Lensman a écrit :Parce que, chez toi, c'est intéressant: tu ne rejettes pas ce type de vocabulaire, vu que tu es écrivain de SF! Les prises de position philosophiques des écrivains de SF (quand ils en ont…) m'intéressent.
Ma position, si c'en est une, est plus esthétique que philosophique. Ou disons qu'elle ne distingue pas vraiment entre les deux. J'aime le jeu des concepts pour l'éblouissement qu'il procure. Et du coup, j'aime ce vocabulaire (y compris celui de la SF cinglée) parce qu'il est celui de l'éblouissement – même quand il ne manipule aucun concept, qu'il est juste un artifice, une poétique. C'est comme les couves de pulps, pour moi. On les a sans doute aimées parce qu'elles montraient concrètement des trucs de superscience réalisés mais aujourd'hui, je les aime pour elles-mêmes, comme art.
Cela dit, à travers tout ça, je fais une proposition M implicite à propos de la sensibilité (c'est à dire de la mienne, évidemment ; en supposant sans pouvoir le prouver qu'elle est généralisable).
En me simplifiant moi-même jusqu'à la caricature mais tant pis :
Je ne crois pas que la psyché puisse reposer sur (ou se satisfaire d') un seul pôle. Je pense que les anglo-saxons ont eu une intuition très profonde en distinguant Beau et Sublime alors que nous avons rangé les deux dans la même catégorie. Il y a un moment pour le diurne, le clair, le limité, le simple, le doux, l'ordonné. Et un autre pour le nocturne, l'obscur, l'infini, le tordu, le grotesque, le chaotique. Il faut les deux sinon, il manque quelque chose. Une partie du fonctonnement psychique n'est reflété nulle part, ne trouve nulle part où s'extérioriser. Je crois que sur ce point, la culture française s'est montrée naïvement rationaliste. Le pôle du Sublime n'a pas été perçu comme une nécessité mais une aberration, un reliquat à liquider pour accéder aux Lumières. "Le sommeil de la raison", etc. (C'est toute la dialectique romantisme vs Lumières qui va au moins jusqu'à Bergson, justement). Malheureusement, ce n'était pas un archaïsme, un reliquat, mais une nécessité – c'est du moins mon sentiment. Et comme elle ne pouvait s'exprimer nulle part de façon légitime – en particulier
pas dans la littérature française, sauf exception étrange et toujours avec la distance de l'ironie, comme la pataphysique ou le surréalisme– elle a donc élu la fiction anglosax comme son refuge, dans le meilleur des cas. Et les trucs cinglés dans le pire.
Quant à ce que je
crois, je n'en sais rien moi-même. Disons que je crois à ça : que j'ai besoin d'avoir cette activité psychique-là et que c'est pour ça que j'aime la SF comme jeu conceptuel et poétique, comme "activité obscure" pour équilibrer le clair.
C'est est trop schématique et/ou confus pour avoir grand sens ici mais je ne peux pas faire mieux dans un post.