Fredericque a écrit :Nébal, pourquoi non ?
Non, sans rire, c'est ce que j'ai mis tout au début de mon roman de SF. Je précise que je ne l'édite pas, puisqu'il et de moi
Mais bon, j'aimerai savoir pourquoiiiiiiii ^^
Il y aurait beaucoup de raisons (qui n'ont donc rien de personnel, hein

), je risque de les sortir en vrac et d'en oublier, mille excuses ; d'autant que je vais tenter de rester diplomate. Et sachant que ce que je dis de ces mentions s'applique aux bouquins comme aux films ou aux CD (et pour une bonne part à tous les ersatz du genre, de "fumer provoque l'impuissance" à "mangerbouger.fr" en passant par "passe ton bac d'abord", bref, toutes les indications vite moralisantes type "fais pas ci, fais pas ça" - qui débouchent presque inévitablement sur du "fais ci, fais ça").
Déjà, en ce qui me concerne, c'est quand même un peu prendre les gens pour des cons. Quand même un peu.
Ensuite...
C'est hypocrite : dans bien des cas, ce genre de choses tient plus de l'argument de vente (pour nos chères petites têtes blondes sadiques) que de la dissuasion ; c'est du racolage, comme on en connaît bien dans le monde du cinéma d'exploitation par exemple. Les petits nenfants veulent du sang et des têtes qui volent. C'est comme le carré blanc d'antan : on fait pas mieux pour inciter à la consommation.
C'est inefficace, et même absurde : conséquence de ce qui précède, mais pas seulement. Le petit Kevin, tout triste que ses parents ne lui aient pas offert le dernier Noirez ou truc, pourra néanmoins se connecter sur le ouèbe où il téléchargera (au mépris de la loi, le petit con !) du gore et du boulard à volonté. Ou, à la limite, il lui suffit de regarder TF1. Voire de sortir de chez lui et d'ouvrir les yeux.
C'est largement contre-productif, et limite dangereux : contre-productif parce que le sticker ou truc est séduisant, mais aussi parce que les oeuvres "saines" peuvent donner une vision totalement irréaliste du monde dans lequel le petit Kevin vit. Un monde violent. Pas de plus en plus violent ou truc, ça c'est du flan pour le JT de Pernaud ou de Pujadas (même combat), mais néanmoins violent. Et je trouve pour ma part plus sain de prendre conscience de cette réalité relativement tôt, plutôt que de s'enfermer dans un monde de Bisounours. Pour ma part, j'ai toujours trouvé bien plus gênant dans le principe les vieux westerns tout public où un type meurt d'un coup de couteau ou d'une balle dans le mollet sans une effusion de sang que, disons, un film de Kitano, au hasard, où quand un personnage souffre ou meurt, on sent bien qu'il se passe quelque chose... "Aaaaaaaah ! Mais il veut traumatiser nos enfants !" Faudrait d'abord voir à pas galvauder le terme de traumatismes... Je ne prône pas le bourrinage intensif ni les vertus éducatives de la douleur ; mais sans aller jusque-là, vouloir à tout prix préserver le petit Kevin et la petite Jennifer des dures réalités de notre triste monde tragique me paraît franchement bien plus apte à produire du névrosé... Surtout quand il en vient, par une curiosité bien compréhensive, à passer de suite à ce qui est
vraiment excessif, sans avoir eu la possibilité de passer par des étapes intermédiaires ; dans un autre domaine, pour découvrir les choses de la vie, un peu d'érotisme me paraît plus sain qu'un gonzo cradingue...
De manière plus générale, j'ai tendance à considérer que tout être humain porte en lui une certaine fascination pour le morbide et un certain sadisme ; aussi, je ne le condamne même pas. Et je préfère, de loin, que la littérature, le cinéma, la musique, les jeux-vidéos, que sais-je encore, y fournissent un exutoire.
Et halte au moralisme ou à la sociologie de comptoir qui pointent très vite leur nez dans ce genre de débats... Les livres ne tuent pas. La violence des livres n'incite pas à la violence. Une violence fictive "traumatisera" toujours moins qu'un coup de poing dans la tronche.
Or il y a là un autre danger : l'appréciation de ce qui est "acceptable" ou pas, ça dérive facilement. Quand j'ai cité au début de ce fil l'Ordre Moral, le Code Hays et le Comics Code, ce n'était pas (seulement...

) pour faire un quasi point Godwyn d'entrée de jeu (l'envie ne m'en manquait pas, cela dit...

) : ce sont autant d'institutions dont on a pu constater les dérives absurdes, et qui ont eu chacune à leur manière des conséquences particulièrement néfastes pour les produits culturels qu'elles touchaient. Il y a, au-delà, le risque d'imposition d'une idéologie "tout le monde - qui pense comme moi - il est beau, tout le monde - qui pense comme moi - il est gentil", pas avare d'hypocrisies en tous genres : la Bible comme le Coran sont effectivement bien plus violents que tout ce qui pourrait être concerné par ce genre d'étiquetage, mais comme c'est la Bible ou le Coran... Ca ne s'applique pas qu'aux machins religieux "au sens strict", d'ailleurs : me souvient d'une anecdote édifiante de Charlier racontant qu'il avait eu des soucis pour une scène de Buck Danny où le fringant pilote se latait contre une pieuvre (scène jugée alors "traumatisante" ; comme quoi...), et pointer du doigt la publication sans souci dans une revue communiste visant la même tranche d'âge d'une BD racontant aux petits camarades la Longue Marche en insistant volontiers sur les détails cracra...
Et puis, pour rejoindre un peu l'exemple de Dracosolis sur les contes de Perrault (Pratchett a de jolies pages à ce sujet...

), j'en ai soupé de l'aseptisé depuis que j'ai pu comparer les versions expurgées par l'Ordre Moral et encore largement pratiquées aujourd'hui du
Roman de Renart et les versions originales... Ca m'a fait comme un traumatisme, justement.
Bref : les minots qui veulent du sang, moi je leur en donne volontiers ; d'autant que je sais très bien qu'ils en trouveront sans moi.
Idem pour la fesse. Et pour le reste.
Que les auteurs prennent leurs responsabilités, se disent "oui, non, dans un bouquin destiné aux 10-12 ans, la scène du viol par un berger allemand de la pré-adolescente écartelée et énucléée sur le cadavre putréfié de sa môman, c'est peut-être un peu too much", OK. Libre à eux. Normal. Mais qu'on impose une limite, ça me gêne toujours. Et l'hypocrisie qui accompagne ces mentions tout autant.