Lensman a écrit :On revient donc au sujet, par la remarque de Systar.
La science trouve dans la métaphysique des idées qu'elle transforme (ou essaie, en tout cas) en vérités scientifiques (en se souvenant, bien sûr, que les vérités scientifiques ne sont pas absolues, ce ne sont que des théories qui décrivent "bien" les choses, compte tenu des résultats expérimentaux d'une époque donnée).
Que, d'ailleurs, les scientifiques les plus inventifs aillent chercher dans des discours non scientifiques des idées, des concepts, transposables dans leur domaine, montre aussi leur conscience accrue de l'historicité de la science, du caractère provisoire de ses résultats.
Par contre, la SF (qui relève de la fiction, ne l'oublions pas) met en scène ce qui se passerait (peut-être) dans le monde (à différent niveau) si telle ou telle hypothèse était vérifiée, ou à pousser les conséquences de telle ou telle hypothèse. Quand elle le fait, c'est en présupposant justement que l'hypothèse en question n'est plus métaphysique, mais est une vérité scientifique.
On peut valider ça, oui.
Ou affirmer l'idée d'une persistance/diffusion de la métaphysique dans les énoncés scientifiques proposés dans le roman de SF.
Mais ça revient au même.
En réalité, je ressens souvent une émotion très similaire quand je lis de la philo métaphysique assez technique, et quand je lis Egan, par exemple.
Systar, j'aimerais savoir si des questions sans objet du genre "Dieu existe-t-il?" sont aujourd'hui dans le champ de la métaphysique? Ou font-elles juste partie de l'histoire de la métaphysique, et ont-elles cessé d'être traitées (hormis, évidemment, la curiosité de voir ce qu'on en pensait dans le passé, pour faire de l'histoire des mentalités?)
Aujourd'hui, non. Cette question a appartenu à un domaine de la métaphysique: la théologie rationnelle. On en a retenu les différentes preuves de l'existence de Dieu (la forme la plus célèbre étant celle d'Anselme).
Kant est passé par là, pour dire que les seuls énoncés à validité scientifique, désormais, seraient les énoncés portant sur le sensible, sur la nature, le concret.
La Critique de la raison pure raconte comment on renonce, désormais, à prouver l'existence de Dieu, l'existence de l'âme, et à envisager le monde comme totalité des étants.
C'est un interdit, posé par Kant, si fort qu'on a souvent parlé, avec et après lui, de "fin de la métaphysique".
Aujourd'hui, aucun philosophe sérieux ne démontrerait l'existence de Dieu. Il y a des philosophies qui posent qu'un dieu existe (voir Le Dieu des philosophes, de Pierre Magnard), mais on n'assiste plus à des argumentations à prétention "scientifique" sur le sujet.
Ces questions relèvent donc de l'histoire de la métaphysique, donc.
Là où, par contre, la métaphysique ne se périme pas, c'est quand on se propose de relire les traditions de pensée en retenant surtout les gestes de pensée, les théories qui se sont développées en marge des grandes questions.
Un exemple: au Moyen-Âge, il y avait l'angélologie, il y avait des questions insolubles posées sur un tas de domaines de la foi, comme: comment Jésus a-t-il pu sortir du tombeau après sa mort, etc. Les types qui ont répondu à ces questions ont dû élaborer des théories fascinantes du corps, de la chair, du temps, de l'autre, de l'intentionnalité, etc., pour pouvoir répondre à des questions religieuses. Aujourd'hui, on laisse de côté l'enjeu religieux, et on garde ces théories très actuelles de la chair (expérience du soi, du touchant-touché, etc.)
Donc, si tu veux, il y a plein de lectures différentes de l'histoire de la métaphysique:
- certains disent qu'ils ne font que de la dissection de cadavres.
- d'autres (très minoritaires) reprennent tels quels les textes; ou alors ce sont les théologiens, les hommes de foi
- enfin, dernier courant, le plus fructueux: certains se décrivent comme des abeilles: on va chercher dans les textes le pollen, pour le transformer en qqch d'utile et de bénéfique pour nous. (Emmanuel Falque, par exemple, dont le Dieu, la Chair et l'Autre me vient spontanément à l'esprit, il faudrait que je relise son explication sur sa méthode de lecture des textes médiévaux).
Il y a aussi des vieux problèmes métaphysiques qui se reprennent tels quels: le principe d'individuation de Duns Scot, par exemple, est très discuté, notamment par Simondon, et l'individuation est une question qui date au moins d'Aristote, et traverse toute l'histoire de la pensée, et est encore d'actualité.
Une autre question: la métaphysique avance-t-elle (comme la science), ou bien le tour de toutes ses questions (toujours pas si claires pour moi...) a-t-il été fait? Existe-t-il, par exemple, de "nouvelles" questions métaphysqiue? (auxquelles on n'avait pas pensé du temps des Grecs, par exemple).
Oncle Joe
Elle n'avance pas au sens d'un progrès cumulatif des résultats. Platon n'a pas plus tort à nos yeux qu'à ceux de ses contemporains.
On peut avancer dans l'intelligence de problèmes bien posés par le passé, oui, sur la compréhension du sens de certains textes difficiles, mais ce progrès, qui justifie la recherche philologique en philo, est justement doxographique.
Il faudrait que je fasse une réponse très longue, notamment pour expliquer la mutation historique des formes du discours philo, pourquoi après Hegel, la métaphysique ne s'expose plus en un système prétendant expliquer la totalité de ce qui est, pourquoi malgré tout il y a encore des systèmes de métaphysique qui s'écrivent au XXème.
On gagne de la diversité, c'est-à-dire du désaccord entre les auteurs. C'est lié à la pratique philosophique même: elle ne corrige pas des erreurs définitivement, elle argumente, questionne, pour produire des réponses qui appelleront à leur tour des polémiques, etc.
Sur la question de nouvelles interrogations que les Grecs n'avaient pas: oui, bien sûr.
La théorie des réseaux, le questionnement sur l' "essence" de la technique, sur la mondialisation des réseaux technologiques, sur l'évolution technique de l'humanité, tout cela relève d'un questionnement métaphysique inédit.
En cela, on accompagne le progrès technologique.
Pour le reste: on redéfinit les domaines d'intérêt d'une discipline, mais est-ce qu'on formule des questions radicalement neuves, je ne sais pas.
Ah, si: sur le mal, par exemple. La philo du mal, après le XXème, pose des questions neuves (la Shoah comme règne de l'identité absolue, comme dévoiement de la rationalité, etc.), mais parce qu'elles sont liées à des événements dont on considère qu'ils interdisent à tout jamais de faire de la philo, et de la métaphysique, "comme avant".