Hors SF - Roberto Bolano - Le Troisième Reich

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Goldeneyes
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Hors SF - Roberto Bolano - Le Troisième Reich

Message par Goldeneyes » ven. sept. 24, 2010 11:51 am

Sorti des fonds de tiroirs poussiéreux avec la magie d’un polichinelle jaillissant de sa boîte, et publié, donc, à titre posthume, Le Troisième Reich débarque en librairie avec cet argument de poids : premier roman de Roberto Bolano. L’occasion, pour les néophytes, de faire un premier pas dans l’œuvre incontournable de l’auteur chilien.


Sous le ciel de la Costa Brava, le soleil cogne et les touristes en transit fourmillent comme un cancer. Ugo Berger, vingt-cinq ans, champion d’Allemagne d’un Wargame réputé - Le Troisième Reich - passe ses vacances en compagnie de sa petite amie Ingebord, dans l’hôtel qu’il fréquente depuis son adolescence. Dans l’implacable chaleur estivale, les existences se traînent : les soirées s’épuisent entre boîtes de nuit, bars, restaurants, et quelques liens se tissent. Ugo et Ingebord font la rencontre d’un couple de jeunes allemands : Charly et Hanna ; de deux jeunes espagnols : le Loup et l’Agneau ; du Brûlé, au corps couvert d’affreuses cicatrices ; de Frau Else, enfin, tenancière de l’hôtel, trentenaire à la beauté hiératique. Entre nuits festives et sommeil erratique, Ugo Berger passe son temps libre à élaborer de nouvelles stratégies pour son jeu de prédilection, avec la ferme intention de s’illustrer au cours des prochaines compétitions. Il affute aussi sa plume : essayiste dans quelques magazines spécialisés gravitant autour de l’univers du jeu, il compte sur le journal qu’il tient au quotidien pour développer son style, et peut-être, un jour, lointaine perspective, devenir écrivain. Pour Ugo, ces vacances passées en bonne compagnie devraient être synonyme de détente. Mais la croûte du drame ne tarde pas à venir grignoter les beaux jours : un accident survient, mettant fin aux réjouissances. Il y a aussi ce jeu, Le Troisième Reich, qui obnubile Ugo. A tel point que, lancé dans une partie contre le Brûlé, les jours défilent comme les nuits, le temps se délite, et Ugo, joueur compulsif, obsédé, névrosé ?, s’éloigne progressivement du réel pour s’enfoncer dans un couloir où le reste du monde n’a plus vraiment sa place. Il y a enfin, Frau Else, beauté allemande dont il est tombé sous les charmes depuis son adolescence. Leur relation ambigüe ne tarde pas à prendre une tournure nouvelle. Mais pour le mener où ?


Premier roman de l’auteur chilien, donc. On retrouve dans ce texte quelques thématiques en germe qui se déploieront dans ses romans ultérieurs : fascination du nazisme, frontières poreuses entre réalité et fiction… La traduction, signée Robert Amutio, met parfaitement en valeur la prose élaguée, concise de l’écrivain. Immédiatement, le lecteur est pris par le rythme prosodique tout particulier du texte qui opère sur lui une sorte d’attraction hypnotique. Des phrases simples, courtes, sans aucune fioriture, et des dialogues qui claquent, pétris de justesse, épurés. Le tout écrit de la main du narrateur, le jeune Ugo : au quotidien, il tient un compte rendu scrupuleux des évènements. Au centre de ce journal, trois figures saillent nettement : le Brûlé, un type mystérieux, propriétaire d’un parc locatif de pédalos. Sa laideur fascine autant qu’elle révulse : de terribles cicatrices lézardent sa peau. Il se pose comme quelqu’un d’à part, un rebut de la société, solitaire, exclu. Il est à la fois le pendant et le reflet d’Ugo, lui-même considéré par son entourage comme quelqu’un de spécial, d’orignal, à la fois craint pour la passion malsaine qu’il nourrit à l’endroit de son jeu et respecté pour les titres qui l’ont honoré. Seconde figure d’importance : Conrad, l’ami d’Ugo, demeuré en Allemagne, avec lequel il entretient une correspondance régulière. Il est celui qui le rattache au monde du jeu, le cordon ombilical le liant à une vie qu’il est sur le point de quitter. Troisième figure, enfin, celle de Frau Else, la tenancière de l’hôtel où Ugo réside, beauté mystérieuse et magnétique. Elle est mariée au propriétaire de l’hôtel. D’origine allemande, Ugo la connait depuis son adolescence. Et une bonne partie du journal est consacrée à leur relation.


Premier roman de l’auteur, Le Troisième Reich couve en son sein une force littéraire qui impose d’emblée son auteur comme un grand écrivain. Le texte possède un magnétisme tout particulier, essentiellement dû au charme de son style, à l’absence totale de sophistication de sa prose. Ce n’est pas au niveau de la construction romanesque qu’il faut chercher l’originalité : on est bien loin, ici, de la virtuosité d’un 2666. De part sa forme journal, le roman suit une chronologie parfaitement linéaire, sans ellipse, sans détours fracassants forçant à différentes contorsions baroques de l’esprit. Deux rails tranquilles sur lesquels on se laisse porter. Pourtant, l’attraction opère, quoi que l’on fasse. Dès les premiers chapitres, on est bien loin de la joie et de l’insouciance dont devrait logiquement profiter le narrateur en ces temps estivaux. La lumière est pourtant là, autant que le bruit : le soleil de l’été fait contrepoint au brouhaha des fêtes qui abandonnent les corps épuisés aux petits matins blêmes. Chaque jour étouffe sous la chaleur. On l’aura compris : cette lumière est trop vive, trop clinquante. Elle ne reflète que la vacuité oisive des existences, le toc des montres plaquées or. Le bruit, lui, ne résonne que pour mieux faire entendre le silence. Quant à la chaleur, elle a quelque chose de poisseux, d’oppressant, qui force Ugo à passer le plus clair de son temps dans sa chambre, autour de sa table de jeu dressée. Toute la force de ce roman réside dans cette spécificité : l’auteur, par l’une de ces habiletés littéraires, fait sourdre derrière chaque dialogue, chaque situation, une angoisse latente, un malaise inexplicable, qui se déploie au fil de son texte en entretenant chez le lecteur une sensation de tension, d’oppression, de malaise souverain. L’effet est d’autant plus désopilant qu’on a du mal à en déterminer sa source. On a l’impression qu’une menace, larvée sous les strates du récit, est quelque fois sur le point de jaillir, mais à chaque fois, l’auteur désamorce la situation, et la tension se dérobe, retombe, jusqu’à la prochaine vague. Bolano ne creuse jamais en profondeur ses personnages. Il ne les approche qu’en surface, les laissant baignés dans une sorte de halo palpitant, indistinct, fluctuant, semblable à l’horizon ondulant et flou d’un jour caniculaire, semblable aux pensées embrumées d’un esprit le lendemain de fête. "Le Brûlé", "l’Agneau", "le Loup", autant de sobriquets déterminants mais aussi évasifs… De ces personnages, de leur vie, de leur passé, on ne saura jamais rien. Ou si peu. De même Frau Else : sa beauté est d’autant plus attractive qu’elle demeure une figure lointaine, glacée, comme figée, fatale et incernable, fascinante car inconnue… Cette somme d’ingrédients imprègne le roman d’une atmosphère de profonde étrangeté, de mystère savamment entretenu. Tout cela n’est évidemment pas gratuit : le fond serre ici la forme. Et c’est là que le roman assoit la maîtrise de son auteur : avec le recul, nous comprenons que le narrateur de l’histoire, Ugo, se trouve à une étape décisive de son existence. L’un de ces carrefours qui détermine la direction de toute une vie. Sous cet angle, Le Troisième Reich se révèle un roman de l’abandon et de la construction. Un roman à tournure initiatique. Sa relation avec Frau Else va conduire Ugo à faire des choix. De l’issu de la partie engagée contre le Brûlée - son double et opposé - va dépendre l’orientation de sa carrière et de son avenir. Ainsi, Le Troisième Reich adopte-t-il de fortes propensions autobiographiques et devient le témoignage implicite d’un moment clé de la carrière de Bolano, l’auteur : cet instant où s’est affermie en lui, de manière définitive, la volonté et le besoin de devenir écrivain. Le texte n’en apparaît que plus poignant, car au-delà d’un simple roman, c’est à la naissance d’une vocation que le lecteur assiste.


Pierre angulaire de la bibliographie de l’auteur chilien, Le Troisième Reich pose les bases d’un œuvre incontournable. Jolie porte d’entrée sur l’univers de l’écrivain, il couve en son sein des thématiques ultérieurement développées, comme des fils conducteurs, dans la suite de ses romans. Vibrant d’une étrangeté malsaine, d’un malaise inidentifiable, d’une tension larvée et sous-jacente, d’une folie sournoise jamais affirmée, le roman dégage le charme vénéneux et enivrant d’une fragrance de pavot. A consommer sans modération.
Modifié en dernier par Goldeneyes le ven. sept. 24, 2010 12:43 pm, modifié 1 fois.

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Lensman
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Message par Lensman » ven. sept. 24, 2010 12:12 pm

Et ça parle de quoi, d'un point de vue SF ou F ?
Oncle Joe

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Goldeneyes
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Message par Goldeneyes » ven. sept. 24, 2010 12:43 pm

Désolé. Je précise dans le post...

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