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par Le_navire » sam. oct. 02, 2010 9:24 pm
Vous me faites peur...
- Le Goncourt qui se plante c'est 60 000 exemplaires (Quignard), contre 350 000 en moyenne des bonnes années. Ah oui, hein, mon Zeus, le Goncourt ne fait pas vendre.
- Nathalie Sarraute vendait à 150 000 exemplaires, autant que Nothomb l'année dernière.
- Aujourd'hui, l'immense majorité des lecteurs occasionnels n'a jamais entendu parler de Quignard, Michon, etc. En 1960 tous les lecteurs occasionnels connaissaient le nom de Nathalie Sarraute. Il suffit de faire un peu d'Histoire de l'Edition en France pour connaître ces faits, le nier ne démontre qu'une méconnaissance profonde de cette Histoire, largement étudiée et documentée. Je vous renvoie par exemple aux travaux de Martin et Chartier, ou plus récemment, ceux de Parinet dont des synthèses sont disponibles, je crois dans des collections grand public.
Personnellement, j'en conclue deux choses :
- l'édition française privilégie depuis vingt ans une production de masse au dépend de la production d'oeuvre plus ambitieuses. Pour, à mon avis, une raison fort simple : la production de masse répond à des critères de stabilité qui n'existent pas dans les oeuvres complexes : la complexité est, par essence, source de contradictions, d'expérimentation, et donc la fidélisation du public est plus difficile à obtenir. Je passe sur les contraintes économiques du système, j'en ai déjà parlé cent fois.
- Les oeuvres ambitieuses n'ont plus aucune chance de toucher un public qui autrefois, aurait fait preuve de curiosité puisque leur mise en avant les rendait intrigantes, éventuellement objet de désir.
Le résultat est évident, les chiffres aussi. Pour un Michon qui s'envole à 50 000 exemplaires (Les Onze, porté par un grand nombre de prix dont celui de l'Académie Française, dont les ventes moyennes sont d'habitudes plus proche des 150 000), les autres titres culminent à 15 000 alors qu'il est l'un des auteurs phares de la nouvelle littérature française.
La discussion sur le marketing me laisse perplexe. Les études sur la création du désir sont au moins aussi nombreuses que celles consacrées à ses méthodes. On peut discuter du terme de manipulation mentale parce qu'il est connoté, n'en reste pas moins que la création du désir artificiel est référencée. Bon. Reprenons. On crée le désir d'acheter par le marketing : le public achète.
D'après Tonton et Erion, ça ne suffit pas. Je suis d'accord sur ce point : si ça suffisait, on serait tous riches parce qu'il y aurait des "recettes" qu'il serait facile d'appliquer. Or, nous l'avons tous constaté, les recettes ne fonctionnent pas pour tous les livres, pas de la même façon selon les pays, et les facteurs humains sont trop nombreux en la matière pour définir des stratégies imparables. Qui plus est, les attachés de presse sont de plus en plus souvent accueillis par les critiques comme des emmerdeurs, qui les envoient bouler comme des malpropres, surproduction oblige. Si tous les attachés de presse réussissaient à échanger sur leurs bouquins avec tous les critiques disponibles, ces derniers n'auraient plus le temps d'écrire leurs chroniques, et moins encore de lire les livres qu'on leur envoie.
Donc les livres qui marchent plaisent aux lecteurs, même les daubesques. Ok.
Ce n'est pas le marketing qui fait que les livres leurs plaisent. Ok.
Que disent-ils en général ? "Ça m'a passionné, j'ai aimé les personnages, ça m'a mis du baume au coeur", ou au contraire," j'ai frissonné, j'ai eu peur, ça m'a scotché".
Tout leur rapport au livre est à résumer en terme d'affect et de ressenti presque animal.
Au même titre que ce qu'ils ressentent en regardant la télé, ou un match de foot. (Tiens d'ailleurs, parenthèse : l'exemple de Tonton me fait rire, à propos des séries. Tonton, le jour ou on causera des soaps, genre production de chez AB ou soap Brésiliens, on pourra trouver ton exemple pertinent, du moins si quelqu'un nous sort un jour que "Amour Gloire et Beauté" c'est du même niveau que Buffy ou BSG...^^)
Conclusion ? Chacun la sienne. La mienne est que le livre a perdu son caractère particulier qui était, depuis l'invention de l'écriture, d'amener l'homme à réfléchir, sur lui même ou sur le monde. Le livre a été ramené à une distraction de masse.
Panem et circences.
Je ne crois pas au complot, je crois aux conséquences. Le livre plaisir, sans autre but que la distraction du lecteur, pour moi (pour moi seulement, peut être) n'a plus grand chose à voir avec la littérature, et contribue à l'abrutissement des masses. Un nouvel opium du peuple. J'emploie des grands mots ? Ouais. C'est moi. Pas de quoi surprendre. Mes convictions n'engagent que moi.
Dans cette même optique, personne je gage ne s'étonnera de ce que je persiste à mépriser cette production, et à plaindre ses lecteurs.
De toute façon, je suis tout autant convaincue que cette forme de culture est morte, et qu'il est temps de tourner la page. Pas aujourd'hui, pas demain, mais à terme, c'est une évidence. Les ados que je fréquente tous les jours aujourd'hui ont un rapport à la connaissance qui n'a rien à voir avec celui de ma génération et de celles qui l'ont précédée. Ils remplacent l'analyse traditionnelle, qui consiste à se plonger dans une oeuvre, par exemple, pour en analyser le contenu, par une forme d'analyse par recoupement d'informations diverses grappillées çà et là dans la multiplicité.
Je ne suis même pas sûre qu'il faille le regretter. Parce que le livre va devoir se réinventer pour construire quelque chose de nouveau qui corresponde à cette nouvelle manière d'appréhender le monde. Et qu'il en sortira quelque chose de nouveau aussi, qui fera sans doute à terme table rase, mais qui donnera à nouveau de la place au sens, et de mon point de vue, c'est tout ce qui compte.
"Ils ne sont grands que parce que vous êtes à genoux"