Lem a écrit :
Quand j'écris : "je travaille dans une certaine direction, je mets en avant certains facteurs, chacun est libre de de s'y reconnaître ou non", on est quand même assez loin de toute idée d'obligation, tu es d'accord ?
Ce qui se dégage, pour l'instant, c'est surtout que tu es le seul à t'y reconnaître.
A un moment, faut se poser la question : "pourquoi une définition ?"
J'ai dit ici, sur ce fil, que quand Suvin établit sa définition esthétique, il a un objectif qui est de séparer SF, fantastique et fantasy. Toute la définition est construite ainsi.
D'une manière générale, on peut élaborer une définition "filtrante", qui permet face à n'importe quelle oeuvre, de dire s'il s'agit de la SF ou "autre chose", à partir d'éléments objectifs. C'est ce qui permet de se guider et de trouver sa nourriture, malgré les aléas éditoriaux qui étiquettent souvent selon des motifs propres (ainsi tel auteur de SF sera publié en collection de SF, même quand il publie du fantastique ou de la fantasy, pour la simple raison que c'est plus simple et plus efficace pour atteindre ses lecteurs). Ce type de définition, en général, ne dit rien sur les autres littératures, et a plutôt une vocation interne pour l'ensemble des amateurs.
Il y a aussi les définitions "légitimantes" qui ont pour vocation de rendre l'entité définie visible ou respectable aux yeux du groupe visé. (En 1915, les Tchèques se présentaient comme un peuple démocratique et libéré de la religion, parce qu'ils voulaient le soutien de la France républicaine et laïque). En général, ces définitions ont peu à voir avec le groupe/genre, et sont purement utilitaires. Du pur marketing ou de la pur propagande.
Tu t'étonnes, Serge, que beaucoup d'amateurs se foutent des tentatives de définitions, mais pourtant, c'est normal quand on est dans le groupe. C'est confronté à des gens extérieurs au groupe, que la question se pose.
A titre personnel, la question de la définition se pose à mes yeux, parce que j'ai face à moi, dans mes cours, des étudiants qui ne savent pas vraiment ce qu'est la SF, et qui mélangent tout. Au début d'année, je leur demande de me citer des "oeuvres de SF" n'importe quel support, et très régulièrement, on me cite "le seigneur des anneaux". Une fois qu'on a écarté ça, ils rétrécissent énormément le champ, et je m'occupe à le ré-ouvrir. Ce n'est qu'au cours suivant que j'aborde la question de la définition de la SF, et que l'on met au point ensemble, une définition qui soit filtrante (pour qu'ils se repèrent facilement en librairie) et qui les guide quand il devront écrire leur nouvelle de SF en fin de session. (Et depuis que je fais ça, j'ai plus jamais de nouvelles non-SF).
Pour vérifier si le cours a bien fonctionné, en fin d'année, en même temps que je leur rends leurs copies, je leur fais lire deux nouvelles : "Ceux qui partent d'Omelas" et "Déchiffrer la trame". Et je leur demande "en quoi est-ce de la SF ?" C'est souvent une discussion très intéressante, où on va chercher les mécanismes des textes, et souvent leur "ressenti" est bien souvent moins en faveur de la SF, il faut vraiment aller remonter dans le corps et dans la structure des textes pour montrer en quoi c'est de la SF.
C'est pour ça que ton approche par le "ressenti" , "l'émotion", me semble être une voie bouchée, parce que tu as déjà lu tellement de SF que tu es capable d'en ressentir l'effet à des kilomètres à la ronde. Pour le néophyte, cette émotion n'est pas naturelle, et spontanément, il ne ressent pas "d'effet SF". Il a besoin d'avoir des repères clairs, avant de se laisser guider par son ressenti.