Lem a écrit :silramil a écrit :l'expression de "tueur de temps" serait encore plus appropriée dans un texte mettant en scène un bon garçon armé d'une épée magique, qui débusquerait la tour dans laquelle se cache le temps, entouré par ses démons vieillesse et entropie, pour le tuer et garantir l'éternité à tous les êtres vivants.
Une fois le temps tué, tout le monde serait immortel.
Un cas très intéressant car on sent tout de suite que le résultat ne serait pas de la SF mais une fable ou de la fantasy. Pourquoi ?
Dans mon énumération des réifications possibles de "tueurs de temps", celle des hommes capables d'arrêter le temps, de figer la scène est la première à susciter l'Effet, même si rien n'est expliqué, même si aucune rationalisation n'est donnée. La condition, c'est que le texte soit gouverné par les conséquences logiques de la réification : la consistance interne du développement est le critère qui permet de classer le texte en SF. Rapporté au processus cognitif, l'Effet place le lecteur dans une position où la possibilité que des tueurs de temps existent rationnellement, qu'ils soient plausibles, n'a aucune importance. C'est accepté par principe au nom du plaisir anticipé d'assister à un développement rigoureux des conséquences.
Si la réification est celle que tu décris – le temps est une personne, comme l'entropie –, l'effet n'est pas le même. Un registre explicatif est impliqué d'emblée et déplace l'horizon d'attente du lecteur : au lieu de négliger le caractère implausible de l'image-source pour se concentrer sur ses conséquences logiques, il est confronté à une version de la même image-source dont il ne peut ignorer l'impossibilité. C'est une façon pour l'auteur d'indiquer au lecteur quelle position cognitive il doit adopter : celle qui convient pour apprécier une fable, une allégorie. Et je me demande même si ce n'est pas incompatible avec la fantasy. Je peux sans problème imaginer un roman racontant la saga d'un brave garçon avec épée magique affrontant des dieux monstrueux pour offrir aux hommes l'immortalité – mais si ces dieux se nomment explicitement "Temps", "Vieillesse" et "Entropie", le caractère allégorique repasse devant. On retourne carrément à la mythologie homérique, avec le même cahier des charges.
J'admets volontiers que l'allégorie ne correspond pas à une réification au sens où nous employons le terme, et que dans une fable mettant en scène un concept, on n'est pas confronté à ce type d'effet.
Mais il y a un vice dans ton raisonnement, ici.
D'abord, la fable et la fantasy ne sont pas des choses équivalentes.
La fantasy consiste à matérialiser la magie et à donner forme à des objets impossibles.
C'est, tout comme la SF, mais pas avec le même arrière-plan ontologique, une espèce littéraire matérialiste.
S'il y a un dieu du temps dans une histoire de fantasy, ce n'est pas une entité abstraite qui se promène de manière allégorique, et qu'on fait parler par prosopopée. C'est un être matériel, physique, incarné. Il a des faiblesses et des envies. Il ne s'appellerai pas forcément "Temps", mais "Orchaïnobal, le Seigneur de l'Histoire". Il existe, même si c'est de manière difficile à concevoir pour le lecteur et les héros.
Tuer un tel être, c'est s'attaquer à une manifestation physique, à une incarnation d'un principe ontologique.
Être un tueur de temps, alors, c'est littéralement être celui qui ôte la vie à un principe ontologique.
Si ceci n'est pas la réification d'une métaphore...
Le vice de ton raisonnement est le suivant : tu montres ce qui, dans la réification de la métaphore que je propose, l'écarte du fonctionnement de la SF. Ce que j'indique, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul contexte pertinent pour ce type de réification (c'est-à-dire une matérialisation concrète, et non un jeu sur les mots comme dans les exemples de gangsters). La fantasy le fait, comme la SF. Et je pense qu'il y a des exemples possibles, sans jeu de mot, dans la littérature réaliste.
L'expression "son monde explosa", peut être une image figée : quelqu'un perd tout ce qu'il aimait en un instant. Mais cela peut devenir concret selon le contexte.
En SF, ça peut vouloir dire que quelqu'un vient de faire sauter une planète.
En fantasy, ça peut désigner l'oblitération intégrale d'un royaume magique.
En littérature réaliste, ça peut renvoyer à la démolition de la maison qu'un vieil homme a habitée toute sa vie et qu'il ne voulait pas quitter.
Donc, pour résumer :
- la réification d'une métaphore peut se produire dans n'importe quel type de récit matérialiste (c'est-à-dire qui présente son monde fictionnel comme concret et complet, une alternative totale au monde réel).
- ce n'est qu'une des manifestations de la tendance de ces récits à rendre leurs objets le plus concrets possible.