Michel JEURY - May le monde

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Shagmir
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Michel JEURY - May le monde

Message par Shagmir » lun. sept. 27, 2010 12:12 pm

May le monde, paru début septembre dans la collection Ailleurs & demain, est à la fois de dernier et l'ultime roman de science-fiction de Michel Jeury et constitue son adieu au genre. En soi, cela devrait suffire à faire de cette parution un événement.

À cela, je dois maintenant ajouter que May le monde est tout simplement l'un des plus beaux textes qu'il m'ait été donné de lire ces dernières années.

Il est difficile de présenter ce roman en peu de mots. Il est plus difficile encore d'en évoquer la trame, l'intrigue (comment raconte-t-on un poème symphonique ?). May est une petite fille qui souffre de leucémie. Après une phase de rémission, elle attend des résultats d'analyse qui lui diront si elle est en train de rechuter. Elle séjourne à la campagne, entourée de médecins qui sont ses amis et ses compagnons durant cette attente. Mais le monde de May n'est pas notre réalité : c'est un monde de changements — chaque être est destiné à changer, à changer de conscience ou à changer de monde — ce qui est exactement la même chose. Que serait, d'ailleurs, un monde sans la possibilité du changement ?…

Michel Jeury joue avec des personnages qui peuvent changer de conscience, changer de nom, changer de monde. Et pour créer ces mondes, il crée un langage, et c'est là toute la magie de May le monde. La saveur du texte et notamment des dialogues écrits dans cette langue inventée et jamais obscure m'a fait penser à Burgess, bien sûr, mais le plaisir presque physique suscité par la saveur du texte m'a rappelé mes lectures de Rabelais, comparaison-déraison que j'explique difficilement, liée simplement au souvenir de sensations comparables. Dans sa manière d'utiliser le dérèglement de la langue pour évoquer le dérèglement de la conscience ou transcrire un autre rapport au réel, Jeury rappelle aussi le Dick de Glissement de temps sur Mars. Mais c'est un roman unique.

L'une des originalités du roman est de se dérouler presque exclusivement à la campagne — sans doute une manière pour le Jeury auteur de romans paysans de jouer avec ses lecteurs de science-fiction. May le monde n'est pas avare en clins d'œil qui amuseront les amateurs de SF et passeront inaperçus des autres ; la plupart sont d'ailleurs concentrés dans le début du roman, comme pour établir la connivence avec certains lecteurs avant qu'ils aient pu comprendre qu'il va s'agir de tout autre chose qu'un jeu de références pour initiés.

Et faut-il aimer la science-fiction pour aimer ce roman ? Je ne le crois pas. Il faut simplement être prêt à s'immerger, totalement, dans l'inconnu. Accepter de se laisser porter, accepter de renoncer à tout comprendre, tout embrasser. Accepter la disparition du monde.

May le monde se présente alors comme un roman paradoxal sur l'attente de la mort, plus précisément sur la non-peur de la mort, et dont la morale pourrait être, pour paraphraser Montaigne, que changer c'est apprendre à mourir. Le monde — les mondes — du roman seraient alors une manière d'évoquer, en creux, notre monde, un monde où rien, absolument rien, en fin de compte, ne nous prépare à mourir.

Est-ce un roman parfait ? Difficile à dire. À certains moments, le voyage m'a paru long, sans que jamais cela n'entame mon envie de poursuivre.

En chapeau, Gérard Klein annonce que Michel Jeury « renouvelle le genre en inventant une langue et un style comme vous n'en avez jamais vus », et je reconnais avoir douté.

J'ai eu tort.

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Modifié en dernier par Shagmir le lun. sept. 27, 2010 7:32 pm, modifié 2 fois.
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Hoêl
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Message par Hoêl » lun. sept. 27, 2010 12:44 pm

Je suis dedans , c'est un livre qui se lit lentement , je serais tenté de dire avec un rythme bucolique .
C'est vrai que le style est impressionnant avec des jeux multiples sur le langage et une maîtrise étonnante du langage "d'jeun".
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PierrePaul
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Message par PierrePaul » lun. sept. 27, 2010 6:40 pm

A mon goût, c'est le meilleur Jeury depuis les Les yeux géants. Et le meilleur roman de SF francophone depuis au moins dix ans...

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Shagmir
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Message par Shagmir » lun. sept. 27, 2010 7:31 pm

[J'ai ajouté à mon billet le paragraphe suivant.]

May le monde se présente alors comme un roman paradoxal sur l'attente de la mort, plus précisément sur la non-peur de la mort, et dont la morale pourrait être, pour paraphraser Montaigne, que changer c'est apprendre à mourir. Le monde — les mondes — du roman seraient alors une manière d'évoquer, en creux, notre monde, un monde où rien, absolument rien, en fin de compte, ne nous prépare à mourir.
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Message par Hoêl » lun. sept. 27, 2010 8:09 pm

Shagmir a écrit :[J'ai ajouté à mon billet le paragraphe suivant.]

May le monde se présente alors comme un roman paradoxal sur l'attente de la mort, plus précisément sur la non-peur de la mort, et dont la morale pourrait être, pour paraphraser Montaigne, que changer c'est apprendre à mourir. Le monde — les mondes — du roman seraient alors une manière d'évoquer, en creux, notre monde, un monde où rien, absolument rien, en fin de compte, ne nous prépare à mourir.
Ca correspond assez au début de la préface de Jeury en tout cas .
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Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » mar. sept. 28, 2010 4:26 pm

Un lecteur très attentif me signale que le poème de Charles Opham, page 81, diffère légèrement de celui de Charles Baudelaire dans notre univers.
J'ai consulté le Docteur Goldberg sur ce point de mondologie et j'attends sa réponse dont je ne manquerai pas de vous faire part.
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Lensman
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Message par Lensman » mar. sept. 28, 2010 10:03 pm

De fait, le roman fourmille littéralement (et littérairement) de références plus ou moins dissimulées, parfois légèrement transformées (univers parallèle oblige) . Par exemple, un chien porte le nom de Pao Tcheou, qui est le personnage principal d'une série fasciculaire française de l'immédiat après-guerre (une sorte de Fu-Manchu très technologique).
Je me rends compte qu'il faut lire ce livre deux fois, au moins. On risque de passer un peu à côté à le lire trop vite, ça m'est plus ou moins arrivé. Il nécessite de l'attention et une immersion patiente. Je replonge.

Oncle Joe
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Message par Gérard Klein » mar. sept. 28, 2010 11:57 pm

Erreur profonde et mondologique:
C'est page 31 (et non 81 comme dans cet autre univers) que le poème de Charles Orphan (et non Orpham) diffère de celui de Charles Baudelaire dans l'univers prime (en tout cas considéré comme tel par ses habitants).
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Message par Thomas Geha » mer. sept. 29, 2010 11:21 pm

allez, vendu.

(mais bon, déjà, il y avait "jeury" sur la couv, j'aurais craqué à un moment donné)

Gérard Klein
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Message par Gérard Klein » jeu. sept. 30, 2010 6:51 pm

À propos, Michel Jeury viendra, avec Nicole, à Nantes pour les Utopiales, et à Sèvres pour le célèbre salon annuel.
Mais n'attendez pas pour découvrir le monde de May. Vous pourrez toujours le faire signer par le Dr Goldberg-Jeury dans l'un ou l'autre de ces mondes parallèles.
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Message par Hoêl » jeu. sept. 30, 2010 7:13 pm

le Dr Goldberg-Jeury
Je n'avais pas saisi le rapprochement , y aurait-il aussi une allusion à Silverberg ?
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Soleil vert
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Message par Soleil vert » ven. oct. 01, 2010 9:04 pm

Chro à venir sur le Cafard.
J'ai trouvé ces vers de Catherine Pozzi (poétesse disparue, compagne de Paul Valery) qui font écho au texte de Michel Jeury :

Un seul signe de l'univers
Ne passe le seuil de la vie
Mais il n'existe pas de vie
Qui n'ait reçu mille univers.

Soleil vert
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Message par Soleil vert » ven. oct. 01, 2010 9:07 pm

Shagmir a écrit :[J'ai ajouté à mon billet le paragraphe suivant.]

May le monde se présente alors comme un roman paradoxal sur l'attente de la mort, plus précisément sur la non-peur de la mort, et dont la morale pourrait être, pour paraphraser Montaigne, que changer c'est apprendre à mourir. Le monde — les mondes — du roman seraient alors une manière d'évoquer, en creux, notre monde, un monde où rien, absolument rien, en fin de compte, ne nous prépare à mourir.
Dominique Warfa dans Galaxie : la recherche d'une "durée subjectivement éternelle offrant la capacité de fuir cette douleur "

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Message par Shagmir » sam. oct. 02, 2010 8:47 am

Hoêl a écrit :
le Dr Goldberg-Jeury
Je n'avais pas saisi le rapprochement , y aurait-il aussi une allusion à Silverberg ?
On peut le supposer... Sans doute y-t-il aussi un clin d'oeil aux célèbres Variations de Bach (les Changements Goldberg ?).

Le lecteur attentif croisera les noms de personnages comme Oliver Chad, Ursula Moore, Paul Anderson et, bien sûr, celui de l'écrivain à succès Willard Berwer.
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Message par Lensman » sam. oct. 02, 2010 8:51 am

Les contes d'Anderson, c'est une belle trouvaille, riche de sens... enfin, pour nous... le "grand public", lui...
Oncle Joe

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