Soit. J'y réfléchis.Lem a écrit :Oui. C'est une image du temps. On montre ce qui se passe quand il n'est pas là. C'est une image négative, inversée mais elle fonctionne : elle donne à voir quelque chose qui est très difficile à représenter, provoque un choc esthétique et cognitif quand on le reçoit et permet, d'une certaine manière, de percevoir le temps autrement. Il y a quelque chose de très profond là-dedans et dans cette profondeur, il y a une vue sur le temps.silramil a écrit :"le temps apparaît comme tel" ? qu'est-ce à dire? que montrer une scène où tout est immobile suffit à faire "apparaître le temps"?
SI tu permets, ce qui est réifié n'est pas "maison = monde", mais "son monde explosa = sa maison fut dynamitée", c'est-à-dire le fait de prendre au pied de la lettre une expression figée et de lui redonner un sens concret.OK pour tout ça. Mais suis-moi bien, je vais essayer de te montrer le truc difficile :'il n'y a pas qu'un seul contexte pertinent pour ce type de réification (c'est-à-dire une matérialisation concrète, et non un jeu sur les mots comme dans les exemples de gangsters). La fantasy le fait, comme la SF. Et je pense qu'il y a des exemples possibles, sans jeu de mot, dans la littérature réaliste.
L'expression "son monde explosa", peut être une image figée : quelqu'un perd tout ce qu'il aimait en un instant. Mais cela peut devenir concret selon le contexte.
En SF, ça peut vouloir dire que quelqu'un vient de faire sauter une planète.
En fantasy, ça peut désigner l'oblitération intégrale d'un royaume magique.
En littérature réaliste, ça peut renvoyer à la démolition de la maison qu'un vieil homme a habitée toute sa vie et qu'il ne voulait pas quitter.
J'écarte d'abord "Son monde explosa" en mode mainstream (ton dernier cas) qui est une pure métaphore, non réifiée. Quand on regarde "monde" dans un dictionnaire, on trouve d'abord "ensemble de tout ce qui existe", ensuite "Terre", etc…. Quand on pense "monde", dans la plupart des cas, on fait la même chose. Quand on dit "le monde" dans une conversation, on pense très rarement "ma maison". Il y a un sens propre et des sens plus ou moins figurés, métaphoriques. La maison comme monde, c'est une métaphore et elle est utilisée comme telle dans le roman réaliste : pour poétiser une situation humaine.
J'admets que l'effet produit n'est pas le même ; il n'a jamais été dans mon intention de prétendre que la réification d'une métaphore dans un récit de SF produit le même effet que le même procédé dans un récit réaliste.
Je cherche à t'inciter à réexaminer le lien exclusif que tu me sembles faire entre "réification de métaphore" et "effet propre à la SF".
Cela dit, la suite de ton argumentation part dans une direction un peu différente.
C'est ce que j'entendais démontrer, sans préjuger de ce qu'on peut en déduire.Restent le monde magique de la fantasy et la planète de la sf. OK. Incontestablement, il y a d'un côté une réification dans un cadre magique, de l'autre la même chose dans un cadre scientifique. La métaphore réifiée n'est apparemment pas le privilège de la SF. Ai-je bien compris ton argument ?
Je me permets de couper ici ta démonstration, avant d'en venir à ton exemple.Le truc difficile est ici : il y a une réification antérieure à ces deux-là. Antérieure à la magie, antérieure à la science. Il y la réification "neutre" disons – celle qui consiste à matérialiser l'image sans expliquer comment ni pourquoi. Qui n'a besoin d'importer aucun système extérieur pour se justifier (la magie, la science) parce que ce qui la justifie, c'est la cohérence interne dans la façon dont elle décline les conséquences de la réification.
"Antérieur". Ce terme est particulier, mais il me plaît, je ne le conteste pas. Entendons-nous bien, cela implique que ce qui est fait en fantasy ou en SF peut être considéré comme une évolution (un raffinement? un progrès? ne relançons pas ce débat) par rapport à ce qui est fait dans la littérature qui ne se préoccupe pas de matérialiser un monde de fiction.
Parler comme tu le fais "d'importer un système extérieur pour se justifier" me laisse un peu perplexe, mais intuitivement, cela me convient.
J'accepte donc de bon gré les prémisses.
Tout à fait d'accord. C'est même parce qu'il ne dit rien des briques que je considère ce texte (par ailleurs fascinant) comme hors SF, même s'il utilise des procédés communs avec la littérature matérialiste (ah, les descriptions des rayons, des livres, des dispositions de signes sur les pages !). C'est un vertige logique, qui ne produit pas un monde, mais un mirage.C'est ce que fait Borgès avec La bibliothèque de Babel : il ne dit évidemment (et heureusement) rien des échafaudages et des quantités de briques dont la Bibliothèque a eu besoin parce que ça la détruirait instantanément : elle est un monde clos, autonome, gouverné par la logique, c'est tout.
Mouaif. tout dépend du texte exact, dans ce genre de cas (j'ai pas suivi, c'est un exemple tiré de quelque part?) Si c'est simplement burlesque, ou absurde, ou contemplatif, alors, OK, je le mets avec Borges. ça pourrait être aussi un texte ambigu, entre magie et science. Mais je ne vais pas pinailler, restons sur Borges pour la suite.C'est la même chose avec mon exemple des tueurs de temps sur Saint-Germain : ils arrêtent le temps, ils le relancent, on n'explique rien, on se contente de regarder les conséquences de cet état de chose. Ce n'est pas plus scientifique que magique, c'est neutre.
La démonstration me paraît limpide... mais ai-je vraiment saisi?Or que constaté-je quand je lis ces textes "neutres" ? Que je ressens, que beaucoup de lecteurs et de critiques (mais peu ici, apparemment) ressentent l'effet SF. Certains diront peut-être que c'est du fantastique. D'autres diront (dans l'exemple de Saint-Germain), que c'est de la fantasy urbaine. Pourquoi pas ? Mais historiquement, la SF a toujours fait bon accueil/repéré/engendré ce genre de textes. C'est donc qu'elle a reconnu en eux un élément de sa propre nature.
Est-ce que tu comprends mieux ce que je cherche ? Avant toute immersion dans un système rhétorique ou esthétique, il y a une réification neutre et elle produit l'effet SF. On est aux limites du domaine ; il n'y a ni futur, ni science ; il n'y a que des images, des concepts, des idées, des faits de langue extraordinaires matérialisés par la littérature.
Il me faut reformuler, comme ça nous verrons si je t'ai bien compris.
Il existe un procédé (je simplifie) qui stimule l'imagination d'une manière particulière, suscitant un émerveillement fondé sur un vertige logique = le lecteur a l'impression de saisir une réalité ineffable, qui le déborde, mais qu'il ne tient pas pour pur fantasme ou jeu de mot.
Ce procédé, quoique indépendant de la science-fiction publiée, a trouvé dans cette espèce littéraire un terreau accueillant, à tel point qu'il peut être tenu pour un aspect essentiel de la SF. Selon tes termes, il "produit l'effet SF".
Par conséquent, limiter la réflexion sur la science-fiction au corpus publié sous étiquette, c'est s'interdire de voir ce qui fonde un de ses aspects essentiels, parce que l'effet SF vient, paradoxalement, d'un procédé qui ne fait pas partie intégrante du domaine.
Borges, dans cette réflexion, devient la pierre de touche de cet effet SF, l'exemple pur d'un effet SF sans SF, en quelque sorte.
A supposer que j'aie bien compris et reformulé, cela pose au moins un problème.
Le paradoxe d'un procédé antérieur à la SF, mais à ce point constitutif de l'effet SF que les oeuvres hors-SF qui l'emploient peuvent être annexés à la SF ne me paraît pouvoir être résolu que par le haut. Cela implique de renoncer à vouloir définir la SF par ce procédé, pour plutôt présenter la SF comme un des lieux où se manifeste (dans les meilleures conditions?) ce procédé habituellement confiné à des fantaisies ou des jeux logiques.
Il ne semble pas qu'on puisse, au contraire, lancer une vaste opération d'annexion de tous les textes suscitant cet effet. Je crois quand même que l'effet SF est spécifique à la SF publiée sous ce nom, et que ce qui y ressemble, en étant à l'extérieur, fonctionne différemment. Je ne dis pas ça par pur nominalisme, mais parce que cet aspect-là se combine à d'autres éléments et que l'alliage SF n'est pas réductible à l'un de ses composants.
Borges comme pierre de touche, oui. Mais la pierre de touche est différente du métal qu'elle sert à évaluer. (image foireuse, mais qui traduit bien ma pensée).