C'est la première fois que je viens ici, quoique je connaisse le site depuis un moment. J'espère m'y plaire avec vous !
Pour mon premier message, je voulais vous parler d'un livre, L'Homme dans le labyrinthe, par Robert Silveberg. En fait, je réalise un dossier sur ce livre dans le cadre de mes études (master1 Lettres Modernes); et l'objet de ce dossier est... La réécriture des tragédies grecques ! J'ai cherché nombre de chroniques sur le web, et pas une seule n'évoque cet aspect du roman... Quelqu'un parmi vous le savait-il ?
Alors certes, la tragédie de référence n'est pas très connue : il s'agit de Philoctète, par Sophocle. Si je souhaitais parler de ça, ce n'est pas seulement pour le plaisir de dire ce que je sais (car ce serait hypocrite de le nier

Je vous raconte brièvement l'histoire de Philoctète : s'étant aventuré en lieu sacré, Philoctète se fait mordre par un serpent. Sa blessure ne guérit pas, pire, elle pourrit, et exhale une puanteur absolument insupportable. Pour cette raison, Ulysse l'abandonne sur Lemnos, une île perdue (pour ceux qui ont lu le roman de Silveberg, vous remarquerez que c'est le nom de la planète où s'exile Muller). Or, il s'avère que Philoctète a hérité des armes d'Héraclès, et qu'une prophétie stipule que sans ces armes, la guerre de Troie ne sera pas gagnée. Donc Ulysse (alias Boardman chez Silveberg), accompagné de Néoptolème, le fils d'Achille (alias Ned Rawlins), se rend sur Lemnos et invente une ruse pour persuader Philoctète de se joindre à eux, pour l'utiliser dans la guerre de Troie. Vous voyez la similarité, je pense ?
Le plus intéressant à mes yeux, c'est que la puanteur de Philoctète devient métaphorique chez Silveberg : Muller renvoie sa propre image à l'humanité, à travers ses émanations psychiques, tout comme Philoctète devient insupportable à ses frères à cause de l'odeur terrible qu'il dégage. Silveberg a approfondi ce vieux mythe, en creusant son sens.
Je vous invite donc à relire ce livre à la lumière du texte de Sophocle, car cela le rend doublement intéressant.
Vous remarquerez aussi que Muller, au coeur du labyrinthe, ça fait fortement penser au mythe du minotaure, qui représente un aspect inavouable de l'humanité. Et qu'une de lunes qui tourne autour de Lemnos a pour nom Atropos, l'une des Moires, divinités du destin.
D'ailleurs, Silveberg fait explicitement la référence au "background" grec, quand Muller parle de "l'hybris", cet orgueil humain qui le pousse à se vouloir l'égal d'un dieu. Comme dans la tragédie grecque, Muller est maudit pour cet orgueil, mais le plus ironique, c'est que cette malédiction est la seule chose qui peut sauver l'humanité, et c'est la raison pour laquelle Boardman vient le trouver (alors que dans le texte de Sophocle, c'étaient les armes divines de Philoctète qui pouvaient sauver les Grecs. Ce déplacement donne une plus grande profondeur à la malédiction de Muller, qui se révèle également être un don).
Voilà, j'espère que vous aurez trouvé cela intéressant !
A bientôt !