Lem a écrit :Lensman a écrit :
Tu veux sans doute dire que ceux qui en éprouvent l'envie peuvent l'analyser d'un point de vue religieux. Le "contenu" religieux est fabriqué par celui qui adopte une approche religieuse. On peut avoir une approche religieuse de la biologie, par exemple, parmi des tas d'autres domaines. Le "contenu" religieux n'est pas donné comme ça, c'est quelque chose qui se construit (et non pas "se révèle") dans une logique religieuse.
Objection tout à fait recevable ; mais elle tue le problème avant de l'examiner. Le contenu dont je parle est la
forme de la pensée, cette passion pour la limite, son franchissement et le spectacle de l'inconnu qui s'étend au-delà.
Un esprit religieux verra du religieux partout, dans la préparation du repas du soir comme dans un tir de fusée. De même, un marxiste verra dans ces mêmes circonstances divers aspects de son historicisme favori. Ce n'est pas la question.
Ce dont je parle, c'est le mouvement intellectuel et affectif qui pousse à chercher, dans la spéculation, le point de plus grande intensité cognitive – démarche qui, tu le reconnaîtras je pense, a beaucoup à voir avec la science-fiction. Je veux dire que des prédictions
chiantes sur l'évolution de l'informatique, l'intégration des systèmes, la convergence des technologies, il y en a des tonnes et tout le monde s'en fout. Pourquoi celle de Vinge a-t-elle tant d'impact ? Parce qu'elle est eschatologique : elle annonce la fin du monde et l'avènement d'un autre, pleins de prodiges incompréhensibles. La question n'est pas qu'un esprit religieux puisse projeter sur ce scénario ses affects personnels mais le choix même de placer ce scénario sur la limite. Ce qui est aussi une manière de répondre à Pete Bondurant.
Elle n’annonce pas la « fin du monde », elle annonce peut-être la « fin d’UN monde », ce qui n’a absolument rien à voir…
C’est le problème de l’abus du vocabulaire eschatologique. Il y un monde qui continue, qui se modifie plus ou moins brutalement, mais c’est toujours le même, nous n’en avons pas de rechange (sauf vision religieuse, bien sûr). Qu’il « finisse » un jour, peut-être, mais avec lui, tout finira. Qu’y faire ? s’en inquiéter est sans aucun intérêt (et ceux que ça angoisse disposent de la pensée religieuse, il y a du choix).
Il y a tout le temps tromperie sur la marchandise, quand on emploie ce type de vocabulaire. Par exemple, on a pas mal débattu de l’immortalité, sur ce fil. On peut y revenir.
Imaginons (en SF, c’est courant) un processus qui permette de faire copier l’ « esprit » dans d’autre corps, ou dans un programme informatique (un truc à la mode, qui me fait toujours rigoler…). Avec ces systèmes, on devient immortel… pour la durée de l’univers. Super ! On se croirait dans le monde merveilleux de la religion ! Sauf que ça n’a aucun rapport. C’est d’éternité dont il est question, en religion, non d’immortalité, laquelle n’en est même pas un ersatz, si on réfléchit cinq minutes. Avec l’immortalité, nous ne nous rapprochons pas plus de l’idée de dieu que si nous étions un infusoire : dieu, c’est l’éternité, pas l’immortalité. La notion d’éternité n’est pas atteignable, par définition même, c’est une prérogative divine.
Tiens, dans l’extrait que tu as cité, on lit cette phrase :
Ray Kurzweil revises the customary conception of God to accommodate the possibility that humans are taking part in a process by which post-human beings (creatures, according to traditional theism) will attain powers equivalent to those usually attributed to God.
“des pouvoirs équivalents à ceux habituellement attribués à Dieu” ? L’éternité, par exemple ? L’omniscience et l’omnipotence ?
Ce n’est pas de la réflexion sérieuse. Si les « pouvoirs » en question sont « équivalents » à ceux attribués à Dieu , c’est que son auteur se fait une bien piètre idée de la notion de pouvoir divin…
Oncle Joe