Du sense of wonder à la SF métaphysique

Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 8:31 pm

Lensman a écrit :
Lem a écrit :
Lensman a écrit :Ce qui frappe, à relire l'extrait de Renard…
Il faut se méfier des effets créés par des fragments isolés. Il y a un raisonnement qui court tout le long du texte (un de ces jours, je vais le saisir en entier pour que tout le monde puisse le lire dans la continuité mais il est long !). Cela dit, tu n'as pas tort. Il y a tout un aspect de la SF telle que Gernsback la conçoit qui n'est pas dans Renard. Mais intuitivement, j'irais bien le chercher du côté de Verne justement. Renard prend grand soin (et Messac après lui) d'écarter Verne du "nouveau genre" alors que Gernsback, au contraire, l'intègre pleinement avec toute la technologie spéculative associée, à la fois plus clinquante, mais aussi plus susceptible de déboucher sur des textes actifs et non contemplatifs. La SF de l'ingénieur, quoi (la future hard science). Si cette représentation est juste, ce serait un étrange paradoxe : que la SF américaine ait acquis son caractère spécifique en intégrant le grand-père français qui embarrassait tout le monde ici.
Et quels sont, d'ailleurs, les arguments pour écarter Verne? De fait, non seulement Gernsback ne l'écarte pas, mais il en fait un emblème. Le paradoxe, il serait surtout... français. Et encore: les auteurs français de romans scientifiques qui se réclament de Verne à partir de la fin du XIXe siècle ne sont pas rares, c'est même une règle assez générale (voir tel numéro du "Rocambole"). Ce serait donc certains théoriciens français du genre qui l'en écarteraient? Ce serait un comble!
En passant, mais c'est un autre problème, il me semble, le discours critique mettant en avant la méfiance, voire l'hostilité de Verne vis à vis de la science (technoscience?) est un discours récent, à chaque fois qu'on faisait référence à lui, c'était comme chantre du progrès technologique..
La tête de Verne doit être sur le premier numéro de "Fiction" (ou le 2e, ou le 3e... et je pense qu'il est là pour attirer le lecteur potentiel de SF...). Il faut vraiment avoir l'esprit compliqué pour ne pas voir en Verne de la proto SF (mais si que proto...)
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 8:35 pm

Lensman a écrit :La remarque sur Tardi (Adèle, et avant, "Le démon des glaces", publié dans "Pilote") me frappe. Comme s'il y avait une nostalgie de la vieille SF française, mais celle d'avant la guerre de 14…
Une anecdote personnelle : le projet qui m'a fait entrer dans la réflexion dont je livre des morceaux ici, c'est Metropolis, imaginé en 98-99 et lamentablement planté en 2002. Et dans le pitch écrit que j'avais fait à l'époque, je me souviens qu'il y avait une phrase du genre : "Un roman sur l'Europe vernienne, sur l'Europe d'avant le suicide, un roman sur les futurs que l'Histoire nous a volés." Je pense que c'est un sentiment diffus qui travaille sous la surface, un peu partout, depuis assez longtemps mais là aussi, c'est une rêverie à voix haute et je me projette peut-être au-dehors de manière abusive.

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 8:38 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :La remarque sur Tardi (Adèle, et avant, "Le démon des glaces", publié dans "Pilote") me frappe. Comme s'il y avait une nostalgie de la vieille SF française, mais celle d'avant la guerre de 14…
Une anecdote personnelle : le projet qui m'a fait entrer dans la réflexion dont je livre des morceaux ici, c'est Metropolis, imaginé en 98-99 et lamentablement planté en 2002. Et dans le pitch écrit que j'avais fait à l'époque, je me souviens qu'il y avait une phrase du genre : "Un roman sur l'Europe vernienne, sur l'Europe d'avant le suicide, un roman sur les futurs que l'Histoire nous a volés." Je pense que c'est un sentiment diffus qui travaille sous la surface, un peu partout, depuis assez longtemps mais là aussi, c'est une rêverie à voix haute et je me projette peut-être au-dehors de manière abusive.
En tout cas, c'est le genre de ressenti qui me parle bien mieux que la métaphysique, comme tu as pu le remarquer...
Oncle Joe

Avatar du membre
MF
Messages : 4466
Enregistré le : jeu. déc. 28, 2006 3:36 pm
Localisation : cactus-blockhaus

Message par MF » jeu. déc. 17, 2009 8:39 pm

Lem a écrit :
MF a écrit :
Lem a écrit :La SF de l'ingénieur, quoi (la future hard science).
Là je tique.
Tique. Ce n'était qu'une idée comme ça. Mais elle était déjà dans la préface d'Escales...
C'est étonnant, ça ne m'avait pas frappé à l'époque.
C'est vrai que c'était au millénaire dernier...
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 8:47 pm

Lensman a écrit :Et quels sont, d'ailleurs, les arguments pour écarter Verne? De fait, non seulement Gernsback ne l'écarte pas, mais il en fait un emblème. Le paradoxe, il serait surtout... français. Et encore: les auteurs français de romans scientifiques qui se réclament de Verne à partir de la fin du XIXe siècle ne sont pas rares, c'est même une règle assez générale (voir tel numéro du "Rocambole"). Ce serait donc certains théoriciens français du genre qui l'en écarteraient? Ce serait un comble!
C'est pourtant le cas, apparemment. Renard règle son compte à Verne en trois lignes : pas assez spéculatif.
Il s'agit de lancer la science en plein inconnu et non pas d'imaginer qu'elle a enfin accompli telle ou telle prouesse en voie réelle d'exécution. Il s'agit, par exemple, d'avoir l'idée d'une machine à explorer le temps et non d'admettre qu'un personnage fictif a construit un sous-marin, dans le moment même où les ingénieurs authentiques sont sur la piste de cettre découverte. Et si j'insiste là-dessus, c'est que là, justement, réside la grande différence entre Verne et Wells. Verne n’a pas écrit une seule ligne de merveilleux-scientifique. De son temps, la science était grosse de certaines trouvailles ; il s’est bornée à l’en croire accouchée avant qu’elle ne le fût. Il a à peine anticipé sur des découvertes en germination. Tout au plus pourrait-on dire qu’il restait dans ses problèmes une seule inconnue à dégager.
Et tu as raison, il y a évidemment un courant vernien en France, qui dure longtemps (toutes les variations sur le merveilleux géographique et les engins, disons, dont Paul D'Ivoi est un bon représentant) mais ce courant est lui aussi réfuté – par Messac, pourtant premier traducteur des pulps en France – avec une expression très claire :
. Le public vit sur l’idée que ces sujets, exclusivement destinés à la jeunesse, sont abandonnés à des auteurs de second ou même de quatorzième ordre, qui peuvent se permettre toutes les faiblesses, ayant affaire à des lecteurs peu exigeants. (…) Sans doute, il existe des œuvres de ce genre. Il en existe même beaucoup. Mais il en existe d’autres. S’il y a Jules Verne [et des douzaines de sous-Jules Verne], il y a aussi Wells et Poe.
Renard et Messac voulaient être pris au sérieux. Verne leur posait problème, à la fois parce qu'il était connoté "pour enfants" (la chose que Renard redoute visiblement) et "pas assez littéraire". Mais même si j'élucide correctement leurs motivations informulées, il n'en reste pas moins frappant que l'argument de Renard ("pas assez spéculatif") est toujours utilisé aujourd'hui pour dire que Verne n'est pas vraiment de la science-fiction. Et n'oublions pas le célèbre "Pourquoi j'ai tué Jules Verne".
C'est un grand sujet.
Et la question de savoir si cela a représenté une autolimitation de la SFF – si on peut vivre durablement en reniant son grand-père, pour employer une métaphore familiale – est aussi un grand sujet. C'est celui que tu poses en reparlant du Démon des Glaces. je suis d'accord, il faut creuser.

Avatar du membre
Erion
Messages : 5025
Enregistré le : sam. oct. 21, 2006 10:46 am

Message par Erion » jeu. déc. 17, 2009 8:57 pm

Lem a écrit : En quoi des degrés de liberté supplémentaire et une histoire mieux appropriée peuvent-ils te laisser penser que tu y perdrais quelque chose ? Je ne comprends pas.
Parce que ton approche du déni, et du genre, se limite quasi strictement au cadre mental des prescripteurs. La SF est beaucoup plus vaste que cela. Considère Meliès, considère Flash Gordon/Guy L'Eclair, Mandrake le Magicien, tout ce qui a participé à l'édification du genre comme vécu collectif. Si tu veux faire une théorie du déni qui soit conséquente, il faut intégrer tout cela, et il apparaît assez évident que la place de la littérature générale dans tout ceci est très réduite.
Alors oui, la littérature de SF est un petit ensemble face à la production littéraire générale, mais la science-fiction comme genre, est bien plus étendue que cette production littéraire. Face à cet ensemble plus grand que des empires (mais pas plus lent), les prescripteurs peuvent avoir un sentiment de citadelle assiégée, un comportement de ghetto face à l'envahisseur.

Sur les filiations et ce qu'on en fait, ça me semble aussi très mal posé. Oui, il y a un substrat, un passé, quelque chose de latent, mais il faut l'étincelle, et c'est cette étincelle qui compte, pas ce qui était latent. Les auteurs des années 50 ont lu les auteurs antérieurs, mais pas en tant que "textes de SF", plutôt comme nourriture, comme ressource, terreau ou engrais. Je vais ici prendre mon analogie préférée, qui est le mouvement folk dans les années 60. C'était un milieu fermé, plongé vers la recherche des racines, qui avait ses grandes figures (Woody Guthrie par exemple, Peter Paul and Mary plus tard). Quand Dylan est arrivé là-dedans, il n'était pas le meilleur chanteur, il n'était pas même un auteur. La "tradition" était de refaire les chansons anciennes, de les modifier, et de participer à l'ensemble. Pourquoi Dylan a fait une explosion dans le milieu folk ? Parce qu'il a été chercher sa musique dans le rock'n'roll, genre honni, genre pour voyous et pour adolescents incultes. Et c'est là que l'étincelle a jailli.
Mais presque toutes les chansons de Dylan sont des repiquages anciens (d'où en 2001, son album Love & Theft), des vols. Un jour, un journaliste lui a mis sous les yeux tous les plagiats dont il pouvait être responsable, il lui a parlé de toutes ces chansons qu'il a repris, transformé, joué 100 fois de manière différente, mais tellement anciennes que personnes ne savait trop d'où elles venaient. Et Dylan a répondu "Peut-être, mais maintenant, elles sont miennes".

Donc, oui, il y a sans doute de la proto-SF dans la SF des années 50, mais la SF des années 50 appartient aux acteurs de ces années-là, pas à leurs ancêtres.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/

JDB
Messages : 1541
Enregistré le : mer. mai 03, 2006 1:37 pm
Contact :

Message par JDB » jeu. déc. 17, 2009 8:59 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :La remarque sur Tardi (Adèle, et avant, "Le démon des glaces", publié dans "Pilote") me frappe. Comme s'il y avait une nostalgie de la vieille SF française, mais celle d'avant la guerre de 14…
Une anecdote personnelle : le projet qui m'a fait entrer dans la réflexion dont je livre des morceaux ici, c'est Metropolis, imaginé en 98-99 et lamentablement planté en 2002. Et dans le pitch écrit que j'avais fait à l'époque, je me souviens qu'il y avait une phrase du genre : "Un roman sur l'Europe vernienne, sur l'Europe d'avant le suicide, un roman sur les futurs que l'Histoire nous a volés." Je pense que c'est un sentiment diffus qui travaille sous la surface, un peu partout, depuis assez longtemps mais là aussi, c'est une rêverie à voix haute et je me projette peut-être au-dehors de manière abusive.
A ma connaissance, personne ne s'est interrogé sur la popularité du courant dit steampunk en France. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur ce concept que tu viens de formuler : "les futurs que l'Histoire nous a volés".
A rapprocher du commentaire de Robert Louit dans la première édition de The Science Fiction Encyclopedia (article "France" -- Louit expliquait l'anémie de la SF française après la Seconde Guerre mondiale) : "France has ceased to dream about its own future, as it were, and about the future generally."
JDB

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 9:06 pm

Lem a écrit : Renard et Messac voulaient être pris au sérieux. Verne leur posait problème, à la fois parce qu'il était connoté "pour enfants" (la chose que Renard redoute visiblement) et "pas assez littéraire". Mais même si j'élucide correctement leurs motivations informulées, il n'en reste pas moins frappant que l'argument de Renard ("pas assez spéculatif") est toujours utilisé aujourd'hui pour dire que Verne n'est pas vraiment de la science-fiction. Et n'oublions pas le célèbre "Pourquoi j'ai tué Jules Verne".
C'est un grand sujet.
Et la question de savoir si cela a représenté une autolimitation de la SFF – si on peut vivre durablement en reniant son grand-père, pour employer une métaphore familiale – est aussi un grand sujet. C'est celui que tu poses en reparlant du Démon des Glaces. je suis d'accord, il faut creuser.
Le fait que Jules Verne est perçu "jeunesse" (il l'est, de fait, même si il est possible de faire d'autres lectures plus subtiles) semble être un problème majeur, pour les théoriciens (proto-théoriciens?) français. Il ne l'est pas pour l'Américain (hum...), qui en fait, ne rejette pas grand monde, et place son projet sous la protection de parrains variés et disparates. La SF à la Gernsback, en tant que projet éditorial, accepte tout à fait ce caractère perçu comme "pour la jeunesse", qui n'est pas acceptable de l'autre côté de l'Atlantique, tout au moins selon les critère de la... légitimation. On voit où ça mène, la recherche de la légitimation (j'exagère sans doute, mais avouons que c'est pesant, et stérilisant. non?)
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 9:14 pm

Erion a écrit :ton approche du déni, et du genre, se limite quasi strictement au cadre mental des prescripteurs.
Non. C'est le point de départ. C'est l'indice de quelque chose de plus vaste et de plus général et qui touche à beaucoup d'aspects de la culture française. C'est la raison pour laquelle j'ai écrit ceci juste avant : "Et la question de savoir si cela a représenté une autolimitation de la SFF – si on peut vivre durablement en reniant son grand-père, pour employer une métaphore familiale – est aussi un grand sujet."
Ultimement, on pourrait bien participer nous-même au déni.
La SF est beaucoup plus vaste que cela.
Je ne cesse de le dire. De lancer des passerelles vers les autres formes artistiques, vers les autres secteurs de la pensée. Aucun problème.
Considère Meliès, considère Flash Gordon/Guy L'Eclair, Mandrake le Magicien, tout ce qui a participé à l'édification du genre comme vécu collectif. Si tu veux faire une théorie du déni qui soit conséquente, il faut intégrer tout cela, et il apparaît assez évident que la place de la littérature générale dans tout ceci est très réduite.
Je considère tous ces noms avec grand plaisir, je les ai introduits moi-même dans le débat (pas Mandrake mais j'aurais pu). Aucun problème non plus à l'idée de les intégrer. Mais je ne suis pas d'accord avec la deuxième partie de ta proposition. La France a été (est encore sans doute, même si ça craque d'un peu partout) un pays ultra centralisé, gouverné par la tête, et où le milieu littéraire joue l'arbitre des élégances pour tout. La politique, le cinéma, la peinture… On peut le regretter ou s'en réjouir mais c'est comme ça. Ce que je propose ici, au-delà de la réflexion sur la métaphysique, c'est une histoire culturelle au sens le plus large. Mais veux-tu un pronostic ? Ceux qui se prononceront (très éventuellement) sur son intérêt et sa validité, ce ne seront pas les scientifiques (bien qu'il y ait de la science dedans), les philosophes, les cinéastes ou les auteurs de BD (idem). Ce sera le milieu littéraire. C'est la donne. Et ça ne me gène pas.

Je ne commente pas ton parallèle avec le folk : je suis incompétent. Mais pourquoi faire un parallèle ? je trouve la charnière problématique roman scientifique / SF assez parlante en elle-même.

(édité : "le contraire" était… le contraire de ce que je voulais dire.)
Modifié en dernier par Lem le jeu. déc. 17, 2009 9:43 pm, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 9:26 pm

JDB a écrit :
Lem a écrit :
Lensman a écrit :La remarque sur Tardi (Adèle, et avant, "Le démon des glaces", publié dans "Pilote") me frappe. Comme s'il y avait une nostalgie de la vieille SF française, mais celle d'avant la guerre de 14…
Une anecdote personnelle : le projet qui m'a fait entrer dans la réflexion dont je livre des morceaux ici, c'est Metropolis, imaginé en 98-99 et lamentablement planté en 2002. Et dans le pitch écrit que j'avais fait à l'époque, je me souviens qu'il y avait une phrase du genre : "Un roman sur l'Europe vernienne, sur l'Europe d'avant le suicide, un roman sur les futurs que l'Histoire nous a volés." Je pense que c'est un sentiment diffus qui travaille sous la surface, un peu partout, depuis assez longtemps mais là aussi, c'est une rêverie à voix haute et je me projette peut-être au-dehors de manière abusive.
A ma connaissance, personne ne s'est interrogé sur la popularité du courant dit steampunk en France. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur ce concept que tu viens de formuler : "les futurs que l'Histoire nous a volés".
A rapprocher du commentaire de Robert Louit dans la première édition de The Science Fiction Encyclopedia (article "France" -- Louit expliquait l'anémie de la SF française après la Seconde Guerre mondiale) : "France has ceased to dream about its own future, as it were, and about the future generally."
JDB
On frise le hors sujet (ricanements dans le fond), mais lisez ce petit extrait du témoignage de Bergier, revenant de camp de concentration, et essayez d'imaginer l'écroulement du monde français (dans son ambition, j'entends) après la guerre. Un autre monde s'impose, et la SF est perçue, à l'époque, comme une de ses manifestations:

"La rapidité du retour en France, retour qui fut si long et si pénible pour d’autres camps, nous surprit encore davantage. Grâce à l’intervention du général Swinton Lee, général anglais qui était un des adjoints d’Eisenhower, spécialement chargé d’affaires civiles en France, et qui est intervenu personnellement auprès de celui-ci en notre faveur, tous les hommes valides du camp de Mauthausen furent rapatriés le 19 mai 1945, en forteresses volantes. Et c’est ainsi que, me demandant si je rêvais, je me suis retrouvé à l’aube du 19 mai 1945, sur l’aérodrome de Heinz, en Autriche. La forteresse volante qui devait nous remmener était arrivée récemment de Rangoon, Birmanie. L’équipage trouvait ce voyage tout naturel : « C’est une guerre mondiale, n’est-ce pas ? » me dit le radio. Après quoi, ayant transmis de ma part un message en code urgent pour le quartier général allié de Reims, il me montra l’équipement radar de son appareil. Un certain nombre d’inventions que je ne croyais pas possibles avant l’an deux mille, étaient incorporées à cet équipement. J’avais déjà entendu parler, à l’hôpital américain qui avait été improvisé à Mauthausen, de la pénicilline. Manifestement, durant les cinq années pendant lesquelles la France avait été isolée de l’extérieur, les diverses sciences avaient progressé d’un siècle. Une idée folle me vint : « A-t-on développé l’énergie atomique ? ». Le radio me regarda avec intérêt. « On en parle, dit-il. C’est assez secret, mais des bruits courent… ». Je devais me rappeler de la phrase le jour d’Hiroshima. Sur le moment, je ressentis simplement que le voyage à Mauthausen avait été aussi un voyage dans le Temps."

Oncle Joe

Avatar du membre
jlavadou
Messages : 2284
Enregistré le : ven. févr. 10, 2006 9:40 am
Localisation : La Garenne Colombes
Contact :

Message par jlavadou » jeu. déc. 17, 2009 9:26 pm

Lensman a écrit :La tête de Verne doit être sur le premier numéro de "Fiction" (ou le 2e, ou le 3e... et je pense qu'il est là pour attirer le lecteur potentiel de SF...).
Sur le numéro 18 en fait.

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 9:29 pm

jlavadou a écrit :
Lensman a écrit :La tête de Verne doit être sur le premier numéro de "Fiction" (ou le 2e, ou le 3e... et je pense qu'il est là pour attirer le lecteur potentiel de SF...).
Sur le numéro 18 en fait.
Voilà la mémoire des vieux... mon temps est fini... apportez moi des bonbons mous (je n'ai plus de dents) à l'asile...
Oncle Joe

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 9:47 pm

Tiens, et en plus, pour le "Fiction", sur la Noosfère, ils emploient le terme "récit", dont j'avais décrété que plus personne ne l'employait...
Oncle Joe

Avatar du membre
Erion
Messages : 5025
Enregistré le : sam. oct. 21, 2006 10:46 am

Message par Erion » jeu. déc. 17, 2009 9:54 pm

Lem a écrit : La France a été (est encore sans doute, même si ça craque d'un peu partout) un pays ultra centralisé, gouverné par la tête, et où le milieu littéraire joue l'arbitre des élégances pour tout. La politique, le cinéma, la peinture… On peut le regretter ou s'en réjouir mais c'est comme ça
Est-ce si différent dans les autres pays ? N'est-ce pas la même chose au Japon (là aussi avec une proto-SF autochtone, là aussi, une condamnation par les cercles littéraires, là aussi un "revival" par les magazines, là aussi l'immense influence américaine) ? As-tu regardé ce qu'il en était des milieux littéraires aux USA ? Je serais étonné qu'ils aient été ravis de l'existence de la SF.

Seulement, il y a une petite différence. En 1950 : population aux USA 140 millions, Japon 85 millions, France 42 millions. Ces différences façonnent de sacrées dynamiques, sans faire intervenir les conceptions des "milieux littéraires".
Si j'ai évoqué Kojève, c'était précisément parce qu'il oppose l'Amérique au Japon, l'animalité consumériste américaine, face au snobisme japonais (selon lui, je précise).
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/

Avatar du membre
erispoe
Messages : 397
Enregistré le : ven. août 11, 2006 4:19 pm
Localisation : Chartres de Bretagne, près de Rennes

Message par erispoe » jeu. déc. 17, 2009 9:56 pm

Oncle Joe, ta citation de Bergier vient d'où s'il te plait ?

Parce qu'il y a là une truc à creuser d'après moi. Même si je suis allergique aux délires de Bergier, je trouve ce texte particulièrement parlant...

Répondre

Retourner vers « Vos dernières lectures »