Lensman a écrit :
Prenons un livre français qui, non relié, doit être vendu, disons 29 euros. Quel serait, en gros, le prix où il devrait être vendu s'il était relié, avec jaquette ?
J'aimerais savoir le surcoût technique qu'imposerait une reliure avec jaquette, par rapport au brochage. 21 euros de surcoût, cela me paraît délirant... on retombe sur la reliure en vraie peau de licorne façonnée par des vierges authentiques.
Ma question est juste sur une technique: combien coûte de plus une reliure avec jaquette par rapport au brochage normal ? 21 euros de plus??? Evidemment, chez les Moutons, ce sont des ouvrages à tirages purement anecdotiques (quelques dizaines). Là, je parle d'ouvrages à tirer à plusieurs milliers d'exemplaires.
Oncle Joe
Tout ce qui est simple est faux, comme aimait à dire Henri Poincaré.
On peut évaluer à la louche le surcoût et
surtout le surprix d'un livre relié avec jaquette.
J'estimerai le surcoût de revient entre 5 et 10 €. Comme le tirage sera faible, ce sera plutôt 10. Il faut aussi prévoir un plus beau papier car les papiers actuels des livres ne passeront pas les décennies. Donc ça va augmenter, disons, avec modération, de 8 € le prix de revient de l'objet livre.
Mais il ne suffit pas d'ajouter ces 8 € au prix de vente actuel pour obtenir le prix de vente futur. Les libraires, etc vont prendre leur marge.
Quand j'avais encore des responsabilités économiques et décisionnelles dans l'édition, les ordinateurs n'existaient pas et les contrôleurs de gestion modernes non plus. Le Syndicat des éditeurs avait mis au point un tableau qui indiquait le prix de vente souhaitable pour ne pas faire faillite en multipliant le prix de revient de l'objet livre, donné par la fabrication, par un coefficient variable. En fonction aussi des droits d'auteur et autres contraintes mais ne compliquons pas.
Pour un tirage de 8000 exemplaires avec un retour probable de 10%, le coefficient était de l'ordre de 6 ou 6,5. Donc si l'objet livre coutait 5 francs, il fallait le vendre 30 francs hors taxe.
Le coefficient était évidemment beaucoup plus faible si le tirage était important, par exemple de 4 pour un tirage à 50 000.
En revanche, il augmentait pour un petit tirage. Il devait être de l'ordre de 8 ou 9 pour 2000 ou 3 000 exemplaires. En dessous, on ne faisait pas pour des raisons techniques.
Retenons un coefficient de 8.
Il n'y a pas de raisons de penser que ces coefficients aient substantiellement changé.
Cela veut dire que notre reliure et jaquette d'un prix de revient de 8 € pour un tirage de 1500 va majorer le prix de vente de 8x8 soit environ 64 €. Si le livre sans tout ça est vendu 20 €, on arrive à un total de l'ordre de 84 €, disons entre 70 et 100€ pour tenir compte de toutes les approximations que j'ai introduites et à condition qu'il n'y ait aucun retour. Ce qui explique la remarque de Dumay disant que ça ne peut se faire que sur souscription ferme ou vente directe avec souscription pour une part. ce qui était la formule du CLA avant qu'il ne tente de se vendre en librairie et disparaisse rapidement.
Il se trouve que dans cette zone de prix, nous avons des repères fiables.
Ainsi chez Gallimard, la PléIade dont les volumes récents sont vendus autour de 50€ (97 en souscription pour les deux Jules Verne).
Mais les volumes de la Pléiade ne sont pas tirés à 1500 exemplaires mais à 10 ou 20 000 et parfois réimprimés. Ils visent un assez large public puisqu'ils publient des classiques qu'on est supposé avoir dans sa bibliothèque. Au surplus, il n'y a généralement pas de droits d'auteurs, et les universitaires qui préparent l'édition reçoivent probablement 2 ou 4%, pas plus (mais je n'en sais rien, je connais seulement les usages de l'édition et ceux de Gallimard).
Nous avons un autre repère avec les livres d'artiste, catégorie très particulière, dont les tirages sont par nature faibles, de 10 à 250 exemplaires par hypothèse, et dont les prix vont de cent euros à plusieurs dizaines de milliers. C'est du patrimonial, parfois (rarement), une bonne spéculation, et le public doit s'établir pour toute la France entre quelques dizaines et quelques centaines de collectionneurs. Peut-être quelques milliers en raclant les fonds de tiroir et en incluant les amateurs de porno chic aussi bien que ceux du livre tout noir avec une lettre quelque part. La vente se fait soit par souscription, soit chez quelques très rares libraires spécialisés. Il y en a un très bien derrière la statue de Danton à Saint-Germain des Prés.
La question est : combien d'amateurs de science-fiction en France sont prêts à payer à peu près 80 € et surtout à s'engager ferme à le faire auquel cas on peut réduire un peu, pour disposer d'une édition patrimoniale au sens où l'entend Lensman, de livres qu'ils possèdent déjà et qu'ils ont déjà lu? Ou plus de 100 voire 150 € et plus s'ils ne sont que 500. Et qui serait assez fou pour se lancer dans une opération de ce genre en dehors d'un mécène?
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Mon immortalité est provisoire.