Du sense of wonder à la SF métaphysique

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bormandg
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Message par bormandg » mer. févr. 17, 2010 12:25 am

Gérard Klein a écrit :
MF a écrit :
arsenie a écrit :Pour le "sow" en SF, je suis sûre -pour moi- et persuadée pour une très grande part d'amateur que "le sel" vient bien d'une bonne base scientifique
Peut-être, mais pas seulement.
La nouvelle de SF que je préfère, en terme d'émotion ressentie, c'est Les yeux de la nuit de John Varley.
Et y'a pas un poil de science...
Je ne la connais pas ou je ne m'en souviens pas.
Mais aurait-elle réellement pu être écrite sans les quatre siècles de science qui l'ont précédée et dont Varley doit avoir une vague imprégnation?
Je dirais plutôt "de pensée scientifique" 8)
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » mer. févr. 17, 2010 12:32 am

Lensman a écrit :
Lem a écrit :On va beaucoup trop vite.

De la méthode, s'il vous plaît.

Et aussi, éventuellement, un peu de sens de l'abstraction.

On cherche une définition ou une représentation de la SF qui permette aux lecteurs non-spécialisés de se placer "dans le bon état d'esprit".

Et au lieu de passer par l'inventaire des objets (au lieu de dire : "vous allez tomber sur ça, ou ça, ou ça, dans les proportions statistiques suivantes…"), on essaie de caractériser cet état d'esprit en analysant de quelle manière il oriente nos attentes devant un texte dont on ne sait rien sinon qu'il est SF (c'est à dire par extension devant tout texte de SF par principe, devant le genre lui-même).

La réponse de MF est aussi la mienne : je suis prêt à tout.

Mais on ne peut pas s'en tenir là, ce n'est pas assez caractéristique. Il faut voir un peu plus finement de quoi il retourne.

Par exemple : je suis prêt à tout mais pas à un roman purement mainstream sans aucun élément SF (même si, par ailleurs, je peux projeter des contenus imaginaires sur certaines ambiguités du texte qui me le feront "sentir" SF alors que c'est moi qui ajoute ce qu'il faut).

D'accord jusque là ?
Tiens, en A&D, il y a un bouquin complètement mainstream mais dont beaucoup d'amateurs ne se sont pas plaints: "Les miroirs de l'esprit" de Spinrad. Donc, à la limite, il peut y avoir un livre de ce genre (il ne faut pas en abuser non plus, c'est entre connaisseurs…)
Oncle Joe
Je suis désolé, mais c'est de la pure science-fiction. Il y est mentionné un mélange qui élimine la gueule de bois quelle que soit la quantité d'alcool certes de bonne qualité qu'on a absorbé. Et c'est le résultat de longues recherches scientologiques.
Si ça n'est pas de la science-fiction, alors, c'est quoi?
Mon immortalité est provisoire.

Matthieu
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Message par Matthieu » mer. févr. 17, 2010 2:06 am

Gérard Klein a écrit :
Lem a écrit : ce à quoi la société scientifique avait renoncé : l'espoir métaphysique d'accéder à la réalité ultime – non pour y parvenir mais pour l'ivresse cognitive que cela procurait –, je crois qu'on aurait défini quelque chose de très important pour la compréhension du genre.

Mais sans doute ne seras-tu pas d'accord.
Mais la société scientifique n'y a jamais renoncé, même si elle admet des résultats intermédiaires et provisoires. Considère par exemple les tenants de la Théorie du Tout (TOE) dont certes on peut dire (et je serai de ceux-là): hélas. Mais ceux des supercordes qui ont d'une certaine manière renoncé à la TOE lui en ont substitué une autre, admettant certes par principe qu'elle est inaccessible. Et ainsi de suite.
L'idée que la nature est forcément inaccessible à l'entendement humain est un dogme religieux. "Les voies du seigneur sont impénétrables". Un mème bien utile car il permet de masquer toutes les incohérences du reste de la doctrine. Heureusement que tous les scientifiques ne sont pas aveuglés par ce principe.

Pour l'instant, il n'y a pas de "théorie du tout", mais cela reste un objectif valide. Il y a toujours eu en physique le but d'unifier les théories. Les physiciens sont déjà parvenus à unifier les interactions fortes, faibles et éléctromagnétiques dans le modèle standard. Il est normal de chercher à y ajouter la gravitation.

Bien-sûr, même si on découvre cette théorie, rien ne prouvera formellement qu'elle décrit la nature même de la réalité. Affirmer qu'une théorie donnée est l'exacte description de la réalité elle-même sera toujours de nature métaphysique.
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Lensman
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Message par Lensman » mer. févr. 17, 2010 8:25 am

Gérard Klein a écrit :
Je suis désolé, mais c'est de la pure science-fiction. Il y est mentionné un mélange qui élimine la gueule de bois quelle que soit la quantité d'alcool certes de bonne qualité qu'on a absorbé. Et c'est le résultat de longues recherches scientologiques.
Si ça n'est pas de la science-fiction, alors, c'est quoi?
Je m'en doutais!!! Il y avait une vraie raison pour laquelle j'avais aimé le roman!!!
Oncle Joe

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Eons
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Message par Eons » mer. févr. 17, 2010 8:52 am

Gérard Klein a écrit :Et c'est le résultat de longues recherches scientologiques.
Si ça n'est pas de la science-fiction, alors, c'est quoi?
Scientologiques ? Pas scientifiques, donc...

Alors, c'est du Hubbard, pas de la SF. :lol:
Les beaux livres, c’est aussi par ici : www.eons.fr

Lem

Message par Lem » mer. févr. 17, 2010 8:54 am

bormandg a écrit :
Lem a écrit :On m'a aussi répété qu'il n'y avait pas de déni.
Absolument personne n'a écrit cela dans les bientôt 600 pages du fil.
Aux alentours de la page 80 :
Erion a écrit :Il n'y a ni rejet, ni déni, juste transparence
Sylvie Denis a écrit :Je suis d'accord avec l'analyse d'Olivier : quel déni ?
(A noter que selon le relativisme lexical en vigueur ici depuis quelques temps, Erion aurait pu écrire : "il n'y a ni rejet, ni déni, juste zurgl" sans altérer la signification profonde de sa phrase.)

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Message par Lensman » mer. févr. 17, 2010 9:02 am

Matthieu a écrit : Pour l'instant, il n'y a pas de "théorie du tout", mais cela reste un objectif valide. Il y a toujours eu en physique le but d'unifier les théories. Les physiciens sont déjà parvenus à unifier les interactions fortes, faibles et éléctromagnétiques dans le modèle standard. Il est normal de chercher à y ajouter la gravitation.

Bien-sûr, même si on découvre cette théorie, rien ne prouvera formellement qu'elle décrit la nature même de la réalité. Affirmer qu'une théorie donnée est l'exacte description de la réalité elle-même sera toujours de nature métaphysique.

C'est une des raisons pour lesquelles je trouve l'emploi du concept "métaphysique" très biaisé dans bien des discussions (pas seulement sur ce fil). Si on considère que les sciences ont quelque chose à dire sur un sujet, j'ai tendance à dire que le sujet en question n'est plus spécifiquement métaphysique. Par contre, l'attitude qui consiste à dire que seules les sciences peuvent dire quelque chose sur la réalité, même sachant qu'elle risque de changer d'avis, ce serait, pour moi, une véritable attitude métaphysique. Mais pour moi, c'est cette attitude qui est la SEULE question métaphysique : ou on considère que seules les sciences nous disent quelque chose sur la réalité (ce qui ne signifie nullement qu'il faut de toute force consulter des scientifiques pour mener sa vie, cela n'a rien à voir), ou on considère que non.
C'est l'unique question métaphysique que je vois, et je n'ai toujours pas compris ce que venait faire la mécanique quantique là dedans. La réponse que chacun donne à cette question n'a aucunement à s'appuyer sur des sciences, ce serait un contre-sens particulièrement absurde (enfin, au sens où j'entends, moi, le terme "métaphysique").
Un partie de la confusion me semble venir du fait que justement, certaines questions qui jadis étaient considérées comme strictement métaphysiques car inabordables "scientifiquement" et pour d'autres raisons (comme la nature du temps, de l'espace, etc) ont glissé dans le champ scientifique . On continue à dire, par habitude de langage, "Ah! la grande question métaphysique du Temps!", alors que c'est devenu "Ah! les grandes questions des temps!".
Ce que recouvrait le terme "métaphysique" s'est modifié, et la manière de regarder les domaines concernés, aussi.
Ces autres manières de regarder les domaines concernés, manières initiées par les sciences et leur évolution, c'est ce que l'on retrouve sous une forme spéculative, dans le cadre libre (et souvent ludique) offert par la fiction, dans la SF, qui est une littérature d'idée, en tout cas dans ses très grands moments. C'est ce qui se passe plus d'une fois dans des textes publiés en Ailleurs & Demain, par exemple, et c'est ce qui nous rappelle aussi à quel point les collections spécialisées de SF, avec des directeurs de collection compétents et actifs, volontaristes, sont indispensables. Noyé dans le flot anonyme de la littérature, cette entreprise se dissout et perd la plus grande partie de son intérêt et de son efficacité. C'est dans la concentration que ça fonctionne.
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le mer. févr. 17, 2010 10:37 am, modifié 6 fois.

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Message par Lensman » mer. févr. 17, 2010 9:09 am

Lem a écrit :
bormandg a écrit :
Lem a écrit :On m'a aussi répété qu'il n'y avait pas de déni.
Absolument personne n'a écrit cela dans les bientôt 600 pages du fil.
Aux alentours de la page 80 :
Erion a écrit :Il n'y a ni rejet, ni déni, juste transparence
Sylvie Denis a écrit :Je suis d'accord avec l'analyse d'Olivier : quel déni ?
(A noter que selon le relativisme lexical en vigueur ici depuis quelques temps, Erion aurait pu écrire : "il n'y a ni rejet, ni déni, juste zurgl" sans altérer la signification profonde de sa phrase.)
Lem, dans le feu des discussions, le "pas de déni" veut généralement dire: "pas de déni par des instances dont il faut tenir compte ou auxquelles quiconque aurait des comptes à rendre". Tu as eu l'air surpris quand j'ai exposé mon point de vue sur la manière dont fonctionne socialement la culture. Tu fais un peu l'idiot quand tu reprends au pied de la lettre le "pas de deni" (pire que moi avec la métaphysique…). Le déni du genre "la SF j'en veux pas parce que c'est américain", c'est un genre de déni que je n'appelle pas un déni qu'il faudrait relever. Je m'en fous, des imbéciles qui raisonnent comme ça. Je ne peux rien pour eux. Il vaut mieux, à mon sens, se ficher de leur gueule et en rajouter encore, sur le côté américain.
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » mer. févr. 17, 2010 11:06 am

Shame on me, je découvre sur Notre Sujet un texte que je ne connaissais pas et qui me semble immédiatement classique (pourquoi son auteur ne l'a-t-il pas signalé ? A moins que j'aie raté la mention ?) . En voici quelques extraits significatifs :
Farmer n'est pas, bien entendu, et de loin, le seul écrivain de science-fiction à jongler avec l'eschatologie. Mais si on lui cherche un parallèle du côté de Philip K. Dick, autre géant du domaine, on s'aperçoit que ce dernier a plutôt œuvré du côté de l'ontologie, la connaissance des ressorts ultimes de l'être entrevus à travers l'étant, plutôt que de l'eschatologie. Dans son chef-d'œuvre, Ubik, ou dans Au bout du labyrinthe, il introduit une ontologie tremblante, incertaine, menant directement à l'idée que pour un être humain, trop limité, il n'y a pas d'ontologie, de connaissance fondamentale de l'être, possible. La vérité, toujours est ailleurs. Et si l'on ajoute enfin l'accent mis par Alfred Elton Van Vogt, notamment dans Le Monde du Non A, et par Frank Herbert dans Dune et ses suites, sur la morale, on confirme l'intuition raisonnée de Guy Lardreau selon laquelle la science-fiction a pris le relais de la philosophie sur les questions risquées sans qu'on se limite évidemment aux quelques auteurs ici évoqués
(…)
Les sociétés humaines n'ont pas manqué d'imagination eschatologique. Michel Hulin en a dressé un remarquable tableau dans son livre désormais classique, la Face cachée du temps où il passe en revue la plupart des croyances sur l'au-delà de la mort et signale les textes littéraires qui s'en sont fait l'écho. Avec une perspicacité rare chez un universitaire, il conclut par ces dernières lignes : « Ne doutons pas un instant que la science-fiction, par exemple, et les nouvelles formes de création rendues possibles par les ordinateurs s'uniront un prochain jour pour proposer à nos descendants — peut-être déjà à nous-mêmes — des images du paradis, de l'enfer et de la réincarnation dont les pouvoirs d'évocation, dans la splendeur et dans l'horreur, n'auront rien à envier à ce que nous ont légué les siècles. » Et de citer dans une note ajoutée à cette conclusion, 2001 : l'odyssée de l'espace.
(…)
On trouvera une sérieuse approche de la multiplicité de ces ontologies dans l'ouvrage collectif, Encyclopédie des religions qui en dresse un tableau impressionnant tant historique que thématique et qui devrait être le livre de chevet des auteurs de science-fiction, ou de fantasy.
On n'en ressort pas indemne mais avec l'idée singulière que voici : riche de milliers de spéculations, appuyée sur une ontologie plus ou moins scientifique, élaborant une sorte de mythologie moderne considérablement plus variée que toutes celles du passé, la science-fiction dispose de tous les ingrédients pour s'instituer à la limite comme une religion sans dogme et avec une seule foi, celle en l'avenir, enfer ou paradis. Dans le cas de Farmer, par exemple, la fiction ne cherche pas à faire croire que cela doit arriver, que cela sera actuellement et nécessairement possible mais que c'est virtuellement possible, dans l'extension du désir à la pratique. Lafayette Ron Hubbard, écrivain médiocre de science-fiction et de bien d'autres genres, a compris tout le parti qu'il pouvait en tirer en fondant la dianétique puis la scientologie, église d'obédience fiscale ; il a entrepris de faire croire que les superpouvoirs des héros de pulp magazines se trouvaient à portée de main, moyennant finances.
(…)
Cependant, sans se risquer à qualifier la science-fiction de religion en gestation, bien qu'elle réponde souvent, dans les limites de la fiction, aux mêmes questions que les innombrables religions humaines, on doit faire ressortir, après Guy Lardreau, ses affinités avec la métaphysique, voire sa supériorité sur cette dernière. Un ouvrage récent et formidable d'érudition, Qu'est-ce que la métaphysique ? de Frédéric Nef peut le donner à penser.
Le texte intégral est à lire ici

Et ceci me donne l'occasion d'une dernière mise au point en forme de rappel, suite aux objections bormangiennes sur
tu as décidé de ne pas faire de différence entre l'interrogation métaphysique "immortalité" et la recherche scientifique d'un procédé qui réaliserait l'immortalité, ou entre création métaphysique de l'univers et recherche scientifique du Big Bang
Je fais parfaitement la différence.
C'est en toutes lettres dans la préface :
On aurait pu pardonner à la SF ses néologismes et son goût pour la technique ; pas ses ambitions métaphysiques qui sont apparues comme une régression, l’arrière-garde de cette « éternelle adolescence de l’esprit humain » dont parle George Steiner.
Les ados en question, auteurs et lecteurs, ont exprimé ce que leur inspirait ce jugement en se projetant dans leurs textes sous une forme transparente : celle du mutant, médiateur entre le monde des hommes et celui des forces, rejeté mais tout-puissant. Car eux n’ont jamais cru à la fin de la métaphysique. Il leur a toujours paru évident que les questions ultimes finiraient par être reposées en termes concrets : par la technique. Et c’est exactement ce qui est en train d’arriver. Que l’univers ait commencé et doive finir, que d’autres formes de vies soient possibles ailleurs, que l’homme ait les moyens de s’autodépasser génétiquement ou de créer des mondes artificiels – ces perspectives ne pouvaient pas ne pas réactiver un jour les problèmes classiques de la destination, du propre de l’homme, de l’immortalité et de la nature du réel. La science-fiction a trouvé ces problèmes là où la haute culture les avait laissés : au carrefour désert de la science, de la philosophie, de la religion et de l’art. Elle les a maintenus en vie clandestinement tout au long du XXème siècle derrière l’écran de son panthéon baroque et graduellement réaménagés avant de les transmettre dans les termes où le monde les affronte aujourd’hui : Singularité, aliens, posthumains, cybermonde.
L'hypothèse M, c'est que les dénieurs n'ont pas perçu le transfert de ces sujets, images, thèmes, objets dans le champ scientifique. Comment l'auraient-ils pu ? La science elle-même ne les avait pas encore consciemment intégrés comme tels. (Et je m'aperçois d'ailleurs qu'on aurait peut-être intérêt à examiner les critiques initialement adressées au modèle du Big Bang, en particulier celles qui visaient Lemaître en tant que religieux.)
Pour les dénieurs ne faisant au mieux que survoler les textes, la SF a dû apparaître aussi – en dehors des autres facteurs de déni – comme la planche de salut de vieilles lunes M et R réputées caduques. Dans une culture aussi farouchement rationaliste et anti-métaphysique que la France des années 50-90, je vois mal comment une telle perception aurait pu ne jouer aucun rôle dans le déni.
Modifié en dernier par Lem le mer. févr. 17, 2010 2:20 pm, modifié 1 fois.

systar
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Message par systar » mer. févr. 17, 2010 11:31 am

Je demeure surpris que le livre de Nef soit apparu comme significatif de l'état actuel de la métaphysique (comme discipline théorique, publiée, pratiquée par des universitaires), quand il n'en représente que le versant analytique, laissant de côté:
- toute la phénoménologie (laquelle me semble de part en part pénétrée de thématiques métaphysiques, et faisant donc elle-même de la métaphysique... il suffit de lire les Méditations cartésiennes de Husserl pour retrouver tout un lexique de métaphysique)
- les philosophies dites de "la différence", qui, même en laissant de côté la conception d'une vérité unitaire, et s'enfonçant dans les chemins indéfinis d'un "sens" infini (Derrida, Foucault même, Deleuze, bref tout l'héritage de Nietzsche et de Heidegger), continuent de faire de la métaphysique (il suffit de lire Différence et répétition de Deleuze pour retrouver etc.),
- et enfin des systèmes de métaphysique spéculative qui continuent, dans un relatif anonymat, à apparaître, parfois sous la forme de commentaires d'oeuvres, parfois sous la forme d'une oeuvre se présentant comme nouvelle ou originale, parfois comme un mix des 2 (Lem est désormais au point sur ce dernier versant de la métaphysique, heureux détenteur qu'il est à présent de Singularité et événement de JF Marquet, par exemple...!)...

Si l'on considère que les décisions de Nef représentent toute la métaphysique actuelle, alors oui on peut n'y voir qu'une prolongation indéfinie de spéculations du langage sur le langage, ou d'une espèce de logique un peu bavarde. Sur ce point, je rejoins la préface de G. Klein.
Mais c'est occulter quelques autres tentatives de pensée qui, elles, ne se sont pas satisfaites d'employer une méthode uniquement "intra-linguistique"...

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Lensman
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Message par Lensman » mer. févr. 17, 2010 11:38 am

Lem a écrit :
L'hypothèse M, c'est que les dénieurs n'ont pas perçu le transfert de ces sujets, images, thèmes, objets dans le champ scientifique. Comment l'auraient-ils pu ? La science elle-même ne les avait pas encore consciemment intégrés comme tels. (Et je m'aperçois d'ailleurs qu'on aurait peut-être intérêt à examiner les critiques initialement adressées au modèle du Big Bang, en particulier celles qui visaient Lemaître en tant que religieux.)
Pour les dénieurs ne faisant au mieux que survoler les textes, la SF a dû apparaître aussi – en dehors des autres facteurs de déni – comme la planche de salut de vieilles lunes M et R réputées caduques. Dans une culture aussi farouchement rationaliste et anti-métaphysique que la France des années 50-90, je vois mal comment une telle perception aurait pu ne jouer aucun rôle dans le déni.
Pas plus ni moins que n'importe quoi d'autre: la SF est aussi mal écrite, je te le rappelle (une critique générale, celle-là… même dans le milieu de la SF!!!), enfantine, trop scientifique, pas assez scientifique, qui ne fait pas vraiment rêver ("Tous à Zanziibar"), qui fait trop rêver, etc., elle ne peut parler de sujet sérieux, y compris la "métaphysique" (regarde les types qui étudient "2001", en 1970, et qui évacuent tranquillement la science-fiction, même pas méchamment, d'ailleurs…)
Tu as vraiment l'impression d'être dans une société qui ne s'intéresse pas à tous les grands sujets de la philosophie ? Tu écoutes France-Culture, de temps en temps? J'ai écouté cette radio pendant des années, depuis 1972, en gros. Farouchement rationaliste??? Laisse moi rire! A part les malheureux de l'union rationaliste, le dimanche matin…
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Message par Erion » mer. févr. 17, 2010 11:39 am

Lem a écrit : Cependant, sans se risquer à qualifier la science-fiction de religion en gestation, bien qu'elle réponde souvent, dans les limites de la fiction, aux mêmes questions que les innombrables religions humaines, on doit faire ressortir, après Guy Lardreau, ses affinités avec la métaphysique, voire sa supériorité sur cette dernière. Un ouvrage récent et formidable d'érudition, Qu'est-ce que la métaphysique ? de Frédéric Nef peut le donner à penser.
Le texte intégral est à lire ici
.[/quote]

Et un autre extrait non moins significatif à propos du texte de Nef :
"Toutefois sa lecture ouvre la voie à deux observations. La première porte sur le nom même du domaine : il s'agirait plutôt d'une méta-sémantique que de métaphysique, c'est-à-dire la quête ce qu'il est possible de dire de neuf sur l'être avec des mots humains et non pas ce qu'il y aurait au-delà de la physique. Déjà, du temps d'Aristote, le terme de phusis renvoyait à l'ensemble de la nature et des connaissances disponibles sur elle et non pas au domaine étudié par les physiciens d'aujourd'hui. D'autre part, l'invention du mot renvoyait à un embarras plutôt qu'à la création d'un domaine philosophique : après avoir réuni ses écrits sur la nature, ses disciples ne sachant trop comment baptiser un ensemble de spéculations diverses voire disparates, les nommèrent ce qui vient après (méta) [23] .

La seconde observation porte sur la limitation de ce qu'il est possible d'inventer à partir d'un travail sur le seul langage. Il ressort de la synthèse de Nef que les métaphysiciens du vingtième siècle ont beaucoup emprunté aux physiciens quand ils ne se sont pas affrontés à eux de manière suicidaire [24] . À l'inverse, pour connaître un peu la physique, sans même invoquer les autres disciplines scientifiques, on se dit que les physiciens ont manifesté plus d'imagination et de créativité que leurs collègues philosophes ; ils n'ont pour ainsi dire jamais trouvé dans la boîte à outils de ceux-ci des concepts prêts à l'emploi. Les révolutions de la relativité et de la mécanique quantique dont les conséquences sur l'ontologie du temps et de l'espace sont considérables n'ont été prévues en aucune manière par les réflexions des métaphysiciens. Nef insiste bien sur la nécessaire et fondamentale différence entre la métaphysique et la science mais il n'aboutit de ce fait qu'à faire douter de l'intérêt de la première qui finit par apparaître comme un jeu gratuit avec le langage [25] . Même dans des domaines aussi incertains que celui de l'intelligence artificielle, les praticiens semblent en avance sur les philosophes alors qu'il s'agit du sujet et de l'être, leur questionnement privilégié."
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par marypop » mer. févr. 17, 2010 11:45 am

Lem a écrit :Idée pour sortir des apories inévitables : une expérience de pensée que chacun de vous peut faire.

Imaginez que vous croisiez Gérard Klein IRL et qu'il soit dans un bon jour.

Après quelques minutes de papotage, il ouvre sa sacoche, en tire un volume format roman – mais avec une couverture parfaitement blanche.

"C'est un jeu d'épreuves corrigées", explique-t-il. "C'est un roman que je vais publier dans Ailleurs & Demain. Je te le prête, si tu veux."

Et avant que vous puissiez ajouter quoi que ce soit, il file en vous abandonnant le jeu d'épreuves dans les mains car Il A D'Autres Obligations.

Vous rentrez chez vous et regardez le volume d'épreuves corrigées.

Il est d'une épaisseur moyenne : un roman "normal".
Vous ne connaissez pas le titre (il ne figure pas même en pages intérieures).
Vous ne connaissez pas l'auteur.
Vous ne savez rien de l'histoire ou du style (pas de quatrième de couverture).
Tout ce que vous savez, c'est que GK l'a acheté pour sa collection où sont récemment parus des textes aussi divers que Trames (Banks), Un secret de famille (Stross), Le quatuor de Jerusalem (Wittemore), Une invasion martienne (McAuley), Eifelheim (Flynn), Nuigrave (Murrail), Roma Æterna (Silverberg)…
Du space-opera, de la quasi-fantasy, de la littérature inclassable, du technothriller, de la SF au moyen-âge, de l'anticipation sociale, une uchronie…
Vous vous placez de vous-même dans le bon état d'esprit pour recevoir comme il se doit ce texte dont vous ignorez tout sinon qu'il va aller rejoindre tous ceux-là, qu'il est potentiellement aussi divers que tous ceux-là puisque cette diversité, c'est précisément ce qui caractérise le label SF.

Exercice : caractérisez cet état d'esprit.
Je joue aussi.
Mon état d'esprit : il y a de grandes chances que ça me plaise.
Donc un état d'esprit favorable à la lecture, déjà (ce qui va induire que ça risque encore plus de me plaire, probablement)

Ceci étant annoncé, je crois que Sand a vraiment mis le doigt sur quelque chose d'intéressant avec ses 4 points.

De la SF, on attend des idées.
C'est exactement ça.
Et attention, je vais faire plaisir à Erion ^^ il se peut que l'éducation sentimentale soit de la SF xD
Je plaisante, mais c'est un exemple de livre qui est basé sur l'idée avant l'intrigue (il ne se passe justement rien).

Ce qui explique, dans mon cas pourquoi :
- j'aime lire Sartre ou Vian par exemple
- je n'accroche pas au polar

Et dans le cas général, une certaine nuance SF / Fantasy, la Fantasy globalement est davantage basée sur l'intrigue, mais surtout sur les personnages.

Sand, tu es géniale sur ce coup.
si on commence à mélanger sf archaïque et proto-sf, personne ne s'y retrouvera plus.
Dieu.

Lem

Message par Lem » mer. févr. 17, 2010 11:46 am

Lensman a écrit :Pas plus ni moins que n'importe quoi d'autre: la SF est aussi mal écrite, je te le rappelle (une critique générale, celle-là… même dans le milieu de la SF!!!), enfantine, trop scientifique, pas assez scientifique, qui ne fait pas vraiment rêver ("Tous à Zanziibar"), qui fait trop rêver, etc
Relis la préface : l'hypothèse M, c'est la métaphysique comme cause non-encore-repérée du déni s'ajoutant aux autres causes, déjà repérées et que tu cites.

"Pas plus ni moins" est une autre question.

Puis-je conclure de ton commentaire que cette hypothèse te semble désormais recevable ?

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Lensman
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Message par Lensman » mer. févr. 17, 2010 11:54 am

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Pas plus ni moins que n'importe quoi d'autre: la SF est aussi mal écrite, je te le rappelle (une critique générale, celle-là… même dans le milieu de la SF!!!), enfantine, trop scientifique, pas assez scientifique, qui ne fait pas vraiment rêver ("Tous à Zanziibar"), qui fait trop rêver, etc
Relis la préface : l'hypothèse M, c'est la métaphysique comme cause non-encore-repérée du déni s'ajoutant aux autres causes, déjà repérées et que tu cites.

"Pas plus ni moins" est une autre question.

Puis-je conclure de ton commentaire que cette hypothèse te semble désormais recevable ?
Que veux-tu dire? Et mes critiques de "2001", tu en fais quoi? Pour eux, le rejet, c'est que la SF, ça ne parle pas de métaphysique...
Par contre, le motif "la SF c'est mal écrit", est un motif de rejet qui me semble très significatif. Tout le monde se sent un peu honteux d'apprécier des choses "mal écrites" (que ce soit vrai ou pas n'est pas le problème), parce que, dans notre manière de voir la culture, au moins "littéraire", c'est une pose que tout le monde admet. Même si, après, on s'aperçoit dans le détail que ce n'est pas simple, le "bien écrit", et que, finalement , ça ne veut pas dire grand chose, hors vision très spécialisée (comme tu l'as dit toi-même, il n'y a pas de définition de la Littérature…) . Mais ça donne l'impression d'une sorte de critère "absolu".
Oncle Joe

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