Shame on me, je découvre sur Notre Sujet un texte que je ne connaissais pas et qui me semble immédiatement classique (pourquoi son auteur ne l'a-t-il pas signalé ? A moins que j'aie raté la mention ?) . En voici quelques extraits significatifs :
Farmer n'est pas, bien entendu, et de loin, le seul écrivain de science-fiction à jongler avec l'eschatologie. Mais si on lui cherche un parallèle du côté de Philip K. Dick, autre géant du domaine, on s'aperçoit que ce dernier a plutôt œuvré du côté de l'ontologie, la connaissance des ressorts ultimes de l'être entrevus à travers l'étant, plutôt que de l'eschatologie. Dans son chef-d'œuvre, Ubik, ou dans Au bout du labyrinthe, il introduit une ontologie tremblante, incertaine, menant directement à l'idée que pour un être humain, trop limité, il n'y a pas d'ontologie, de connaissance fondamentale de l'être, possible. La vérité, toujours est ailleurs. Et si l'on ajoute enfin l'accent mis par Alfred Elton Van Vogt, notamment dans Le Monde du Non A, et par Frank Herbert dans Dune et ses suites, sur la morale, on confirme l'intuition raisonnée de Guy Lardreau selon laquelle la science-fiction a pris le relais de la philosophie sur les questions risquées sans qu'on se limite évidemment aux quelques auteurs ici évoqués
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Les sociétés humaines n'ont pas manqué d'imagination eschatologique. Michel Hulin en a dressé un remarquable tableau dans son livre désormais classique, la Face cachée du temps où il passe en revue la plupart des croyances sur l'au-delà de la mort et signale les textes littéraires qui s'en sont fait l'écho. Avec une perspicacité rare chez un universitaire, il conclut par ces dernières lignes : « Ne doutons pas un instant que la science-fiction, par exemple, et les nouvelles formes de création rendues possibles par les ordinateurs s'uniront un prochain jour pour proposer à nos descendants — peut-être déjà à nous-mêmes — des images du paradis, de l'enfer et de la réincarnation dont les pouvoirs d'évocation, dans la splendeur et dans l'horreur, n'auront rien à envier à ce que nous ont légué les siècles. » Et de citer dans une note ajoutée à cette conclusion, 2001 : l'odyssée de l'espace.
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On trouvera une sérieuse approche de la multiplicité de ces ontologies dans l'ouvrage collectif, Encyclopédie des religions qui en dresse un tableau impressionnant tant historique que thématique et qui devrait être le livre de chevet des auteurs de science-fiction, ou de fantasy.
On n'en ressort pas indemne mais avec l'idée singulière que voici : riche de milliers de spéculations, appuyée sur une ontologie plus ou moins scientifique, élaborant une sorte de mythologie moderne considérablement plus variée que toutes celles du passé, la science-fiction dispose de tous les ingrédients pour s'instituer à la limite comme une religion sans dogme et avec une seule foi, celle en l'avenir, enfer ou paradis. Dans le cas de Farmer, par exemple, la fiction ne cherche pas à faire croire que cela doit arriver, que cela sera actuellement et nécessairement possible mais que c'est virtuellement possible, dans l'extension du désir à la pratique. Lafayette Ron Hubbard, écrivain médiocre de science-fiction et de bien d'autres genres, a compris tout le parti qu'il pouvait en tirer en fondant la dianétique puis la scientologie, église d'obédience fiscale ; il a entrepris de faire croire que les superpouvoirs des héros de pulp magazines se trouvaient à portée de main, moyennant finances.
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Cependant, sans se risquer à qualifier la science-fiction de religion en gestation, bien qu'elle réponde souvent, dans les limites de la fiction, aux mêmes questions que les innombrables religions humaines, on doit faire ressortir, après Guy Lardreau, ses affinités avec la métaphysique, voire sa supériorité sur cette dernière. Un ouvrage récent et formidable d'érudition, Qu'est-ce que la métaphysique ? de Frédéric Nef peut le donner à penser.
Le texte intégral est à lire
ici
Et ceci me donne l'occasion d'une dernière mise au point en forme de rappel, suite aux objections bormangiennes sur
tu as décidé de ne pas faire de différence entre l'interrogation métaphysique "immortalité" et la recherche scientifique d'un procédé qui réaliserait l'immortalité, ou entre création métaphysique de l'univers et recherche scientifique du Big Bang
Je fais parfaitement la différence.
C'est en toutes lettres dans la préface :
On aurait pu pardonner à la SF ses néologismes et son goût pour la technique ; pas ses ambitions métaphysiques qui sont apparues comme une régression, l’arrière-garde de cette « éternelle adolescence de l’esprit humain » dont parle George Steiner.
Les ados en question, auteurs et lecteurs, ont exprimé ce que leur inspirait ce jugement en se projetant dans leurs textes sous une forme transparente : celle du mutant, médiateur entre le monde des hommes et celui des forces, rejeté mais tout-puissant. Car eux n’ont jamais cru à la fin de la métaphysique. Il leur a toujours paru évident que les questions ultimes finiraient par être reposées en termes concrets : par la technique. Et c’est exactement ce qui est en train d’arriver. Que l’univers ait commencé et doive finir, que d’autres formes de vies soient possibles ailleurs, que l’homme ait les moyens de s’autodépasser génétiquement ou de créer des mondes artificiels – ces perspectives ne pouvaient pas ne pas réactiver un jour les problèmes classiques de la destination, du propre de l’homme, de l’immortalité et de la nature du réel. La science-fiction a trouvé ces problèmes là où la haute culture les avait laissés : au carrefour désert de la science, de la philosophie, de la religion et de l’art. Elle les a maintenus en vie clandestinement tout au long du XXème siècle derrière l’écran de son panthéon baroque et graduellement réaménagés avant de les transmettre dans les termes où le monde les affronte aujourd’hui : Singularité, aliens, posthumains, cybermonde.
L'hypothèse M, c'est que les dénieurs n'ont pas perçu le transfert de ces sujets, images, thèmes, objets dans le champ scientifique. Comment l'auraient-ils pu ? La science elle-même ne les avait pas encore consciemment intégrés comme tels. (Et je m'aperçois d'ailleurs qu'on aurait peut-être intérêt à examiner les critiques initialement adressées au modèle du Big Bang, en particulier celles qui visaient Lemaître en tant que religieux.)
Pour les dénieurs ne faisant au mieux que survoler les textes, la SF a dû apparaître aussi – en dehors des autres facteurs de déni – comme la planche de salut de vieilles lunes M et R réputées caduques. Dans une culture aussi farouchement rationaliste et anti-métaphysique que la France des années 50-90, je vois mal comment une telle perception aurait pu ne jouer aucun rôle dans le déni.