L'empire spatial des morts de Tsiolkovski à P. F. Hamilton

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Lensman
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Message par Lensman » sam. oct. 23, 2010 6:15 pm

Lem a écrit : Ils ne caractérisent pas l'individu, mais l'espèce, et se manifestent chez la personne quand celle-ci connaît une crise grave à laquelle l'expérience individuelle n'est pas capable de répondre. Dans ce cas, monte des strates les plus profondes de la psyché un archétype qui exprime et éventuellement résoud la crise (l'anima, l'ombre, la grande mère, etc.) Je ne sais plus si Jung dit "où" selon lui sont stockés les archétypes ; il me semble qu'il suggère implicitement qu'ils vont avec l'équipement neurologique standard (qu'ils ne sont donc pas de nature métaphysique ou surnaturelle) mais je me trompe peut-être ; le plus vraisemblable est qu'il ne dit rien de clair là-dessus. Dans le cas contraire, sa position est platonicienne évidemment.
L'anima, l'ombre, la grande mère, etc, sont posés comme cela, en effet.
Il te semble "qu'il suggère implicitement qu'ils vont avec l'équipement neurologique standard (qu'ils ne sont donc pas de nature métaphysique ou surnaturelle) mais je me trompe peut-être".
C'est bien ce que je comprends aussi, mais autant "l'équipement neurologique standard', on voit ce que c'est, autant l'anima, l'ombre, la grande mère, etc n'existent ni plus ni moins que l'âme. Les termes (anima, ombre, etc) ne sont d'ailleurs pas choisis au hasard, ce sont des termes religieux. C'est à prendre ou à laisser, comme la position platonicienne (je ne vois pas, personnellement, de différence entre la position "religieuse" et la position platonicienne, avec des catégories posées comme cela, comme l'âme de la religion (au moins chrétienne) ou l'anima jungienne). Pour tout dire, dans le discours de Jung, on ne voit pas bien à quoi peut servir ledit "équipement standard".
Bref, pour utiliser la notion d'archétypes (selon Jung), il faut s'inscrire dans une tournure de pensée bien particulière (platonicienne), adhérer à des catégories que l'on ne peut pas poser comme acceptées implicitement par tout le monde.
C'est ce qui me dérange dans l'emploi du terme "archétype", on ne sait pas toujours si ceux qui l'emploient sont dans la logique jungienne, ou s'ils en font un emploi "édulcoré".
Dans le cas de Le Guin, on a l'impression que l'emploi est plutôt de ce dernier type, vague et général. Elle parle d'ailleurs plutôt de "myths" et plus précisément de "submyths", que je vois comme la fabrication de nouveaux mythes à partir de mythes anciens "mis en morceau" et "agglomérés" avec des idées nouvelles, sans pour autant que les mythes dit "originaux" existent en tant que catégories platoniciennes (on peut les voir comme des constructions culturelles, et leur contenu peut fortement varier, selon l'école de pensée dont on se réclame, que l'on soit conscient (d'appartenir à une école...) ou non.)

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Message par JDB » sam. oct. 23, 2010 6:16 pm

Gérard Klein a écrit :Il parut, dans les années 1950, un roman français qui se passait en partie sur une planète où se retrouvaient tous les morts, publié dans une collection mineure qui édita cependant un certain Kurt Vargar. si je ne me trompe. Je crois que ce roman était signé Keller et Brainin. Le titre m'échappe totalement et je n'ai certainement plus le livre, peut-être donné à Versins.
Mais un érudit retrouvera certainement la trace de ce roman majeur dont il serait intéressant de savoir si ses auteurs connaissaient Tsiolkovski.
Par recoupements (le seul livre signé "Kurt Wargar", Alerte aux monstres, est paru dans la collection "Visions futures" des éditions La Flamme d'or), je suppose qu'il s'agit de La Planète atlante, le seul ouvrage signé Keller-Brainin paru dans la même collection.
Le 4e de couverture (croquignolet) d'après nooSFere :
« L'œuvre de H. Keller et G. Brainin, marque un tournant décisif dans le roman d'anticipa­tion. Dépassant la pure fiction des voyages extra-planétaires au même extra-galactiques, ces auteurs ont davantage insisté sur la con­nexion existant entre la Pensée et l'Univers, le Psychisme et le Cos­mos.
L'introspection à laquelle ils se livrent dans tous ces domaines, nous les montrent [sic] à la pointe ex­trême des romanciers du genre.
Planète Atlante est une œuvre importante et de grande classe. »
J. L.
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Message par Lensman » sam. oct. 23, 2010 6:29 pm

Aldaran a écrit :
Lensman a écrit :J'ai le vague souvenir d'un Jean-Gaston Vandel, où on communiquait avec les morts, il me semble.
Dans La Grande rivière du ciel, ils sont stockés dans un coin du cerveau et on peut les consulter à volonté, si mes souvenirs sont bons.
Effectivement, ce sont des sortes de copies de personnalités, avec des souvenirs, et qui savent faire des réflexions exaspérantes ("c'était mieux de mon temps"). Il reste à savoir quel est leur statut, à partir de quel moment une copie est considérée suffisamment "parfaite" pour être confondue avec l'orignal. Et même si on ne la confond pas, que faire de la copie? on la traite comme un humain, ou on peut la jeter à la poubelle? (je sais, il y a des humains que l'on jette à la poubelle, dans la vraie vie... mais tu vois tout de même le sens de la question).
Ce qui est intéressant, en SF, c'est que des problèmes qui on l'air très angoissant quand on y réfléchit "sérieusement", sont pris par le lecteur avec un grain de sel, qui fait qu'il ne va pas arrêter de se raser le matin (c'est une image) après la lecture...
Tu me diras que c'est pareil avec des polars où il y a des meurtres horribles, mais bon, ça me semble tout de même d'un autre ordre.

Oncle Joe

Lem

Message par Lem » sam. oct. 23, 2010 6:42 pm

Lensman a écrit :autant "l'équipement neurologique standard', on voit ce que c'est, autant l'anima, l'ombre, la grande mère, etc n'existent ni plus ni moins que l'âme. Les termes (anima, ombre, etc) ne sont d'ailleurs pas choisis au hasard, ce sont des termes religieux.
Je pense plutôt que le registre est celui de la mythologie, exactement comme quand Freud forge l'Œdipe (n'oublions pas que Jung a fait partie des premiers disciples, de façon compliquée, certes). Je ne sais pas si tu qualifierais le complexe d'Œdipe de "terme religieux" ?
Pour tout dire, dans le discours de Jung, on ne voit pas bien à quoi peut servir ledit "équipement standard".
Toujours sous réserve que ma mémoire soit fiable : il me semble que chez Jung, ces questions n'ont pas beaucoup d'importance ; après tout, il n'en déduit pas formellement une ontologie. Son idée centrale, c'est que l'inconscient collectif humain stocke un certain nombre de solutions-types à des crises que l'espèce a déjà traversées, sous forme d'archétypes. Quand un des membres de l'espèce revit, à titre personnel, une de ces crises, un ou plusieurs archétypes se manifestent. C'est une sorte de "pensée automatique", si j'ose dire.
C'est ce qui me dérange dans l'emploi du terme "archétype", on ne sait pas toujours si ceux qui l'emploient sont dans la logique jungienne, ou s'ils en font un emploi "édulcoré".
Dans le cas de Le Guin, on a l'impression que l'emploi est plutôt de ce dernier type,
Je n'en suis pas si sûr. Elle cite explicitement Jung, elle parle d'inconscient collectif qui se situe dans les profondeurs de la psyché "et peut-être au-delà"… J'ai plutôt l'impression (sur ce seul extrait) qu'elle fait un emploi fort du terme. Mais je pense que tu surestimes les contraintes de cet emploi : il n'engage à rien d'autre qu'à l'existence d'une psychologie des profondeurs. Ce n'est pas rien, mais ce n'est pas non plus dramatique. L'emploi 'édulcoré' du terme archétype, c'est de l'attribuer à un peu tout et n'importe quoi de symbolique. Ce n'est pas le cas de Le Guin.[/list]

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Message par Lensman » sam. oct. 23, 2010 7:27 pm

Oedipe, c'est un homme, même si c'est un personnage mythologique, et le complexe d'Oedipe, c'est censé être un comportement (auquel, d'ailleurs, Freud tente de donner des justifications et origines "préhistoriques" assez marrantes...). Je vois là fort peu de rapport avec la démarche de Jung (lequel insiste d'ailleurs sur le caractère "profond" de ses idées, alors que celles de Freud ne tiendraient pas compte des couches "fondamentales" que son "élève" a découvertes). Le vocabulaire de Jung va piocher dans le religieux: il est question d'âme, terme que je mets immédiatement dans le religieux, mais pas dans la mythologie.
Justement, tiens, quelle différence faire entre "mythologie" et "religion"?
J'ai l'impression que, de manière générale, quand on parle de "mythologie", c'est qu'on parle d'idées religieuses qui ne sont plus (ou n'ont jamais été) susceptibles d'être crues par celui qui emploie le terme. Si on veut vraiment étudier les croyances des Anciens, on dira que l'on va étudier leur religion, et non pas leur mythologie, parce qu'autrement, il y aura confusion. Les mythologies, elles sont récupérées, elles ont plein d'usages (notamment artistique, littéraire, mais pas seulement, voir le nom scientifique de certaines bestioles ).
Ou alors, autre option, on va utiliser le mot "mythe" pour désigner quelque chose qui est non pas une croyance, mais plutôt quelque chose auquel on aimerait ou détesterait croire, ou auquel on fait un peu semblant de croire, mais hors du domaine du religieux (du genre le "mythe de la baisse des impôts", ou le "mythe de l'homme providentiel", en politique...).
Le mythe de Superman, à la Le Guin, par exemple, ce n'est pas une croyance religieuse, mais une image qui cristallise des envies, des besoins (ou des inquiétudes...), mais sans qu'il y ait croyance.
La aussi, dans mes lectures, je suis frappé par l'emploi désinvolte des mots du type "mythe", "mythologie", "inconscient" (collectif ou autre). C'est souvent sans gravité, tu as raison, mais dès qu'il s'agit de raisonner de manière un peu pointue, tout ce fatras ("fatras" sans doute à cause de la désinvolture de l'emploi) se met à tout embrouiller. L'emploi de la notion d'"inconscient collectif", comme si ça expliquait quelque chose, alors que tout au contraire, on aimerait plutôt mettre en évidence ce que ça peut bien vouloir dire de manière précise, ça n'aide pas tellement...

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Lem

Message par Lem » sam. oct. 23, 2010 7:49 pm

Précisément la raison pour laquelle j'ai préféré ne pas utiliser le concept d'archétypes dans un texte théorique.

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Erion
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Message par Erion » sam. oct. 23, 2010 7:55 pm

Lensman a écrit : Ou alors, autre option, on va utiliser le mot "mythe" pour désigner quelque chose qui est non pas une croyance, mais plutôt quelque chose auquel on aimerait ou détesterait croire, ou auquel on fait un peu semblant de croire, mais hors du domaine du religieux (du genre le "mythe de la baisse des impôts", ou le "mythe de l'homme providentiel", en politique...).
Le mythe de Superman, à la Le Guin, par exemple, ce n'est pas une croyance religieuse, mais une image qui cristallise des envies, des besoins, mais sans qu'il y ait croyance.
Surtout le fait que, pour l'essentiel, il s'agit de formes. Du coup, on peut certes repérer toutes les formes du religieux en science-fiction, repérer les symboles (Le Guin se moque des critiques qui recherchent des symboles partout), mais ça ne dit rien du contenu, de son usage narratif.
Quand on voit Thor chez Kirby, certes on voit des dieux, mais c'est avant tout une forme, en déduire des conséquences métaphysiques, ce serait faire de la métaphysique de pacotille.
D'où on revient au fait que les critiques qui se moquent de la métaphysique de pacotille en science-fiction ont raison. Pour l'essentiel, il ne s'agit jamais que de la forme, de l'emprunt, du prétexte.
Et on peut refaire ça avec les savants fous, avec tous les submyths qui constituent des éléments caractéristiques du genre, comme le dragon dans la fantasy.
La littérature générale n'utilise quasiment pas ces sous-mythes, elle peut manipuler les mythes (Oedipe dans les Gommes de Robbe-Grillet par exemple) voire fonctionner sans.
Comme le note Le Guin, utiliser les mythes, c'est enfourcher un crucifix pour obtenir un effet émotionnel facile. Pour la littérature populaire de grosse production comme le fut la SF, il est très logique de voir ces procédés pulluler. C'est pratique, et facile. Tout le monde n'est pas Mary Shelley, capable de produire soi-même du mythe.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par Erion » sam. oct. 23, 2010 7:55 pm

Lem a écrit :Précisément la raison pour laquelle j'ai préféré ne pas utiliser le concept d'archétypes dans un texte théorique.
Et c'est pour ça que tu as utilisé un terme simple et clair et sans ambiguïté : métaphysique.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Message par Lensman » sam. oct. 23, 2010 8:37 pm

Erion a écrit : Comme le note Le Guin, utiliser les mythes, c'est enfourcher un crucifix pour obtenir un effet émotionnel facile. Pour la littérature populaire de grosse production comme le fut la SF, il est très logique de voir ces procédés pulluler. C'est pratique, et facile. Tout le monde n'est pas Mary Shelley, capable de produire soi-même du mythe.
En fin de compte, si je comprends bien, des mythes, il s'en fabrique tout le temps (certains tenant mieux le coup que d'autres).
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Message par Gérard Klein » sam. oct. 23, 2010 11:07 pm

Il est difficile d'intervenir après un tel étalage d'érudition.
Toutefois, pour Jung, l'archétype a clairement une dimension héréditaire, nous dirions aujourd'hui génétique. Une couche (sous-couche si l'on y tient) de l'inconscient, constituée collectivement à partir de l'accumulation d'expériences individuelles (dans une perspective assez lamarckienne), serait ainsi transmise, qui n'émergerait clairement dans des sujets que dans des circonstances exceptionnelles. C'est en ce sens que Frank Herbert par exemple, dans Dune et ses suites orthodoxes, évoque la rémanence de personnalités antérieures chez les Bene Gesserit ou lors du réveil traumatique des gholas.
C'est parce que cette réduction me semblait difficilement acceptable à la lumière d'une science plus récente et aussi pour conserver ce qui me semblait le plus pertinent du concept marxien d'un savoir qui déborde le conscient individuel mais qui rend compte de sa perception d'une expérience sociale (Marx aurait dit de classe) que j'ai été amené à proposer le concept de subjectivité collective informant comme le langage (Lacan dirait lalangue) le sujet humain et un inconscient qui n'est ni freudien ni jungien et qui ne vise du reste pas à remplacer les leurs.
J'espère parvenir à publier un jour le texte complet de Trames et moirés qui tente d'expliciter ce concept sans faire appel à aucune hérédité génétique ni à aucune forme de transmission surnaturelle (à la façon de la distinction âme et corps de Descartes).

Le concept d'Œdipe chez Freud est tout à fait différent. Pour Freud (qui est un matérialiste), l'Œdipe est une image, empruntée à la littérature, qui rend compte d'une situation à laquelle tout humain est confronté: avoir une mère et un père, leur donner des places et se situer dès la naissance ou la toute petite enfance par rapport à ces places. Pour Freud, comme d'ailleurs pour Jung quoique les réponses métapsychologique soient très différentes, ces concepts sont directement issus de l'observation, de la pratique de l'analyse, en gros de ce que disent les patients qui s'y soumettent et des comportements de tous les autres.
La question de savoir si l'Œdipe est universel ou non, c'est à dire caractéristique du sujet occidental et de lui seul ou non, est débattue depuis un siècle notamment par les ethnologues (les américains disent anthropologues (la différence, même si elle peut sembler purement conventionnelle ne me paraît pas si simple).). Les opposants à l'idée de l'universalité de l'Œdipe se sont efforcés de montrer qu'il existait des sociétés où il n'aurait pas de sens, par exemple en soulignant que le rôle du père n'était pas universel. Reste qu'on lui a toujours découvert des substituts, oncle ou autres. Si bien que la question a pris le tour inattendu de savoir si les cultures qui n'auraient pas de rôle défini du père avaient le même destin que les autres, en particulier dans le rapport à la Loi.

Dans le cas de Benford et de ses personnalités logées, il s'agit purement et simplement de personnalités informatiques copiées et d'une façon de préserver leur expérience chez les vivants qui les abritent. Que ces personnalités conservent une petite indépendance et à l'occasion une capacité de nuisance ne les ramène en rien aux concepts freudiens et jungiens mais représente dans une certaine mesure une mise à jour des mémoires de Herbert. Ce n'est qu'une extension après tout des documents écrits qui nous permettent d'interroger de grands esprits du passé dans l'espoir de profiter de leur expérience, avec souvent quelques ambiguïtés qui font les délices des commentateurs. Cela s'appelle la culture, catégorie peut-être en voie de désuétude.
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Message par Lensman » dim. oct. 24, 2010 8:13 am

Gérard Klein a écrit :
Le concept d'Œdipe chez Freud est tout à fait différent. Pour Freud (qui est un matérialiste), l'Œdipe est une image, empruntée à la littérature, qui rend compte d'une situation à laquelle tout humain est confronté: avoir une mère et un père, leur donner des places et se situer dès la naissance ou la toute petite enfance par rapport à ces places. Pour Freud, comme d'ailleurs pour Jung quoique les réponses métapsychologique soient très différentes, ces concepts sont directement issus de l'observation, de la pratique de l'analyse, en gros de ce que disent les patients qui s'y soumettent et des comportements de tous les autres.
La question de savoir si l'Œdipe est universel ou non, c'est à dire caractéristique du sujet occidental et de lui seul ou non, est débattue depuis un siècle notamment par les ethnologues (les américains disent anthropologues (la différence, même si elle peut sembler purement conventionnelle ne me paraît pas si simple).). Les opposants à l'idée de l'universalité de l'Œdipe se sont efforcés de montrer qu'il existait des sociétés où il n'aurait pas de sens, par exemple en soulignant que le rôle du père n'était pas universel. Reste qu'on lui a toujours découvert des substituts, oncle ou autres. Si bien que la question a pris le tour inattendu de savoir si les cultures qui n'auraient pas de rôle défini du père avaient le même destin que les autres, en particulier dans le rapport à la Loi.
Le "directement issu de l'observation" me paraît bien avancé, en ce qui concerne Jung. Qu'est ce qui est "directement observé" chez Jung (d'après ce que j'ai lu) ? Des compte-rendu de rêves (déjà, le concept est problématique en lui-même). Après, il y a interprétation de ces compte-rendu de rêves à partir d'une curieuse théorie largement bâtie (et Jung ne s'en cache nullement) sur l'interprétation de textes touchant à la mythologie et aux religions des peuples anciens (le monde grec, mais pas seulement). Relire Métamorphoses de l'âme et ses symboles, qui est une oeuvre d'hétéroclite raffiné (on y apprend des tas de choses, sauf quoi que ce soit qui appuie sérieusement les théories défendues). Pourquoi pas, d'ailleurs?
On a l'impression que c'est un peu différent pour Freud, que l'observation directe occupe davantage de place, par rapport à la théorie que l'on prétend vérifier en interprétant des rêves (rien que cette idée est amusante, quand on y réfléchit...). Disons que Freud semble ne pas s'appuyer uniquement sur l'interprétation des rêves ou la lecture des mythologies antiques, mais je ne m'avancerai pas trop non plus, son terrain semblant pour le moins fort peu assuré...
Cela dit, il est intéressant de construire, en science-fiction, des théories de ce type, en les plaçant dans un avenir... où elles fonctionneraient effectivement sans discussion, comme dans Dune ( à l'inverse de ce qui se passe pour les théories psychanalytiques actuellement et dans la réalité, si j'ose écrire). Ou alors, imaginer un avenir où on est effectivement parvenu à vérifier rigoureusement les théories psychanalytiques (peut-être pas toutes simultanément, c'est à voir...). C'est d'ailleurs un des intérêts majeurs de la science-fiction, il me semble...

Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le dim. oct. 24, 2010 8:22 am, modifié 1 fois.

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Message par Lensman » dim. oct. 24, 2010 8:21 am

Gérard Klein a écrit : Dans le cas de Benford et de ses personnalités logées, il s'agit purement et simplement de personnalités informatiques copiées et d'une façon de préserver leur expérience chez les vivants qui les abritent. Que ces personnalités conservent une petite indépendance et à l'occasion une capacité de nuisance ne les ramène en rien aux concepts freudiens et jungiens mais représente dans une certaine mesure une mise à jour des mémoires de Herbert. Ce n'est qu'une extension après tout des documents écrits qui nous permettent d'interroger de grands esprits du passé dans l'espoir de profiter de leur expérience, avec souvent quelques ambiguïtés qui font les délices des commentateurs. Cela s'appelle la culture, catégorie peut-être en voie de désuétude.
Avec tout de même la particularité intéressante (on est en science-fiction...) que les esprits en question se commentent tout seul, alors que dans le monde habituel, il y a des commentateurs repérables (pas toujours facilement, je l'admets...) et distincts des esprits qu'ils commentent (d'où les discussions avec les ambiguités qui en font le charme). C'est un peu problématique, si on perd de vue que les esprits prétendument copiés ne sont pas, justement, des esprits copiés, mais des interprétations d'esprits obtenues je ne sais trop comment, mais sûrement pas par "copie directe", ou alors, il faudrait clarifier le concept (je sais, c'est de la science-fiction...)

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Erion
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Message par Erion » dim. oct. 24, 2010 9:47 am

Lensman a écrit :
Erion a écrit : Comme le note Le Guin, utiliser les mythes, c'est enfourcher un crucifix pour obtenir un effet émotionnel facile. Pour la littérature populaire de grosse production comme le fut la SF, il est très logique de voir ces procédés pulluler. C'est pratique, et facile. Tout le monde n'est pas Mary Shelley, capable de produire soi-même du mythe.
En fin de compte, si je comprends bien, des mythes, il s'en fabrique tout le temps (certains tenant mieux le coup que d'autres).
Oncle Joe
Globalement, oui.
C'est un peu la théorie d'Hiroki Azuma, le chercheur ayant élaboré le concept d'otaku au Japon.
Il explique que nous avons assisté à la fin des Grands Récits (Communisme, Religion) et que les générations nées dans les années 60-70 se sont focalisées sur les petits récits (au Japon, ça consiste à connaître tout de l'univers de Gundam, en Occident, ça correspond à la chronologie de l'univers Star Wars ou au fait de parler Klingon).
La théorie d'Azuma, c'est que les générations des années 80-90 ont mis de côté les petits récits pour se focaliser sur les formes, les éléments d'attraction. Peu importe l'histoire, la narration, tant qu'on y trouve les éléments de base. De cette façon, les amateurs de SF sont, au final, connectés à une gigantesque base de données contenant ces éléments et une oeuvre est jugée à l'aune de sa capacité à manipuler la base de données.

C'est ainsi qu'un site internet japonais permet de classer et retrouver les personnages de manga non pas en fonction des auteurs et des séries, mais en fonction de leurs caractéristiques (oreilles de chat, tenue de barmaid, prothèses de cyborg). Et on retrouve ça dans les jeux vidéos.

Tout cela s'étend à la conception même des personnages. Ainsi, au Japon, on peut résumer un personnage à son concept. Par exemple, les personnages qualifiés de "Tsundere" se caractérisent par le fait d'être une personnalité hautaine qui devient affectueuse par la suite. C'est un archétype très important pour l'animation japonaise, et les amateurs sont capables, rien qu'en regardant les caractéristiques graphiques de dire si tel ou tel personnage est "tsundere", prévoyant ainsi les conséquences pour le récit. Le personnage "Tsundere" a son contraire, le "Yandere" (personnage tendre qui devient destructeur). Ou aussi les "meganekko", les personnages féminins portant des lunettes, considérés comme des personnages sexuellement attirants.

On peut difficilement imaginer à quel point tout cela est structuré en fonction de micro-archétypes qui ne sont que des formes, et ne représentent rien.

Sans aller à ces extrêmes, on peut en trouver un écho dans la fantasy ou dans la bit-lit, où la répétition des motifs, l'accumulation des archétypes (différents des clichés), est un des éléments d'attraction pour les lecteurs.
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Message par Lensman » dim. oct. 24, 2010 12:51 pm

C'est intéressant, ça ressemble à un processus sans fin. Certains de ces "micro-archétype" (je n'aime guère le terme, mais on fera avec pour l'instant) s'incrustent, d'autres disparaissent, d'autres se construisent. Cela marche dans des tas d'autres domaines que la SF, bien sûr. Et ils peuvent passer d'un domaine à l'autre, sans que cela signifie forcément grand chose, je suppose.
Oncle Joe
PS: l'aspect "fondamental", "primordial", que j'ai tendance à accoler au terme "archétype" disparaît, alors...

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Message par Fabien Lyraud » dim. oct. 24, 2010 1:26 pm

Dans le cas de Le Guin, on a l'impression que l'emploi est plutôt de ce dernier type, vague et général. Elle parle d'ailleurs plutôt de "myths" et plus précisément de "submyths", que je vois comme la fabrication de nouveaux mythes à partir de mythes anciens "mis en morceau" et "agglomérés" avec des idées nouvelles, sans pour autant que les mythes dit "originaux" existent en tant que catégories platoniciennes (on peut les voir comme des constructions culturelles, et leur contenu peut fortement varier, selon l'école de pensée dont on se réclame, que l'on soit conscient (d'appartenir à une école...) ou non.)
Je ne voudrais pas dire de conneries mais il me semble que l'on retombe sur la notion de schéma prototypique selon Bakhtine. Il n'est pas le seul à s'y être intéressé. Propp a codifié les contes selon des schémas qui leur sont propre et ensuite Aarne et Thomson ont établi une classification. Mais c'est aussi sur les travaux de Propp que Greimas a construit son modèle du schéma narratif. Mais là je digresse.
Bienvenu chez Pulp Factory :
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