JDB a écrit : Quant à classer Heinlein dans l'anticipation ancienne, je trouve personnellement que
c'est y aller un peu fort. Il me semble au contraire que c'est le fondateur de la SF moderne.
Lem a écrit :3) La science-fiction "moderne" commence quand l'infuence de Campbell
à la tête d'Astounding se fait sentir, en terme d'exigences littéraires et conceptuelles,
vers 1938/39 (c'est le début de l'âge d'or) (...)
C'est toujours insatisfaisant mais on réussit à sauver l'essentiel du gâteau.
Comme souvent en SF, on se heurte de plein fouet à la délicate dissociation de la forme
et du fond. Si l'on parle en historien de la littérature, ou en théoricien des genres, le
découpage de Lem me semble essentiellement valide — y compris pour Heinlein, dont
les premiers textes, en 38/39 précisément, se partagent à peu près également entre
"anticipation ancienne" (en ce sens) et "SF campbellienne moderne", jusqu'à ce que
cette seconde approche se stabilise, y compris chez Campbell lui-même, en bonne part
du fait de leurs échanges. Après une période de tâtonnements, les choses deviennent
complètement claires à la mi-1940, lors de la première rencontre en personne entre le
Californien Heinlein et le New-Yorkais Campbell et sa bande.
Mais parler littérature d'anticipation, pour moi, ce n'est pas seulement parler belles-
lettres. Cela passe aussi par une évaluation de la pertinence de cette anticipation,
qui diminue inévitablement à mesure que la société s'engage sur telle voie plutôt
que sur telle autre, et que les connaissances scientifiques et techniques progressent,
démodant certaines idées qui en deviennent "anciennes". Cet effet de dépertinence est
moins lié à la date qu'à la profondeur de l'effort de prise en compte des connaissances
disponibles au moment de l'écriture.
Ainsi, lorsque Heinlein spécule sur les conséquences écologiques et géopolitiques de
la fission de l'uranium « Il arrive que ça saute », 1940 ; « Solution non satisfaisante »,
1941), il est non seulement en avance sur son temps, y compris sur les physiciens
nucléaires eux-mêmes, mais aussi suffisamment profond pour rester en grande partie
pertinent aujourd'hui, 70 ans plus tard. SF tout ce qu'il y a de moderne. En revanche
lorsque dans les années 1950, pour un public jeunesse, il s'amuse à imaginer des
marais sur Vénus et des cités martiennes abandonnées, il est irrévocablement démodé
dès le milieu des années 60, avec le retour des premières images des sondes
Mariner.
Ses
juvenile sont de l'excellente SF campbellienne, et presque tous encore parfaitement
lisibles, mais ils n'en relèvent pas moins, pour moi, de l'anticipation ancienne.
(je suis conscient que cette approche pourrait m'amener à qualifier d'anticipation
ancienne des textes écrits avant-hier. Ma foi... tant pis pour le paradoxe : ceux-là
sont le fait d'auteurs paresseux, et n'ont pas beaucoup d'importance. )