Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lem

Message par Lem » jeu. janv. 21, 2010 4:28 pm

silramil a écrit :Mais il y a un vice dans ton raisonnement, ici.
Voyons ça.
D'abord, la fable et la fantasy ne sont pas des choses équivalentes.
D'accord. C'est ce que j'ai dit en écrivant que la position cognitive "fable, allégorie" était peut-être incompatible avec celle requise par la fantasy : ça implique que ne sont pas des choses équivalentes. Pas de problème jusque-là.
La fantasy consiste à matérialiser la magie et à donner forme à des objets impossibles. C'est, tout comme la SF, mais pas avec le même arrière-plan ontologique, une espèce littéraire matérialiste.
Ne nous compliquons pas la tâche : disons que cette définition est OK. (Mais j'ai de grosses réserves sur "matérialiste".)
S'il y a un dieu du temps dans une histoire de fantasy, ce n'est pas une entité abstraite qui se promène de manière allégorique, et qu'on fait parler par prosopopée. C'est un être matériel, physique, incarné. Il a des faiblesses et des envies.
Toujours d'accord. C'est aussi ce que j'ai dit en écrivant : "Je peux sans problème imaginer un roman racontant la saga d'un brave garçon avec épée magique affrontant des dieux monstrueux pour offrir aux hommes l'immortalité."

Là où je diverge, c'est ici :
Il ne s'appellerai pas forcément "Temps", mais "Orchaïnobal, le Seigneur de l'Histoire".
"Pas forcément" ne suffit pas. Le dieu ne peut pas s'appeler Temps, ni ses démons Vieillesse et Entropie. OK, si tu me pousses dans mes retranchements, j'admettrai sans doute qu'un auteur extrêmement doué peut faire un roman de fantasy satisfaisant avec des concepts explicites personnifiés sans basculer pour autant dans l'allégorie. Mais là, comme ça, je n'en connais pas. "Orchaïnobal, Seigneur de l'Histoire" est non seulement l'écran nécessaire pour éviter l'allégorie mais son statut de personnage dans le récit lui confère (ou plutôt, confère à l'auteur) des obligations de cohérence à défaut desquelles l'allégorie prend le dessus et la position de lecture n'est plus bonne.
Tuer un tel être, c'est s'attaquer à une manifestation physique
Oui.
à une incarnationd'un principe ontologique.
Non.
Si à aucun moment Orchaïnobal ne dénote sa nature de concept, il n'est pas différent de n'importe quel dieu de pacotille. Il vit sa vie de personnage-dieu, éventuellement est tué, mais "le temps" en tant que concept ne joue aucun rôle sinon, on rebascule dans l'allégorie.
Et c'est précisément là que se noue la différence avec la scène hypothétique des Tueurs de temps située boulevard Saint-Germain. Dans ce système de réification, le temps est explicitement cité. Quand le mouvement s'arrête, c'est le temps qui s'arrête. Le lecteur n'a pas besoin de se demander ce que ça veut dire : il le sait. Ce qu'il voit, c'est la mise en œuvre concrète de l'expression "tuer le temps". Et ce n'est pas une allégorie ; c'est de la SF (de mon point de vue qui est aussi celui de l'édition spécialisée).
Ce ne sera pas du tout le cas pendant la mise à mort d'Orchaïnobal où rien d'autre n'est tué qu'un dieu de Fantasy (même si l'auteur ajoute une note à la fin du livre en disant "Orchaïnobal, c'est le temps personnifié"). L'effet cognitif ne sera pas le même. La différence me paraît flagrante.

Je reviendrai plus tard sur tes autres points mais j'aimerais avoir ton avis sur ce qui précède.

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silramil
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Message par silramil » jeu. janv. 21, 2010 4:28 pm

MF :
je pense également qu'il y a surtout un problème sémantique et que cela ne nous mène pas à des résultats très satisfaisants.

Ce que tu présentes se tient dans l'ensemble. Je pense surtout que certains termes devraient être précisés.

j'essaie une dernière fois, si ça coince, tant pis.

Je précise que je parle ici de la littérature qui se préoccupe de mettre en place des mondes fictionnels concrets. Peu importe ce qui se passe dans Le Petit Chaperon rouge ou Don Quichotte.

Un lecteur ne décide pas du statut du monde fictionnel : il utilise les indications du texte pour le déterminer, selon un principe de moindre résistance.
Dans le cas de Terremer, la magie est un principe actif, impossible à comprendre, mais qu'on peut diriger. Ceci faisant partie de ce qui est fourni par le texte, n'importe quel lecteur peut s'appuyer là-dessus pour déterminer que c'est un monde magique. Une lecture visant à prouver qu'en fait, la magie en question pourrait s'expliquer de telle ou telle manière, devrait considérer que les explications données dans le texte sont fausses ou incomplètes. Elle est possible, mais difficile à soutenir, puisqu'elle suppose qu'il y a derrière le tissu de la fiction une réalité plus forte que celle que la fiction elle-même donne à lire.

Ce n'est pas l'interprétation du lecteur qui décide du statut du monde fictionnel. C'est ce que le texte donne effectivement à lire.

Je ne crois pas m'être contredit en écrivant :
Aucune interprétation ne permet de décider du statut du monde fictionnel. (...) [Dans le cas de Terremer], le statut [du monde] est décidable, sans interprétation particulière.
puisque c'est le texte qui donne la réponse.

Quand les indications sont insuffisantes, ou volontairement ambiguës, le statut du monde fictionnel reste en suspens, indéterminable, (=indécidable, dans mon lexique). Chaque lecteur est libre d'interpréter, du moment qu'il ne va pas trop manifestement contre le texte.

Quant à la question, plus centrale, de la place du sense of wonder dans ce micmac, je précise que ce que je conteste, c'est justement que tu entres dans La Saison de la sorcière du fait du sense of wonder de la SF.

Sans me prétendre dans ta tête, je décrirais plutôt le processus comme ceci : tu ressens de l'émerveillement, tu associes ce type d'émerveillement à la SF, donc tu lis ce roman comme de la SF.
Désolé si je me trompe, je reformule à ma manière
[JE] considérais le Sow comme un élément d'entrée et pas un élément de sortie du processus de lecture de textes, potentiellement, de SF.
En laissant de côté la question décision/interprétation, je veux bien discuter de ce problème d'entrée/sortie du texte par rapport au sense of wonder.

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MF
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Message par MF » jeu. janv. 21, 2010 4:41 pm

Lem a écrit :Là où je diverge, c'est ici :
Il ne s'appellerai pas forcément "Temps", mais "Orchaïnobal, le Seigneur de l'Histoire".
"Pas forcément" ne suffit pas. Le dieu ne peut pas s'appeler Temps, ni ses démons Vieillesse et Entropie. OK, si tu me pousses dans mes retranchements, j'admettrai sans doute qu'un auteur extrêmement doué peut faire un roman de fantasy satisfaisant avec des concepts explicites personnifiés sans basculer pour autant dans l'allégorie. Mais là, comme ça, je n'en connais pas. "Orchaïnobal, Seigneur de l'Histoire" est non seulement l'écran nécessaire pour éviter l'allégorie mais son statut de personnage dans le récit lui confère (ou plutôt, confère à l'auteur) des obligations de cohérence à défaut desquelles l'allégorie prend le dessus et la position de lecture n'est plus bonne.
A mes yeux, il y a surtout une confusion entre "temps" et "histoire".
Introduire "l'histoire" permet d'éviter le risque d'incohérence.
Car tuer le "temps" a, si l'auteur veut être cohérent, des conséquences distinctes de faire disparaître "l'histoire".
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. janv. 21, 2010 4:46 pm

Lem a écrit : Et c'est précisément là que se noue la différence avec la scène hypothétique des Tueurs de temps située boulevard Saint-Germain. Dans ce système de réification, le temps est explicitement cité. Quand le mouvement s'arrête, c'est le temps qui s'arrête. Le lecteur n'a pas besoin de se demander ce que ça veut dire : il le sait. Ce qu'il voit, c'est la mise en œuvre concrète de l'expression "tuer le temps". Et ce n'est pas une allégorie ; c'est de la SF (de mon point de vue qui est aussi celui de l'édition spécialisée).
En fait, l'expression "tuer le temps" est jolie, mais c'est "stopper", "arrêter", voire "annuler le temps" qui serait plus juste. Avec mon manque de subtilité habituel, je vois plutôt dans l'expression "tuer le temps" une formulation poétique, mais rien de décisif quant à ce qui est raconté. J'admets que "Les stoppeurs de temps", c'est moins beau. "Les Suspendeurs de temps", j'aime bien (clin d'œil (dans le ciel) à Lamartine… )
Vous voyez, je peux faire des efforts…
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. janv. 21, 2010 4:48 pm

Lensman a écrit :On peut en annexer, il n'y a pas de problème, mais les présenter comme quelque part très importants pour caractériser la SF, là, je ne comprends pas. Il y a un corpus SF sans grande ambiguité suffisamment gigantesque pour ne pas avoir à aller chercher ces textes pour caractériser la SF.
Je suis d'accord sur l'énormité du corpus central de la SF mais pas du tout sur sa non ambiguité. S'il est si transparent, comment définis-tu la SF centrale, le cœur du genre ? Comme la fiction des sciences futures ? Mais que faire alors de tous les textes centraux où il n'y a ni science ni futur ? Que faire de L'homme quir rétrécit ? Que faire de Je n'ai pas de bouche et il faut que je crie (prix Hugo, quand même). Que faire de L'oreille interne ? Que faire du géant noyé ? Que faire du climat général de La quatrième dimension qui a joué un tel rôle dans l'histoire du genre ? Du Prisonnier ? Du Don ou de La séparation ? Quel est le statut de l'uchronie ? Ce ne sont pas des textes ou des objets marginaux, des trucs bizarres dont personne ne sait quoi faire – mais carrément des classiques. S'il existait une définition capable de rendre compte d'une telle diversité, elle couvrirait aussi Borgès et je ne ferais pas ce travail. Mais que je sache, cette définition n'existe pas.
Ou alors – ou alors – tu estimes que le corpus central, c'est exclusivement la SF qui traite des sciences futures. C'est totalement ton droit. Mais ce n'est pas la SF telle qu'elle apparaît dans les collections spécialisées, qui est infiniment plus diverse.

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silramil
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Message par silramil » jeu. janv. 21, 2010 4:52 pm

Lem a écrit :
à une incarnationd'un principe ontologique.
Non.
Si à aucun moment Orchaïnobal ne dénote sa nature de concept, il n'est pas différent de n'importe quel dieu de pacotille. Il vit sa vie de personnage-dieu, éventuellement est tué, mais "le temps" en tant que concept ne joue aucun rôle sinon, on rebascule dans l'allégorie.
Et c'est précisément là que se noue la différence avec la scène hypothétique des Tueurs de temps située boulevard Saint-Germain. Dans ce système de réification, le temps est explicitement cité. Quand le mouvement s'arrête, c'est le temps qui s'arrête. Le lecteur n'a pas besoin de se demander ce que ça veut dire : il le sait. Ce qu'il voit, c'est la mise en œuvre concrète de l'expression "tuer le temps". Et ce n'est pas une allégorie ; c'est de la SF (de mon point de vue qui est aussi celui de l'édition spécialisée).
Ce ne sera pas du tout le cas pendant la mise à mort d'Orchaïnobal où rien d'autre n'est tué qu'un dieu de Fantasy (même si l'auteur ajoute une note à la fin du livre en disant "Orchaïnobal, c'est le temps personnifié"). L'effet cognitif ne sera pas le même. La différence me paraît flagrante.

Je reviendrai plus tard sur tes autres points mais j'aimerais avoir ton avis sur ce qui précède.
Il y a une différence, c'est vrai.
Le coeur de mon argument est résumé plus bas : quoi qu'on pense de l'effet de cette métaphore réifiée, il s'agit d'une réification de métaphore dans un texte qui n'est pas de la SF. Associer trop étroitement SF et réification de métaphore me paraît donc hasardeux.

Je suis un peu embêté dans cette discussion, parce que je n'ai pas trouvé d'exemple net de "tueur de temps" en fantasy. Il y a des gens qui arrêtent ou ralentissent le temps, de la même manière qu'en SF. Mais personne ne s'attaque vraiment au temps qui passe .
Résultat, tu peux faire dire à mon exemple ce que tu veux, puisqu'il n'existe que dans le cadre de la discussion : pourquoi le concept de temps ne serait-il pas concerné par la mort d'un dieu du temps? Pourquoi ne pas supposer qu'à la fin du récit le temps a changé de nature, qu'au lieu d'être un temps qui passe, il devient un temps divin, qui permet à tous de vivre leur existence non pas séquentiellement, mais simultanément?
Le tueur de temps, ici, tue une certaine forme de temps, et en produit une autre, un peu comme la fin de l'Histoire dans les religions eschatologiques correspond à l'abolition de la durée.
Cela ne me paraît pas moins une réification que lorsque tu présentes le fait de pouvoir figer le temps comme une manière de le tuer. C'est un peu plus brutal, moins poétique et subtil, mais c'est une variété de réification.

Si je remets à plat ce que j'ai saisi de ta démonstration initiale, ça donne

L'expression "tueur de temps" peut être un simple surnom, lié à la réalité du monde fictionnel par métaphore (des bibliomanes qui tuent le temps ; des gangsters qui effacent des souvenirs) ; dès que cette expression s'applique de manière plus ou moins littérale, on se place dans l'orbite de la SF (figer le temps, ça produit un effet d'émerveillement, donc ça rentre dans la SF), voire on s'y place de manière exclusive (le voyage temporel comme annulation de la causalité, donc "meurtre du temps", est considéré comme spécifiquement SF).

Mon objection se situe dans le non-dit de ton exposition (que j'espère ne pas inventer par une lecture maladroite) : tu n'indiques pas qu'une réification de métaphore peut se produire ailleurs qu'en science-fiction, notamment dans le fantastique, la fantasy, et même la littérature réaliste. A mon sens, il faudrait d'abord réfléchir à ce que signifie exactement "réifier une métaphore", dans tous les contextes possibles.
Pour moi, ce processus fait partie d'un ensemble plus vaste, qui est la tendance à la matérialisation (concrétisation) du monde fictionnel dans la littérature réaliste, SF et fantasy.

Lem

Message par Lem » jeu. janv. 21, 2010 4:56 pm

Lensman a écrit :Je ne classe pas "En remorquant Jéhovah" en SF(…) s'il s'agit juste d'aligner des visions bizarres pour le plaisir des visions bizarres, entrecoupées de considérations philosophiques, sa démarche est pour moi très peu SF.
Globalement d'accord avec tout ce qui est sous le (…) mais il faut aller au bout de ta conclusion.
"Très peu" SF ne signifie pas "pas SF du tout".
Dans ce "très peu" (sur lequel je suis d'accord aussi, effectivement, c'est le statut du livre de Morrow), il y a "quelque chose" de la SF. Quelque chose qui, de proche en proche, en passant par Ballard, Aldiss, certains Dick, finit par permettre le raccordement au cœur du genre. Je voudrais comprendre ce que c'est.

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silramil
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Message par silramil » jeu. janv. 21, 2010 5:00 pm

Lensman a écrit :
MF a écrit :
silramil a écrit :La fantasy consiste à matérialiser la magie et à donner forme à des objets impossibles.
Tu réussis en peu de mot à résumer un thread de 45 pages. 8)

Bon, sauf la fantasy où il n'y a pas l'ombre d'un brin de magie...
Si tu replaces "et" par "ou" (non exclusif) dans la caractérisation (je me méfie, je ne dis plus définition…), ça colle... non?
(On pourrait aussi remplacer "impossibles" par "impossibles et dont ce caractère d'impossibilité n'est pas spécialement un enjeu pour l'ensemble lecteurs/auteur").
Oncle Joe
Yep.

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Erion
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Message par Erion » jeu. janv. 21, 2010 5:02 pm

Lem a écrit :Mais n'est-ce pas là justement, sur la frontière, que l'effet SF s'observe pour ainsi dire à l'œil nu et qu'il y a le plus à apprendre sur lui ? Si ces textes peuvent être classés SF, c'est qu'ils partagent quelque chose avec ceux qui sont cœur de genre, pleins de techno et de futur. Conclusion logique : ce qu'ils partagent n'est pas la techno et le futur mais autre chose, que j'essaie de définir.
L'approche par les marges me paraît très intéressante, et c'est souvent la plus pertinente, mais pour ça, il faut utiliser des oeuvres "problématiques"

Le statut de Borgès n'est PAS problématique. Jules Verne n'est pas dans la Pléiade, Borgès si (et malgré la veuve). Historiquement, on peut pas dire que les éditeurs français de littérature générale se soient précipités sur Borgès, mais toujours est-il que désormais, son oeuvre est reconnue, connue et que sa classification comme étant de la "grande" littérature ne fait pas débat, et ne pose pas problème.
C'est plutôt l'intégration de Borgès dans la SF qui pose problème, où intuitivement, ce n'est pas totalement évident et je ne suis pas certain que n'importe quel fan de SF déclare spontanément Borgès parmi ses auteurs préférés.

Imagine la même chose avec Verne, si on l'exclut de la SF (je ne dis pas toi, là, c'est juste une expérience de pensée). On le met où ? Pas dans la "grande" littérature, sans doute dans la littérature jeunesse ou d'aventure, même si les adultes pouvaient en lire. A l'opposé, sans Verne, y'a toute une partie de la SF mondiale qui n'existerait pas. Il a eu beaucoup de copistes.

Quelle est l'influence de Borgès sur la SF mondiale, sur le coeur du genre ? Est-ce comparable à l'influence de Verne ou de Gibson. Si Borgès est juste une oeuvre isolée dans son approche et que ses conséquences sur le genre sont nulles ou minimes, son impact sur la définition de la SF l'est tout autant.

Une oeuvre à la marge, qui peut servir à définir la SF, à mes yeux, c'est une oeuvre qu'on ne sait pas trop où mettre, mais dont l'absence dans le genre SF élimine tout un tas d'autres oeuvres qui en découlent.

Et pour le géant noyé, j'ai relu la phrase, elle ne me pose aucun problème. Tu sais, y'a un meilleur exemple, d'une oeuvre qui est considérée comme appartenant à la SF, dispo dans de nombreuses anthologies, et où y'a zéro science dedans, aucun scientifique, aucune technologie : Ceux qui partent d'Omelas.
Sauf que c'est une allégorie.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/

Lem

Message par Lem » jeu. janv. 21, 2010 5:04 pm

Je suis un peu embêté dans cette discussion
En toute bienveillance, je pense que c'est parce que tu ne fais pas le saut décisif. Tu es coincé parce que tu persistes à considérer ton histoire comme issue d'une métaphore réifiée. C'est ce que tu écris :
quoi qu'on pense de l'effet de cette métaphore réifiée, il s'agit d'une réification de métaphore dans un texte qui n'est pas de la SF. Associer trop étroitement SF et réification de métaphore me paraît donc hasardeux.
Mais ce n'est pas le cas.
"Les assassins d''Orchaïnobal" peut donner un texte de fantasy plausible mais mettre en scène, explicitement, des "tueurs de temps" (où le temps apparaît comme tel, et non déguisé sous une personnification) est une opération d'un autre ordre.

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Message par Erion » jeu. janv. 21, 2010 5:06 pm

Lem a écrit : Que faire de L'homme quir rétrécit ? Que faire de Je n'ai pas de bouche et il faut que je crie (prix Hugo, quand même). Que faire de L'oreille interne ? Que faire du géant noyé ? Que faire du climat général de La quatrième dimension qui a joué un tel rôle dans l'histoire du genre ? Du Prisonnier ? Du Don ou de La séparation ? Quel est le statut de l'uchronie ? Ce ne sont pas des textes ou des objets marginaux, des trucs bizarres dont personne ne sait quoi faire – mais carrément des classiques.
Et hop, t'as oublié la discussion sur "les images de la science". L'homme qui rétrécit en fait partie, et des tas d'autres récits ou histoires où la science n'apparaît pas explicitement, mais c'est elle qui donne du sens à l'histoire.
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Message par marypop » jeu. janv. 21, 2010 5:09 pm

444 ...

comme dirait Werber sur son FB "chaque fois que je regarde la pendule je vois des 10H01 ou des 22H22" etc.

Je vous signale qu'on est aux 2/3 du diable.

Si j'ajoute qu'on est le 21, ça nous fait un (44)4 21 et 421 c'est bon à prendre.

De plus je prends le premier chiffre de 444, le premier chiffre de 21 et j'obtiens ....

42 évidemment.

Vous pouvez reprendre une activité normale.
si on commence à mélanger sf archaïque et proto-sf, personne ne s'y retrouvera plus.
Dieu.

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Message par silramil » jeu. janv. 21, 2010 5:10 pm

Lem a écrit :
Je suis un peu embêté dans cette discussion
En toute bienveillance, je pense que c'est parce que tu ne fais pas le saut décisif. Tu es coincé parce que tu persistes à considérer ton histoire comme issue d'une métaphore réifiée. C'est ce que tu écris :
quoi qu'on pense de l'effet de cette métaphore réifiée, il s'agit d'une réification de métaphore dans un texte qui n'est pas de la SF. Associer trop étroitement SF et réification de métaphore me paraît donc hasardeux.
Mais ce n'est pas le cas.
"Les assassins d''Orchaïnobal" peut donner un texte de fantasy plausible mais mettre en scène, explicitement, des "tueurs de temps" (où le temps apparaît comme tel, et non déguisé sous une personnification) est une opération d'un autre ordre.
Soit. J'admets que mon exemple est plutôt une "personnification réifiée" et que le raccourci "tuer le temps" pour dire "exécuter la personnification divine du temps" fonctionne moins comme métaphore que comme expression littérale. Mais n'est-ce pas le principe de la réification, ici ? rendre littéral, c'est-à-dire concret, une expression qui n'a normalement de sens que verbalement? Bref.

Je préfère ne pas continuer sur la question du temps, vu qu'on ne sait ce que c'est que tant qu'on ne nous demande pas. ("le temps apparaît comme tel" ? qu'est-ce à dire? que montrer une scène où tout est immobile suffit à faire "apparaître le temps"? je ne sais pas trop, mais ça me paraît glissant).

Pourrais-tu me dire ce que tu penses de ceci, plutôt?
Le vice de ton raisonnement est le suivant : tu montres ce qui, dans la réification de la métaphore que je propose, l'écarte du fonctionnement de la SF. Ce que j'indique, c'est qu'il n'y a pas qu'un seul contexte pertinent pour ce type de réification (c'est-à-dire une matérialisation concrète, et non un jeu sur les mots comme dans les exemples de gangsters). La fantasy le fait, comme la SF. Et je pense qu'il y a des exemples possibles, sans jeu de mot, dans la littérature réaliste.

L'expression "son monde explosa", peut être une image figée : quelqu'un perd tout ce qu'il aimait en un instant. Mais cela peut devenir concret selon le contexte.
En SF, ça peut vouloir dire que quelqu'un vient de faire sauter une planète.
En fantasy, ça peut désigner l'oblitération intégrale d'un royaume magique.
En littérature réaliste, ça peut renvoyer à la démolition de la maison qu'un vieil homme a habitée toute sa vie et qu'il ne voulait pas quitter.

Donc, pour résumer :
- la réification d'une métaphore peut se produire dans n'importe quel type de récit matérialiste (c'est-à-dire qui présente son monde fictionnel comme concret et complet, une alternative totale au monde réel).
- ce n'est qu'une des manifestations de la tendance de ces récits à rendre leurs objets le plus concrets possible.
Modifié en dernier par silramil le jeu. janv. 21, 2010 5:13 pm, modifié 1 fois.

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Message par MF » jeu. janv. 21, 2010 5:11 pm

silramil a écrit :Je précise que je parle ici de la littérature qui se préoccupe de mettre en place des mondes fictionnels concrets. Peu importe ce qui se passe dans Le Petit Chaperon rouge ou Don Quichotte.
Déjà, là, je coince.
Le monde fictionnel du Petit Chaperon Rouge (une forêt, des bucherons, un chasseur, une grand-mère, une maisonnette, un lit) serait moins concret que celui de, par exemple, Excession ? On ne nous dit pas tout !

Ne me dis pas que c'est parce que le loup parle et adopte un comportement humain, je vais être obligé de te citer une palanquée de bouquins de SF dans lesquels les animaux sont humanisés. Si le monde du Red Riding Hood ne te semble pas concret, c'est soit parce que tu l'abordes en tant que conte, soit parce que tu n'a jamais rêvé d'être le Loup de Tex Avery.
Dans le cas de Terremer, la magie est un principe actif, impossible à comprendre, mais qu'on peut diriger. Ceci faisant partie de ce qui est fourni par le texte, n'importe quel lecteur peut s'appuyer là-dessus pour déterminer que c'est un monde magique. Une lecture visant à prouver qu'en fait, la magie en question pourrait s'expliquer de telle ou telle manière, devrait considérer que les explications données dans le texte sont fausses ou incomplètes. Elle est possible, mais difficile à soutenir, puisqu'elle suppose qu'il y a derrière le tissu de la fiction une réalité plus forte que celle que la fiction elle-même donne à lire.
Il y a des lecteurs, souffrant sans doute de SII (suspension involontaire d'incrédulité), persuadés que ce monde n'est pas fictionnel mais réel.
Ce n'est pas l'interprétation du lecteur qui décide du statut du monde fictionnel. C'est ce que le texte donne effectivement à lire.

Je ne crois pas m'être contredit en écrivant :
Aucune interprétation ne permet de décider du statut du monde fictionnel. (...) [Dans le cas de Terremer], le statut [du monde] est décidable, sans interprétation particulière.
puisque c'est le texte qui donne la réponse.
Nous ne parlions effectivement pas de la même chose.
J'ai donné une expérience de lecture et tu as, si je ne me trompe, répondu analyse de texte.
Quant à la question, plus centrale, de la place du sense of wonder dans ce micmac, je précise que ce que je conteste, c'est justement que tu entres dans La Saison de la sorcière du fait du sense of wonder de la SF.

Sans me prétendre dans ta tête, je décrirais plutôt le processus comme ceci : tu ressens de l'émerveillement, tu associes ce type d'émerveillement à la SF, donc tu lis ce roman comme de la SF.
Je vais le reformuler, car je n'entre pas dans La Saison du fait du SoW de la SF. C'est même le contraire. J'y suis entré et c'est mon SoW qui a fait dérivé ce livre dans mon espace de SF.

Ce qu'a écrit Sadoul (on peut bien sût le remettre en cause, mais ça n'a pas été pour l'instant, me semble-t-il, le cas) c'est que le Sow permet à l'imagination des amateurs de recréer dans un rêve éveillé les merveilles qu'il lui a été donné de lire, de prolonger leur lecture au-delà même de ce que comportait le récit.
Je ne ressens pas d'émerveillement à la lecture de La Saison (pardon Roland), j'utilise mon imagination pour prolonger ce que l'auteur a mis, explicitement, dans le récit.
Pour peu, bien sûr, qu'il m'en laisse la possibilité et que cette prolongation soit cohérente avec le contenu textuel.

Désolé si je me trompe, je reformule à ma manière
y'a pas de lézards

y'a d'ailleurs pas non plus, et c'est bien triste, de gros seins...
[JE] considérais le Sow comme un élément d'entrée et pas un élément de sortie du processus de lecture de textes, potentiellement, de SF.
En laissant de côté la question décision/interprétation, je veux bien discuter de ce problème d'entrée/sortie du texte par rapport au sense of wonder.
Tu parles du texte alors que je parle de lecture :(
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. janv. 21, 2010 5:18 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :On peut en annexer, il n'y a pas de problème, mais les présenter comme quelque part très importants pour caractériser la SF, là, je ne comprends pas. Il y a un corpus SF sans grande ambiguité suffisamment gigantesque pour ne pas avoir à aller chercher ces textes pour caractériser la SF.
Je suis d'accord sur l'énormité du corpus central de la SF mais pas du tout sur sa non ambiguité. S'il est si transparent, comment définis-tu la SF centrale, le cœur du genre ? Comme la fiction des sciences futures ? Mais que faire alors de tous les textes centraux où il n'y a ni science ni futur ? Que faire de L'homme quir rétrécit ? Que faire de Je n'ai pas de bouche et il faut que je crie (prix Hugo, quand même). Que faire de L'oreille interne ? Que faire du géant noyé ? Que faire du climat général de La quatrième dimension qui a joué un tel rôle dans l'histoire du genre ? Du Prisonnier ? Du Don ou de La séparation ? Quel est le statut de l'uchronie ? Ce ne sont pas des textes ou des objets marginaux, des trucs bizarres dont personne ne sait quoi faire – mais carrément des classiques. S'il existait une définition capable de rendre compte d'une telle diversité, elle couvrirait aussi Borgès et je ne ferais pas ce travail. Mais que je sache, cette définition n'existe pas.
Ou alors – ou alors – tu estimes que le corpus central, c'est exclusivement la SF qui traite des sciences futures. C'est totalement ton droit. Mais ce n'est pas la SF telle qu'elle apparaît dans les collections spécialisées, qui est infiniment plus diverse.
C'est un peu le contraire que je dis: si on prend un corpus au sens large, il est parfaitement inutile de se lancer dans une définition (ou plutôt une caractérisation) générale.
Par contre, on peut très bien se lancer dans des caractérisations de certains types de textes, qui ont des fonctionnement ou des thématiques spécifiques.
On peut aussi, si l'on veut, regarder des périodes éditoriales particulières (la période des pulps, par exemple).
Mais prendre un immense corpus, avec, je ne sais pas "Ralph 124641+", "Ptah Hotep", "Révolte sur la lune", "En remorquant Jéovah" et dire: je vais trouver une définition qui fait tenir tout ça, notamment ces textes, cela ne me paraît pas avoir beaucoup de sens.
D'autre part, à chaque fois, tu me parle toujours d'EXCLUSIVEMENT, quand je parle de CENTRALEMENT. Ce n'est pas la même chose. C'est ton glissement vers la périphérie, que je pointe.
Oncle Joe

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