Du sense of wonder à la SF métaphysique
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- dracosolis
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Je suis bien d'accord avec toi. Ce personnage n'a guère d'intérêt pour comprendre la science-fiction et son histoire (par contre, un très grand intérêt pour l'histoire du phénomène et du fonctionnement d'un certain type de sectes, celles pour artistes fragilisés). Jules Verne, par contre, ça c'est une œuvre, ça ça marque les esprits. Son influence sur la SF (en France comme ailleurs) me semble sans début de commencement d'esquisse d'ébauche de comparaison.Transhumain a écrit :J'ai aussi un petit Talisker, un Laphroig et un Dalwhinnie.Le_navire a écrit :Gérard, dépêche-toi, sinon on les retrouve tous bourrés au Lagulavin avant demain.
Sur Gurdjieff, franchement, c'est abuser : je me suis un peu intéressé à ce farfelu à la sortie de Kathleen de Colin, qui en avait fait un personnage assez conforme à ce que dit le paragraphe cité par Roland, et je ne vois vraiment pas l'intérêt de mettre un message d'avertissement "secte dangereuse" à chaque fois qu'on parle de lui.
Je ne me rappelle plus qui a eu l'idée de citer Gurdjieff, dans un débat déjà assez embrouillé.
Oncle Joe
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Ça vient, oh divine dracosolis.dracosolis a écrit :au fait, il est où le dernier opus de dieu promis, disait Joey ?
Je me relis.
Il y aura deux papiers, enfin c'est une métaphore:
l'un complétant celui sur l'inhumain,
le dernier en guise de conclusions provisoires.
Heureuse?
Mon immortalité est provisoire.
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Les malheureux,Le_navire a écrit :Gérard, dépêche-toi, sinon on les retrouve tous bourrés au Lagulavin avant demain.
c'est qu'ils ne connaissent pas le whisky japonais Yamazaki single malt 12 ans.
Incidemment et ça n'a rien à voir, le rapport 2009 sur les pratiques culturelles des Français me semble sans intérêt et mal fait. Il met par exemple dans le même sac SF, fantasy, bit lit et dieu sait quoi, ce qui "explique" une statistique totalement aberrante. C'est le fourre-tout érigé en méthodologie.
Voir:
http://www.pratiquesculturelles.culture ... 2-Q64C.pdf
Modifié en dernier par Gérard Klein le mar. janv. 26, 2010 6:05 pm, modifié 1 fois.
Mon immortalité est provisoire.
J'ai remarqué cela, hier:Gérard Klein a écrit : Les malheureux,
c'est qu'ils ne connaissent pas le whisky japonais Yamazaki single malt 12 ans.
http://www.strictlyjapanesewhisky.com/
Oncle Joe
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Tu approches du satori.Lensman a écrit :J'ai remarqué cela, hier:Gérard Klein a écrit : Les malheureux,
c'est qu'ils ne connaissent pas le whisky japonais Yamazaki single malt 12 ans.
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Mon immortalité est provisoire.
C'est vraiment troublant… je pensais que c'était le whisky breton (de l'île de Pâques, donc atlante) qui mettait dans cet état…Gérard Klein a écrit :Tu approches du satori.Lensman a écrit :J'ai remarqué cela, hier:Gérard Klein a écrit : Les malheureux,
c'est qu'ils ne connaissent pas le whisky japonais Yamazaki single malt 12 ans.
http://www.strictlyjapanesewhisky.com/
Oncle Joe
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Le livre qui en traite, explique précisément tout ça, et il est disponible dans n'importe quelle librairie. Ca explique pourquoi la SF comme genre est très populaire, alors que la SF littéraire se vend mal. Ce qui était le point.Gérard Klein a écrit :Les malheureux,Le_navire a écrit :Gérard, dépêche-toi, sinon on les retrouve tous bourrés au Lagulavin avant demain.
c'est qu'ils ne connaissent pas le whisky japonais Yamazaki single malt 12 ans.
Incidemment et ça n'a rien à voir, le rapport 2009 sur les pratiques culturelles des Français me semble sans intérêt et mal fait. Il met par exemple dans le même sac SF, fantasy, bit lit et dieu sait quoi, ce qui "explique" une statistique totalement aberrante. C'est le fourre-tout érigé en méthodologie.
Voir:
http://www.pratiquesculturelles.culture ... 2-Q64C.pdf
Que les éditeurs ne sachent pas capter le public potentiel de la SF, c'est le problème des éditeurs, mais niveau attractivité et popularité, la SF se porte très bien.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/
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(Le lecteur est prié de se reporter, avant de lire ce qui suit, au feuilleton précédent sur l’inhumain)
Concernant le rapport hautement conflictuel entre l’humain et l’inhumain, commençons simplement par le commencement, il y a quelques dizaines voire centaines de milliers d’années. Suivant en cela l’exemple de notre Maître Rosny Aîné.
Il y a donc, par hypothèse simplifiante, cent mille ans, l’humain, extrait de la nature (ce dont mon maître le chat Aurore ne parvient pas à se convaincre) et en somme chassé du Paradis, qui s’aperçut qu’avec l’humain on pouvait négocier, pas voie de grognements ou de dépuç(el)age ou plus sérieusement à l’aide d’une pierre convenablement taillée, mais que pour le reste ça pouvait être à l’occasion agréable (rarement) mais le plus souvent conflictuel. Il est difficile de séduire un ours ou un machaidorus, une baie vénéneuse, ou même un lièvre ou un mammouth quand on a un petit creux. Quant à un orage, un éboulement, une inondation, niet. Sans parler de l’épidémie. Ça dit non. C’est du réel. Le feu en fait partie. Ça peut faire très mal, mais ça s’utilise aussi. C’est le début de la technologie. Avec la massue: voir 2001.
Alors, cet humain, histoire de réduire l’inhumain à de l’altérité (je reviendrai sur ce terme qui n’est pas synonyme du précédent) inventa quelque chose d’extraordinaire: d’étendre sa théorie de l’esprit à de l’inhumain et de prêter de l’intention ou de l’intentionnalité (je laisse aux philosophes sourcilleux qui hantent ce fil le droit de choisir) à cet inhumain teigneux. Dans un premier temps (enfin, c’est à voir), cela s’appelle l’animisme qui est quelque chose de très bien et de très intéressant comme me le dit un jour mon ami et mentor, hélas disparu, Pierre Fédida qui pensait écrire là-dessus ce que l’inhumain ne lui a pas laissé le temps de faire.
Puis dans un second temps, l’animisme fit place à la création des dieux qui ont le mérite de spécifier un peu les choses, en particulier si l’on considère avec Robert Graves la généalogie des dieux grecs, de faire la part des choses entre l’inhumain extérieur à l’humain et l’inhumain dans l’humain (ce que nous appellerions aujourd’hui les passions ou l’inconscient; je vous épargnerai ici un cours détaillé mais je peux le donner en privé, par exemple à Draco qui n’en a sans doute ni le besoin ni le désir.)
Et enfin au dieu monothéiste qui, en plus d’un sens, rétablit la frontière entre l’humain et l’inhumain tout en supposant intentionnalité et possible dialogue, et peut-être inaccessible Réel. Tout ça permet de renvoyer à des spécialistes la question désagréable des rapports entre l’humain (avec qui on peut éventuellement négocier) et l’inhumain (plus coriace). Mais vachement fascinant. Pour certains. Qui parviennent même à en faire du blé (métaphore typique du post-néolithique), par exemple les prêtres et les psychanalystes. Voire les scientifiques qui constituent une catégorie nettement à part. Nettement moins les auteurs de science-FICTION (sans doute à cause du terme en capitale).
Donc, disais-je, les interrogations sur l’inhumain sont anciennes. Sautons quelques millénaires.
Par exemple chez les Présocratiques. Je partageais avec le défunt Emmanuel Jouanne, trop tôt disparu, victime de l’inhumain et qui en a donné quelque expression dans sa prose d’une froideur parfaite, le goût, voire la passion des présocratiques. Il y a chez eux plein d’idées de science-fiction, même si n’étant pas Versins, je ne les annexerai pas. Et je recommande à tout auteur ou prétendu de cette chapelle, de les lire et de les méditer.
Ainsi Xouthos qui, vu par Aristote, écrit:
“Certains croient que l’existence du rare et du dense rend manifeste celle du vide: de fait, s’il n’existait ni rare ni dense, il ne pourrait, selon eux, y avoir ni contraction ni compression. Or, sans ces phénomènes, ou bien il n’y aura plus aucun mouvement, ou bien le monde ondulera pour reprendre les mots de Xouthos.”
Ou, lu par Simplicius:
“Selon le pythagoricien Xouthos, (le monde) s’enflera, puis diminuera, toujours davantage, comme la mer qui, en vagues ondulantes, vient recouvrir les rivages de ses débordements.” (Pléiade, page 446.)
Le susdit Xouthos avait anticipé certains développements de la théorie du Big Bang sur l’avant et l’après.
Mais côté technologies étranges, ce n’est pas mal non plus. Ainsi chez Aulu-Gelle qui cite Favorinus:
“L’invention dont la tradition attribue au pythagoricien Archytas la construction ne doit pas moins nous étonner, même si elle peut paraître frivole (souligné par moi). La plupart des auteurs grecs les plus connus et le philosophe Favorinus, grand amateur d’antiquités, rapportent en effet, de la manière la plus formelle; qu’une colombe en bois, construite par Archytas, selon certains calculs et principes mécaniques, avait volé. C’est vraisemblablement par un système de contrepoids qu’elle tenait en l’air, et par la pression de l’air enfermé caché à l’intérieur qu’elle avançait. Qu’on me permette sur un fait, ma foi, si peu croyable de citer Favorinus lui-même: “Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fabriqua une colombe en bois qui volait, (mais qui), une fois qu’elle s’était posée, ne pouvait reprendre son essor. Jusque là en effet…” (Pléiade, page 524.)
Mais le Présocratique que je préfère est celui dont le nom est perdu et dont le seul texte connu, au travers d’une citation incomplète, est l’adverbe “kaï” (“et” en grec). Je sors du sujet, c’est l’effet de l’âge.
Donc, du rapport problématique entre l’humain et l’inhumain, il y a, depuis longtemps.
Bien supporté, c’est une autre affaire. Vaudrait mieux s’en débarrasser. Ce que fait Protagoras, cité par Platon, dans le Protagoras: « L'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas.» Dans la deuxième partie de la proposition (qui dans son ensemble a fait l’objet d’innombrables interprétations dont je vous fais grâce), le germe du déni pointe son nez. L’humain décidera souverainement du sort de l’inhumain. À commencer qu’il n’existe pas.
Dès lors, qui aborde l’inhumain sent métaphoriquement et anachroniquement le fagot. Ainsi Lucrèce dont j’apprécie infiniment le De natura rerum, vulgarisateur d’Épicure et en un sens de Démocrite, lui-même continuateur de Leucippe et de l’Inhumain sait qui. Lucrèce, métaphysicien matérialiste athée, voudrait bien être physicien mais il n’a pas les outils pour. Et tout le temps, il ramène l’humain à une combinatoire de l’inhumain par excellence, des atomes, avec un peu de clinamen pour colle. Eh bien, ça ne lui réussit pas vraiment. Dans sa préface à la dernière édition De la Nature, proposée par Le Monde aux incultes, Roger-Pol Droit note: “dans l’Antiquité même, une certaine hostilité, peut-être une conspiration du silence, a entouré l’œuvre de Lucrèce…” (je vous renvoie à la suite que j’ai la flemme de recopier). Mais je retiens ceci:” Souvent mis à l’écart dans l’Antiquité, Lucrèce l’a été plus encore à partir du moment où le christianisme a triomphé. Sa manière de magnifier la nature, de refuser la religion et de glorifier le corps paraît véritablement insupportable. Au point qu’on l’a, très probablement pour cette raison, accusé de folie. Un long oubli a marqué ensuite l’histoire du texte. Un seul exemplaire du poème aurait survécu au Moyen-äge.”
Coup de pot. Un.
Bref, je vous en passe et des meilleures, l’humain n’aime pas trop l’inhumain et qu’on le lui rappelle. Or c’est ce que fait la science et son improbable sous-produit, la science-fiction. Depuis fort longtemps, la quasi-totalité des humains vivent et pensent dans ce que j’appelle l’humanière, croisement de mots entre la fourmilière et la tanière. Très peu en sortent pour se confronter à l’inhumain, les cultivateurs, les pêcheurs et les scientifiques. Quelques hors-piste aussi à qui ça réussit mal en général.
La quasi-totalité de l’humanité ne sort jamais de l’humanière, et ce qu’elle appelle littérature ne traite que de l’humanière. Ce qui en déborde ne mérite ni attention ni intérêt ni respect.
Je réponds tout de suite à l’objection facile de quelques uns, dont Ocle Joe, comme quoi nous admettons facilement dans l’humanière des produits de la plus haute technologie, de la brouette au téléphone portable: ils sont aussitôt domestiqués comme ces animaux que Lacan appelle “d’hommestiques” (c’est fou ce que ce fil me pousse à citer Lacan alors que je ne suis pas du tout Lacanien). Ces produits sont rapidement animinisés (voir plus haut); ils ont été conçus ou adaptés pour devenir négociables, moyens ou objets du négoce. Mais l’inhumain, le vrai, celui qu’affrontent ceux qui sortent de l’humanière, et en particulier les chercheurs scientifiques, demeure féroce en ce qu’il reste, au moins provisoirement, indomptable. Toute démarche scientifique est avant toute chose, une excursion hors de l’humanière. Voir un poil plus bas.
Dans Le Monde des Religions: Dieu et la science (janvier février 2010) Jean-Claude Ameisen, médecin et biologiste,par ailleurs spécialiste de l’apoptose, autrement dit de la mort locale ce qui touche à l’inhumain, note, page 46, “Les sciences d’aujourd’hui sont riches du manque des recherches à venir. Et tout espoir que la recherche fera demain de grandes découvertes est d’abord affirmation de la certitude d’un manque.” On pourrait dire précisément de la science-fiction qu’elle est la littérature de ce manque. Et, page 48, il ajoute: “ “Ce qui n’est pas entouré incertitude ne peut être la vérité”, disait le physicien Richard Feynman, prix Nobel de physique en 1965. “C’est dans l’ombre de cette incertitude que peut persister la sensation d’un manque sans lequel il n’est pas d’émerveillement. Pas de questionnement. Pas de véritable respect.” Certes, je sollicite ici un peu le texte en l’extrayant de son contexte mais ce questionnement, cet émerveillement, ce respect, c’est par extension ce dont la science-fiction est, plus ou moins habilement, une traduction poétique. (Je recommande aussi de lire le Magazine Littéraire de janvier consacré à Spinoza et son enquête: Le retour de la métaphysique.)
Sur la sortie de l’humanière, je citerai un auteur avec lequel je me sens rarement en confidence, Damasio, sauf ici dans un entretien sur le Cafard Cosmique, lorsqu’il dit: ”L’humanité s’est construite et élevée dans et par le combat contre le hors-humain, par les rapports tissés avec ce hors-humain aussi - et c’est ce combat qui aujourd’hui s’efface. Dans un monde anthropisé, l’énergie n’a plus de point d’application. Elle se retourne contre elle-même. Il n’y a plus de chaos extérieur où puiser ses forces et duquel apprendre. Le dehors, les dehors, sont devenus une zone. Notre jeunesse se construit dans Second Life, dans des univers virtuels ultrariches mais autogénérés et infiniment trop humains. Il n’y a plus de dehors. Les fenêtres ouvrent toujours sur d’autres salles et d’autres fenêtres.”
Et c’est pourquoi le terme d’altérité, proposé en substitution de ce que je nomme l’inhumain, me gène. Il affaiblit, amollit, l’hostilité indifférente de l’inhumain. L’altérité, pour moi du moins, suppose un autre, même si c’est le grand Autre (voire celui de Lacan,(encore?)), auquel on peut prêter de l’intention, y compris celle de discuter, de négocier, qu’on peut implorer, supplier, qui attend des sacrifices, etc. Il y a de cela certes dans les thèmes de l’extraterrestre et du robot. Mais dans sa radicalité, la science-fiction va beaucoup plus loin. Ainsi dans ce que pose Stanislas Lem à la fois dans Solaris et dans L’Invincible où il y a peut-être une intelligence autre mais avec laquelle la négociation n’a pas de sens, le dialogue est impossible. S’agit-il encore d’une altérité en dehors du fantasme d’une intelligibilité d’un inconnu?
L’altérité de l’escherichia coli en vadrouille hors du côlon me laisse perplexe. Qu’en pense Bull? Et je considère que le romantisme de la Traviata aurait cédé devant un bon antibiotique. Elle aurait déçu son amant et serait morte soixante-dix ans plus tard d’un Alzheimer à moins que le professeur Baulieu ne soit sur la bonne piste.
L’altérité peut certes être considérée comme une face de la science-fiction, celle au fond la plus aisément acceptable par ses détracteurs et dénieurs, mais elle n’en est pas le terme.
Faisant écho à ma réflexion, Oncle Joe suggère, indépendamment de mes propres conclusions qu’il ignorait, que l’on pourrait ordonner les œuvres de science-fiction selon un axe allant de l’humanité à l’inhumanité qui définirait assez bien leur acceptabilité par le vulgum pecus ou l’académédiaticien. C’est là, en gros et en détail car je crois plus aux continuums qu’au binaire, où je voulais aller, et j’y reviendrai dans mes conclusions provisoires ultérieures. Sur cet axe vous pouvez enfiler ce que vous voudrez. Vous verrez que ça marche très bien, avec à un bout Les Chroniques Martiennes ou La Route et, à l’autre, provisoirement et pour faire vite, Benford ou Greg Egan ou Les virus ne parlent pas, et évidemment le sublime Alfred Elton Van Vogt.
Donc, l’inhumain, à côté du mythe de l’unité de la littérature, de la science et de l’avenir, me semble un puissant facteur, au demeurant plus ancien et plus général que les autres, de déni et de rejet de la science-fiction. Non qu’il les supprime ou les remplace mais parce qu’il les recoupe et par plus d’un côté les englobe.
(À suivre)
(Il y a des tas d’autres choses que je voulais dire mais je les ai oubliées. Peut-être qu’elles me reviendront. Il vous reste à l’espérer ou à le déplorer.)
Concernant le rapport hautement conflictuel entre l’humain et l’inhumain, commençons simplement par le commencement, il y a quelques dizaines voire centaines de milliers d’années. Suivant en cela l’exemple de notre Maître Rosny Aîné.
Il y a donc, par hypothèse simplifiante, cent mille ans, l’humain, extrait de la nature (ce dont mon maître le chat Aurore ne parvient pas à se convaincre) et en somme chassé du Paradis, qui s’aperçut qu’avec l’humain on pouvait négocier, pas voie de grognements ou de dépuç(el)age ou plus sérieusement à l’aide d’une pierre convenablement taillée, mais que pour le reste ça pouvait être à l’occasion agréable (rarement) mais le plus souvent conflictuel. Il est difficile de séduire un ours ou un machaidorus, une baie vénéneuse, ou même un lièvre ou un mammouth quand on a un petit creux. Quant à un orage, un éboulement, une inondation, niet. Sans parler de l’épidémie. Ça dit non. C’est du réel. Le feu en fait partie. Ça peut faire très mal, mais ça s’utilise aussi. C’est le début de la technologie. Avec la massue: voir 2001.
Alors, cet humain, histoire de réduire l’inhumain à de l’altérité (je reviendrai sur ce terme qui n’est pas synonyme du précédent) inventa quelque chose d’extraordinaire: d’étendre sa théorie de l’esprit à de l’inhumain et de prêter de l’intention ou de l’intentionnalité (je laisse aux philosophes sourcilleux qui hantent ce fil le droit de choisir) à cet inhumain teigneux. Dans un premier temps (enfin, c’est à voir), cela s’appelle l’animisme qui est quelque chose de très bien et de très intéressant comme me le dit un jour mon ami et mentor, hélas disparu, Pierre Fédida qui pensait écrire là-dessus ce que l’inhumain ne lui a pas laissé le temps de faire.
Puis dans un second temps, l’animisme fit place à la création des dieux qui ont le mérite de spécifier un peu les choses, en particulier si l’on considère avec Robert Graves la généalogie des dieux grecs, de faire la part des choses entre l’inhumain extérieur à l’humain et l’inhumain dans l’humain (ce que nous appellerions aujourd’hui les passions ou l’inconscient; je vous épargnerai ici un cours détaillé mais je peux le donner en privé, par exemple à Draco qui n’en a sans doute ni le besoin ni le désir.)
Et enfin au dieu monothéiste qui, en plus d’un sens, rétablit la frontière entre l’humain et l’inhumain tout en supposant intentionnalité et possible dialogue, et peut-être inaccessible Réel. Tout ça permet de renvoyer à des spécialistes la question désagréable des rapports entre l’humain (avec qui on peut éventuellement négocier) et l’inhumain (plus coriace). Mais vachement fascinant. Pour certains. Qui parviennent même à en faire du blé (métaphore typique du post-néolithique), par exemple les prêtres et les psychanalystes. Voire les scientifiques qui constituent une catégorie nettement à part. Nettement moins les auteurs de science-FICTION (sans doute à cause du terme en capitale).
Donc, disais-je, les interrogations sur l’inhumain sont anciennes. Sautons quelques millénaires.
Par exemple chez les Présocratiques. Je partageais avec le défunt Emmanuel Jouanne, trop tôt disparu, victime de l’inhumain et qui en a donné quelque expression dans sa prose d’une froideur parfaite, le goût, voire la passion des présocratiques. Il y a chez eux plein d’idées de science-fiction, même si n’étant pas Versins, je ne les annexerai pas. Et je recommande à tout auteur ou prétendu de cette chapelle, de les lire et de les méditer.
Ainsi Xouthos qui, vu par Aristote, écrit:
“Certains croient que l’existence du rare et du dense rend manifeste celle du vide: de fait, s’il n’existait ni rare ni dense, il ne pourrait, selon eux, y avoir ni contraction ni compression. Or, sans ces phénomènes, ou bien il n’y aura plus aucun mouvement, ou bien le monde ondulera pour reprendre les mots de Xouthos.”
Ou, lu par Simplicius:
“Selon le pythagoricien Xouthos, (le monde) s’enflera, puis diminuera, toujours davantage, comme la mer qui, en vagues ondulantes, vient recouvrir les rivages de ses débordements.” (Pléiade, page 446.)
Le susdit Xouthos avait anticipé certains développements de la théorie du Big Bang sur l’avant et l’après.
Mais côté technologies étranges, ce n’est pas mal non plus. Ainsi chez Aulu-Gelle qui cite Favorinus:
“L’invention dont la tradition attribue au pythagoricien Archytas la construction ne doit pas moins nous étonner, même si elle peut paraître frivole (souligné par moi). La plupart des auteurs grecs les plus connus et le philosophe Favorinus, grand amateur d’antiquités, rapportent en effet, de la manière la plus formelle; qu’une colombe en bois, construite par Archytas, selon certains calculs et principes mécaniques, avait volé. C’est vraisemblablement par un système de contrepoids qu’elle tenait en l’air, et par la pression de l’air enfermé caché à l’intérieur qu’elle avançait. Qu’on me permette sur un fait, ma foi, si peu croyable de citer Favorinus lui-même: “Archytas de Tarente, à la fois philosophe et mécanicien, fabriqua une colombe en bois qui volait, (mais qui), une fois qu’elle s’était posée, ne pouvait reprendre son essor. Jusque là en effet…” (Pléiade, page 524.)
Mais le Présocratique que je préfère est celui dont le nom est perdu et dont le seul texte connu, au travers d’une citation incomplète, est l’adverbe “kaï” (“et” en grec). Je sors du sujet, c’est l’effet de l’âge.
Donc, du rapport problématique entre l’humain et l’inhumain, il y a, depuis longtemps.
Bien supporté, c’est une autre affaire. Vaudrait mieux s’en débarrasser. Ce que fait Protagoras, cité par Platon, dans le Protagoras: « L'homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont ; de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas.» Dans la deuxième partie de la proposition (qui dans son ensemble a fait l’objet d’innombrables interprétations dont je vous fais grâce), le germe du déni pointe son nez. L’humain décidera souverainement du sort de l’inhumain. À commencer qu’il n’existe pas.
Dès lors, qui aborde l’inhumain sent métaphoriquement et anachroniquement le fagot. Ainsi Lucrèce dont j’apprécie infiniment le De natura rerum, vulgarisateur d’Épicure et en un sens de Démocrite, lui-même continuateur de Leucippe et de l’Inhumain sait qui. Lucrèce, métaphysicien matérialiste athée, voudrait bien être physicien mais il n’a pas les outils pour. Et tout le temps, il ramène l’humain à une combinatoire de l’inhumain par excellence, des atomes, avec un peu de clinamen pour colle. Eh bien, ça ne lui réussit pas vraiment. Dans sa préface à la dernière édition De la Nature, proposée par Le Monde aux incultes, Roger-Pol Droit note: “dans l’Antiquité même, une certaine hostilité, peut-être une conspiration du silence, a entouré l’œuvre de Lucrèce…” (je vous renvoie à la suite que j’ai la flemme de recopier). Mais je retiens ceci:” Souvent mis à l’écart dans l’Antiquité, Lucrèce l’a été plus encore à partir du moment où le christianisme a triomphé. Sa manière de magnifier la nature, de refuser la religion et de glorifier le corps paraît véritablement insupportable. Au point qu’on l’a, très probablement pour cette raison, accusé de folie. Un long oubli a marqué ensuite l’histoire du texte. Un seul exemplaire du poème aurait survécu au Moyen-äge.”
Coup de pot. Un.
Bref, je vous en passe et des meilleures, l’humain n’aime pas trop l’inhumain et qu’on le lui rappelle. Or c’est ce que fait la science et son improbable sous-produit, la science-fiction. Depuis fort longtemps, la quasi-totalité des humains vivent et pensent dans ce que j’appelle l’humanière, croisement de mots entre la fourmilière et la tanière. Très peu en sortent pour se confronter à l’inhumain, les cultivateurs, les pêcheurs et les scientifiques. Quelques hors-piste aussi à qui ça réussit mal en général.
La quasi-totalité de l’humanité ne sort jamais de l’humanière, et ce qu’elle appelle littérature ne traite que de l’humanière. Ce qui en déborde ne mérite ni attention ni intérêt ni respect.
Je réponds tout de suite à l’objection facile de quelques uns, dont Ocle Joe, comme quoi nous admettons facilement dans l’humanière des produits de la plus haute technologie, de la brouette au téléphone portable: ils sont aussitôt domestiqués comme ces animaux que Lacan appelle “d’hommestiques” (c’est fou ce que ce fil me pousse à citer Lacan alors que je ne suis pas du tout Lacanien). Ces produits sont rapidement animinisés (voir plus haut); ils ont été conçus ou adaptés pour devenir négociables, moyens ou objets du négoce. Mais l’inhumain, le vrai, celui qu’affrontent ceux qui sortent de l’humanière, et en particulier les chercheurs scientifiques, demeure féroce en ce qu’il reste, au moins provisoirement, indomptable. Toute démarche scientifique est avant toute chose, une excursion hors de l’humanière. Voir un poil plus bas.
Dans Le Monde des Religions: Dieu et la science (janvier février 2010) Jean-Claude Ameisen, médecin et biologiste,par ailleurs spécialiste de l’apoptose, autrement dit de la mort locale ce qui touche à l’inhumain, note, page 46, “Les sciences d’aujourd’hui sont riches du manque des recherches à venir. Et tout espoir que la recherche fera demain de grandes découvertes est d’abord affirmation de la certitude d’un manque.” On pourrait dire précisément de la science-fiction qu’elle est la littérature de ce manque. Et, page 48, il ajoute: “ “Ce qui n’est pas entouré incertitude ne peut être la vérité”, disait le physicien Richard Feynman, prix Nobel de physique en 1965. “C’est dans l’ombre de cette incertitude que peut persister la sensation d’un manque sans lequel il n’est pas d’émerveillement. Pas de questionnement. Pas de véritable respect.” Certes, je sollicite ici un peu le texte en l’extrayant de son contexte mais ce questionnement, cet émerveillement, ce respect, c’est par extension ce dont la science-fiction est, plus ou moins habilement, une traduction poétique. (Je recommande aussi de lire le Magazine Littéraire de janvier consacré à Spinoza et son enquête: Le retour de la métaphysique.)
Sur la sortie de l’humanière, je citerai un auteur avec lequel je me sens rarement en confidence, Damasio, sauf ici dans un entretien sur le Cafard Cosmique, lorsqu’il dit: ”L’humanité s’est construite et élevée dans et par le combat contre le hors-humain, par les rapports tissés avec ce hors-humain aussi - et c’est ce combat qui aujourd’hui s’efface. Dans un monde anthropisé, l’énergie n’a plus de point d’application. Elle se retourne contre elle-même. Il n’y a plus de chaos extérieur où puiser ses forces et duquel apprendre. Le dehors, les dehors, sont devenus une zone. Notre jeunesse se construit dans Second Life, dans des univers virtuels ultrariches mais autogénérés et infiniment trop humains. Il n’y a plus de dehors. Les fenêtres ouvrent toujours sur d’autres salles et d’autres fenêtres.”
Et c’est pourquoi le terme d’altérité, proposé en substitution de ce que je nomme l’inhumain, me gène. Il affaiblit, amollit, l’hostilité indifférente de l’inhumain. L’altérité, pour moi du moins, suppose un autre, même si c’est le grand Autre (voire celui de Lacan,(encore?)), auquel on peut prêter de l’intention, y compris celle de discuter, de négocier, qu’on peut implorer, supplier, qui attend des sacrifices, etc. Il y a de cela certes dans les thèmes de l’extraterrestre et du robot. Mais dans sa radicalité, la science-fiction va beaucoup plus loin. Ainsi dans ce que pose Stanislas Lem à la fois dans Solaris et dans L’Invincible où il y a peut-être une intelligence autre mais avec laquelle la négociation n’a pas de sens, le dialogue est impossible. S’agit-il encore d’une altérité en dehors du fantasme d’une intelligibilité d’un inconnu?
L’altérité de l’escherichia coli en vadrouille hors du côlon me laisse perplexe. Qu’en pense Bull? Et je considère que le romantisme de la Traviata aurait cédé devant un bon antibiotique. Elle aurait déçu son amant et serait morte soixante-dix ans plus tard d’un Alzheimer à moins que le professeur Baulieu ne soit sur la bonne piste.
L’altérité peut certes être considérée comme une face de la science-fiction, celle au fond la plus aisément acceptable par ses détracteurs et dénieurs, mais elle n’en est pas le terme.
Faisant écho à ma réflexion, Oncle Joe suggère, indépendamment de mes propres conclusions qu’il ignorait, que l’on pourrait ordonner les œuvres de science-fiction selon un axe allant de l’humanité à l’inhumanité qui définirait assez bien leur acceptabilité par le vulgum pecus ou l’académédiaticien. C’est là, en gros et en détail car je crois plus aux continuums qu’au binaire, où je voulais aller, et j’y reviendrai dans mes conclusions provisoires ultérieures. Sur cet axe vous pouvez enfiler ce que vous voudrez. Vous verrez que ça marche très bien, avec à un bout Les Chroniques Martiennes ou La Route et, à l’autre, provisoirement et pour faire vite, Benford ou Greg Egan ou Les virus ne parlent pas, et évidemment le sublime Alfred Elton Van Vogt.
Donc, l’inhumain, à côté du mythe de l’unité de la littérature, de la science et de l’avenir, me semble un puissant facteur, au demeurant plus ancien et plus général que les autres, de déni et de rejet de la science-fiction. Non qu’il les supprime ou les remplace mais parce qu’il les recoupe et par plus d’un côté les englobe.
(À suivre)
(Il y a des tas d’autres choses que je voulais dire mais je les ai oubliées. Peut-être qu’elles me reviendront. Il vous reste à l’espérer ou à le déplorer.)
Modifié en dernier par Gérard Klein le mer. janv. 27, 2010 6:52 pm, modifié 5 fois.
Mon immortalité est provisoire.
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Tout cela est simplement faux. J'ai le livre sous les yeux et il est accessible sur Internet à l'adresse indiquée sur mon mail précédent, le total en remontant un peu. En ce qui nous concerne, la confusion est totale entre science-fiction, fantasy, horreur et bit-lit plus je ne sais quoi. Bref, l'imaginaire au sens de la Ligue de. La Sf n'est pas ou plus populaire comme espèce littéraire et ce sont ses collections présumées populaires qui ont disparu en premier.Erion a écrit :Le livre qui en traite, explique précisément tout ça, et il est disponible dans n'importe quelle librairie. Ca explique pourquoi la SF comme genre est très populaire, alors que la SF littéraire se vend mal. Ce qui était le point.Gérard Klein a écrit :Les malheureux,Le_navire a écrit :Gérard, dépêche-toi, sinon on les retrouve tous bourrés au Lagulavin avant demain.
c'est qu'ils ne connaissent pas le whisky japonais Yamazaki single malt 12 ans.
Incidemment et ça n'a rien à voir, le rapport 2009 sur les pratiques culturelles des Français me semble sans intérêt et mal fait. Il met par exemple dans le même sac SF, fantasy, bit lit et dieu sait quoi, ce qui "explique" une statistique totalement aberrante. C'est le fourre-tout érigé en méthodologie.
Voir:
http://www.pratiquesculturelles.culture ... 2-Q64C.pdf
Que les éditeurs ne sachent pas capter le public potentiel de la SF, c'est le problème des éditeurs, mais niveau attractivité et popularité, la SF se porte très bien.
Maintenant, que Stéphanie Meyer, Dan Brown, Marc Lévy (dans sa dernière mouture sf hétéroclite), Bernard Werber et Harry Potter qui sont compris dans cet agrégat, marchent très bien, je n'en doute pas.
Je me suis toujours refusé à donner une définition de la sf mais là, vois-tu, j'ai un doute sur la nature de ces écrits.
Enfin, Werber, je veux bien. Hélas comme disait Gide de Hugo.
Je maintiens que ce travail n'est pas sérieux au regard d'un sociologue un peu compétent, et je parle de l'ensemble du livre et pas seulement de notre micro-milieu.
Il est hélas bien connu que le Ministère de la culture se fout complètement de la culture.
Mon immortalité est provisoire.
Alerté de l'existence d'un message divin me concernant, je reviens brièvement en ces lieux le temps d'une courte réponse :
L'habitat naturel du Escherichia coli est le tube digestif. Comme nous l'avons détaillé (je ne parle pas de moi à la première personne du pluriel, de nos jours les travaux scientifiques ne sont quasiment jamais plus l'affaire d'une seule personne) dans un papier qui sortira dans Nature en Mars prochain, il y vit en symbiose avec son hôte, notamment quand il s'agit de l'Homme. Pourtant, il existe des circonstances où E. coli sort du tube digestif, des moments comme écrit plus haut où "il part en vadrouille hors du côlon".
Par exemple lorsqu'il y a une rupture de la paroi digestive et que tous les germes qui y vivent normalement en symbiose avec l'hôte, se retrouvent dans l'espace péritonéale. Il y a alors ce qu'on appelle une péritonite.
Quel est alors le devenir de ces germes en vadrouille ?
Et bien la plupart seront pris en charge par les mécanismes de défenses de l'hôte, notamment via la phagocytose (en gros, les "méchantes bactéries sont mangées par les gentils globules blancs".)
Et après tout rentre dans l'ordre, le péritoine se nettoie petit à petit et hop, l'Homme recommence à vivre en paix et en synergie avec ses bactéries commensales.
Oui.
Sauf que il y a Escherichia coli.
Comme nous l'avons publié (Nature, Novembre 2007), le E. coli en vadrouille ne va pas réagir de la même manière que ses petit copains.
Pour rentrer un peu dans le détail, E. coli a la particularité d'être capable de se lier au FCgammaRIII, ou CD16 qui se trouve à la surface des cellules dont nous nous servons pour la phagocytose dont je parlais ci-dessus. Cette liaison va déclencher la phosphorylation du FcRgamma,la dephosphorylation des PI3kinases, le recrutement de la phosphatase SHP-1 puis la régulation négative du scavenger recepteur MARCO.
Aboutissant comme vous l'avez bien sûr compris, à l'inhibition de la phagocytose et à la survie de E. coli qui va pouvoir aller dans le sang de son hôte.
Vous devez donc penser que E. coli s'en sort mieux que les autres bactéries.
Et bien non.
Car cette inhibition de la phagocytose par les E. coli aboutit certes à très court terme à la survie de ces derniers hors du tube digestif. Mais à moyen terme, cette survie des E. coli hors de leur habitat naturel, ce côte vagabond de E. coli hors de son colon, aboutit à la mort de son hôte et donc aussi de tous les E. coli commensaux restés dans le tube digestif.
Donc pour moi, bravo Mr/Mme Eschrichia coli. A force de vouloir faire reconnaitre à tout prix votre altérité par votre hôte, y compris lorsque vous vagabondez hors de votre colon et bien vous avez réussi. Votre hôte vous reconnait votre droit à la différence. Il ne vous attaque plus. Et du coup... tout le monde en est mort. Vous y compris.
Du danger de l'altérité. Comme écrit plus haut, je vous laisse libre d'interpréter cela comme bon vous semble.
La question est complexe. L'interprétation de l'explication qui va suivre est entièrement ouverte.Dieu Lui-Même a écrit :L’altérité de l’escherichia coli en vadrouille hors du côlon me laisse perplexe. Qu’en pense Bull?
L'habitat naturel du Escherichia coli est le tube digestif. Comme nous l'avons détaillé (je ne parle pas de moi à la première personne du pluriel, de nos jours les travaux scientifiques ne sont quasiment jamais plus l'affaire d'une seule personne) dans un papier qui sortira dans Nature en Mars prochain, il y vit en symbiose avec son hôte, notamment quand il s'agit de l'Homme. Pourtant, il existe des circonstances où E. coli sort du tube digestif, des moments comme écrit plus haut où "il part en vadrouille hors du côlon".
Par exemple lorsqu'il y a une rupture de la paroi digestive et que tous les germes qui y vivent normalement en symbiose avec l'hôte, se retrouvent dans l'espace péritonéale. Il y a alors ce qu'on appelle une péritonite.
Quel est alors le devenir de ces germes en vadrouille ?
Et bien la plupart seront pris en charge par les mécanismes de défenses de l'hôte, notamment via la phagocytose (en gros, les "méchantes bactéries sont mangées par les gentils globules blancs".)
Et après tout rentre dans l'ordre, le péritoine se nettoie petit à petit et hop, l'Homme recommence à vivre en paix et en synergie avec ses bactéries commensales.
Oui.
Sauf que il y a Escherichia coli.
Comme nous l'avons publié (Nature, Novembre 2007), le E. coli en vadrouille ne va pas réagir de la même manière que ses petit copains.
Pour rentrer un peu dans le détail, E. coli a la particularité d'être capable de se lier au FCgammaRIII, ou CD16 qui se trouve à la surface des cellules dont nous nous servons pour la phagocytose dont je parlais ci-dessus. Cette liaison va déclencher la phosphorylation du FcRgamma,la dephosphorylation des PI3kinases, le recrutement de la phosphatase SHP-1 puis la régulation négative du scavenger recepteur MARCO.
Aboutissant comme vous l'avez bien sûr compris, à l'inhibition de la phagocytose et à la survie de E. coli qui va pouvoir aller dans le sang de son hôte.
Vous devez donc penser que E. coli s'en sort mieux que les autres bactéries.
Et bien non.
Car cette inhibition de la phagocytose par les E. coli aboutit certes à très court terme à la survie de ces derniers hors du tube digestif. Mais à moyen terme, cette survie des E. coli hors de leur habitat naturel, ce côte vagabond de E. coli hors de son colon, aboutit à la mort de son hôte et donc aussi de tous les E. coli commensaux restés dans le tube digestif.
Donc pour moi, bravo Mr/Mme Eschrichia coli. A force de vouloir faire reconnaitre à tout prix votre altérité par votre hôte, y compris lorsque vous vagabondez hors de votre colon et bien vous avez réussi. Votre hôte vous reconnait votre droit à la différence. Il ne vous attaque plus. Et du coup... tout le monde en est mort. Vous y compris.
Du danger de l'altérité. Comme écrit plus haut, je vous laisse libre d'interpréter cela comme bon vous semble.
je ne peux pas m'empêcher de rebondir sur une si jolie parenthèse biologique...
Mes compétences en microbiologies sont certes moins pointues et plus généralistes que ce qui vient d'être énoncé, mais quand bien même Escherichia coli a une stratégie d'évitement de la phagocytose originale, il (ou elle ?) présente de façon ostentatoire à sa surface un super-antigène, le LPS, qui entraîne dès son accumulation dans le sang une activation débridée du système immunitaire !
S'en suit le choc septique avec effondrement de la pression sanguine, CIVD, collapsus vasculaire... et la mort de l'hôte !
Ce que je veux dire, c'est que malgré la petite fantaisie que s'autorise le bacille, c'est bien son caractère ostensiblement "autre" qui fait réagir l'hôte, et c'est bien la réaction disproportionnée de l'hôte... qui tue tout le monde.
D'autre part, j'avais sans doute compris de travers la "vadrouille hors du côlon" initialement mentionnée par GK : je pensais aux Escherichia coli qui s'autorisent une excursion dans les eaux contaminées par des matières fécales, Escherichia coli entéro-pathogènes ou entérotoxiques (ECEP ou ECET), qui lorsqu'elles se retrouvent dans l'eau de boisson sont responsables à la fois de la tourista occasionnelle et (plus tragiquement) d'une part importante de la mortalité infantile dans les pays pauvres.
Ce qui n'est pas "autre" pour un individu (celui à l'origine de la contamination....) devient profondément inhumain et mortel pour un autre.
Tout ça me donne envie de parler de Listeria, de la syphillis et de la théorie endosymbiotique de Margulis. Pas nécessairement dans cet ordre. Mais rassurez-vous, je sais me retenir.
Mes compétences en microbiologies sont certes moins pointues et plus généralistes que ce qui vient d'être énoncé, mais quand bien même Escherichia coli a une stratégie d'évitement de la phagocytose originale, il (ou elle ?) présente de façon ostentatoire à sa surface un super-antigène, le LPS, qui entraîne dès son accumulation dans le sang une activation débridée du système immunitaire !
S'en suit le choc septique avec effondrement de la pression sanguine, CIVD, collapsus vasculaire... et la mort de l'hôte !
Ce que je veux dire, c'est que malgré la petite fantaisie que s'autorise le bacille, c'est bien son caractère ostensiblement "autre" qui fait réagir l'hôte, et c'est bien la réaction disproportionnée de l'hôte... qui tue tout le monde.
D'autre part, j'avais sans doute compris de travers la "vadrouille hors du côlon" initialement mentionnée par GK : je pensais aux Escherichia coli qui s'autorisent une excursion dans les eaux contaminées par des matières fécales, Escherichia coli entéro-pathogènes ou entérotoxiques (ECEP ou ECET), qui lorsqu'elles se retrouvent dans l'eau de boisson sont responsables à la fois de la tourista occasionnelle et (plus tragiquement) d'une part importante de la mortalité infantile dans les pays pauvres.
Ce qui n'est pas "autre" pour un individu (celui à l'origine de la contamination....) devient profondément inhumain et mortel pour un autre.
Tout ça me donne envie de parler de Listeria, de la syphillis et de la théorie endosymbiotique de Margulis. Pas nécessairement dans cet ordre. Mais rassurez-vous, je sais me retenir.
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"Il aura fallu des millions d'années à l'espèce humaine pour descendre des arbres et seulement dix de plus pour se mettre en vitrine." R. Powers
"Il aura fallu des millions d'années à l'espèce humaine pour descendre des arbres et seulement dix de plus pour se mettre en vitrine." R. Powers
Pour ce qui est des maladies, une chose est claire: elle sont d'une immense utilité à la création artistique. Là, je relisais la biographie d'Allan Pettersson, le célèbre symphoniste suédois (qui n'a pas à l'oreille les accords poignants de sa 7e symphonie (1968)?) Il ne fait aucun doute que la poliyarthrite rhumatoïde qui le déformait depuis les années 50 a été un puissant stimulant à sa créativité, relayant fort heureusement une enfance misérable (père alcoolique et violent, dans le sous-prolétariat suédois) dont les effets dopants aurait pu avoir tendance à s'estomper. Cerise sur le gâteau: une grave dégradation rénale provoquée par les effets secondaires de certains médicaments. Sans ces providentielles circonstances, on aurait, au mieux, quelques joyeuses ritournelles au lieu de cet intimidant massif de 16 symphonies. Le monde est mieux fait qu'on le croit souvent.Gérard Klein a écrit : L’altérité de l’escherichia coli en vadrouille hors du côlon me laisse perplexe. Qu’en pense Bull? Et je considère que le romantisme de la Traviata aurait cédé devant un bon antibiotique. Elle aurait déçu son amant et serait morte soixante-dix ans plus tard d’un Alzheimer à moins que le professeur Baulieu ne soit sur la bonne piste.
L’altérité peut certes être considérée comme une face de la science-fiction, celle au fond la plus aisément acceptable par ses détracteurs et dénieurs, mais elle n’en est pas le terme.
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le mer. janv. 27, 2010 2:17 pm, modifié 1 fois.
Non, il y a le rapport qui est accessible sur internet, et il y a un livre, qui est beaucoup plus détaillé, et qui n'est PAS sur internet. J'ai lu les deux, je sais bien qu'il y a des différences.Gérard Klein a écrit : Tout cela est simplement faux. J'ai le livre sous les yeux et il est accessible sur Internet à l'adresse indiquée sur mon mail précédent, le total en remontant un peu. En ce qui nous concerne, la confusion est totale entre science-fiction, fantasy, horreur et bit-lit plus je ne sais quoi. Bref, l'imaginaire au sens de la Ligue de. La Sf n'est pas ou plus populaire comme espèce littéraire et ce sont ses collections présumées populaires qui ont disparu en premier.
L'un des faits, c'est que la notion de "livre" est beaucoup moins précise dans la jeune génération que dans les générations plus agées (c'est du déclaratif, je rappelle). Ce qui explose les compteurs. Le "genre" SF est populaire, fondamentalement. Mais les éditeurs ne savent pas en tirer parti, pour tout un tas de raisons, qui ne sont pas à détailler.
D'autre part, ce que l'étude montre, c'est l'évolution, et surtout l'évolution de la population cadre et diplômés, qui lisent de moins en moins, regardent la télé de moins en moins, lisent de moins en moins de journaux, et se dirigent de plus en plus vers internet. Ca devrait quand même un peu modifier votre approche de la promotion des livres, mais il semble que non (sans doute parce que vous vendez trop, pourquoi changer une méthode qui a du succès ?)
Autant dire, des gens qui, à terme, ne liront plus les quotidiens pour s'informer de ce qui se publie, et n'iront plus en librairie. (Déjà, même dans les années 90, c'est pas les quotidiens, ou les bibliothèques, qui m'ont fait acheter de la SF)
Et il vaut mieux une étude imparfaite, que des études doigt mouillé qui datent d'Hérode (parce que même 10 ans en arrière, ca ne tient pas compte des évolutions énormes depuis 3-4 ans).
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/
http://melkine.wordpress.com/
Sylvaner, si tu veux que je te réponde plus en détail, ouvre un sujet dans la section "science du forum".Sylvaner a écrit :je ne peux pas m'empêcher de rebondir sur une si jolie parenthèse biologique...
Mes compétences en microbiologies sont certes moins pointues et plus généralistes que ce qui vient d'être énoncé, mais quand bien même Escherichia coli a une stratégie d'évitement de la phagocytose originale, il (ou elle ?) présente de façon ostentatoire à sa surface un super-antigène, le LPS, qui entraîne dès son accumulation dans le sang une activation débridée du système immunitaire !
S'en suit le choc septique avec effondrement de la pression sanguine, CIVD, collapsus vasculaire... et la mort de l'hôte !
Ce que je veux dire, c'est que malgré la petite fantaisie que s'autorise le bacille, c'est bien son caractère ostensiblement "autre" qui fait réagir l'hôte, et c'est bien la réaction disproportionnée de l'hôte... qui tue tout le monde.
D'autre part, j'avais sans doute compris de travers la "vadrouille hors du côlon" initialement mentionnée par GK : je pensais aux Escherichia coli qui s'autorisent une excursion dans les eaux contaminées par des matières fécales, Escherichia coli entéro-pathogènes ou entérotoxiques (ECEP ou ECET), qui lorsqu'elles se retrouvent dans l'eau de boisson sont responsables à la fois de la tourista occasionnelle et (plus tragiquement) d'une part importante de la mortalité infantile dans les pays pauvres.
Ce qui n'est pas "autre" pour un individu (celui à l'origine de la contamination....) devient profondément inhumain et mortel pour un autre.
Tout ça me donne envie de parler de Listeria, de la syphillis et de la théorie endosymbiotique de Margulis. Pas nécessairement dans cet ordre. Mais rassurez-vous, je sais me retenir.
Avant de relaisser les Actusfeux à leurs débats quelques rapides précisions quand même car il y a des imprécisions/erreurs dans les deux points que tu as soulevé.
-Oui, les conséquences dans les premières heures d'une bactérièmie à E. coli peuvent être dramatique (Cf. le tragique décès de Robert Holdstock).
Mais :
-LPS/TLR est tout sauf spécifique de E. coli. Et en amont, c'est la liaison avec le CD16 qui pemettra à E. coli et pas aux autres Gram négatifs du tube digestif de se retrouver dans le sang. Donc responsable initial du décès, E. coli et sa stratégie d'évitement pas l'hôte et sa réaction, secondaire, non spécifique, disproportionnée.
-Les sous-espèces de E. coli que tu cites (EPEC, ETEC) mais aussi EIEC, EHEC et cie, contrairement à ce que tu as écrit
sont aussi bien pathogènes pour le sujet à l'origine de la contamination et que pour les autres. Ce sont des E. coli pathogènes et pas commensaux.Ce qui n'est pas "autre" pour un individu (celui à l'origine de la contamination....) devient profondément inhumain et mortel pour un autre.
Bon ceci dit, je vous laisse vraiment là.
A+
Bull