Roland C. Wagner a écrit :Ce qui nous ramène ci-dessus.
Je ne fais aucun commentaire sur la nature humaine ou quoi que ce soit : je rends compte d'une perception publique.
L'association d'idées étant ce qu'elle est, je vais musarder dans ma bribe de bibliothèque et j'en ressors un essai de 1960, publié chez Fayard : Pierre Gauroy,
Les mondes du ciel (tu connais ça, Oncle ?). C'est un livre pour le grand public français sur la conquête spatiale qui commence et sur la possibilité de vie extraterrestre ; il n'est pas absurde d'y chercher un état des représentations de l'époque sur ces questions et de se dire qu'elles ont joué un rôle dans la perception de la sf comme "littérature de l'espace"
Extrait de l'avant-propos :
C'est Platon, c'est Anaxagore, qui enseignaient l'habitabilité de la Lune, y voyant eaux, montagnes, vallées. A défaut d'autre mérite, ce dernier eut celui du courage en un temps où il pouvait en cuire – dans tous les sens du mot – ayant manqué de peu la mise à mort pour avoir suggéré que le Soleil était peut-être plus grand que le Péloponnèse.
Mais voici que, sur les ténèbres, tombe la lumière de Copernic qui fait de la Terre une planète comme les autres. Lui déniant sa place usurpée au centre de l'Univers, il l'oblige à graviter plus humblement autour du soleil. Ce qui conduit le philosophe italien Giordano Bruno à prétendre qu'il existe "d'innombrables soleils et d'innombrables terres gravitant autour de leurs soleils de la même façon que nos sept planètes tournent autour de notre soleil… Ces mondes sont habités par des êtres vivants." De tels mots ont valeur d'hérésie en un âge où on ne badine point avec les vérités imposées. Par surcroît, le philosophe récidive en se convertissant au protestantisme. La flambée purificatrice qui s'élève de son bûcher, à Rome, va faire pour toujours son audace.
C'est Képler, Gallilée, Descartes, Newton… C'est Fontenelle qui pubie en 1686 ses Entretiens sur la pluralité des mondes habités, aimables dialogues où la fantaisie se donne libre cours… C'est le P. Secchi, avec quelques autres de haute lignée… Enfin, en 1962, paraît l'ouvrage célèbre sur La pluralité des mondes habités, étude où sont exposées les conditions d'habitabilité des terres célestes, par Camille Flammarion, ancien élève-astronome de l'Observatoire de Paris.
Jusqu'à ces dernières années cependant, les motifs de croyance et d'incroyance étaient d'ordre plus sensible ou métaphysique qu'intellectuel, et l'adhésion à pareille éventualité n'avait guère matière à légitimer…
Et je reprécise : je ne discute pas le contenu de ce texte. Je le cite comme pièce à verser au dossier de la perception publique de la sf et de ses grands thèmes. Ici, il me semble que ce qui était souligné par Maurice Renard à propos des "métaphysiques" que Camille Flammarion essaie de "concrétiser un peu" par la sf est toujours impliqué. Flammarion a été une figure très importante et très populaire, en France. Son Astronomie a été un gigantesque best-seller (dans le monde entier, je crois) et elle est toujours rééditée aujourd'hui. C'est pour publier ses livres que les éditions Flammarion ont été créées. Que le grand public français a eu durablement l'impression que "l'espace" était un sujet dont s'élevait le fameux "brouillard métaphysique" me semble plausible.