Blake & Mortimer et la SF (archaïque ?)
Modérateurs : Estelle Hamelin, Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m
Blake & Mortimer et la SF (archaïque ?)
Je termine la lecture l’essai « Jacobs, la marque du fantastique », de René Nouailhat (Mosquito, CRDP Franche-Comté, 2004).
Comme son titre le laisse deviner, il est consacré à la série Blake & Mortimer d’Edgar P. Jacobs, qu’il est inutile de présenter, avec en sus quelques réflexions sur les « suites » qui ont été données à cette BD mythique (les deux premières, d’ailleurs les deux seules à peu près réussies, à mon sens, en tout cas).
Je recommande vivement la lecture de cet essai, même si, par ailleurs, je suis assez en désaccord sur certaines analyses et conclusions de l’auteur.
En passant, René Nouailhat rappelle quelques remarques de Jacobs sur la science-fiction, tirées de « Un opéra de papier » (les « mémoires » de Jacobs, une lecture obligatoire pour tout amateur) :
« Personnellement, je ne me sens guère tenté par le western spatial du « space opéra » ou par les extravagances de l’« heroïc fantasy ». Ma préférence va plutôt à des sujets qui, tout en appartenant nettement à la science-fiction, repose sur des données moins aventurées ou du moins plus plausibles. C’est-à-dire situées dans ce que j’appellerais « l’inexplicable présent », cette vaste zone à peine explorée où tant de phénomènes dits surnaturels ou paranormaux, attendent d’être décryptés comme le furent, avant eux, l’électricité, le magnétisme, la radioactivité… Je vois plutôt la science-fiction comme un jeu spéculatif, une anticipation romancée des réalisations et des découvertes de demain ou d’après-demain. Tout l’art consistant à extrapoler le sujet choisi jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes, à mi chemin entre le réel et l’insolite ».
Plusieurs questions se posent pour moi à la lecture de ces remarques de Jacobs sur la SF (datant de 1981, il faut le préciser). D’abord, ses propres œuvres correspondent-elles si bien que cela à la description qu’il fait de sa conception de la science-fiction ? (cf. par exemple « L’énigme de l’Atlantide », dont les spéculations, même à l’époque de l’aventure, semblent pour le moins…. datées, et peu liées à des découvertes scientifiques du temps (ou alors, il faut s’interroger fortement, et ça me semble nécessaire, sur la conception que Jacobs avait de la science…)). Ensuite, qu’est-ce que Jacobs essayait d’exprimer à propos de ses réticences quant au « space opera » (c’est quoi, le « space opera », selon Jacobs ?) et l’ « heroïc fantasy » (que vient-elle faire, celle-là, dans son discours, où personne ne l’attendait ?)
Bref, je me demande si, dans cette pratique de la bande dessinée telle que la défend Jacobs, ne s’exprime pas une certaine science-fiction … qui n’est pas vraiment ce que l’on aurait tendance à appeler la science-fiction « moderne » (en tout cas, la SF « américaine » que l’on découvre dès l’après-guerre, moment où Jacobs publie « Le secret de l’Espadon »). Cette BD serait-elle la survivance d’une forme « archaïque » de SF ? Plus généralement, la « BD de SF franco-belge » (notez les guillemets) des années 1950-70, disons, aurait-elle, quelque part, une guerre de retard sur l’évolution de la SF ?
Ces graves questions peuplent mes songeries actuelles, avant de m’endormir (et de vous endormir…)
Votre Oncle Joe
Comme son titre le laisse deviner, il est consacré à la série Blake & Mortimer d’Edgar P. Jacobs, qu’il est inutile de présenter, avec en sus quelques réflexions sur les « suites » qui ont été données à cette BD mythique (les deux premières, d’ailleurs les deux seules à peu près réussies, à mon sens, en tout cas).
Je recommande vivement la lecture de cet essai, même si, par ailleurs, je suis assez en désaccord sur certaines analyses et conclusions de l’auteur.
En passant, René Nouailhat rappelle quelques remarques de Jacobs sur la science-fiction, tirées de « Un opéra de papier » (les « mémoires » de Jacobs, une lecture obligatoire pour tout amateur) :
« Personnellement, je ne me sens guère tenté par le western spatial du « space opéra » ou par les extravagances de l’« heroïc fantasy ». Ma préférence va plutôt à des sujets qui, tout en appartenant nettement à la science-fiction, repose sur des données moins aventurées ou du moins plus plausibles. C’est-à-dire situées dans ce que j’appellerais « l’inexplicable présent », cette vaste zone à peine explorée où tant de phénomènes dits surnaturels ou paranormaux, attendent d’être décryptés comme le furent, avant eux, l’électricité, le magnétisme, la radioactivité… Je vois plutôt la science-fiction comme un jeu spéculatif, une anticipation romancée des réalisations et des découvertes de demain ou d’après-demain. Tout l’art consistant à extrapoler le sujet choisi jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes, à mi chemin entre le réel et l’insolite ».
Plusieurs questions se posent pour moi à la lecture de ces remarques de Jacobs sur la SF (datant de 1981, il faut le préciser). D’abord, ses propres œuvres correspondent-elles si bien que cela à la description qu’il fait de sa conception de la science-fiction ? (cf. par exemple « L’énigme de l’Atlantide », dont les spéculations, même à l’époque de l’aventure, semblent pour le moins…. datées, et peu liées à des découvertes scientifiques du temps (ou alors, il faut s’interroger fortement, et ça me semble nécessaire, sur la conception que Jacobs avait de la science…)). Ensuite, qu’est-ce que Jacobs essayait d’exprimer à propos de ses réticences quant au « space opera » (c’est quoi, le « space opera », selon Jacobs ?) et l’ « heroïc fantasy » (que vient-elle faire, celle-là, dans son discours, où personne ne l’attendait ?)
Bref, je me demande si, dans cette pratique de la bande dessinée telle que la défend Jacobs, ne s’exprime pas une certaine science-fiction … qui n’est pas vraiment ce que l’on aurait tendance à appeler la science-fiction « moderne » (en tout cas, la SF « américaine » que l’on découvre dès l’après-guerre, moment où Jacobs publie « Le secret de l’Espadon »). Cette BD serait-elle la survivance d’une forme « archaïque » de SF ? Plus généralement, la « BD de SF franco-belge » (notez les guillemets) des années 1950-70, disons, aurait-elle, quelque part, une guerre de retard sur l’évolution de la SF ?
Ces graves questions peuplent mes songeries actuelles, avant de m’endormir (et de vous endormir…)
Votre Oncle Joe
C'est vrai que c'est marrant qu'il parle d'heroic fantasy.
C'est amusant aussi qu'il décrive en des termes plutôt bien choisis une activité d'anticipation qui n'est pas vraiment la sienne... Je n'ai pas souvenir que les Blake et Mortimer anticipent sur des données scientifiques de son époque. Il s'agit plutôt du fond fortéen des sciences marginales, entre Atlantide et chambre secrète de la pyramide, avec des bouts de science appliquée au crime et à l'espionnage (manipulation de la météo, des ondes mentales...).
Je me demande un peu, parfois, si les spéculations de ce genre ne sont pas les vraies héritières de l'imagination scientifique à la française. Il y a un article sur Tintin de Serge Lehman où il avance que la BD franco-belge a hérité et fait vivre pas mal de thèmes de l'imagination scientifique d'avant-guerre. Et je serais plutôt d'avis de voir dans Champignac, Tournesol, Miloch et même Gaston Lagaffe, les successeurs de ces savants plus ou moins fous qui construisaient des machines bizarres et souvent assez peu utiles, dans les bouquins de Le Rouge, Groc, Renard, Spitz ou Barjavel.
C'est amusant aussi qu'il décrive en des termes plutôt bien choisis une activité d'anticipation qui n'est pas vraiment la sienne... Je n'ai pas souvenir que les Blake et Mortimer anticipent sur des données scientifiques de son époque. Il s'agit plutôt du fond fortéen des sciences marginales, entre Atlantide et chambre secrète de la pyramide, avec des bouts de science appliquée au crime et à l'espionnage (manipulation de la météo, des ondes mentales...).
Je me demande un peu, parfois, si les spéculations de ce genre ne sont pas les vraies héritières de l'imagination scientifique à la française. Il y a un article sur Tintin de Serge Lehman où il avance que la BD franco-belge a hérité et fait vivre pas mal de thèmes de l'imagination scientifique d'avant-guerre. Et je serais plutôt d'avis de voir dans Champignac, Tournesol, Miloch et même Gaston Lagaffe, les successeurs de ces savants plus ou moins fous qui construisaient des machines bizarres et souvent assez peu utiles, dans les bouquins de Le Rouge, Groc, Renard, Spitz ou Barjavel.
En fait, pour clarifier ce que je viens d'écrire, j'en suis à me demander si l'imagination scientifique française ne s'est pas scindée en deux courants après la 2e GM : une partie qui s'est amalgamée à la SF américaine, et l'autre qui a survécu dans quelques bouquins du Fleuve Noir (je pense à Limat, Guieu, Bessière, à charge de vraiment faire le tri), dans des BD type Tintin, B&M, Spirou... et finalement dans des publications pseudo-sérieuses, dans le sillage du Matin des magiciens et de Planète.
Si cette hypothèse fonctionne, ça pourrait aider à mieux comprendre le rapport à la science dans l'imagination scientifique. Un peu comme le dit Jacobs, il y a cette idée d'une anticipation dans des domaines encore inconnus - selon lui, il y aurait d'abord eu des spéculations et des récits sur des phénomènes paranormaux, puis leur normalisation par des découvertes scientifiques. Cela donne pas mal de marge pour justifier un peu n'importe quelle invention fantasmatique, sans rapport avec les données scientifiques du temps.
D'une certaine manière, on pourrait appliquer à toute cette imagination scientifique la critique adressée par Verne à Wells : ils "inventent' la science dont ils se réclament.
Si cette hypothèse fonctionne, ça pourrait aider à mieux comprendre le rapport à la science dans l'imagination scientifique. Un peu comme le dit Jacobs, il y a cette idée d'une anticipation dans des domaines encore inconnus - selon lui, il y aurait d'abord eu des spéculations et des récits sur des phénomènes paranormaux, puis leur normalisation par des découvertes scientifiques. Cela donne pas mal de marge pour justifier un peu n'importe quelle invention fantasmatique, sans rapport avec les données scientifiques du temps.
D'une certaine manière, on pourrait appliquer à toute cette imagination scientifique la critique adressée par Verne à Wells : ils "inventent' la science dont ils se réclament.
Cette hypothèse des deux courants me semble solide (il faut évidemment tenir compte des "passerelles" de l'un à l'autre, mais les deux branches semblent se distinguer assez bien).silramil a écrit :En fait, pour clarifier ce que je viens d'écrire, j'en suis à me demander si l'imagination scientifique française ne s'est pas scindée en deux courants après la 2e GM : une partie qui s'est amalgamée à la SF américaine, et l'autre qui a survécu dans quelques bouquins du Fleuve Noir (je pense à Limat, Guieu, Bessière, à charge de vraiment faire le tri), dans des BD type Tintin, B&M, Spirou... et finalement dans des publications pseudo-sérieuses, dans le sillage du Matin des magiciens et de Planète.
Si cette hypothèse fonctionne, ça pourrait aider à mieux comprendre le rapport à la science dans l'imagination scientifique. Un peu comme le dit Jacobs, il y a cette idée d'une anticipation dans des domaines encore inconnus - selon lui, il y aurait d'abord eu des spéculations et des récits sur des phénomènes paranormaux, puis leur normalisation par des découvertes scientifiques. Cela donne pas mal de marge pour justifier un peu n'importe quelle invention fantasmatique, sans rapport avec les données scientifiques du temps.
D'une certaine manière, on pourrait appliquer à toute cette imagination scientifique la critique adressée par Verne à Wells : ils "inventent' la science dont ils se réclament.
On notera que même dans un épisode aussi "audacieux" que Le piège diabolique 1960), avec sa machine à voyager dans le temps et son voyage dans un futur lointain, Jacobs a recours au vieux truc de la destruction de la machine extraordinaire (ce syndrome que l'on trouvait dans Verne, et souligné par Gérard Klein). Dans le même ordre d'idée, à la fin de L'énigme de l'Atlantide[/i (1955), les deux héros qui ont visité l'Atlantide (et ont assisté à des événements un poil spectaculaire tout de même) se disent qu'on ne les croira pas s'ils racontent leur périple, qu'on les dira victimes d'"hallucinations collectives" (à deux, c'est assez amusant...).
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le mar. déc. 21, 2010 10:48 am, modifié 1 fois.
Oui, on retrouve cette logique de l'anomalie, du pas de côté dans un présent à peine plus riche, qui se termine en retour à la situation initiale, comme dans l'imagination scientifique à la Verne et Wells, mais appliqué en grande partie à des sujets de type paranormal (pouvoirs psy, Atlantide...).
Comme il y a en même temps une forme de croyance en la réalité de ces phénomènes, on a non pas "ça pourrait être possible un jour", mais "un jour le monde sera prêt à accepter cette vérité".
Je dirais que la solennité des personnages de Jacobs, en même temps que son dessin très précis, m'ont toujours fait un effet différent de celui des productions d'un Franquin ou d'un Hergé. Tintin et Spirou sont pris dans des aventures plus ludiques et je n'ai jamais eu l'impression d'être amené à penser que ce qu'ils vivent pourrait vraiment être possible. (Hergé croyait à pas mal de choses, mais Tintin a beaucoup de distance).
Comme il y a en même temps une forme de croyance en la réalité de ces phénomènes, on a non pas "ça pourrait être possible un jour", mais "un jour le monde sera prêt à accepter cette vérité".
Je dirais que la solennité des personnages de Jacobs, en même temps que son dessin très précis, m'ont toujours fait un effet différent de celui des productions d'un Franquin ou d'un Hergé. Tintin et Spirou sont pris dans des aventures plus ludiques et je n'ai jamais eu l'impression d'être amené à penser que ce qu'ils vivent pourrait vraiment être possible. (Hergé croyait à pas mal de choses, mais Tintin a beaucoup de distance).
A propos du Piège diabolique, c'est mon B&M préféré (peut-être parce qu'il n'y a pas Blake...), mais j'ai été extrêmement déçu par la destruction de la machine temporelle. Je me rappelle avoir relu de nombreuses fois l'histoire en ayant à l'esprit que la fin de la BD correspondrait à la fin de l'enchantement. J'aurais été moins triste de voir mourir un personnage principal que je ne l'ai été de voir disparaître cette machine merveilleuse.
Le caractère "lointain" des habitants des colonies spatiales censés aider les "assujettis" révoltés a aussi quelque chose de frustrant.On a juste droit à des allusions, alors que leur rôle est de toute évidence crucial.C'est un peu télescopé...silramil a écrit :A propos du Piège diabolique, c'est mon B&M préféré (peut-être parce qu'il n'y a pas Blake...), mais j'ai été extrêmement déçu par la destruction de la machine temporelle. Je me rappelle avoir relu de nombreuses fois l'histoire en ayant à l'esprit que la fin de la BD correspondrait à la fin de l'enchantement. J'aurais été moins triste de voir mourir un personnage principal que je ne l'ai été de voir disparaître cette machine merveilleuse.
Les scènes d'errance dans les gigantesques sous-sol du Paris géant et détruit du futur sont une réussite extraordinaire. Par contre, l'épisode moyenâgeux a quelque chose à la fois de ringard, sociologiquement naïf et réactionnaire;
L'influence de Wells est écrasante, mais Jacobs n'ose pas aller aussi loin que lui (The Time Machine date tout de même de la fin du XIXe...)
Oncle Joe
Pour mémoire, j'écrivais ceci dans la préface de Chasseurs de chimères (et nous en avons parlé bien des fois avec Oncle) :silramil a écrit :j'en suis à me demander si l'imagination scientifique française ne s'est pas scindée en deux courants après la 2e GM…
Ce que tu appelles "l'imagination scientifique française" – le roman scientifique, quoi – s'est presque intégralement transféré dans la BD franco-belge à partir de 1950 au fur et à mesure que le dispositif de la SF moderne prenait place dans l'édition. Ça a duré jusqu'à la fin des années 60 où deux séries "hybrides" font la transition : Yoko Tsuno et Luc Orient (chacune d'elle oscillant entre des épisodes "roman scientifique" situés sur Terre, à base de mondes perdus et savants fous, et des épisodes SF où on va dans l'espace, on voyage dans le temps, etc.Il suffit de lire l’album [Le Rayon U, de Jacobs, créé pour suppléer Flash Gordon censuré par les Allemands pendant la guerre, donc antérieur à la création de Blake & Mortimer] pour constater que Jacobs a conservé du space-opera américain tout l’accessoire (les capes, les pistolets à rayons et les princesses) et ôté l’essentiel (les plongées dans l’espace futur, le sentiment écrasant de l’immensité). Sous son pinceau, le futurisme implicite de Flash Gordon se mue en rétrocipation et l’esthétique bascule du côté du monde perdu.
Cette autocensure des grands créateurs de la BD franco-belge se poursuivra d’ailleurs jusqu’à la fin des années soixante : chez Hergé, Franquin, Jacobs, quand il y a SF (et il y en a !), elle est toujours proche, dans l’espace comme dans le temps comme si la tradition du roman scientifique, refoulée par le succès de la SF moderne, avait trouvé là son dernier refuge et une manière d’achèvement. Ce n’est pas, d’ailleurs, le moindre paradoxe de cette histoire que le genre nous soit encore si familier alors que la plupart de ses grands textes ont disparu de la circulation : quiconque a lu et aimé L’énigme de l’Atlantide, SOS Météores, Le voyageur du Mézozoïque ou le dyptique Les sept boules de cristal / le temple du soleil se sentira, dans les pages qui suivent, comme un poisson dans l’eau…
Il a aussi (un peu) survécu au Fleuve, comme tu le dis, plus ou moins bien dissimulé. Ce n'est évidemment pas un hasard si la tétralogie fondatrice de Bessières est directement inspirée de Nizerolles.
Il a poursuivi son existence officielle dans la tradition de la SF française mainstream (Barjavel, Merle, Boulle…) et on pourrait dire qu'à bien des égards, c'est à cette tradition que se rattache le Houellebecq des Particules et de la Possibilité, s'il faut vraiment l'inscrire quelque part.
Il a enfin – mais ce point est plus subtil, plus évanescent – survécu comme monde imaginaire de référence (dans le style de Nicollet, dans les Cités Obscures de Schuiten et Peeters), et comme pastiche, parodie et "système" humoristique, chez Tardi par exemple, et d'une manière générale dans tout l'arrière-plan des Humanoïdes Associés : même un personnage aussi archétypalement "moderne" que le Major Grubert est un hommage aux héros du roman scientifique. On trouve encore la trace de cet humour dans des films comme Delicatessen ou La cité des enfants perdus.
Scruté dans cette perspective, le steampunk pourrait être considéré comme une tentative inconsciente pour fondre les deux courants. Un bon sujet, je crois.
Tu oublies que Jacobs envoie Mortimer dans le passé. Et qu'il crée un très beau circuit fermé avec l'histoire du "diable rouge" (légende entrevue dans le guide touristique au début du récit, et que Mortimer crée lors de son passage au moyen-âge). Le Piège Diabolique est tout entier dans l'orbite de Wells mais il intègre aussi d'autres apports plus récents et je trouve qu'au final, il tient la route. Comme tu le dis, l'errance dans le métro dévasté reste une séquence d'anthologie.Oncle a écrit :L'influence de Wells est écrasante, mais Jacobs n'ose pas aller aussi loin que lui (The Time Machine date tout de même de la fin du XIXe...)
C'est juste, la boucle est très réussie, et ça tient magnifiquement la route, mais Jacobs n'a pas osé envoyer Mortimer dans un avenir très lointain, où l'espèce humaine n'existe plus. La niaiserie de l'épisode moyenâgeux m'étonne tout de même. Même dans la BD franco-belge du temps, on ne représente plus guère le Moyen-Age et le passé en général sous cette forme d'images d'Epinal (voir par exemple la série des Timour dans Spirou).Lem a écrit :Tu oublies que Jacobs envoie Mortimer dans le passé. Et qu'il crée un très beau circuit fermé avec l'histoire du "diable rouge" (légende entrevue dans le guide touristique au début du récit, et que Mortimer crée lors de son passage au moyen-âge). Le Piège Diabolique est tout entier dans l'orbite de Wells mais il intègre aussi d'autres apports plus récents et je trouve qu'au final, il tient la route. Comme tu le dis, l'errance dans le métro dévasté reste une séquence d'anthologie.Oncle a écrit :L'influence de Wells est écrasante, mais Jacobs n'ose pas aller aussi loin que lui (The Time Machine date tout de même de la fin du XIXe...)
Oncle Joe
Là, je ne parlerais pas de survie, mais de recyclage d'une esthétique et d'un arrière-fond commode à la fois susceptible de développements pour les auteurs (et dessinateurs) et très facile à percevoir pour le lecteur (c'est presque rassurant, famillier). Le risque de "tourner à vide", d'ailleurs, est assez grand, la routine s'installe un peu trop (ce n'est qu'une appréciation personnelle);Lem a écrit :[Il a enfin – mais ce point est plus subtil, plus évanescent – survécu comme monde imaginaire de référence (dans le style de Nicollet, dans les Cités Obscures de Schuiten et Peeters), et comme pastiche, parodie et "système" humoristique, chez Tardi par exemple, et d'une manière générale dans tout l'arrière-plan des Humanoïdes Associés : même un personnage aussi archétypalement "moderne" que le Major Grubert est un hommage aux héros du roman scientifique. On trouve encore la trace de cet humour dans des films comme Delicatessen ou La cité des enfants perdus.
Scruté dans cette perspective, le steampunk pourrait être considéré comme une tentative inconsciente pour fondre les deux courants. Un bon sujet, je crois.
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Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le mar. déc. 21, 2010 11:46 am, modifié 1 fois.
Lem : Je suis plutôt d'accord sur la transmission dans la BD de thèmes du roman scientifique, pas de souci là-dessus. Ce sur quoi je m'interroge, c'est sur la possibilité d'un double héritage - survie de ces thèmes dans la BD, d'une part, manifestation forte dans le courant Planète, d'autre part. En somme, lorsque chute le bloc SF (à l'américaine) au début des années 50, le fleuve de l'imagination scientifique se séparerait en deux courants : un courant qui reste fictionnel et qui s'adresse avant tout aux enfants et aux jeunes (la BD) ; un courant qui se prend de plus en plus au sérieux et qui se met à prêcher sur l'"inexplicable présent" dont parle Jacobs.
Et pendant ce temps, se développe une science-fiction qui n'a presque aucun rapport avec cette tradition littéraire-là.
Et pendant ce temps, se développe une science-fiction qui n'a presque aucun rapport avec cette tradition littéraire-là.
C'est surtout dommage que Mortimer soit surtout préoccupé par l'idée de s'enfuir d'un univers à l'autre.Lensman a écrit :C'est juste, la boucle est très réussie, et ça tient magnifiquement la route, mais Jacobs n'a pas osé envoyer Mortimer dans un avenir très lointain, où l'espèce humaine n'existe plus. La niaiserie de l'épisode moyenâgeux m'étonne tout de même. Même dans la BD franco-belge du temps, on ne représente plus guère le Moyen-Age et le passé en général sous cette forme d'images d'Epinal (voir par exemple la série des Timour dans Spirou).Lem a écrit :Tu oublies que Jacobs envoie Mortimer dans le passé. Et qu'il crée un très beau circuit fermé avec l'histoire du "diable rouge" (légende entrevue dans le guide touristique au début du récit, et que Mortimer crée lors de son passage au moyen-âge). Le Piège Diabolique est tout entier dans l'orbite de Wells mais il intègre aussi d'autres apports plus récents et je trouve qu'au final, il tient la route. Comme tu le dis, l'errance dans le métro dévasté reste une séquence d'anthologie.Oncle a écrit :L'influence de Wells est écrasante, mais Jacobs n'ose pas aller aussi loin que lui (The Time Machine date tout de même de la fin du XIXe...)
Oncle Joe
TIens, en y repensant, je me demande si cet album a influencé l'écriture du Disque rayé. Il faudrait demander à André Ruellan s'il a fait partie de ses lectures.
En 62, date de parution du Piège Diabolique, les Timour n'avaient pas encore atteint le Moyen-Age. (Juste pour info.) Il faudrait vérifier mais je ne suis pas sûr que Jacobs se soit montré tellement coincé dans son traitement du médiéval.Oncle a écrit :Voir par exemple la série des Timour dans Spirou
Ah, j'avais manqué cette distinction.silramil a écrit :un courant qui reste fictionnel et qui s'adresse avant tout aux enfants et aux jeunes (la BD) ; un courant qui se prend de plus en plus au sérieux et qui se met à prêcher sur l'"inexplicable présent" dont parle Jacobs.
Et pendant ce temps, se développe une science-fiction qui n'a presque aucun rapport avec cette tradition littéraire-là.
Oui, peut-être.
Mais (Oncle confirmera ou non), il me semble qu'il y a déjà des essais et "documents" de type Planétoïdes bien avant la partition. Mme Blavatski, ça ne date pas des années 50. Est-ce que Planète ne systématise pas une tradition déjà ancienne ?
Et on aurait tort d'oublier par ailleurs qu'il y a de (très) nombreux textes de science-fiction moderne – anglo-sax – qui puisent dans un fond hétéroclite lui-même en voie de modernisation. Les ovnis, les pouvoirs psi, les conspirations, ce n'est pas ce qui manque dans la SFUS. X-Files travaillait encore ce fonds dans les années 90.
Je ne suis pas sûr que la séparation en deux courants soit aussi nette que tu le dis. A vérifier encore une fois.
Bonnes remarques. Je ne me suis pas exprimé très clairement. La séparation que je suppose n'est pas aussi tranchée que je n'avais l'air de le dire.
En deux mots, je dirais qu'il y a, plutôt qu'une séparation, une redistribution de certaines images. Et que la tendance à faire disparaître les anomalies scientifiques s'ajoute à la tendance "crypto-science" déjà représentée avant.
J'y réfléchis et je poste un peu plus tard.
En deux mots, je dirais qu'il y a, plutôt qu'une séparation, une redistribution de certaines images. Et que la tendance à faire disparaître les anomalies scientifiques s'ajoute à la tendance "crypto-science" déjà représentée avant.
J'y réfléchis et je poste un peu plus tard.
Hum... cela me surprendrait beaucoup, André Ruellan est très peu sensible à la BD, sauf quelques exceptions (dont les Pieds Nickelés, certaines vieilles BD des années 30, genre Mandrake...). Ce n'est pas lui, en tout cas, qu'on imaginerait voir écrire un épisode sur le Moyen-Age de la même teneur que celui de Jacobs...silramil a écrit :[TIens, en y repensant, je me demande si cet album a influencé l'écriture du Disque rayé. Il faudrait demander à André Ruellan s'il a fait partie de ses lectures.
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le mar. déc. 21, 2010 12:28 pm, modifié 1 fois.