Du sense of wonder à la SF métaphysique
Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m
J'avoue que ce n'est pas très clair.
Je décompose
- certains objets sont importants pour l'histoire : ex Gosseyn et ses pouvoirs,
- certains objets sont importants pour le monde ex : la force, qui est un présupposé, au même titre que la gravité ou la vitesse de la lumière.
ils contribuent tous au deux, histoire et monde, à des degrés divers
Le fait que Gosseyn puisse développer ses pouvoirs indique que l'esprit humain est par nature capable de le faire - tout objet qui intervient dans une histoire de SF indique qu'il pourrait y avoir plein d'autres objets équivalents (rien n'est unique en SF)
L'existence de la Force est ce qui permet de nombreux développements de l'histoire de SW - l'usage de la force pour détruire l'étoile noire, la recherche d'un maître, etc.
Quand tu acceptes qu'il puisse y avoir un aspect métaphysique dans les objets importants pour l'histoire, mais refuse de prendre en compte cet aspect métaphysique dans les objets importants pour le monde, tu fais primer le récit sur l'univers.
Selon cette logique, si personne ne se pose la question dans l'histoire, un truc phénoménal n'a pas d'impact sur le lecteur.
Or, je suis d'accord qu'un objet du décor (la Force) a bien moins d'impact sur le lecteur qu'un objet de premier plan (Gosseyn), et que les réflexions qu'on peut avoir à partir du monde du Non-A sont bien plus nourries et développées que celle qu'on peut éventuellement tirer à toute force de Star Wars.
Mais objet de décor et objet de premier plan peuvent tous les deux être d'ordre métaphysique, et ils peuvent tous deux commander une réévaluation, le temps de la fiction, de ce qu'on considère comme l'ordre du monde.
D'une certaine manière, la SF est dans son principe même une fiction métaphysique - rien que parce qu'elle propose des mondes concrets alternatifs. En soi, c'est une manière de faire changer la vision du monde (mais le temps de la lecture).
Pour autant, je n'affirme pas que l'aspect métaphysique est déterminant : c'est simplement le cadre dans lequel la SF s'inscrit, mais en fait, comme à peu près toute fiction.
Je décompose
- certains objets sont importants pour l'histoire : ex Gosseyn et ses pouvoirs,
- certains objets sont importants pour le monde ex : la force, qui est un présupposé, au même titre que la gravité ou la vitesse de la lumière.
ils contribuent tous au deux, histoire et monde, à des degrés divers
Le fait que Gosseyn puisse développer ses pouvoirs indique que l'esprit humain est par nature capable de le faire - tout objet qui intervient dans une histoire de SF indique qu'il pourrait y avoir plein d'autres objets équivalents (rien n'est unique en SF)
L'existence de la Force est ce qui permet de nombreux développements de l'histoire de SW - l'usage de la force pour détruire l'étoile noire, la recherche d'un maître, etc.
Quand tu acceptes qu'il puisse y avoir un aspect métaphysique dans les objets importants pour l'histoire, mais refuse de prendre en compte cet aspect métaphysique dans les objets importants pour le monde, tu fais primer le récit sur l'univers.
Selon cette logique, si personne ne se pose la question dans l'histoire, un truc phénoménal n'a pas d'impact sur le lecteur.
Or, je suis d'accord qu'un objet du décor (la Force) a bien moins d'impact sur le lecteur qu'un objet de premier plan (Gosseyn), et que les réflexions qu'on peut avoir à partir du monde du Non-A sont bien plus nourries et développées que celle qu'on peut éventuellement tirer à toute force de Star Wars.
Mais objet de décor et objet de premier plan peuvent tous les deux être d'ordre métaphysique, et ils peuvent tous deux commander une réévaluation, le temps de la fiction, de ce qu'on considère comme l'ordre du monde.
D'une certaine manière, la SF est dans son principe même une fiction métaphysique - rien que parce qu'elle propose des mondes concrets alternatifs. En soi, c'est une manière de faire changer la vision du monde (mais le temps de la lecture).
Pour autant, je n'affirme pas que l'aspect métaphysique est déterminant : c'est simplement le cadre dans lequel la SF s'inscrit, mais en fait, comme à peu près toute fiction.
Imaginons un roman naturaliste, situé à Paris, aujourd’hui, et racontant l’incendie d’un petit immeuble. On s’intéresse à tout et spécialement à l’origine du feu qui est soigneusement analysée (un court-circuit dû au système électrique vétuste). Puis, le roman raconte la panique des habitants, l’organisation des secours, l’action des pompiers, la mobilisation de la ville, des journalistes, des services médicaux, etc.
Imaginons, du même auteur, un roman toujours situé à Paris aujourd’hui mais racontant un tremblement de terre aussi inattendu que dévastateur. Mêmes conséquences narratives mais à très grande échelle : analyse géophysique du séisme, panique des parisiens, secours, aide internationale, etc.
Toujours du même auteur (et en postulant à chaque fois que la science soit « correcte ») : un roman situé à Paris, aujourd’hui, racontant les conséquences de l’impact d’une chute de météorite. Ou, plus extraordinaire encore : d’un mini trou noir.
Il y a une continuité « ontologique » dans toutes ces spéculations : elles ont lieu dans notre monde et respectent l’état des savoirs scientifiques. Elles vont du plus banal (un système électrique vétuste produit un court-circuit) au plus improbable (un trou noir arrive ; une météorite arrive) mais elles s’inscrivent toutes dans le monde naturel que nous connaissons.
Dans le premier cas, on peut imaginer un auteur forcené consacrant un chapitre entier à la statistique des défaillances électriques des vieux immeubles, avec cours de physique des matériaux, précis de vitesse de propagation du feu, recension des meilleurs produits à employer pour l’éteindre, etc. Ça produira sans doute un roman assez étrange, saturé de documentation scientifique… Ça ne suffira pas à en faire un roman de science-fiction. Pas plus que l’hypothèse du tremblement de terre qui donnera dans le meilleur des cas un roman-catastrophe. Et la météorite ? Encore un roman-catastrophe. Et le mini trou noir ? Si l’auteur est lui-même un astrophysicien de haut vol (mettons Luminet) et que le trou noir est entièrement justifié par des moyens naturels, il n’y a pas « science-fiction » à proprement parler. Il y a une situation que la statistique définit comme rarissime… mais qui arrive.
Imaginons maintenant le même auteur racontant, à Paris, aujourd’hui, l’arrivée d’un vaisseau ET. L’auteur s’appuie sur la récente découverte d’une planète extrasolaire biocompatible. Il s’est servi de toutes les données disponibles pour construire une civilisation ET qui nous rend visite. Toute la science est juste – il n’y a rien dans le roman dont on puisse dire : « non, c’est faux ». A chaque spéculation, les meilleurs spécialistes mondiaux sont obligés de reconnaître : oui, cette planète extrasolaire existe et ce que dit l’auteur est possible et compatible avec l’état de nos connaissances. La technologie de voyage spatial est possible aussi. Ça pourrait se passer comme ça. Ça pourrait aussi ne pas se passer comme ça mais ce n’est pas le problème.
Pourquoi bascule-t-on soudain dans la science-fiction indiscutable ? Parce que l’auteur a créé quelque chose. Parce qu’il a profité d’une incertitude, d’un non-savoir (inscrit dans un intervalle de plausibilité scientifique) pour inventer quelque chose. Il n’a pas fait, comme dans les cas précédents, une spéculation sur le comportement plus ou moins rare statistiquement d’un objet dont l’existence est déjà connue mais considéré comme acquise l’existence d’un objet plausible mais non-encore rencensé.
Imaginons à présent le même auteur racontant à Paris, aujourd’hui, l’arrivée d’un vaisseau ET dont il ne dit rien de l’origine. Tout le soin est consacré aux conséquences logiques de cette intrusion. Le roman est d’un réalisme et d’une plausibilité saisissants de ce point de vue. En le lisant, chacun se dit : « bon sang, oui, la panique des autorités, la mobilisation de l’armée, la folie médiatique, l’intervention de l’ONU, la commission scientifique internationale, les spéculations des linguistes et des biologistes, ça se passerait vraiment comme ça » (le roman étant un succès mondial, cette impression est confirmée par les meilleurs spécialistes mondiaux dans ces différentes matières. Ban Ki Moon dit dans une conférence de presse : « le protocole utilisé par l’auteur est effectivement celui de l’ONU ; ça se passerait comme ça si les circonstances étaient celles-là » (et tous les autres, y compris scientifiques, à l’avenant).
Ce serait encore de la science-fiction, évidemment. Et de la super-sérieuse. Pourtant, on ne saurait rien de l’origine du vaisseau. L’auteur pourrait avoir pensé en lui-même (sans le dire) : « c’est une machine transdimensionnelle » ; ou « c’est une machine temporelle, ce ne sont pas des ET, ce sont nos lointains descendants du futur » ; ou même « je ne sais pas ce que c’est et je m’en fous, ce qui m’intéresse, c’est comment nous le percevrions, comment nous le classerions, c’est un roman sur les catégories de l’expérience humaine » – le résultat serait le même. La rigueur avec laquelle seraient examinées les conséquences logiques du postulat de départ suffirait à faire d’un tel roman un classique de la SF, indépendamment de la plausibilité de ce postulat.
Allons encore plus loin : imaginons le même auteur livrant exactement le même roman que dans le cas précédant mais lui ajoutant (à l’exclusion de toute autre information ultérieure ; le reste du roman est intact) un prologue en italiques de quelques lignes dans le genre : « Dieu se manifesta aux hommes le vendredi 5 mars 2010, à Paris, sous la forme d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains. ») On passerait le reste du roman à s’interroger sur ce que l’auteur a voulu dire. S’agit-il réellement de Dieu dans son esprit ? Est-ce une manière de dire que si des ET à la technologie sur-développée nous rendait visite, nous les prendrions pour Dieu ? Autre chose ? On n’aurait pas de réponse mais – indépendamment des inévitables polémiques que le roman déclencherait, il n’en resterait pas moins un parfait roman de SF bien que la rationalité de son postulat de départ soit sérieusement sujette à caution.
Allons toujours plus loin. Le même roman que juste au-dessus mais dans son déroulement, à un moment, une autorité ecclesiastique quelconque (le Pape, pourquoi pas), déclare :« dans les Dialogi de Grégoire le Grand, il y a l’histoire du jeune Eumorfius qui envoie un jour un esclave dire à son ami Etienne : « viens vite car le navire est prêt qui doit nous conduire en Sicile. » Pendant que l'esclave est en chemin, Eumorfius et Etiennent meurent. Ce récit très étrange a fait l’objet de multiples interprétations mais c’est Grégoire qui en a lui-même donné la clé : « L'âme n'a pas besoin de moyen de transport (vehiculum) mais il n'est pas étonnant qu'à un homme encore placé dans son corps apparaisse ce qu'il avait l'habitude de voir au moyen de son corps, pour qu'il puisse ainsi comprendre où son âme pourrait être conduite spirituellement. » (1) Nous sommes à présent confrontés à cette même situation, conclut le Pape. Ce vaisseau qui nous est apparu, c’est le Véhicule de Dieu. Ce jour est celui de la fin du monde et c’est ainsi que Dieu nous demande de préparer nos âmes. » On resterait bien dans la SF mais cette analyse ne pourrait pas ne pas être mise en relation avec le mystérieux prologue en italiques.
Dernière étape. Le roman est le même qu’au-dessus mais se finit différemment. A partir du moment où le Pape fait cette interprétation, le vaisseau s’ouvre et on comprend que cette interprétation est la bonne. C’est le jour de la fin du monde. Le jour du grand départ. Les hommes sont censés embarquer pour… ailleurs. (Ce n’est pas un vaisseau ; c’est une porte, un point de passage vers la transcendance ; il suffit d’entrer pour être transporté.) Les conséquences logiques de cette révélation sont examinées avec la lucidité et la plausibilité auxquelles l’auteur nous a habitués. Il y a des attentats partout. Des millions d’athées refusent d’embarquer. Le monde bascule dans le chaos – et du coup, ça ressemble effectivement à l’apocalypse. Il n’y a pas de miracles, attention : on reste dans l’enceinte physico-chimique familière. Le vaisseau (dont les propriétés « topologiques et dimensionnelles » sont expliquées par un trou de ver validé par Kip S. Thorne) et les organismes non-humains restent les mêmes ; mais c’est le sens de leur présence qui a changé. On sait désormais quel postulat l’auteur a mis en scène : Dieu existe, « l’autre monde » aussi. Mais l’exécution concrète de ce postulat dans le monde humain a pris une forme scientifico-compatible. De Dieu et de l’autre monde, on ne sait rien. La porte est ouverte, c’est tout. Est-ce que ça reste de la science-fiction ? Indiscutablement. On pourra dire « SF religieuse » si on pense que c’est utile. Mais la nuance n’est pas décisive.
Que montre ce raisonnement ?
1) Qu’en se basant sur le caractère rationnel du postulat de l’auteur, on aboutit à un paradoxe : un roman racontant la collision d’un trou noir avec la Terre n’est pas de la science-fiction, alors qu’un roman racontant la manifestation de Dieu sur Terre peut en être un. En d’autres termes : que la rationalité du postulat n’est pas le facteur-clé.
2) Que la présence de Dieu et de « l’autre monde métaphysique » dans un roman situé dans notre monde physico-chimique ne les « déméta-ifie » pas forcément.
********
(1) Authentique, haha ! J’ai signalé ce passage, repéré par Jacques Legoff dans son Histoire du purgatoire, à Pierre Lagrange, comme un cas étonnant d’anticipation de la théorie physico-mythique de Méheust.
Imaginons, du même auteur, un roman toujours situé à Paris aujourd’hui mais racontant un tremblement de terre aussi inattendu que dévastateur. Mêmes conséquences narratives mais à très grande échelle : analyse géophysique du séisme, panique des parisiens, secours, aide internationale, etc.
Toujours du même auteur (et en postulant à chaque fois que la science soit « correcte ») : un roman situé à Paris, aujourd’hui, racontant les conséquences de l’impact d’une chute de météorite. Ou, plus extraordinaire encore : d’un mini trou noir.
Il y a une continuité « ontologique » dans toutes ces spéculations : elles ont lieu dans notre monde et respectent l’état des savoirs scientifiques. Elles vont du plus banal (un système électrique vétuste produit un court-circuit) au plus improbable (un trou noir arrive ; une météorite arrive) mais elles s’inscrivent toutes dans le monde naturel que nous connaissons.
Dans le premier cas, on peut imaginer un auteur forcené consacrant un chapitre entier à la statistique des défaillances électriques des vieux immeubles, avec cours de physique des matériaux, précis de vitesse de propagation du feu, recension des meilleurs produits à employer pour l’éteindre, etc. Ça produira sans doute un roman assez étrange, saturé de documentation scientifique… Ça ne suffira pas à en faire un roman de science-fiction. Pas plus que l’hypothèse du tremblement de terre qui donnera dans le meilleur des cas un roman-catastrophe. Et la météorite ? Encore un roman-catastrophe. Et le mini trou noir ? Si l’auteur est lui-même un astrophysicien de haut vol (mettons Luminet) et que le trou noir est entièrement justifié par des moyens naturels, il n’y a pas « science-fiction » à proprement parler. Il y a une situation que la statistique définit comme rarissime… mais qui arrive.
Imaginons maintenant le même auteur racontant, à Paris, aujourd’hui, l’arrivée d’un vaisseau ET. L’auteur s’appuie sur la récente découverte d’une planète extrasolaire biocompatible. Il s’est servi de toutes les données disponibles pour construire une civilisation ET qui nous rend visite. Toute la science est juste – il n’y a rien dans le roman dont on puisse dire : « non, c’est faux ». A chaque spéculation, les meilleurs spécialistes mondiaux sont obligés de reconnaître : oui, cette planète extrasolaire existe et ce que dit l’auteur est possible et compatible avec l’état de nos connaissances. La technologie de voyage spatial est possible aussi. Ça pourrait se passer comme ça. Ça pourrait aussi ne pas se passer comme ça mais ce n’est pas le problème.
Pourquoi bascule-t-on soudain dans la science-fiction indiscutable ? Parce que l’auteur a créé quelque chose. Parce qu’il a profité d’une incertitude, d’un non-savoir (inscrit dans un intervalle de plausibilité scientifique) pour inventer quelque chose. Il n’a pas fait, comme dans les cas précédents, une spéculation sur le comportement plus ou moins rare statistiquement d’un objet dont l’existence est déjà connue mais considéré comme acquise l’existence d’un objet plausible mais non-encore rencensé.
Imaginons à présent le même auteur racontant à Paris, aujourd’hui, l’arrivée d’un vaisseau ET dont il ne dit rien de l’origine. Tout le soin est consacré aux conséquences logiques de cette intrusion. Le roman est d’un réalisme et d’une plausibilité saisissants de ce point de vue. En le lisant, chacun se dit : « bon sang, oui, la panique des autorités, la mobilisation de l’armée, la folie médiatique, l’intervention de l’ONU, la commission scientifique internationale, les spéculations des linguistes et des biologistes, ça se passerait vraiment comme ça » (le roman étant un succès mondial, cette impression est confirmée par les meilleurs spécialistes mondiaux dans ces différentes matières. Ban Ki Moon dit dans une conférence de presse : « le protocole utilisé par l’auteur est effectivement celui de l’ONU ; ça se passerait comme ça si les circonstances étaient celles-là » (et tous les autres, y compris scientifiques, à l’avenant).
Ce serait encore de la science-fiction, évidemment. Et de la super-sérieuse. Pourtant, on ne saurait rien de l’origine du vaisseau. L’auteur pourrait avoir pensé en lui-même (sans le dire) : « c’est une machine transdimensionnelle » ; ou « c’est une machine temporelle, ce ne sont pas des ET, ce sont nos lointains descendants du futur » ; ou même « je ne sais pas ce que c’est et je m’en fous, ce qui m’intéresse, c’est comment nous le percevrions, comment nous le classerions, c’est un roman sur les catégories de l’expérience humaine » – le résultat serait le même. La rigueur avec laquelle seraient examinées les conséquences logiques du postulat de départ suffirait à faire d’un tel roman un classique de la SF, indépendamment de la plausibilité de ce postulat.
Allons encore plus loin : imaginons le même auteur livrant exactement le même roman que dans le cas précédant mais lui ajoutant (à l’exclusion de toute autre information ultérieure ; le reste du roman est intact) un prologue en italiques de quelques lignes dans le genre : « Dieu se manifesta aux hommes le vendredi 5 mars 2010, à Paris, sous la forme d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains. ») On passerait le reste du roman à s’interroger sur ce que l’auteur a voulu dire. S’agit-il réellement de Dieu dans son esprit ? Est-ce une manière de dire que si des ET à la technologie sur-développée nous rendait visite, nous les prendrions pour Dieu ? Autre chose ? On n’aurait pas de réponse mais – indépendamment des inévitables polémiques que le roman déclencherait, il n’en resterait pas moins un parfait roman de SF bien que la rationalité de son postulat de départ soit sérieusement sujette à caution.
Allons toujours plus loin. Le même roman que juste au-dessus mais dans son déroulement, à un moment, une autorité ecclesiastique quelconque (le Pape, pourquoi pas), déclare :« dans les Dialogi de Grégoire le Grand, il y a l’histoire du jeune Eumorfius qui envoie un jour un esclave dire à son ami Etienne : « viens vite car le navire est prêt qui doit nous conduire en Sicile. » Pendant que l'esclave est en chemin, Eumorfius et Etiennent meurent. Ce récit très étrange a fait l’objet de multiples interprétations mais c’est Grégoire qui en a lui-même donné la clé : « L'âme n'a pas besoin de moyen de transport (vehiculum) mais il n'est pas étonnant qu'à un homme encore placé dans son corps apparaisse ce qu'il avait l'habitude de voir au moyen de son corps, pour qu'il puisse ainsi comprendre où son âme pourrait être conduite spirituellement. » (1) Nous sommes à présent confrontés à cette même situation, conclut le Pape. Ce vaisseau qui nous est apparu, c’est le Véhicule de Dieu. Ce jour est celui de la fin du monde et c’est ainsi que Dieu nous demande de préparer nos âmes. » On resterait bien dans la SF mais cette analyse ne pourrait pas ne pas être mise en relation avec le mystérieux prologue en italiques.
Dernière étape. Le roman est le même qu’au-dessus mais se finit différemment. A partir du moment où le Pape fait cette interprétation, le vaisseau s’ouvre et on comprend que cette interprétation est la bonne. C’est le jour de la fin du monde. Le jour du grand départ. Les hommes sont censés embarquer pour… ailleurs. (Ce n’est pas un vaisseau ; c’est une porte, un point de passage vers la transcendance ; il suffit d’entrer pour être transporté.) Les conséquences logiques de cette révélation sont examinées avec la lucidité et la plausibilité auxquelles l’auteur nous a habitués. Il y a des attentats partout. Des millions d’athées refusent d’embarquer. Le monde bascule dans le chaos – et du coup, ça ressemble effectivement à l’apocalypse. Il n’y a pas de miracles, attention : on reste dans l’enceinte physico-chimique familière. Le vaisseau (dont les propriétés « topologiques et dimensionnelles » sont expliquées par un trou de ver validé par Kip S. Thorne) et les organismes non-humains restent les mêmes ; mais c’est le sens de leur présence qui a changé. On sait désormais quel postulat l’auteur a mis en scène : Dieu existe, « l’autre monde » aussi. Mais l’exécution concrète de ce postulat dans le monde humain a pris une forme scientifico-compatible. De Dieu et de l’autre monde, on ne sait rien. La porte est ouverte, c’est tout. Est-ce que ça reste de la science-fiction ? Indiscutablement. On pourra dire « SF religieuse » si on pense que c’est utile. Mais la nuance n’est pas décisive.
Que montre ce raisonnement ?
1) Qu’en se basant sur le caractère rationnel du postulat de l’auteur, on aboutit à un paradoxe : un roman racontant la collision d’un trou noir avec la Terre n’est pas de la science-fiction, alors qu’un roman racontant la manifestation de Dieu sur Terre peut en être un. En d’autres termes : que la rationalité du postulat n’est pas le facteur-clé.
2) Que la présence de Dieu et de « l’autre monde métaphysique » dans un roman situé dans notre monde physico-chimique ne les « déméta-ifie » pas forcément.
********
(1) Authentique, haha ! J’ai signalé ce passage, repéré par Jacques Legoff dans son Histoire du purgatoire, à Pierre Lagrange, comme un cas étonnant d’anticipation de la théorie physico-mythique de Méheust.
- dracosolis
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- dracosolis
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Pour moi, elles ne sont pas "plus nourries", elles sont le sujet. Au départ, Gosseyn est un quelqu'un de "normal" (c'est ce qu'il croit…) et et on va suivre avec lui la découverte de son état véritable (ou supposé tel).silramil a écrit :
Selon cette logique, si personne ne se pose la question dans l'histoire, un truc phénoménal n'a pas d'impact sur le lecteur.
Or, je suis d'accord qu'un objet du décor (la Force) a bien moins d'impact sur le lecteur qu'un objet de premier plan (Gosseyn), et que les réflexions qu'on peut avoir à partir du monde du Non-A sont bien plus nourries et développées que celle qu'on peut éventuellement tirer à toute force de Star Wars.
Il y a un arrière-fond, qui n'est pas " il était une fois dans une autre galaxie dans un lointain passé" : l'histoire est censée se passer au XXVe siècle, sur Terre, puis sur Vénus, c'est censé être notre avenir, en tout cas une manière prétendument "plausible" d'imaginer notre avenir. Un des intérêts du roman, c'est comment un monde pareil a pu s'installer, dans quel but, etc. Il ne s'agit pas de dire que c'est réussi, que l'on va y "croire", qu'il n'y a pas d'"invraisemblances" (on peut faire des concours là-dessus!), mais c'est le défi que s'est lancé l'auteur; après, on va y trouver d'autres qualités (ou défauts) que l'on va peut-être même trouver plus importants que les ambitions premières du texte, parce que l'auteur a un talent particulier pour décrire des scènes délirantes, par exemple. Mais les interrogations restent à la base.
A la limite, le non-A peut plaire pour de "mauvaises" raisons, ou plutôt, pas les raisons non spécialement voulues par l'auteur, mais c'est comme ça, les "bonnes" raisons sont tout de même là, même si elles ne marchent pas bien, s'il n'a pas réussi.
Pour la "Force", il n'y a, de mon point de vue, aucune espèce d'enjeu. Magie ou pas, c'est sans importance. Seule une cohérence minimum (minimum de chez minimum, hein!) est demandée, avec des ressorts simplissimes, et le Bien, et le Mal. Bref: rien qui fasse marcher l'intellect, le mien en tout cas. Pas d'intérêt SF pour moi. Et pas d'enjeu "métaphysique" dans la description d'un monde qui ne m'interroge en rien de chez rien sur le fonctionnement du monde réel, ou sur ses potentialités, ou sur le futur… le degré zéro, quoi, à part les décors. Mais ce n'est pas grave, on s'amuse!
Oncle Joe
La force n'a aucune importance pour le monde. Hormis les jedi, elle n'a aucune existence. Elle n'a d'usage que pour l'histoire.silramil a écrit :Je décompose
- certains objets sont importants pour l'histoire : ex Gosseyn et ses pouvoirs,
- certains objets sont importants pour le monde ex : la force, qui est un présupposé, au même titre que la gravité ou la vitesse de la lumière.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.
Tu n'auras qu'à lui donner un +X pour qu'il n'y ait pas de malentendu , je précise que je fais allusion à Sturgeondracosolis a écrit :ouais moi je viens de donner un non-a à un sixième, je sens qu'il va mal le prendresilramil a écrit :Houlà. Je passe la main.
Je reviendrai compter les points plus tard.
"Tout est relatif donc rien n'est relatif !"
qulequ'un a dit le contraire ?Lem a écrit :1) Qu’en se basant sur le caractère rationnel du postulat de l’auteur, on aboutit à un paradoxe : un roman racontant la collision d’un trou noir avec la Terre n’est pas de la science-fiction, alors qu’un roman racontant la manifestation de Dieu sur Terre peut en être un. En d’autres termes : que la rationalité du postulat n’est pas le facteur-clé.
Sauf que, lorsque tu passes par la case2) Que la présence de Dieu et de « l’autre monde métaphysique » dans un roman situé dans notre monde physico-chimique ne les « déméta-ifie » pas forcément.
le prémisse n'est pas "Dieu" (comme tu l'as dit, le reste du roman restant inchangé il ne joue aucun rôle) mais l'apparition, le vendredi 5 mars 2010, à Paris, d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains.Allons encore plus loin : imaginons le même auteur livrant exactement le même roman que dans le cas précédant mais lui ajoutant (à l’exclusion de toute autre information ultérieure ; le reste du roman est intact) un prologue en italiques de quelques lignes dans le genre : « Dieu se manifesta aux hommes le vendredi 5 mars 2010, à Paris, sous la forme d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains. ») On passerait le reste du roman à s’interroger sur ce que l’auteur a voulu dire. S’agit-il réellement de Dieu dans son esprit ? Est-ce une manière de dire que si des ET à la technologie sur-développée nous rendait visite, nous les prendrions pour Dieu ? Autre chose ? On n’aurait pas de réponse mais – indépendamment des inévitables polémiques que le roman déclencherait, il n’en resterait pas moins un parfait roman de SF bien que la rationalité de son postulat de départ soit sérieusement sujette à caution.
Tu peux appeler cette manifestation "Dieu", "Ptah", "Zarquon" ou "Zorglub" que ça ne change rien.
Modifié en dernier par MF le ven. mars 05, 2010 4:16 pm, modifié 1 fois.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.
Lem:
"Que montre ce raisonnement ?
1) Qu’en se basant sur le caractère rationnel du postulat de l’auteur, on aboutit à un paradoxe : un roman racontant la collision d’un trou noir avec la Terre n’est pas de la science-fiction, alors qu’un roman racontant la manifestation de Dieu sur Terre peut en être un. En d’autres termes : que la rationalité du postulat n’est pas le facteur-clé.
2) Que la présence de Dieu et de « l’autre monde métaphysique » dans un roman situé dans notre monde physico-chimique ne les « déméta-ifie » pas forcément."
Seulement, le coup de Dieu, il faut pas le faire trop souvent (ça s'est fait plus ou moins…). Ou alors, on crée l'étiquette "volonté divine-fiction".
C'est un peu la fausse bonne idée, je crois, même si ça peut marcher quelques coups (je verrais bien Werber dans des trucs comme ça…)
j'imagine les amateurs, comparant les bouquins qu'ils se conseillent: "Et dans le tien, il dit quoi, dieu, au début?" "Ah, mais moi, le mien, c'est une espèce de dieu indou, ça va tourner à la Zelazny!", "Je me suis fait avoir! Dieu n'existe pas dans le mien! c'est de l'escroquerie!", etc.
On va pas aller loin comme ça…
Oncle Joe
"Que montre ce raisonnement ?
1) Qu’en se basant sur le caractère rationnel du postulat de l’auteur, on aboutit à un paradoxe : un roman racontant la collision d’un trou noir avec la Terre n’est pas de la science-fiction, alors qu’un roman racontant la manifestation de Dieu sur Terre peut en être un. En d’autres termes : que la rationalité du postulat n’est pas le facteur-clé.
2) Que la présence de Dieu et de « l’autre monde métaphysique » dans un roman situé dans notre monde physico-chimique ne les « déméta-ifie » pas forcément."
Seulement, le coup de Dieu, il faut pas le faire trop souvent (ça s'est fait plus ou moins…). Ou alors, on crée l'étiquette "volonté divine-fiction".
C'est un peu la fausse bonne idée, je crois, même si ça peut marcher quelques coups (je verrais bien Werber dans des trucs comme ça…)
j'imagine les amateurs, comparant les bouquins qu'ils se conseillent: "Et dans le tien, il dit quoi, dieu, au début?" "Ah, mais moi, le mien, c'est une espèce de dieu indou, ça va tourner à la Zelazny!", "Je me suis fait avoir! Dieu n'existe pas dans le mien! c'est de l'escroquerie!", etc.
On va pas aller loin comme ça…
Oncle Joe
HS mais pour ne pas laisser passer l'occasion.
J'ai été voir hier soir un spectacle du chorégraphe Aurélien Bory au théâtre des Abesses, "Sans objet".
J'ai rarement eu autant l'impression de voir l'esthétique de la science-fiction mise en scène. Avec le minimum de moyens : une bâche, une machine-outil (de l'art de transformer la programmation numérique en danse), deux hommes, quelques planches-monolithes. Je n'en dis pas plus – pas le temps – mais si vous avez l'occasion, allez voir ce spectacle, c'est un chef-d'œuvre.



J'ai été voir hier soir un spectacle du chorégraphe Aurélien Bory au théâtre des Abesses, "Sans objet".
J'ai rarement eu autant l'impression de voir l'esthétique de la science-fiction mise en scène. Avec le minimum de moyens : une bâche, une machine-outil (de l'art de transformer la programmation numérique en danse), deux hommes, quelques planches-monolithes. Je n'en dis pas plus – pas le temps – mais si vous avez l'occasion, allez voir ce spectacle, c'est un chef-d'œuvre.



Ce roman hypothétique n'est qu'un maillon intermédiaire dans la chaîne du raisonnement : c'est la dernière étape qui compte.MF a écrit :qulequ'un a dit le contraire ?Lem a écrit :1) Qu’en se basant sur le caractère rationnel du postulat de l’auteur, on aboutit à un paradoxe : un roman racontant la collision d’un trou noir avec la Terre n’est pas de la science-fiction, alors qu’un roman racontant la manifestation de Dieu sur Terre peut en être un. En d’autres termes : que la rationalité du postulat n’est pas le facteur-clé.
Sauf que, lorsque tu passes par la case2) Que la présence de Dieu et de « l’autre monde métaphysique » dans un roman situé dans notre monde physico-chimique ne les « déméta-ifie » pas forcément.le prémisse n'est pas "Dieu" (comme tu l'as dit, le reste du roman restant inchangé il ne joue aucun rôle) mais l'apparition, le vendredi 5 mars 2010, à Paris, d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains.Allons encore plus loin : imaginons le même auteur livrant exactement le même roman que dans le cas précédant mais lui ajoutant (à l’exclusion de toute autre information ultérieure ; le reste du roman est intact) un prologue en italiques de quelques lignes dans le genre : « Dieu se manifesta aux hommes le vendredi 5 mars 2010, à Paris, sous la forme d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains. ») On passerait le reste du roman à s’interroger sur ce que l’auteur a voulu dire. S’agit-il réellement de Dieu dans son esprit ? Est-ce une manière de dire que si des ET à la technologie sur-développée nous rendait visite, nous les prendrions pour Dieu ? Autre chose ? On n’aurait pas de réponse mais – indépendamment des inévitables polémiques que le roman déclencherait, il n’en resterait pas moins un parfait roman de SF bien que la rationalité de son postulat de départ soit sérieusement sujette à caution.
Tu peux appeler cette manifestation "Dieu", "Ptah", "Zarquon" ou "Zorglub" que ça ne change rien.
Mais même à ce stade, je suis sûr que l'introduction du mot change quelque chose au niveau de la réception. Ouvrir le texte par : « Zorl se manifesta aux hommes le vendredi 5 mars 2010, à Paris, sous la forme d’une machine habitée par quarante-trois organismes non-humains. » ne produira pas le même effet. Et symétriquement : si Lucas avait parlé de "Dieu" au lieu de "La Force", je crois que la réception de Star Wars aurait été assez différente. Les mots ne sont pas interchangeables.