— Ce que je préfère maintenant, c'est la fin du mois de décembre : la nuit tombe à quatre heures. Alors, je peux me mettre en pyjama, prendre mes somnifères et aller au lit avec une bouteille de vin et un livre. C'est comme ça que je vis, depuis des années. Le soleil se lève à neuf heures ; bon, le temps de se laver, de prendre des cafés, il est à peu près midi, il me reste quatre heures de jour à tenir, le plus souvent j'y parviens sans trop de dégâts. Mais au printemps, c'est insupportable, les couchers de soleil sont interminables et magnifiques, c'est comme une espèce de putain d'opéra, il y a sans arrêt des nouvelles couleurs, de nouvelles lueurs, j'ai essayé une fois de rester ici tout le printemps et l'été et j'ai cru mourir, chaque soir j'étais au bord du suicide, avec cette nuit qui ne tombait jamais. Depuis, début avril, je vais en Thailande et j'y reste jusqu'à la fin août, début de journée six heures, fin de journée six heures, c'est plus simple, équatorial, administratif, il fait une chaleur à crever mais la climatisation marche bien, c'est la morte-saison touristique, les bordels tournent au ralenti mais ils sont quand même ouverts et ça me va, ça me convient, les prestations restent excellentes ou très bonnes.
— Là, j'ai l'impression que vous jouez un peu votre propre rôle…
— Oui, c'est vrai, convint Houellebecq avec une spontanéité surprenante. Ce sont des choses qui ne m'intéressent plus beaucoup. Je vais arrêter bientôt de toute façon, je vais retourner dans le Loiret ; j'ai vécu mon enfance dans le Loiret, je faisais des cabanes en forêt, je pense que je peux retrouver une activité du même ordre. La chasse aux ragondins ?
Passage intéressant.
Houellebecq se présente comme une individu prisonnier d'une réalité misérable qu'il a lui même contribué à construire. Il cherche la sortie et comprends que pour s'en rapprocher il doit accepter sa part d'enfance. L'enfance c'est l'aventure et le temps où l'on construit des choses. L'adulte qui se complet dans la noirceur veut à nouveau vivre le frisson de l'aventure. Mais le problème c'est que la "construction des cabanes" s'oppose à "la chasse aux ragondins". L'enfant créateur est prêt à devenir un prédateur pour retrouver et à nouveau éprouver ce qu'il éprouvait durant son enfance. Le créateur a fini par se détruire lui même.
Finalement si c'est emblématique de son oeuvre, il y a la déclaration d'un créateur qui ne sait plus créer et qui cherche à nouveau à devenir un créateur. Il a fini par chercher toutes les compensations que lui offrait la société. Et ce faisant il s'est détruit dans une longue dérive, tournant de plus en plus le dos à la création. Si il a construit toute son oeuvre sur son incapacité à créer, c'est vraiment comme le dit Héléne un auteur qui privilégie la posture et l'écriture thérapeutique.