La Compagnie Noire de Glen Cook
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Depuis des siècles, les traditions et souvenirs de la compagnie noire sont consignés dans les présentes annales. Depuis des siècles, la troupe se loue au plus offrant et les batailles qu'elle a livrées on déjà rempli maints volumes. Jamais pourtant elle n'aura traversé de période aussi trouble. Entrée au service de la dame et de ses sorciers maléfiques, la compagnie participe à l'une des plus sanglantes campagnes de son histoire. Les combats incessants, la magie noire qui empuantit l'air, bientôt les hommes tombent comme des mouches, et ceux qui restent debout commencent à se demander s'ils ont choisi le bon camp. Ce sont des mercenaires, ils sont dépravés, violents et ignares, sans foi ni loi, mais même eux peuvent avoir peur, très peur...
S'il y a un genre que je déteste, c'est bien la fantasy, mis à part de rares exceptions (Conan ou les Terry Pratchett, soit les oeuvres les plus opposées du genre

). En réalité, la fantasy m'ennuie souvent dès la première page, dès l'instant où l'on m'apprend "qu'en ce temps-là, le royaume de truc était assiégé par l'empire de machin, dirigé par le cousin germain du jeune roi bidule...". Généralement, l'auteur ne tarde pas à introduire après sa courte introduction de 10 pages une douzaine de personnages aux noms improbables et difficiles à différencier les uns des autres.
Et donc, l'autre jour, je tombe sur un exemplaire de La Compagnie Noire dans un Easy Cash. La couverture est sympa, le résumé donne envie, je me laisse tenter et, dans un acte fou, investis 40 cents dans ce qui se révèlera forcément une déception. Je rentre chez moi, j'entame les autres livres achetés, dont Le Livre de la Jungle de Ryuard Kipling, puis je regarde d'un oeil distrait la couverture de cette Compagnie Noire en me disant "pourquoi pas". Je commence donc la lecture.
Et là, oh surprise, je découvre un style brut, direct, efficace, qui ne s'embarrasse d'aucune tournure stylistique ou sophistication inutile. Même les noms des personnages sont simples... Un certain "Toubib", médecin de la Compagnie Noire, troupe de mercenaires au service d'un seigneur menacé, relate donc le quotidien de sa troupe. Souvent, dans ce genre d'exercice du "carnet de bord", les romans se révèlent peu crédibles dans le ton adopté, souvent trop romancés ou pas assez (je pense à L'Enigme du Cadran Solaire) ; mais ici, le style de l'auteur est si brutal, recourant sans complexe à des ellipses, expédiant sans avertissement une scène d'action ou la mort d'un personnage de façon très cynique, sans jamais en faire trop, que le lecteur n'a aucun mal à croire qu'il s'agit réellement du journal d'un médecin blasé.
Ensuite, La Compagnie Noire s'inscrit réellement dans le genre "dark fantasy" : ici, pas de héros, les mercenaires de l'auteur sont sans foi ni loi, pas de place pour la morale, et ce positionnement du point de vue des... non pas "méchants", mais plutôt de ces mercenaires croisés en tant que seconds couteaux dans toutes les histoires de fantasy, est assez original et excitant. Ils s'appellent Miséricorde, Silence, Tam-tam, n'importe lequel d'entre eux peut mourir à tout moment, ils sont sales et violents, et pourtant le lecteur est contrait de suivre leur quotidien, voire de s'attacher à eux.
Leur parcours, parlons-en : ce qui peut paraître pour une faiblesse est, pour moi, la force du roman. L'auteur ne met pas en place une intrigue à tiroirs, mais se "contente" de relater les faits d'arme de la troupe, en passant parfois du coq à l'âne. Pourtant, le lecteur n'est jamais perdu, et je me suis même surpris à ne plus pouvoir lâcher le bouquin pour connaître la suite, lorsqu'un ensemble d'actions a priori sans rapports commence à s'inscrire dans un tout cohérent, toujours présenté du point de vue de ces mercenaires...
Bref, encore une fois je supporte mal la fantasy, mais l'approche réaliste de ce livre, et surtout son style à contre-courant de tout ce qui se fait dans le genre m'a totalement séduit. Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu de fantasy aussi facilement abordable et passionnante.
« J’ai un projet, devenir fou. »
Charles Bukowski