Lensman a écrit :Cela pose un problème si on pose "science-ftiction" comme ça, dans l'absolu, comme quelque chose qui a "toujours" existé. Au quel cas, Cyrano de Bergerac, c'est la SF.
Tu ne regardes que deux possibilités : soit "tout" (ce qui a un petit air de famille, même archéologique) est de la SF. Soit "seule" la science-fiction labellisée par Gernsback est de la SF. Personnellement, je considère que la première n'est pas suffisamment discriminante et que la deuxième l'est trop. Heureusement, il y a une troisième voie parfaitement classique, normale, que tu pratiques tous les jours sauf ici quand tu me parles, et qui consiste à placer dans la SF les textes dont on sait quand on les lit qu'ils en relèvent.
L'an 2440 et
Louis Lambert, ce n'est pas le cas ; c'est pour ça que c'est proto. Mais
les Xipéhuz. La guerre des mondes, Le brouillard du 26 octobre et Sur l'autre face du monde, c'est clairement de la science-fiction – ou alors, tu n'es pas l'Oncle que je connais. Et ce n'est pas une
commodité de langage
rétrojetée sur des textes antérieurs de façon artificielle : la définition de Renard et celle de Gernsback sont, sur la plupart des points, à peu près identiques. Et la présence d'une entité empirique appelée
scientific romance prouve que le genre existait aussi en Angleterre. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à apprendre de là-bas. Quand Wyndham écrit les
Triffides ou
Le péril vient de la mer, est-ce de la SF ou de la
scientific romance ? Et quand Andrevon écrit
Le monde enfin ou Bordage
Les derniers hommes, est-ce de la SF ou du roman scientifique ? Le problème est exactement le même. L'étiquette est bien là, mais le ton, le style, renvoie à des conceptions plus anciennes où les tropismes nationaux jouent un rôle. La SF n'est ni un sac informe où on peut tout mettre, ni une boîte ultra-spécialisée où ne peut mettre
que… C'est une sensibilité qu'on reconnaît quand on tombe dessus et elle existait avant Gernsback.
on perd de vue la spécificité du phénomène américain, où se crée vraiment le genre que l'on appelle aujourd'hui "science-fiction". Ce genre a ses précurseurs: il suffit de regarder le sommaire du premier "Amazing Stories". Il ne sort pas du néant. Mais il a une origine en tant que genre, et un développement bien spécifique, tellement spécifique que son arrivée en France en 1950 a été une claque. Tout ce que l'on appelle aujourd'hui la science-fiction et tout ce qui y est attaché découle de cette étiquette, des textes qui ont été importés, des codes qu'ils ont amené avec eux.
On ne perd de vue rien du tout. Le plan hypothétique de l'Histoire élaboré plus haut rend très bien compte de cette claque (dont je suis persuadé qu'une part ne provient pas, d'ailleurs, de la SF en tant que telle que de la fiction américaine comme forme, avec une liberté de ton, une vigueur et une simplicité stylistique qui ont aussi frappé dans d'autres domaines, du polar au roman tout court). Dire que la SF américaine a été introduite en France en 1950, qu'elle frappé les esprits, tout changé, introduit de nouveaux objets, imposé son nom, etc. ne me pose aucun problème. Ce qui me pose problème, c'est de faire comme s'il n'y avait pas de science-fiction avant. Cf ce que j'ai dit sur le roman policier.
J'allais écrire "on peut le regretter", mais au fond, quand j'y réfléchis bien, je me demande bien pourquoi?
Oui, pourquoi ? Moi, je ne le regrette pas. Je veux juste corriger les effets pervers d'une représentation publicitaire abusive.
Après, si les auteurs de SF français ou autres arrivent à faire mieux ou différent, en s'appuyant éventuellement (ou non) sur des traditions locales, c'est une belle et bonne chose. C'est à eux d'agir. Si le peux me permettre, pour une bonne part de tes propres textes, la filiation anglo-saxonne me paraît assez forte.
Totalement.
Où est le problème ? On est assez grand pour bien se moquer de l'origine d'un genre, au niveau de la nationalité.
En tant qu'écrivain, je m'en moque : la SF appartient à tout le monde. En tant qu'historien et critique, je ne m'en moque pas dans la mesure où le pays où je vis et écris a de ce genre une fausse image, ce qui me (nous) complique terriblement la tâche.