Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Roland C. Wagner
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Message par Roland C. Wagner » mer. févr. 10, 2010 2:19 pm

Lensman a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Lem a écrit :Tu vois, Oncle ?
Roland, lui, sent très bien la différence.
Peut-être parce que je ne suis pas un fan.
Tu veux dire, comme Lem? (mais pas de la même manière…)
Pas bien compris ce que tu entends par là.

Ce que je veux dire, c'est que je me sens bien où je suis, en écrivant ce que j'écris, en lisant ce que je lis, en écoutant ce que j'écoute et en regardant avec commisération la société française s'enfoncer dans la bêtise, la méchanceté, la xénophobie et la réaction.

Je dis que je ne suis pas un fan parce que la science-fiction est loin d'être le seul domaine pour lequel j'éprouve un vif intérêt, et que je pense avoir un acquis avec le temps un certain recul par rapport au genre — sans pour autant prendre mes distances par rapport à lui.

C'est la science-fiction qui m'a donné envie d'écrire, et lorsque j'écris, ben j'écris de la science-fiction. Parce que je ne vois pas l'intérêt d'écrire autre chose, et aussi, sans doute, parce que je me sentirais à l'étroit à l'intérieur des règles, des codes et des canons de la Grande Littérature française.

Je ne suis pas un fan, mais j'appartiens à une tribu transnationale, une communauté cosmopolite éparpillée sur toute la planète ; je suis un salaud d'apatride qui, si on lui demandait de choisir entre la France et la science-fiction, choisirait cette dernière sans hésiter.

Mon père était un aviateur du IIIe Reich qui a durement gagné sa nationalité française en quinze années de Légion étrangère, ma mère était une institutrice pied-noir qui croyait que sa terre serait toujours une terre française.

Et la France leur a menti. Parce que la France est une menteuse. Parce que l'idée même de la France est un énorme mensonge, une fiction nationaliste dont les historiens vous parleront bien mieux que moi. Et la littérature française toute entière ou peu s'en faut est imprégnée de ce mensonge, d'une manière ou d'une autre.

La science-fiction, elle, ne ment pas. Parce qu'elle ne prétend pas dire la vérité.

S'il faut passer par la case littérature, ou philosophie, ou surréalisme, pour être "reconnu" dans ce pays, je préfère demeurer dans ma confortable pénombre de métèque de l'écriture.

Là, au moins, je me sens à ma place.
« Regarde vers Lorient / Là tu trouveras la sagesse. » (Les Cravates à Pois)

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Lem

Message par Lem » mer. févr. 10, 2010 2:44 pm

Lensman a écrit :Il faudrait que tu m'expliques mieux ce qu'est un "discours externaliste (non fan)", parce que je te soupçonne tout de même de ne pas être un très bon exemple de "non fan" même si tu revendiques, apparemment, cette non appartenance (en fait, je ne te crois pas)
Oh, je ne revendique pas. Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi – c'est juste arrivé. Autant assumer. Je me souviens parfaitement ce que c'est que d'être à l'intérieur de manière inconditionnelle ; je peux retrouver ce point de vue le cas échéant (si un crétin attaque le genre sans savoir de quoi il parle, par exemple). Mais ce point de vue n'est plus "naturellement" le mien.
Qu'est-ce qu'un authentique critique "externaliste (non fan)" sait de la SF, quand il s'attaque au problème?
Un authentique critique non-fan, je n'en sais rien. Il y a quelques textes de Houellebecq qui pourraient être de cet ordre mais je ne développe pas.

Je peux te dire quel type de discours non-fanique j'essaie de produire.

Je réduis pour les besoins de l'explication la littérature à la fiction (car, en France, l'essai, l'autobiographie, le journal et la critique sont aussi de la littérature) et je grossis tous les traits.

Le champ de la fiction littéraire française, depuis la fin du XIXème siècle (depuis la crise du naturalisme à laquelle Rosny a pris part) est, pour l'essentiel, scruté par la critique non pour ce qu'il raconte mais pour la façon dont il le raconte. Ceci est à rapporter au tournant linguistique évoqué dans la première partie du fil : après Nietzsche et Freud, tout est langage, y compris le sujet (le moi) qui n'est finalement qu'une "tour de contrôle grammaticale" – un néant qui se prend pour quelque chose (Nietzsche disait "une illusion d'optique" ; Max Jacob disait : "une erreur persistante"). Il est donc réputé "naïf" de raconter quelque chose comme si ça existait indépendamment du langage. L'attitude littéraire consiste au contraire à choisir un langage et à voir ce qu'on peut raconter avec. Les expériences de l'Oulipo – même si elles sont marginales et peu influentes – parachèvent cette attitude. Que prouve Perec dans La disparition sinon qu'on peut créer une histoire et un style juste en se privant d'un signe typographique ?

Dans cette optique, la SF ne peut pas être de la littérature car son usage du langage est naïvement naturaliste. Les objets qu'elle décrit sont censés "être là" et l'écriture les saisir de manière purement utilitaire.

Mais à partir du moment où on peut décrire les inventions de la SF aussi comme des opérations sur le langage, à partir du moment où on peut montrer que ces opérations pèsent sur la façon d'écrire (cf Card et la restriction sur l'usage des métaphores dans le texte SF), on réinscrit aussitôt le genre dans la littérature. Evidemment, pour que ça marche, pour que ce ne soit pas un maquillage ou une manipulation, il faut montrer que cette redescription rend effectivement compte des textes. La réification n'est peut-être pas au point. Elle n'est peut-être pas complète. Elle n'est peut-être qu'une étape sur la voie d'une meileure théorie. Mais il y a quand même des éléments qui suggèrent que la piste est bonne. Et puis, en tant que telle et sans même passer par là, la SF a toujours manifesté un grand intérêt pour le langage (ne serait-ce que parce que la linguistique est une science). Elle est grande créatrice de néologismes, elle a une poétique propre ; le premier texte de SFF modene ne s'intitule-t-il pas Les Xipéhuz ? Le seul vrai texte de SF moderne de Verne n'a-t-il pas pour titre Edom ? Ces créations et distorsions sont des signes caractéristiques et ces signes appartiennent en propre à la littérature.

Au final, je crois qu'on devrait pouvoir, sans remettre en cause quoi que ce soit de son rapport à l'imaginaire scientifique et au travail des concepts, redécrire la SF comme une sorte de "littérature sauvage". Cest à dire une vraie littérature, au sens français du terme, caractérisée par un certain usage du langage – mais "sauvage" parce que de cet usage, elle n'a été jusqu'ici que semi-consciente, sur un plan essentiellement empirique.

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Lensman
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Message par Lensman » mer. févr. 10, 2010 2:46 pm

Roland C. Wagner a écrit :
Lensman a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Lem a écrit :Tu vois, Oncle ?
Roland, lui, sent très bien la différence.
Peut-être parce que je ne suis pas un fan.
Tu veux dire, comme Lem? (mais pas de la même manière…)
Pas bien compris ce que tu entends par là.

Ce que je veux dire, c'est que je me sens bien où je suis, en écrivant ce que j'écris, en lisant ce que je lis, en écoutant ce que j'écoute et en regardant avec commisération la société française s'enfoncer dans la bêtise, la méchanceté, la xénophobie et la réaction.
Il faut admettre que l'atmosphère, en France, ne ressemble pas trop à celle que l'on imaginerait favoriser la floraison de la SF, mais enfin, je ne pas du tout sûr que l'on puisse faire des relations de cause à effet à ce niveau…
Il vaudrait mieux parler de "connaisseur" que de "fan", le terme "fan" étant décidément immédiatement associé au côté "exclusif", ce qui est normal, vue son étymologie… Je crois d'ailleurs qu'il ne doit pas être facile de trouver tant de "fans" que cela correspondant au sens exclusif. En tout cas, ce n'est guère le cas des intervenants de ce forum, qui me semblent souvent avoir des sujets d'intérêts assez variés…
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Message par Fabien Lyraud » mer. févr. 10, 2010 2:51 pm

ais à partir du moment où on peut décrire les inventions de la SF aussi comme des opérations sur le langage, à partir du moment où on peut montrer que ces opérations pèsent sur la façon d'écrire (cf Card et la restriction sur l'usage des métaphores dans le texte SF), on réinscrit aussitôt le genre dans la littérature.
j'ai comme l'impression que tu t'évertues à décrire un objet 3d en utilisant des références linguistiques de la 2D. Donc ça ne marche pas. Tu parles du langage en te restreignant à la rhétorique et aux effets de style, à la syntaxe, au vocabulaire, bref aux mots. La langage c'est avant tout les signes. Si tu veux étudiez comment la SF se construit en tant qu'objet porteur de sens, il te faut intégrer la sémiotique et la sémiologie à ta réflexion. Parce que l'on ne peut se limiter aux mots. La sémiotique te sera indispensable pour étudier le rapport entre la fiction et la réalité consensuel et surtout quand tu essaieras de dégager des lois pour le fonctionnement du genre.
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Message par Roland C. Wagner » mer. févr. 10, 2010 2:52 pm

Lem a écrit :Que prouve Perec dans La disparition sinon qu'on peut créer une histoire et un style juste en se privant d'un signe typographique ?
Et voilà ce qui arrive quand on ne lève pas le nez du texte : on passe à côté de sa signification.
Lem a écrit :Au final, je crois qu'on devrait pouvoir, sans remettre en cause quoi que ce soit de son rapport à l'imaginaire scientifique et au travail des concepts, redécrire la SF comme une sorte de "littérature sauvage". Cest à dire une vraie littérature, au sens français du terme, caractérisée par un certain usage du langage – mais "sauvage" parce que de cet usage, elle n'a été jusqu'ici que semi-consciente, sur un plan essentiellement empirique.
Comme c'est beau. Merci à la littérature de permettre à la science-fiction de comprendre ce qu'elle fait.

Merci également de faire passer les auteurs de science-fiction pour des cons ne pigeant que dalle aux outils qu'ils emploient.

Tu dois être au moins ceinture marron de mépris, toi.

EDIT : aurtograffes.
Modifié en dernier par Roland C. Wagner le mer. févr. 10, 2010 2:54 pm, modifié 1 fois.
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Message par Roland C. Wagner » mer. févr. 10, 2010 2:53 pm

Lensman a écrit :Il vaudrait mieux parler de "connaisseur" que de "fan",
Toutafé.

Mais "fan", c'est plus efficace quand on veut rabaisser son interlocuteur, tu vois ?
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Message par Lem » mer. févr. 10, 2010 2:55 pm

Roland C. Wagner a écrit :Comme c'est beau. Merci à la littérature de permettre à la science-fiction de comprendre ce qu'elle fait.
Inutile de grimper aux rideaux. Je ne fais que reprendre le découpage repéré par JDB que tout le monde a, semble-t-il, approuvé :
D'un côté, la conjecture, les idées, les spéculations et un usage utilitaire et rationnel du langage à leur service.
De l'autre, le langage au premier plan, sous toutes ses facettes (poésie, métaphore, jeux, etc.).

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marypop
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Message par marypop » mer. févr. 10, 2010 3:05 pm

Suis-je la seule qui comprend différemment ce que disent Jo et Lem ?

Pour moi il y a une énorme différence entre dire
Je lis la SF comme le reste de la littérature
et dire
Je lis de la SF mais aussi des trucs pas SF, et éventuellement je ne lis pas les trucs hors SF avec une attitude de fan de SF
ce qui incidemment est complètement mon cas.
Si je lis de la SF j'ai une certaine attitude inconsciente, comme un peu tout le monde ici, voir les nombreux posts sur les interprétations littérales ou non de, par exemple, la démarche mécanique au sens métaphore ou cyber.
Si je lis autre chose je n'applique pas ce degré de lecture.

Edit : pour répondre plus directement au posts de Lem.
Cette attitude n'est évidemment pas contradictoire avec le fait de se poser des questions transverses SF/non SF. Et je ne comprends pas vraiment que tu corrèles les deux.
Modifié en dernier par marypop le mer. févr. 10, 2010 3:06 pm, modifié 1 fois.
si on commence à mélanger sf archaïque et proto-sf, personne ne s'y retrouvera plus.
Dieu.

Lem

Message par Lem » mer. févr. 10, 2010 3:06 pm

Fabien Lyraud a écrit :Si tu veux étudiez comment la SF se construit en tant qu'objet porteur de sens, il te faut intégrer la sémiotique et la sémiologie à ta réflexion. Parce que l'on ne peut se limiter aux mots. La sémiotique te sera indispensable pour étudier le rapport entre la fiction et la réalité consensuel et surtout quand tu essaieras de dégager des lois pour le fonctionnement du genre.
Comme toujours, j'apprécie ces conseils mais je rappelle a) que je suis écrivain professionnel avec les contraintes de temps que ça suppose – pas chercheur b) que je ne dirige par un laboratoire de littérature c) que ce travail se fait en solitaire d) que j'en assume la dimension subjective, éventuellement littéraire et/ou poétique justement parce qu'il m'est impossible de prendre en compte toutes les dimensions du phénomène. Il y a aussi une lecture politique, économique, scientifique, psychanalytique, anthropologique, historique, philosophique, picturale, cinématographique de la SF et j'en oublie sûrement. Je ne peux pas faire tout. Et encore moins attendre ce tout hypothétique pour commencer à écrire quelque chose. Je crée quelques liens inattendus, j'explore quelques pistes. A d'autres d'exploiter tout ça pour une vaste synthèse qui sera bienvenue.

Lem

Message par Lem » mer. févr. 10, 2010 3:16 pm

marypop a écrit :Edit : pour répondre plus directement au posts de Lem.
Cette attitude n'est évidemment pas contradictoire avec le fait de se poser des questions transverses SF/non SF. Et je ne comprends pas vraiment que tu corrèles les deux.
Il suffit de revenir à l'anthologie elle-même.
Oncle a été le premier à en faire la recension. Il a trouvé que tout était de la SF. Même la nouvelle de Ruellan, qu'il a défendue (probablement avec un demi-sourire mais ça n'a pas d'importance) comme "quasiment une nouvelle de hard science sur la mort" si je me souviens bien. Il a aussi perçu le poème en prose de David Calvo comme ne posant aucun problème car la présentation que j'en fais dans le livre a interposé entre lui et le texte l'écran nostalgique des vieux DC comics d'épouvante.
D'autres critiques ont dit : ces textes-là ne sont pas du tout de la science-fiction.
Qui a raison ?

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Lensman
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Message par Lensman » mer. févr. 10, 2010 3:20 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Il faudrait que tu m'expliques mieux ce qu'est un "discours externaliste (non fan)", parce que je te soupçonne tout de même de ne pas être un très bon exemple de "non fan" même si tu revendiques, apparemment, cette non appartenance (en fait, je ne te crois pas)
Oh, je ne revendique pas. Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi – c'est juste arrivé. Autant assumer. Je me souviens parfaitement ce que c'est que d'être à l'intérieur de manière inconditionnelle ; je peux retrouver ce point de vue le cas échéant (si un crétin attaque le genre sans savoir de quoi il parle, par exemple). Mais ce point de vue n'est plus "naturellement" le mien.
Qu'est-ce qu'un authentique critique "externaliste (non fan)" sait de la SF, quand il s'attaque au problème?
Un authentique critique non-fan, je n'en sais rien. Il y a quelques textes de Houellebecq qui pourraient être de cet ordre mais je ne développe pas.

Je peux te dire quel type de discours non-fanique j'essaie de produire.

Je réduis pour les besoins de l'explication la littérature à la fiction (car, en France, l'essai, l'autobiographie, le journal et la critique sont aussi de la littérature) et je grossis tous les traits.

Le champ de la fiction littéraire française, depuis la fin du XIXème siècle (depuis la crise du naturalisme à laquelle Rosny a pris part) est, pour l'essentiel, scruté par la critique non pour ce qu'il raconte mais pour la façon dont il le raconte. Ceci est à rapporter au tournant linguistique évoqué dans la première partie du fil : après Nietzsche et Freud, tout est langage, y compris le sujet (le moi) qui n'est finalement qu'une "tour de contrôle grammaticale" – un néant qui se prend pour quelque chose (Nietzsche disait "une illusion d'optique" ; Max Jacob disait : "une erreur persistante"). Il est donc réputé "naïf" de raconter quelque chose comme si ça existait indépendamment du langage. L'attitude littéraire consiste au contraire à choisir un langage et à voir ce qu'on peut raconter avec. Les expériences de l'Oulipo – même si elles sont marginales et peu influentes – parachèvent cette attitude. Que prouve Perec dans La disparition sinon qu'on peut créer une histoire et un style juste en se privant d'un signe typographique ?

Dans cette optique, la SF ne peut pas être de la littérature car son usage du langage est naïvement naturaliste. Les objets qu'elle décrit sont censés "être là" et l'écriture les saisir de manière purement utilitaire.

Mais à partir du moment où on peut décrire les inventions de la SF aussi comme des opérations sur le langage, à partir du moment où on peut montrer que ces opérations pèsent sur la façon d'écrire (cf Card et la restriction sur l'usage des métaphores dans le texte SF), on réinscrit aussitôt le genre dans la littérature. Evidemment, pour que ça marche, pour que ce ne soit pas un maquillage ou une manipulation, il faut montrer que cette redescription rend effectivement compte des textes. La réification n'est peut-être pas au point. Elle n'est peut-être pas complète. Elle n'est peut-être qu'une étape sur la voie d'une meileure théorie. Mais il y a quand même des éléments qui suggèrent que la piste est bonne. Et puis, en tant que telle et sans même passer par là, la SF a toujours manifesté un grand intérêt pour le langage (ne serait-ce que parce que la linguistique est une science). Elle est grande créatrice de néologismes, elle a une poétique propre ; le premier texte de SFF modene ne s'intitule-t-il pas Les Xipéhuz ? Le seul vrai texte de SF moderne de Verne n'a-t-il pas pour titre Edom ? Ces créations et distorsions sont des signes caractéristiques et ces signes appartiennent en propre à la littérature.

Au final, je crois qu'on devrait pouvoir, sans remettre en cause quoi que ce soit de son rapport à l'imaginaire scientifique et au travail des concepts, redécrire la SF comme une sorte de "littérature sauvage". Cest à dire une vraie littérature, au sens français du terme, caractérisée par un certain usage du langage – mais "sauvage" parce que de cet usage, elle n'a été jusqu'ici que semi-consciente, sur un plan essentiellement empirique.
Je comprends, je pense, ce que tu veux dire, et tu l'avais d'ailleurs déjà exprimé.
En effet, mon intérêt pour le langage n'est pas tel que j'éprouve le besoin de décortiquer les textes de fiction dans cette optique, et donc, forcément, je suis assez peu sensible (ce qui ne veut pas dire insensible) à ton approche.
Ce que je pense, c'est que mon attitude n'est pas nécessairement liée au fait que je sois un "fan" (ou un connaisseur). Quand je discute avec les gens qui lisent, et souvent des gens qui ne lisent pas de SF, je tombe rarement sur des interlocuteurs qui accordent une telle importance à ces aspects. J'ai nettement l'impression qu'il y une surestimation considérable de l'adhésion des lecteurs à ces idées, et je vais plus loin: je prétends même que beaucoup des fameux prescripteurs qui "dénient" la SF n'y connaissent, en fait, pas grand chose non plus.
Je vois peu d'enjeu dans cette entreprise, sauf dans le groupe restreint de personnes érudites que ça intéresse, mais dont l'influence sur la pratique de la lecture dans notre pays est proche de zéro (je pense que ce sont des fans de leur truc, à leur manière…).
Cela me semble parfaitement décalé avec la manière dont l'immense majorité des lecteurs (intéressés par la SF) ou pas lisent un texte.
Maintenant, j'aurais mauvaise grâce à critiquer une joyeuse bande d'originaux marginaux! Sauf, bien sûr, s'ils viennent m'expliquer qu'ils ont compris le fonctionnement de la littérature… On peut faire à peu près la remarque pour l'ensemble des arts (si tu regarde cinq minutes la musique, tu sors effaré de la liste des différentes théories et écoles qui expliquent tout… et dont personne ne tient compte, sauf les théoriciens et compositeurs qui s'inscrivent eux-même sciemment dans telle ou telle école).
Je pense que le temps des cultures multiples est venu, mais que l'on a du mal à le reconnaître (cultures multiples ne signifiant évidemment pas absence d'interaction, tout au contraire). Alors, que la SF s'inscrive ou pas dans tel ou tel système, cela n'a aucune importance, ou tout au moins, ça peut être intéressant de le tester, mais c'est sans conséquence (sauf ta satisfaction intellectuelle personnelle, ce qui n'est pas si mal!)
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Message par marypop » mer. févr. 10, 2010 3:28 pm

Lem a écrit :
marypop a écrit :Edit : pour répondre plus directement au posts de Lem.
Cette attitude n'est évidemment pas contradictoire avec le fait de se poser des questions transverses SF/non SF. Et je ne comprends pas vraiment que tu corrèles les deux.
Il suffit de revenir à l'anthologie elle-même.
Oncle a été le premier à en faire la recension. Il a trouvé que tout était de la SF. Même la nouvelle de Ruellan, qu'il a défendue (probablement avec un demi-sourire mais ça n'a pas d'importance) comme "quasiment une nouvelle de hard science sur la mort" si je me souviens bien. Il a aussi perçu le poème en prose de David Calvo comme ne posant aucun problème car la présentation que j'en fais dans le livre a interposé entre lui et le texte l'écran nostalgique des vieux DC comics d'épouvante.
D'autres critiques ont dit : ces textes-là ne sont pas du tout de la science-fiction.
Qui a raison ?
Le vieux marronier de la définition de la SF donc, et probablement le problème plus spécifique des frontières du genre. Je ne vois pas le rapport avec l'attitude du fan en tant que lecteur.
si on commence à mélanger sf archaïque et proto-sf, personne ne s'y retrouvera plus.
Dieu.

Lem

Message par Lem » mer. févr. 10, 2010 3:33 pm

Lensman a écrit :Je vois peu d'enjeu dans cette entreprise, sauf dans le groupe restreint de personnes érudites que ça intéresse, mais dont l'influence sur la pratique de la lecture dans notre pays est proche de zéro (je pense que ce sont des fans de leur truc, à leur manière…).
Cela me semble parfaitement décalé avec la manière dont l'immense majorité des lecteurs (intéressés par la SF) ou pas lisent un texte.
Ce problème a déjà été évoqué à propos de la métaphysique – exactement dans ces termes : comment un domaine aussi peu grand public a-t-il pu influencer la réception du grand public ?
Mais ce problème, on l'a réglé très facilement. Pour un lecteur français du XXème siècle, pas besoin d'avoir suivi des cours de philo à la Sorbonne pour savoir que la/le métaphysique a mauvaise réputation. C'est dans l'air. C'est impliqué partout : dans l'absence du sujet comme dans l'usage péjoratif du mot métaphysique (= fumeux). C'est la même chose pour la religion. Tout le monde ignore les subtilités de la théologie, il y a encore un pape et des églises mais Dieu est mort, tout le monde le sait. Même ceux qui n'ont pas lu Nietzsche.
Renverser la représentation dominante (la SF n'est pas de la littérature) même si elle n'est consciente que dans un tout petit cercle de lettrés, c'est comme renverser le premier domino d'une série : inéluctablement, les autres tombent aussi. Et spécialement ici, en France, le pays du centralisme démocratique littéraire. C'est du moins un espoir.
Je pense que le temps des cultures multiples est venu, mais que l'on a du mal à le reconnaître (cultures multiples ne signifiant évidemment pas absence d'interaction, tout au contraire). Alors, que la SF s'inscrive ou pas dans tel ou tel système, cela n'a aucune importance, ou tout au moins, ça peut être intéressant de le tester, mais c'est sans conséquence (sauf ta satisfaction intellectuelle personnelle, ce qui n'est pas si mal!)
J'enregistre : à la page 526, on est raccord.
Champagne.

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Message par Lensman » mer. févr. 10, 2010 3:34 pm

Lem a écrit :
marypop a écrit :Edit : pour répondre plus directement au posts de Lem.
Cette attitude n'est évidemment pas contradictoire avec le fait de se poser des questions transverses SF/non SF. Et je ne comprends pas vraiment que tu corrèles les deux.
Il suffit de revenir à l'anthologie elle-même.
Oncle a été le premier à en faire la recension. Il a trouvé que tout était de la SF. Même la nouvelle de Ruellan, qu'il a défendue (probablement avec un demi-sourire mais ça n'a pas d'importance) comme "quasiment une nouvelle de hard science sur la mort" si je me souviens bien. Il a aussi perçu le poème en prose de David Calvo comme ne posant aucun problème car la présentation que j'en fais dans le livre a interposé entre lui et le texte l'écran nostalgique des vieux DC comics d'épouvante.
D'autres critiques ont dit : ces textes-là ne sont pas du tout de la science-fiction.
Qui a raison ?
Comme c'est toi qui avais composé l'antho, c'était de la SF…
Au fond, on peut reprendre la théorie qui consiste à dire que ce qui est présenté objectivement est trompeur (je lis un texte, apparemment ça n'est pas de la SF, donc méfiance, aussi bien, ça en est!). Le fait que l'anthologiste ait une culture SF très proche de la mienne me permet de mener une analyse au second degré des textes, en essayant d'imaginer la manière dont il voudrait que je les lise…
Je ne plaisante qu'à moitié…
C'est un petit jeu bien amusant, celui des para ceci et des post cela, je l'aime bien. Mais il ne faut pas me le ressortir trop souvent (c'est comme la nouvelle cuisine… au bout d'un moment, on a faim…)
Oncle Joe

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Message par dracosolis » mer. févr. 10, 2010 3:35 pm

(je lis un texte, apparemment ça n'est pas de la SF, donc méfiance, aussi bien, ça en est!).
ce serait rigolo de faire l'inverse 8)
Antéchrist N°4
Idéologue Relativiste à mi-temps
Antéchrist N°4 :

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