Et comment procède la "littérature générale" ?Erion a écrit :Le fait est que par construction, la SF procède différemment de la littérature générale.
Du sense of wonder à la SF métaphysique
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Pas comme la SF.Shalmaneser a écrit :Et comment procède la "littérature générale" ?Erion a écrit :Le fait est que par construction, la SF procède différemment de la littérature générale.
Lit un Iain Banks SF et un Iain Banks littgen. Les démarches n'ont rien à voir.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Faux. J'ai suffisamment reproché aux critiques de ne juger que le scénario, sans égard pour l'expression esthétique. Le critère d'originalité, c'est pas moi qui l'ai inventé, hein.Erion a écrit :Autre chose. Quand on lit les compte-rendus sur le film Avatar. Le reproche qui vient le plus souvent de la part des amateurs de SF, c'est le scénario hyper-convenu, sans inventivité.
Est-ce qu'on dirait la même chose d'une comédie romantique ? (où le scénario, c'est, selon le mot d'Hitchcock : "un homme, une femme, ils s'aiment). On reprochera souvent à la mise en scène d'être plate, aux personnages d'être simplistes, mais rarement à l'idée d'être convenue. C'est en revanche, l'essentiel des reproches qu'un amateur de SF fera à un film de SF. Et l'on louera, au contraire, le réalisateur qui fera quelque chose sortant des clichés et des habitudes.
Modifié en dernier par Transhumain le ven. janv. 15, 2010 9:03 pm, modifié 1 fois.
Tu n'es pas le seul critique de cinéma existant dans l'univers. Je fais la synthèse de ce qui s'est dit sur les divers forums SF à propos du film.Transhumain a écrit : Faux. J'ai suffisamment reproché aux critiques de ne juger que le scénario, sans égard pour l'expression esthétique. Le critère d'originalité, c'est pas moi qui l'ai inventé, hein.
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Je ne suis pas critique ciné. Et je n'ai pas vu Avatar. Je dis seulement que de manière générale, la critique s'intéresse beaucoup au scénario d'un film, et à son originalité.Erion a écrit :Tu n'es pas le seul critique de cinéma existant dans l'univers. Je fais la synthèse de ce qui s'est dit sur les divers forums SF à propos du film.Transhumain a écrit : Faux. J'ai suffisamment reproché aux critiques de ne juger que le scénario, sans égard pour l'expression esthétique. Le critère d'originalité, c'est pas moi qui l'ai inventé, hein.
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Avatar, c'est très bien. C'est très beau. Et c'est très intelligent. Parce que si Cameron avait fait autrement, il n'aurait pas pu faire du tout. Et contrairement à Lucas dans SW, il respecte les règles et conventions du domaine même s'il ne le renouvelle - et comment - que sur le terrain graphique.Erion a écrit :Est-ce qu'on fait le même reproche à Clint Eastwood ?MF a écrit :Absence de l'acte de création.Erion a écrit :Quand on lit les compte-rendus sur le film Avatar. Le reproche qui vient le plus souvent de la part des amateurs de SF, c'est le scénario hyper-convenu, sans inventivité.
Modifié en dernier par Gérard Klein le ven. janv. 15, 2010 9:16 pm, modifié 1 fois.
Mon immortalité est provisoire.
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Accrochez-vous bien. Ça va secouer, la route est longue et je n’ai vraiment pas eu le temps de combler tous les nids de poule.
Mon équanimité d’âme, mon égalité d’humeur, ma placidité d’huître, ma mansuétude, ma tolérance qui confinent à la pusillanimité, ma patience enfin, sont si bien connus de tous ceux qui m’approchent qu’ils seront surpris de l’état voisin de l’agacement où m’ont plongé, à mon grand désarroi, certaines remarques de Shalmaneser.
J’en suis venu puisqu’il a choisi comme pseudonyme le nom du grand ordinateur de Tous à Zanzibar, et comme je ne crois pas à l’Intelligence Artificielle, à supposer qu’il cachait par là une suprême Inintelligence Artificielle, ce qui confirme mon préjugé. L’usage de ces pseudonymes dans un forum est bien ennuyeux parce qu’on ne sait pas, sauf en quelques cas, à qui on à affaire et donc quel est son propos caché car il me semble bien que là, il y en a un. Et qui me semble pendable.
S. commence par affirmer que tout est dans tout et réciproquement, que la science-fiction étant de la littérature, il n’y a aucune raison de la distinguer du reste et qu’au fond le terme pourrait avantageusement être élagué de la novlangue. Pourtant, l’intelligence commence avec la distinction même si celle-ci ne doit pas être opérée n’importe comment.
Le terme de progrès le gênant apparemment, en général et dans la science-fiction par ailleurs, il introduit plusieurs glissements et confusions, par exemple de progrès à évolution et entre progrès et téléologie.
Considérer, comme en passant, que dans la science-fiction il n’y a pas de progrès mais une simple évolution, c’est faire en apparence et subrepticement une concession qui brouille tout. Je la démonterai plus loin. Sa formule me fait invinciblement penser à celle du héros du Guépard: il faut que tout change pour que rien ne change. Comme il sait que les évolutionnistes sont réservés sur la notion de progrès dans l’évolution, encore que tous ne le soient pas, il pense marquer un point: des formes se succèdent, certes, mais elles se valent toutes, et le temps n’introduit rien de réellement neuf, rien en tout cas de meilleur ou de supérieur.
Nier, négliger ou exclure la notion de progrès dans les domaines culturels est une vieille lune universitaire, sorbonnarde et d’origine théologique encore décelable, colportée le plus souvent par paresse et ignorance aggravée peut-être d’un mépris pour l’histoire (l’universel n’a rien à faire de la contingence) mais qui revient à dire, selon une vulgate théologique ultra-conservatrice et mal comprise, qu’on ne saurait rien ajouter à la perfection de l’œuvre de Dieu et donc que depuis la Création aucun progrès n’est possible.
Déjà, des théologiens médiévaux et d’autres jusqu’à nos jours, ont défendu exactement l’avis contraire à savoir que le rôle de l’humain dans la Création est de poursuivre l’œuvre de Dieu en la faisant progresser à l’aide du libre arbitre, l’un des derniers en date un peu connu étant Teilhard de Chardin, naguère contraint au silence et aujourd’hui en odeur de sainteté.
Afin de brouiller encore un peu plus les cartes, S. affirme avec aplomb et répétitivement que la notion de progrès est confondue avec celle de téléologie ou en dépend. Quand S. en vint là, comme écrit Poe au début de La Barrique d’Amontillado, je résolus de me venger.
La téléologie est aussi pour l’essentiel et pendant longtemps une notion théologique, finaliste et prêtant une intention dernière à tout processus. Si l’on confond progrès et téléologie, toute évolution exprime une intentionnalité première qui ne peut être que divine. Comme tout est écrit dès le départ, circulez, y a rien à voir.
Un des des derniers chantres de cette téléologie fut Lecomte du Nouÿ, biologiste, qui y voyait un moyen de concilier l’évolution de la vie avec les Saintes Ècritures. À mon avis, ça sent le fagot mais je ne fais pas (encore) partie d’un tribunal ecclésiastique.
(À noter que des auteurs modernes ont utilisé le terme en systémique dans un sens tout différent mais ce n’est pas celui qui nous importe ici et manifestement pas non plus celui que retient S.)
J’espère que ce bref détour par la théologie n’a pas dissuadé l’Oncle Joe et autres mécréants de me suivre plus avant. Ce serait dommage.
Le progrès n’a rien à voir avec la téléologie et on pourrait même dire qu’il en est le contraire puisqu’il est imprévisible et ne se constate que dans l’après-coup. Ce qui complique la tâche des prospectivistes. Mais ce qui ne l’empêche pas de manifester une continuité. Il a un passé mais pas de futur (pré-écrit).
C’est particulièrement manifeste dans les technosciences où les adversaires les plus confits du progrès ont dû finir par admettre en maugréant qu’il se passait bien là quelque chose de tel tout en continuant à l’interdire ailleurs. Une bonne partie du progrès en technosciences résulte de ce que les anglo-saxons appellent sérendipité (terme qui n’a curieusement pas vraiment d’équivalent en français) et qui signifie qu’une découverte a été faite par un coup de chance, là où on ne l’attendait pas du tout. De même que l’évolution darwinienne n’est pas prévisible (aux rares cas près d’évolutions convergentes qui suggèrent des contraintes mais pas de téléologie), l’évolution et donc le progrès dans la sphère des activités humaines ne le sont pas davantage.
Je dis bien l’évolution et donc le progrès car je fais fi d’une prudence excessive et je suis de ceux qui considèrent que l’humain est sensiblement plus complexe et donc plus avancé que le virus à ARN qui s’est peut-être trouvé à l’origine de la vie, dans la mesure où l’humain a élaboré une théorie de l’ARN tandis que jusqu’à preuve du contraire le virus n’a pas élaboré de théorie de l’humain. (Je sais que quelques spécialistes de l’évolution me désavoueraient publiquement et pudiquement sur ce point mais en privé, dans la petite pièce du fond, après quelques verres de whisky japonais, ils m’ont toujours indiqué in petto leur accord de principe; d’ailleurs on trouve à peu près ça chez Stephen Jay Gould et chez Dawkins.)
Donc, le progrès. Qu’est-ce que c’est et à quoi le repère-t-on? Et n’y en a-t-il vraiment pas dans la sphère culturelle?
Eh bien le progrès résulte soit de l’introduction d’un inédit (en technosciences, on parlerait d’une innovation, en marketing, d’une nouveauté), soit de l’augmentation de la complexité d’une chose ou d’un système.
Et ce sont deux phénomènes qui se manifestent tout à fait dans la sphère culturelle, littérature, arts et tout ce que vous voudrez, si bien qu’il y a bien là progrès, et progrès qui sont, si l’on y regarde bien, étrangement similaires à ce qu’on observe dans les technosciences jusque dans leurs procédures de validation, quoique cela demande un peu d’attention et de perspicacité, choses du monde les moins bien partagées.
L’inédit, on voit assez bien de quoi il s’agit. La complexité c’est plus difficile parce qu’on ne sait pas bien la mesurer dans le domaine culturel. Il est vraisemblable, mais difficile à quantifier, qu’un opéra de Wagner est plus complexe que la dernière romance de Loanna. Et qu’un roman de Nabokov l’est davantage que le dernier Marc Lévy. Il y a quelques espoirs du côté des analyses quantitatives lexicales et syntaxiques qui font de sensibles progrès mais il n’y en a guère du côté proprement sémantique, les linguistes ayant pratiquement jeté l’éponge et seuls quelques philosophes et informaticiens continuant à rechercher le Graal et la pierre philosophale. Mon sentiment souvent exprimé est que ces complexités ne sont pas algorithmables et que les machines n’atteindront pas, à vue humaine, le niveau sémantique, mais j’admets que c’est une pétition de principe même si Roger Penrose et moi sommes d’accord là-dessus même sans partage rituel de whisky japonais.
Mais qu’on ne sache pas bien mesurer une chose, au moins pour l’instant, n’a jamais signifié qu’elle n’existe pas.
Or, parce qu’il apparaît parfois de l’inédit et qu’il y a parfois augmentation de la complexité, il y a progrès dans la sphère culturelle.
Cela peut s’observer, sans grand effort, localement. Quand j’étais au jardin d’enfants, on nous enseignait que la tragédie grecque avait grandement progressé d’Eschyle, le supposé fondateur (bien qu’il n’ait pas été le vrai premier), qui l’avait lui-même sans doute arrachée à un cantique religieux et avait introduit deux acteur en sus du chœur, à Sophocle, son cadet d’à peu près une génération à qui il faut trois acteurs, puis à Euripide, successeur malheureux, à la vie brève, du précédent, dont les innovations (dont la multiplication des acteurs) avaient été telles qu’on l’avait regardé un peu de travers de son temps. J’ai un peu lu ce qu’il nous est resté des trois, quelques fragments fossilisés. Eschyle pose une lamentation liée à une situation. Sophocle introduit le conflit et des personnages. Euripide multiplie les personnages et fait place à la passion et à la psychologie d’une manière qui nous semble tout à fait agréable et qui a fait école mais qui a dû en dérouter plus d’un.
Bref, là, ce que je veux dire, c’est qu’on a là l’exemple d’un genre plus ou moins naissant qui a connu un progrès objectivement identifiable avec des innovations et des complexifications structurelles.
Qu’enseigne-t-on aujourd’hui au jardin d’enfants?
En art, c’est la même chose. Le carré noir (et ceux ultérieurs d’autres couleurs) de Malévitch est un inédit d’apparence simple qui change l’idée qu’on peut se faire de la peinture et par là tout le sens de la peinture antérieure (quelle qu’ait été par aillleurs l’intention de Malévitch sur laquelle les experts se disputent comme des chiffonniers). Dans sa simplicité même, il complexifie l’ensemble.
En sciences, un inédit n’est pas forcément complexe. Les deux plus grandes découvertes proprement révolutionnaires du vingtième siècle, les théorèmes d’indécidabilité et d’incomplétude de Gödel et la non-localité/non-séparabilité en physique quantique sont accessibles à une intelligence moyenne, y compris dans leurs formalismes, pourvu qu’elle se donne quelques heures de travail et de réflexion. Le paradoxe EPR, les théorèmes de Bell sont assez simples et les conséquences des résultats aussi quoique insondables (les appareils de mesure d’Aspect que j’ai vus sont eux certes autrement complexes). En revanche, la génétique et la chimie sont des domaines où la complexité est considérable et en rend l’approche intimidante. D’autant qu’elle est à peu près exponentiellement croissante.
De là, je veux dire du cinquième siècle avant notre ère, on peut sauter à travers quelques années à la science-fiction archaïque puis moderne qui, parce qu’elle est une tradition d’apparition relativement récente nous apparaît in statu nascendi et où nous pouvons observer les introductions d’inédits et les complexifications. Les thèmes sont peu nombreux encore au dix-neuvième siècle et leur nombre et leurs combinaisons explosent au vingtième. C’est là-dessus que je demande des études. On peut y voir le progrès en marche.
Mais prenons une œuvre classique, éternelle, au hasard celle de Platon. N’est-elle pas aussi complexe en son temps qu’aujourd’hui et aussi complexe dès l’origine que la plus riche des œuvres à nous contemporaine?
Et donc, il n’y aurait pas de progrès.
Shalmaneser jubile.
Eh bien, il a tort. Il y a eu progrès et complexification parce que nous ne pouvons pas lire Platon comme l’ont lu ses contemporains, non seulement parce que les circonstances sociales sont différentes, mais parce que nous ne pouvons pas faire abstraction (même si nous les avons peu lus) des innombrables commentaires qui se sont accumulés au fil des siècles sur l’œuvre de Platon (et de tout autre auteur). Notre Gorgias n’est plus le Gorgias de Platon, de même que le Don Guichotte de Pierre Ménard n’est pas celui de Cervantès comme l’a génialement compris Borgès. Les œuvres qui subsistent s’enrichissent au fil du temps, y compris de leurs incompréhensions. Platon, c’est aujourd’hui Platon plus.
Il y a là, évidemment de l’intertextualité. Les commentaires sont infinis. Le Talmud n’est jamais clos. La philosophie se ramifie autant que les mammifères débarrassés des dinosaures.
De l’intertextualité et du dialogue. Comme ceux qu’on rencontre dans la science-fiction si bien que la complexité de l’ensemble de cette espèce littéraire ne cessera de s’accroître (jusqu’à sa fin éventuelle).
Si l’inédit vrai est assez bien perçu par des individus, encore que Werber puisse naïvement être reçu comme un innovateur, la complexification l’est beaucoup moins bien dans le domaine culturel parce que personne ne peut plus prétendre aujourd’hui avoir une connaissance globale d’un champ, même local. On peut juste la sentir. Et comme ce n’est pas intuitif, la paresse intellectuelle et les préjugés d’origine religieuse que j’évoquais plus haut amènent à professser que dans la culture, il n’y a pas de progrès, bien que cette prétention ne résiste pas à l’examen et à la réflexion. La perception de cette complexité croissante ne peut toutefois résulter que d’un travail collectif.
Dans les technosciences, les choses sont apparemment plus simples par ce qu’elles ne retiennent superficiellement que l’état de l’art, présumé plus achevé, meilleur, en progrès sur le précédent. Elles doivent faire un effort pour se pencher sur leur passé et reconstituer les cheminements du progrès. Leurs procédures de validation semblent claires, mais elles sont en réalité complexes, collectives et conflictuelles.
Or ce sont de telles procédures complexes, collectives et conflictuelles, mais de façon beaucoup moins explicite, qui valident l’inédit et la complexification dans le domaine de la culture, qui décident de ce qui est bon, de ce qui vaut d’être conservé et célébré, et de quoi il faut se méfier. Comme dans la science. Le pire, c’est la stagnation, la répétition, l’ossification. Ces sont des évaluations collectives, sur le long terme, qui décident de la postérité d’une œuvre ou d’un courant et le fonctionnement de ces évaluations est mal connu parce que eu étudié. Mais ces évaluations ne sont pas, ou rarement, conscientes et explicites. Si les universitaires étaient un peu curieux, ils se demanderaient pourquoi telle œuvre est ou semble encore vivante alors que d’autres sont ou semblent mortes, et dans quelle généalogie inapparente, non-intuitive, elle s’établit. Mais ils se comportent le plus souvent (pas tous, je tiens à ma peau) comme des conservateurs alignant des spécimens dans le formol d’un discours au mieux pseudo-historique.
On me rétorquera que l’émotion que peut susciter une œuvre ancienne peut être de même intensité et qualité que celle d’une œuvre récente, supposée “progressive” alors qu’en sciences un vieux résultat controuvé est abandonné à la curiosité des antiquaires. J’ai sous les yeux une mauvaise copie de Madame de Lespugue ou Lespugne, et elle éveille autant ma curiosité et mon intérêt esthétique que la peinture que je viens d’acquérir. C’est vrai.
Mais je ne suis qu’un individu. Ma capacité d’émotion et d’admiration est limitée. Et de toute façon, je ne peux pas regarder ma Vénus autrement qu’en ayant vu aussi le carré noir de Malevitch.
La souffrance du malade atteint d’une péritonite est la même aujourd’hui qu’il y a mille ans, sauf que les choses changeront de nos jours dès qu’il sera sérieusement pris en charge. (Si vous préférez la colique hépatique, je vous l’accorde : je connais.Ça fait mal. J’ai été opéré de la vésicule biliaire. Il y a un siècle, j’aurais été mort à quarante ans.) La (relative) constance de l’émotion est comparable à la constance de la douleur.
Le progrès esthétique ne se manifeste pas dans chaque œuvre, mais à travers l’ensemble des œuvres disponibles qui est incomparablement supérieur et donc considérablement plus complexe aujourd’hui que celui de celles qui pouvaient exister à l’époque de Lespugue.
Le progrès esthétique se mesure peut-être à l’élargissement et à l’enrichissement des capacités du goût, de la discrimination.
Les limites perceptives de l’individu sont un obstacle bien connu des théoriciens de la littérature. Une œuvre qui serait “trop en avance sur son temps” (ce qui, soit dit en passant ne veut pas dire grand chose) serait inintelligible et donc dédaignée. Une œuvre excessivement complexe en devient inintelligible et s’extrait par là du dialogue, de l’intertextualité infinie des créations, de leur progrès: j’en prendrai pour exemple personnel le Finnegan’s wake dont je possède l’édition anglaise et la traduction française (si on peut appeler ça une traduction). Je n’ai jamais réussi à aller au bout ni de l’une ni de l’autre, ni même à y pénétrer vraiment et je crains de ne pas être le seul. À mes yeux, c’est une impasse. Le progrès peut y mener.
Qui dit inédits et complexification, dit foisonnement et arborescences. Comme dans la vie-évolution, comme dans la science. Le progrès même provoque une floraison de domaines entre lesquels les connexions deviennent de plus en plus ténues, théoriques, de principe. Personne ne peut prétendre connaître aujourd’hui toutes les sciences, ni les mathématiques, mais seulement un petit bout, une spécialité. Il en va de même pour la culture. Elle n’existe plus depuis longtemps en tant qu’entité unique sinon purement théorique et de principe. Par suite, il est compréhensible et normal que beaucoup de gens ignorent purement et simplement une de ses branches comme la science-fiction et à cela il n’y a rien à redire.
Sauf quand ils lui opposent un rejet et un déni au nom de la Littérature et de la Culture qu’ils ne maîtrisent pas davantage et qu’ils prétendent ainsi mensongèrement savoir ce que c’est, la science-fiction, au point d’avoir des raisons de la mépriser, de l’annuler. S’ils le savaient, ou du moins en avaient une idée raisonnable, nous pourrions discuter avec eux, par exemple sur ce fil et somme toute confronter nos arguments. En tout cas nous instruire.
Pour ma part, quand je dis que je n’aime pas la fantasy à de très rares exceptions près, je dis pourquoi, pour en avoir lu. Pour la bit-lit, je dois dire que c’est trop difficile. Trop fort pour moi. Essayé. Pas pu. Encore que, Je suis une légende et Un vampire ordinaire, je connais. Et Carmilla, et Dracula, et finalement des dizaines de textes. J’ai même lu Anne Rice. J’aime pas trop. Passons.
La science-fiction est un rameau des arborescences. Celui qui nous intéresse. Ce rameau est devenu lui même tellement riche que personne ne peut plus prétendre le dominer. On peut estimer en 1800 à 10 puissance 2 ou 3 le nombre d’œuvres de Proto sf, en 1900 à 10 puissance 3 ou 4 le nombre d'œuvres de sf archaïque et en 2000 à 10 puissance 5 ou plus celui d'œuvres, romans et nouvelles, de sf moderne, en première approximation, pour le monde entier. Personne ne peut avoir lu tout ça. Le nombre n’est évidemment pas en lui-même une garantie de complexité. Beaucoup d’items sont redondants. Mais comme ils ne peuvent pas tous l’être, le nombre donne une indication de la complexité de l’ensemble.
En affirmant avec force, qu’il y a progrès dans la sphère de la, ou des culture(s), je ne dis ni que ce progrès est régulier, ni qu’il est automatique, ni qu’il vise un but défini. Il y a des régressions, des pertes, des périodes de sommeil, des équilibres ponctués. Un imbécile avec un marteau peut briser le crâne d’Einstein. Un vampire peut assécher la veine de la science-fiction (et quelques autres). Et il m’arrive d’avoir des moments de découragement.
Mais nous nous battrons.
J’ai dit. J’ai passé beaucoup trop de temps à enfoncer une porte ouverte que tant d’autres s’acharnent à refermer sans cesse. De peur des courants d’air sans doute.
Comme Shalmaneser.
Mon équanimité d’âme, mon égalité d’humeur, ma placidité d’huître, ma mansuétude, ma tolérance qui confinent à la pusillanimité, ma patience enfin, sont si bien connus de tous ceux qui m’approchent qu’ils seront surpris de l’état voisin de l’agacement où m’ont plongé, à mon grand désarroi, certaines remarques de Shalmaneser.
J’en suis venu puisqu’il a choisi comme pseudonyme le nom du grand ordinateur de Tous à Zanzibar, et comme je ne crois pas à l’Intelligence Artificielle, à supposer qu’il cachait par là une suprême Inintelligence Artificielle, ce qui confirme mon préjugé. L’usage de ces pseudonymes dans un forum est bien ennuyeux parce qu’on ne sait pas, sauf en quelques cas, à qui on à affaire et donc quel est son propos caché car il me semble bien que là, il y en a un. Et qui me semble pendable.
S. commence par affirmer que tout est dans tout et réciproquement, que la science-fiction étant de la littérature, il n’y a aucune raison de la distinguer du reste et qu’au fond le terme pourrait avantageusement être élagué de la novlangue. Pourtant, l’intelligence commence avec la distinction même si celle-ci ne doit pas être opérée n’importe comment.
Le terme de progrès le gênant apparemment, en général et dans la science-fiction par ailleurs, il introduit plusieurs glissements et confusions, par exemple de progrès à évolution et entre progrès et téléologie.
Considérer, comme en passant, que dans la science-fiction il n’y a pas de progrès mais une simple évolution, c’est faire en apparence et subrepticement une concession qui brouille tout. Je la démonterai plus loin. Sa formule me fait invinciblement penser à celle du héros du Guépard: il faut que tout change pour que rien ne change. Comme il sait que les évolutionnistes sont réservés sur la notion de progrès dans l’évolution, encore que tous ne le soient pas, il pense marquer un point: des formes se succèdent, certes, mais elles se valent toutes, et le temps n’introduit rien de réellement neuf, rien en tout cas de meilleur ou de supérieur.
Nier, négliger ou exclure la notion de progrès dans les domaines culturels est une vieille lune universitaire, sorbonnarde et d’origine théologique encore décelable, colportée le plus souvent par paresse et ignorance aggravée peut-être d’un mépris pour l’histoire (l’universel n’a rien à faire de la contingence) mais qui revient à dire, selon une vulgate théologique ultra-conservatrice et mal comprise, qu’on ne saurait rien ajouter à la perfection de l’œuvre de Dieu et donc que depuis la Création aucun progrès n’est possible.
Déjà, des théologiens médiévaux et d’autres jusqu’à nos jours, ont défendu exactement l’avis contraire à savoir que le rôle de l’humain dans la Création est de poursuivre l’œuvre de Dieu en la faisant progresser à l’aide du libre arbitre, l’un des derniers en date un peu connu étant Teilhard de Chardin, naguère contraint au silence et aujourd’hui en odeur de sainteté.
Afin de brouiller encore un peu plus les cartes, S. affirme avec aplomb et répétitivement que la notion de progrès est confondue avec celle de téléologie ou en dépend. Quand S. en vint là, comme écrit Poe au début de La Barrique d’Amontillado, je résolus de me venger.
La téléologie est aussi pour l’essentiel et pendant longtemps une notion théologique, finaliste et prêtant une intention dernière à tout processus. Si l’on confond progrès et téléologie, toute évolution exprime une intentionnalité première qui ne peut être que divine. Comme tout est écrit dès le départ, circulez, y a rien à voir.
Un des des derniers chantres de cette téléologie fut Lecomte du Nouÿ, biologiste, qui y voyait un moyen de concilier l’évolution de la vie avec les Saintes Ècritures. À mon avis, ça sent le fagot mais je ne fais pas (encore) partie d’un tribunal ecclésiastique.
(À noter que des auteurs modernes ont utilisé le terme en systémique dans un sens tout différent mais ce n’est pas celui qui nous importe ici et manifestement pas non plus celui que retient S.)
J’espère que ce bref détour par la théologie n’a pas dissuadé l’Oncle Joe et autres mécréants de me suivre plus avant. Ce serait dommage.
Le progrès n’a rien à voir avec la téléologie et on pourrait même dire qu’il en est le contraire puisqu’il est imprévisible et ne se constate que dans l’après-coup. Ce qui complique la tâche des prospectivistes. Mais ce qui ne l’empêche pas de manifester une continuité. Il a un passé mais pas de futur (pré-écrit).
C’est particulièrement manifeste dans les technosciences où les adversaires les plus confits du progrès ont dû finir par admettre en maugréant qu’il se passait bien là quelque chose de tel tout en continuant à l’interdire ailleurs. Une bonne partie du progrès en technosciences résulte de ce que les anglo-saxons appellent sérendipité (terme qui n’a curieusement pas vraiment d’équivalent en français) et qui signifie qu’une découverte a été faite par un coup de chance, là où on ne l’attendait pas du tout. De même que l’évolution darwinienne n’est pas prévisible (aux rares cas près d’évolutions convergentes qui suggèrent des contraintes mais pas de téléologie), l’évolution et donc le progrès dans la sphère des activités humaines ne le sont pas davantage.
Je dis bien l’évolution et donc le progrès car je fais fi d’une prudence excessive et je suis de ceux qui considèrent que l’humain est sensiblement plus complexe et donc plus avancé que le virus à ARN qui s’est peut-être trouvé à l’origine de la vie, dans la mesure où l’humain a élaboré une théorie de l’ARN tandis que jusqu’à preuve du contraire le virus n’a pas élaboré de théorie de l’humain. (Je sais que quelques spécialistes de l’évolution me désavoueraient publiquement et pudiquement sur ce point mais en privé, dans la petite pièce du fond, après quelques verres de whisky japonais, ils m’ont toujours indiqué in petto leur accord de principe; d’ailleurs on trouve à peu près ça chez Stephen Jay Gould et chez Dawkins.)
Donc, le progrès. Qu’est-ce que c’est et à quoi le repère-t-on? Et n’y en a-t-il vraiment pas dans la sphère culturelle?
Eh bien le progrès résulte soit de l’introduction d’un inédit (en technosciences, on parlerait d’une innovation, en marketing, d’une nouveauté), soit de l’augmentation de la complexité d’une chose ou d’un système.
Et ce sont deux phénomènes qui se manifestent tout à fait dans la sphère culturelle, littérature, arts et tout ce que vous voudrez, si bien qu’il y a bien là progrès, et progrès qui sont, si l’on y regarde bien, étrangement similaires à ce qu’on observe dans les technosciences jusque dans leurs procédures de validation, quoique cela demande un peu d’attention et de perspicacité, choses du monde les moins bien partagées.
L’inédit, on voit assez bien de quoi il s’agit. La complexité c’est plus difficile parce qu’on ne sait pas bien la mesurer dans le domaine culturel. Il est vraisemblable, mais difficile à quantifier, qu’un opéra de Wagner est plus complexe que la dernière romance de Loanna. Et qu’un roman de Nabokov l’est davantage que le dernier Marc Lévy. Il y a quelques espoirs du côté des analyses quantitatives lexicales et syntaxiques qui font de sensibles progrès mais il n’y en a guère du côté proprement sémantique, les linguistes ayant pratiquement jeté l’éponge et seuls quelques philosophes et informaticiens continuant à rechercher le Graal et la pierre philosophale. Mon sentiment souvent exprimé est que ces complexités ne sont pas algorithmables et que les machines n’atteindront pas, à vue humaine, le niveau sémantique, mais j’admets que c’est une pétition de principe même si Roger Penrose et moi sommes d’accord là-dessus même sans partage rituel de whisky japonais.
Mais qu’on ne sache pas bien mesurer une chose, au moins pour l’instant, n’a jamais signifié qu’elle n’existe pas.
Or, parce qu’il apparaît parfois de l’inédit et qu’il y a parfois augmentation de la complexité, il y a progrès dans la sphère culturelle.
Cela peut s’observer, sans grand effort, localement. Quand j’étais au jardin d’enfants, on nous enseignait que la tragédie grecque avait grandement progressé d’Eschyle, le supposé fondateur (bien qu’il n’ait pas été le vrai premier), qui l’avait lui-même sans doute arrachée à un cantique religieux et avait introduit deux acteur en sus du chœur, à Sophocle, son cadet d’à peu près une génération à qui il faut trois acteurs, puis à Euripide, successeur malheureux, à la vie brève, du précédent, dont les innovations (dont la multiplication des acteurs) avaient été telles qu’on l’avait regardé un peu de travers de son temps. J’ai un peu lu ce qu’il nous est resté des trois, quelques fragments fossilisés. Eschyle pose une lamentation liée à une situation. Sophocle introduit le conflit et des personnages. Euripide multiplie les personnages et fait place à la passion et à la psychologie d’une manière qui nous semble tout à fait agréable et qui a fait école mais qui a dû en dérouter plus d’un.
Bref, là, ce que je veux dire, c’est qu’on a là l’exemple d’un genre plus ou moins naissant qui a connu un progrès objectivement identifiable avec des innovations et des complexifications structurelles.
Qu’enseigne-t-on aujourd’hui au jardin d’enfants?
En art, c’est la même chose. Le carré noir (et ceux ultérieurs d’autres couleurs) de Malévitch est un inédit d’apparence simple qui change l’idée qu’on peut se faire de la peinture et par là tout le sens de la peinture antérieure (quelle qu’ait été par aillleurs l’intention de Malévitch sur laquelle les experts se disputent comme des chiffonniers). Dans sa simplicité même, il complexifie l’ensemble.
En sciences, un inédit n’est pas forcément complexe. Les deux plus grandes découvertes proprement révolutionnaires du vingtième siècle, les théorèmes d’indécidabilité et d’incomplétude de Gödel et la non-localité/non-séparabilité en physique quantique sont accessibles à une intelligence moyenne, y compris dans leurs formalismes, pourvu qu’elle se donne quelques heures de travail et de réflexion. Le paradoxe EPR, les théorèmes de Bell sont assez simples et les conséquences des résultats aussi quoique insondables (les appareils de mesure d’Aspect que j’ai vus sont eux certes autrement complexes). En revanche, la génétique et la chimie sont des domaines où la complexité est considérable et en rend l’approche intimidante. D’autant qu’elle est à peu près exponentiellement croissante.
De là, je veux dire du cinquième siècle avant notre ère, on peut sauter à travers quelques années à la science-fiction archaïque puis moderne qui, parce qu’elle est une tradition d’apparition relativement récente nous apparaît in statu nascendi et où nous pouvons observer les introductions d’inédits et les complexifications. Les thèmes sont peu nombreux encore au dix-neuvième siècle et leur nombre et leurs combinaisons explosent au vingtième. C’est là-dessus que je demande des études. On peut y voir le progrès en marche.
Mais prenons une œuvre classique, éternelle, au hasard celle de Platon. N’est-elle pas aussi complexe en son temps qu’aujourd’hui et aussi complexe dès l’origine que la plus riche des œuvres à nous contemporaine?
Et donc, il n’y aurait pas de progrès.
Shalmaneser jubile.
Eh bien, il a tort. Il y a eu progrès et complexification parce que nous ne pouvons pas lire Platon comme l’ont lu ses contemporains, non seulement parce que les circonstances sociales sont différentes, mais parce que nous ne pouvons pas faire abstraction (même si nous les avons peu lus) des innombrables commentaires qui se sont accumulés au fil des siècles sur l’œuvre de Platon (et de tout autre auteur). Notre Gorgias n’est plus le Gorgias de Platon, de même que le Don Guichotte de Pierre Ménard n’est pas celui de Cervantès comme l’a génialement compris Borgès. Les œuvres qui subsistent s’enrichissent au fil du temps, y compris de leurs incompréhensions. Platon, c’est aujourd’hui Platon plus.
Il y a là, évidemment de l’intertextualité. Les commentaires sont infinis. Le Talmud n’est jamais clos. La philosophie se ramifie autant que les mammifères débarrassés des dinosaures.
De l’intertextualité et du dialogue. Comme ceux qu’on rencontre dans la science-fiction si bien que la complexité de l’ensemble de cette espèce littéraire ne cessera de s’accroître (jusqu’à sa fin éventuelle).
Si l’inédit vrai est assez bien perçu par des individus, encore que Werber puisse naïvement être reçu comme un innovateur, la complexification l’est beaucoup moins bien dans le domaine culturel parce que personne ne peut plus prétendre aujourd’hui avoir une connaissance globale d’un champ, même local. On peut juste la sentir. Et comme ce n’est pas intuitif, la paresse intellectuelle et les préjugés d’origine religieuse que j’évoquais plus haut amènent à professser que dans la culture, il n’y a pas de progrès, bien que cette prétention ne résiste pas à l’examen et à la réflexion. La perception de cette complexité croissante ne peut toutefois résulter que d’un travail collectif.
Dans les technosciences, les choses sont apparemment plus simples par ce qu’elles ne retiennent superficiellement que l’état de l’art, présumé plus achevé, meilleur, en progrès sur le précédent. Elles doivent faire un effort pour se pencher sur leur passé et reconstituer les cheminements du progrès. Leurs procédures de validation semblent claires, mais elles sont en réalité complexes, collectives et conflictuelles.
Or ce sont de telles procédures complexes, collectives et conflictuelles, mais de façon beaucoup moins explicite, qui valident l’inédit et la complexification dans le domaine de la culture, qui décident de ce qui est bon, de ce qui vaut d’être conservé et célébré, et de quoi il faut se méfier. Comme dans la science. Le pire, c’est la stagnation, la répétition, l’ossification. Ces sont des évaluations collectives, sur le long terme, qui décident de la postérité d’une œuvre ou d’un courant et le fonctionnement de ces évaluations est mal connu parce que eu étudié. Mais ces évaluations ne sont pas, ou rarement, conscientes et explicites. Si les universitaires étaient un peu curieux, ils se demanderaient pourquoi telle œuvre est ou semble encore vivante alors que d’autres sont ou semblent mortes, et dans quelle généalogie inapparente, non-intuitive, elle s’établit. Mais ils se comportent le plus souvent (pas tous, je tiens à ma peau) comme des conservateurs alignant des spécimens dans le formol d’un discours au mieux pseudo-historique.
On me rétorquera que l’émotion que peut susciter une œuvre ancienne peut être de même intensité et qualité que celle d’une œuvre récente, supposée “progressive” alors qu’en sciences un vieux résultat controuvé est abandonné à la curiosité des antiquaires. J’ai sous les yeux une mauvaise copie de Madame de Lespugue ou Lespugne, et elle éveille autant ma curiosité et mon intérêt esthétique que la peinture que je viens d’acquérir. C’est vrai.
Mais je ne suis qu’un individu. Ma capacité d’émotion et d’admiration est limitée. Et de toute façon, je ne peux pas regarder ma Vénus autrement qu’en ayant vu aussi le carré noir de Malevitch.
La souffrance du malade atteint d’une péritonite est la même aujourd’hui qu’il y a mille ans, sauf que les choses changeront de nos jours dès qu’il sera sérieusement pris en charge. (Si vous préférez la colique hépatique, je vous l’accorde : je connais.Ça fait mal. J’ai été opéré de la vésicule biliaire. Il y a un siècle, j’aurais été mort à quarante ans.) La (relative) constance de l’émotion est comparable à la constance de la douleur.
Le progrès esthétique ne se manifeste pas dans chaque œuvre, mais à travers l’ensemble des œuvres disponibles qui est incomparablement supérieur et donc considérablement plus complexe aujourd’hui que celui de celles qui pouvaient exister à l’époque de Lespugue.
Le progrès esthétique se mesure peut-être à l’élargissement et à l’enrichissement des capacités du goût, de la discrimination.
Les limites perceptives de l’individu sont un obstacle bien connu des théoriciens de la littérature. Une œuvre qui serait “trop en avance sur son temps” (ce qui, soit dit en passant ne veut pas dire grand chose) serait inintelligible et donc dédaignée. Une œuvre excessivement complexe en devient inintelligible et s’extrait par là du dialogue, de l’intertextualité infinie des créations, de leur progrès: j’en prendrai pour exemple personnel le Finnegan’s wake dont je possède l’édition anglaise et la traduction française (si on peut appeler ça une traduction). Je n’ai jamais réussi à aller au bout ni de l’une ni de l’autre, ni même à y pénétrer vraiment et je crains de ne pas être le seul. À mes yeux, c’est une impasse. Le progrès peut y mener.
Qui dit inédits et complexification, dit foisonnement et arborescences. Comme dans la vie-évolution, comme dans la science. Le progrès même provoque une floraison de domaines entre lesquels les connexions deviennent de plus en plus ténues, théoriques, de principe. Personne ne peut prétendre connaître aujourd’hui toutes les sciences, ni les mathématiques, mais seulement un petit bout, une spécialité. Il en va de même pour la culture. Elle n’existe plus depuis longtemps en tant qu’entité unique sinon purement théorique et de principe. Par suite, il est compréhensible et normal que beaucoup de gens ignorent purement et simplement une de ses branches comme la science-fiction et à cela il n’y a rien à redire.
Sauf quand ils lui opposent un rejet et un déni au nom de la Littérature et de la Culture qu’ils ne maîtrisent pas davantage et qu’ils prétendent ainsi mensongèrement savoir ce que c’est, la science-fiction, au point d’avoir des raisons de la mépriser, de l’annuler. S’ils le savaient, ou du moins en avaient une idée raisonnable, nous pourrions discuter avec eux, par exemple sur ce fil et somme toute confronter nos arguments. En tout cas nous instruire.
Pour ma part, quand je dis que je n’aime pas la fantasy à de très rares exceptions près, je dis pourquoi, pour en avoir lu. Pour la bit-lit, je dois dire que c’est trop difficile. Trop fort pour moi. Essayé. Pas pu. Encore que, Je suis une légende et Un vampire ordinaire, je connais. Et Carmilla, et Dracula, et finalement des dizaines de textes. J’ai même lu Anne Rice. J’aime pas trop. Passons.
La science-fiction est un rameau des arborescences. Celui qui nous intéresse. Ce rameau est devenu lui même tellement riche que personne ne peut plus prétendre le dominer. On peut estimer en 1800 à 10 puissance 2 ou 3 le nombre d’œuvres de Proto sf, en 1900 à 10 puissance 3 ou 4 le nombre d'œuvres de sf archaïque et en 2000 à 10 puissance 5 ou plus celui d'œuvres, romans et nouvelles, de sf moderne, en première approximation, pour le monde entier. Personne ne peut avoir lu tout ça. Le nombre n’est évidemment pas en lui-même une garantie de complexité. Beaucoup d’items sont redondants. Mais comme ils ne peuvent pas tous l’être, le nombre donne une indication de la complexité de l’ensemble.
En affirmant avec force, qu’il y a progrès dans la sphère de la, ou des culture(s), je ne dis ni que ce progrès est régulier, ni qu’il est automatique, ni qu’il vise un but défini. Il y a des régressions, des pertes, des périodes de sommeil, des équilibres ponctués. Un imbécile avec un marteau peut briser le crâne d’Einstein. Un vampire peut assécher la veine de la science-fiction (et quelques autres). Et il m’arrive d’avoir des moments de découragement.
Mais nous nous battrons.
J’ai dit. J’ai passé beaucoup trop de temps à enfoncer une porte ouverte que tant d’autres s’acharnent à refermer sans cesse. De peur des courants d’air sans doute.
Comme Shalmaneser.
Modifié en dernier par Gérard Klein le sam. janv. 16, 2010 3:10 am, modifié 2 fois.
Mon immortalité est provisoire.
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Elles sont différentes, mais elles n'ont pas "rien à voir". La SF et ce que tu appelles "littgen" (je ne te poserai pas la question : "Qu'appelles-tu littgen ?", évidemment, que pourrais-tu répondre ? "Tout ce qui n'est pas la SF" ? Belle définition...) se recoupent forcément quelque part : le reconnaître, ce n'est pas nier la spécificité de la SF, ni d'ailleurs la lire comme "autre chose que de la SF" ; c'est simplement envisager de pouvoir réfléchir aux rapports qu'elle entretient avec le reste de la littérature.Erion a écrit : Lit un Iain Banks SF et un Iain Banks littgen. Les démarches n'ont rien à voir.
François - http://malioutine.overblog.com/
Le cinéma (et parfois les comics, un peu la BD en général et les mangas) reviennent dans les discussions. Mais il me semble que le problème de la littérature est plus spécifique.
Il se trouve, on l'a souvent remarqué, que pour le "grand public", la science-fiction, c'est d'abord au cinéma que ça lui fait penser, et il se peut que ce soit souvent du cinéma qu'il tire sa "vision" de la SF.
Pour la critique "littéraire", c'est plus compliqué (beaucoup plus intéressant, aussi, mais sans doute avec beaucoup moins d'impact sur la perception).
Oncle Joe
Il se trouve, on l'a souvent remarqué, que pour le "grand public", la science-fiction, c'est d'abord au cinéma que ça lui fait penser, et il se peut que ce soit souvent du cinéma qu'il tire sa "vision" de la SF.
Pour la critique "littéraire", c'est plus compliqué (beaucoup plus intéressant, aussi, mais sans doute avec beaucoup moins d'impact sur la perception).
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Déjà, ça, c'est absolument faux. Merci de ne pas caricaturer mon propos.Gérard Klein a écrit : S. commence par affirmer que tout est dans tout et réciproquement, que la science-fiction étant de la littérature, il n’y a aucune raison de la distinguer du reste
EDIT : Et je ne suis pas créationniste, non plus. Elle est bien bonne, celle-là !
J'essaie de digérer le reste, et j'y répondrai plus tard, sans les formalités religieuses d'usage, bien sûr, mais sans malveillance ni mépris...
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Pas mieux! (forcément…)Gérard Klein a écrit :
Personne ne peut prétendre connaître aujourd’hui toutes les sciences, ni les mathématiques, mais seulement un petit bout, une spécialité. Il en va de même pour la culture. Elle n’existe plus depuis longtemps en tant qu’entité unique sinon purement théorique et de principe. Par suite, il est compréhensible et normal que beaucoup de gens ignorent purement et simplement une de ses branches comme la science-fiction et à cela il n’y a rien à redire.
Sauf quand ils lui opposent un rejet et un déni au nom de la Littérature et de la Culture qu’ils ne maîtrisent pas davantage et qu’ils prétendent ainsi mensongèrement savoir ce que c’est, la science-fiction, au point d’avoir des raisons de la mépriser, de l’annuler. S’ils le savaient, ou du moins en avaient une idée raisonnable, nous pourrions discuter avec eux, par exemple sur ce fil et somme toute confronter nos arguments. En tout cas nous instruire.
Oncle Joe
Hé, si tu veux dire que les deux ouvrages sont des romans avec des mots, des phrases, des personnages qui intéragissent entre eux, alors oui, y'a des points communs. Mais c'est comme dire qu'un Corgi et un Terre-neuve sont deux chiens, ça n'aide pas à les définir l'un et l'autre.Shalmaneser a écrit :Elles sont différentes, mais elles n'ont pas "rien à voir". La SF et ce que tu appelles "littgen" (je ne te poserai pas la question : "Qu'appelles-tu littgen ?", évidemment, que pourrais-tu répondre ? "Tout ce qui n'est pas la SF" ? Belle définition...) se recoupent forcément quelque part : le reconnaître, ce n'est pas nier la spécificité de la SF, ni d'ailleurs la lire comme "autre chose que de la SF" ; c'est simplement envisager de pouvoir réfléchir aux rapports qu'elle entretient avec le reste de la littérature.Erion a écrit : Lit un Iain Banks SF et un Iain Banks littgen. Les démarches n'ont rien à voir.
Si tu vas te noyer, je pense que tu préféreras qu'un Terre-neuve vienne te repêcher plutôt qu'un Corgi. Ca repose sur des spécificités de chacun. Et même en entraînant pendant des années un Corgi, tu n'en feras pas un sauveteur. A l'inverse, un Terre-neuve peut très bien vivre à Buckingham Palace, mais il cassera peut-être quelques verres à l'heure du thé.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/
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Platon aussi, c'est assez naïf, à ce compte… oui et non (je parle des textes de Platon…). Relis mieux le texte de Gérard Klein, petit scarabée…Transhumain a écrit :Le progrès comme somme cumulative, ça existe depuis Bacon. Mais c'est assez naïf. Complexité et progrès sont des notions bien distinctes.
Oncle Joe
- Roland C. Wagner
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