Lem a écrit :MF a écrit :J'aime bien (…) l'analogie de la littérature comme système solaire
C'est marrant mais en arrivant à la fin du texte de Claude, je me suis dit aussi que cette analogie, qu'on ne fait en quelque sorte qu'entrevoir, aurait été plus logique et plus fertile. Le "modèle" star system gravitionnel tient surtout du jeu de mots mais on pourrait en tirer une sorte de pataphysique amusante. A voir.
Cela dit, il faut quand même revenir au sujet du fil, ne serait-ce que pour éviter sa mort thermique insidieuse. Pas la peine de se lancer dans 700 pages de discussion sur la vraie nature de la littérature ; je crois que les remarques de Silramil et, plus humblement, les miennes, ont montré qu'une hypothétique définition de celle-ci se situerait forcément dans la tension duelle entre l'interne et l'externe, entre les "objets" littéraires placés par l'auteur et les postures cognitives du lecteur. Breton trouvant de la littérature dans les lettres de fous, que personne n'avait songé à scruter sous cet angle avant lui, ce n'est rien d'autre que l'analogue de "la SF, c'est tout ce que je désigne comme tel" – la reconnaissance de l'impossibilité de définir de manière objective.
Pourquoi Claude, homme cultivé, a-t-il choisi d'ignorer cette dualité de la littérature ? La réponse ne fait guère de doute : parce que s'il l'avait prise en compte, il n'aurait pu rendre son arrêté final de non-compatibilité, qui était son but dès le départ. Il est parti de sa conclusion, puis a construit son papier à rebours. Le vrai titre de son papier devrait être (comme Oncle l'a inconsciemment suggéré) : "Pour une approche
militante de la science-fiction".
Dans ce cas, évidemment, il peut faire ce qu'il veut de son analogie. C'est beaucoup plus clair.
La bizarrerie, pour moi, c'est qu'il faille du temps pour se rendre compte du caractère militant du texte, qui m'a semblé évident (dès le début, il rappelle que l'annonce de la mort de la SF a déjà été faite plusieurs fois...). On se demande d'ailleurs ce que ferait un texte non militant dans une revue comme
Bifrost, uniquement rédigée et lue par des gens du milieu... Imagine un article vraiment complètement sérieux, sans ambiguité ni "tongue in sheek", qui annoncerait la mort de la SF, dans
Bifrost: cela entraînerait l'hilarité générale, ou, éventuellement (il reste des gens sensibles), de la compassion pour le pauvre camarade, bien à plaindre, qui s'y serait risqué...
(Par ailleurs, pour ce qui est de la construction à rebours, j'ai tendance à penser que, au fond, c'est toujours comme cela que l'on pratique, en réalité ; mais c'est un autre problème.)
Je réagis tout de même à ta remarque sur Breton, qui m'intrigue. Ce ne sont pas les lettres de fous qui sont de la littérature, c'est l'acte qu'effectue Breton avec les lettres de fous.
Un autre question m'intrigue. Est-ce que quelque chose qui a été, à moment donné, considéré comme de la littérature, peut sortir du domaine de la littérature? Je ne dis pas: ne plus être lu, ne plus être apprécié, diminuer de valeur aux yeux des critiques, ça, c'est clair, je dis: en sortir, ne plus être considéré comme de la littérature.
Par ailleurs, si on prend un auteur de mauvais best-seller (de SF, mais pas forcément, d'ailleurs, je n'écris pas LE nom...), peut-on dire qu'il n'écrit pas de la littérature? Cela me semblerait impropre, absurde même. On peut dire en revanche (même si tout le monde ne sera pas d'accord sur le degré) que c'est de la
mauvaise littérature. Mais dire que ce n'est pas de la littérature ne me semble pas avoir de sens.
Tout cela pour revenir à un problème qui me frappe, en relisant l'article de Claude. Quand on parle de littérature, on parle en réalité de l'avis des instances légitimantes sur ce qu'est la
bonne littérature, et non pas de ce qu'est la littérature
en elle-même. Il y a tout le temps une confusion, qui est très gênante, parce que j'ai l'impression qu'une grande partie du problème vient du fait que tout le monde ne reconnait pas les mêmes instances légitimantes. Dans beaucoup de discours, il y a confusion entre "être de la mauvaise littérature" et "ne pas être de la littérature".
Oncle Joe