibilité culturelle de la sf en France comme le fruit d'un déni par ailleurs ? D'un déni d'autant plus curieux qu'au tournant du XXème siècle, la culture française semblait prête à lui faire une place. Je te rappelle ce que Michel Tournier a écrit autrefois :
science-fiction. Ces deux mots jurent à mon oreille et le fruit de leurs amours malheureuses ne saurait être qu'un avorton minable.
C'est le même déni, exprimé un peu moins poliment.
Une remarque plus générale enfin sur tes objections. Tu penses ce que tu veux naturellement mais ton utilisation du terme rejet ou déni semble toujours impliquer une sorte de décision consciente – qu'il ne saurait y avoir pour toi rejet ou déni sans une proclamation claire disant : nous rejetons, nous dénions. Si on cherche de telles déclarations en France dans les critiques hors domaine, on les trouvera très souvent (à commencer dans le liminaire du rédacteur en chef du "Spectateur" qui introduit le papier de Maurice Renard en disant que naturellement, rien n'est plus inadéquat dans un texte littéraire que le développement d'idées théoriques). Mais l'homme n'est pas transparent, et la culture non plus. On peut dénier pour des raisons inconscientes et c'est encore plus difficile à résoudre.

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Lensman
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Message par Lensman » sam. nov. 28, 2009 7:28 pm

MF a écrit :
Lensman a écrit :... les conventions, souvent raillées, même dans le milieu...
Je vais en profiter pour reposer ma question : qu'est-ce qui a fait que la BD est sortie de ce mode de fonctionnement en boucle interne, en particulier via Angoulême ?
Parce que ce sont des traitres!
Et puis, qui s'intéresse encore vraiment à la BD? (j'écris: s'intéresse...)
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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » sam. nov. 28, 2009 7:30 pm

Gérard Klein a écrit :il vaut mieux majorer un peu les FNE et minorer les FNA.
D'accord avec toi ; j'avais choisi une hypothèse "haute" pour les FNA, mon objectif étant surtout de revenir à des chiffres raisonnables.
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Message par Roland C. Wagner » sam. nov. 28, 2009 7:34 pm

Lem a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :Et la "mauvaise réputation littéraire" non plus, en fait. Pour ça, il aurait fallu que nos chères élites culturelles aient eu conscience dès les années 50 ou 60 de cette histoire de mélo augmenté. Or l'idée a été formulée dans les années 90 et en langue anglaise.
Reprocher aux critiques de littérature générale de n'avoir pas eu conscience dans les années 50 d'une théorie développée dans les années 90, c'est peut-être pousser l'amour du paradoxal temporel un peu loin ?
Tu te rends compte de ce que tu as écrit ?
Lem a écrit :Dans ton papier, tu opposes à la variable cachée son contraire, le fait que la SF ne propose pas de réponse métaphysique comme source du déni.
Maintenant, tu dis que la vraie variable cachée, c'est le mélodrame augmenté.
Les deux n'ont aucun rapport. Chercherais-tu à m'embrouiller ?

Oké, j'ai compris, tu ne veux pas discuter, tu veux qu'on valide ton hypothèse in fine.
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Message par Roland C. Wagner » sam. nov. 28, 2009 7:36 pm

Lem a écrit :Il n'y a pas plus bourgeois que le mélodrame. Je t'assure. Si la SF originelle, c'était Sissi impératrice avec des pistolasers au lieu des sabres et la galaxie au lieu de l'Autriche-Hongrie, ça n'aurait posé aucun problème.
Les aventures de Sissi sont un trop vieux souvenir pour que j'en sois certain, mais il me semble bien qu'elles ne suivent pas le schéma dont je parlais.

Pas de problème, tu essayes de m'embrouiller.
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Message par Roland C. Wagner » sam. nov. 28, 2009 7:38 pm

silramil a écrit :L'hypothèse métaphysique défendue par Serge Lehman me paraît très intéressante, à cet égard : les questionnements qui traversent la science-fiction recoupent des interrogations sur la nature de l'espace et du temps, sur la place de l'homme dans l'univers, sur la multiplicité des mondes possibles, qui sont proprement métaphysiques.
Oui, mais ça, ce n'est pas son hypothèse, c'est le truisme que je signalais.
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Message par Gérard Klein » sam. nov. 28, 2009 7:39 pm

Demander à Lem de produire des textes qui expriment le rejet, l'évitement ou le déni de la science-fiction me semble complètement absurde.
C'est comme demander ce qu'on pouvait bien raconter sur la sexualité à la table de la Reine Victoria quand elle invitait le premier prélat de l'Église Anglicane.
L'évitement de l'objet n'est pas la preuve de l'inexistence de l'objet.

On répondait (souvent moi) dans la revue Fiction à de telles attaques quand il y en avait. Au total, assez peu, les intellectuels communistes, Koestler, Jean-François Revel (qui s'en est excusé par la suite auprès de moi en avouant son ignorance, et qui a fort bien traité Lovecraft), Kanters (mais la réponse a été, je crois, publiée dans Le Monde). Une poignée de textes sur plus de dix ans et chaque fois, il y avait un autre enjeu.

En revanche, on trouve beaucoup de déclarations intéressantes dans L'Effet science-fiction, des Bogdanov, que je projette du reste de rééditer à petit tirage si c'est jouable. Ces déclarations hostiles, ignorantes, ou parfois intéressées et favorables, n'apparaissent et n'existent que parce qu'elles ont été provoquées par une lettre, un ou plusieurs appels téléphoniques, une rencontre. Sans l'insistance des Bogdanov qui ont conservé les documents (du moins ils les avaient à l'époque de la rédaction du livre à laquelle j'ai pas mal contribué), ces réactions n'auraient jamais été exprimées. Qu'elles l'aient été par des personnalités pour certaines oubliées mais pour d'autres toujours là, ces déclarations répondent très précisément à la question de Lem, même si elles ne font aucune allusion, sauf erreur, à la métaphysique.

Je reviendrai plus tard sur mes idées, pas très nouvelles du reste, sur les raisons profondes du rejet, de l'ignorance et du déni de la science-fiction prise au sens le plus large par l'intelligentsia et la classe dominante, mais là, j'ai autre chose à faire.

Quant à la citation du japonais, elle ne nous apprend pas grand chose. C'est, à la même époque, la position du naturalisme positiviste de Zola selon laquelle le romancier "scientifique" doit photographier la réalité sociale. Zola était du reste un grand photographe. C'est contre cette position que va s'élever quelques années plus tard Rosny Aîné, non pas du reste comme romancier conjectural mais comme romancier réaliste.
Ce japonais pauvrement inspiré était-il au courant des écoles françaises et même européennes de son temps? Peut-être. En tout cas, si l'on considère la place que tient l'imaginaire dans la littérature et plus généralement la culture japonaises, du Dit du Genji (je recommande la traduction de René Sieffert,POF 1988, mais c'est gros) aux mangas, il n'a guère été entendu. Et des romans japonais, il y en a eu des tas, bien avant le critique inspiré et bien après.
Modifié en dernier par Gérard Klein le sam. nov. 28, 2009 9:30 pm, modifié 3 fois.
Mon immortalité est provisoire.

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Message par Roland C. Wagner » sam. nov. 28, 2009 7:41 pm

Lem a écrit :Je te rappelle ce que Michel Tournier a écrit autrefois :
science-fiction. Ces deux mots jurent à mon oreille et le fruit de leurs amours malheureuses ne saurait être qu'un avorton minable.
Le jour où j'ai lu cette phrase, Tournier a perdu un lecteur. À jamais.

Et je peux te dire que j'avais les boules d'avoir apprécié les ouvrages d'un tel con.
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)

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