Valérie au Pays des Merveilles
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- Soslan
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Valérie au Pays des Merveilles
Plouf
Après Alice de Jan Svankmajer, un deuxième film tchèque surréaliste, et je dirais même plus, après La Clepsydre de Wojciech Has, un troisième film surréaliste venu de l'Est, où je suis toujours surpris de la prospérité qu'à connu l'héritage bretonnien direct en pleine ère soviétique ; j'en suis d'autant plus surpris pour ce film-ci, de par son ton très provocateur.
Valérie au pays des merveilles (titre français nullissime qui fait penser à un film érotique -ne me dîtes pas que j'ai l'esprit mal tourné, un ami a eu la même pensée que moi- le titre original du roman et du film se traduisant plutôt par Valérie et sa semaine de merveilles) réalisé dans les années 70 par Jaromil Jirès, pionnier de la Nouvelle Vague tchèque, d'après un roman de Vitezslav Neval, n'est pas un film simple à résumer.
Valérie (ou plus joliment en tchèque, Valérié) est une adolescente de treize ans qui vit avec sa grand-mère dans une confortable maison bourgeoise. Un jeune homme, Olrik l'Aiglon (jeu de mot sur Olrik/Olriku -ortho incertaine), par qui elle se sentira attirée tout en se demandant s'il est son frère, joue auprès d'elle un rôle d'ange gardien après lui avoir volé provisoirement, afin de les mettre en sûreté, les boucles d'oreilles qui semblent avoir un rôle protecteur pour la jeune fille. C'est qu'une menace plane sur Valérié : le Putois, un vampire surnommé ainsi en raison de son masque, et qui jongle à l'infini avec les identités, en veut visiblement à elle, et ira jusqu'à passer un pacte avec la grand-mère pour prendre possession de la maison et ses occupants.
Ce film onirique, où il ne faut guère chercher d'intrigue suivie mais plutôt se laisser bercer par la beauté des images poétiques, mélange librement les registres. Le fantastique y est gothique voire expressionniste : le vampire dont l'apparence fait penser à Nosferatu, les nymphes lascives qui inspirent ses premiers émois à Valérié...à des images fantastiques plus ou moins classique mais fortes, se mêlent des images bien plus étranges et bien plus fortes encore, telle la scène stupéfiante où le vampire prend possession de la maison en enflammant de sa torche l'eau de la fontaine dans la cour, ou bien l'étrange cave industrielle dans la maison possédée, ou encore certains choix de mise en scène plus proche des conventions théâtrales que de l'illusion cinématographique, tel le simple fard blanc sur un visage sans ride pour suggérer la vieillesse de la grand-mère.
Aux fantasmagories se mêlent intimement un autre pan de l'héritage surréaliste, les symboles freudiens. C'est que l'initiation sexuelle de Valérié est centrale dans le film, dont l'une des premières scènes la montre d'ailleurs verser sa première goutte de sang menstruel par terre, scène qui transfigure une réalité triviale en instant mythique. Valérié connait plusieurs tentatives de viol, d'abord par un prêtre (l'Eglise joue un rôle ambigu dans le film, bien au-delà d'un anti-cléricalisme primaire, car le démoniaque Putois, qui n'a en théorie rien à y faire, y prêche en personne) puis de façon plus étrange par sa grand-mère rajeunie qui se fait passer par sa cousine (sic). Les aventures consentantes de Valérié ne sont pas beaucoup plus saines, entre l'inceste plus ou moins complaisant, selon le moment du film, avec Olrik l'Aiglon, et une tendre aventure saphique qui pourrait passer pour de la pédophilie s'il n'y avait un doute sur l'âge de l'amante mariée de Valérié, peut-être finalement guère plus âgée qu'elle, malgré son statut marital, dans le cadre rural XIXièmisant du film. Cette dernière liaison est l'exemple même de la fusion réussie par le film entre perversité sexuelle et poésie fantasmagorique : le flirt sauve la jeune mariée de l'emprise du vampire qui la fait dépérir, étrangement, depuis son mariage.
Un film pour spectateur averti, mais surtout un véritable poème visuel aux airs de rêve éveillé (la musique y joue autant son rôle que la mise en scène) bien digne du surréalisme est-européen.
Après Alice de Jan Svankmajer, un deuxième film tchèque surréaliste, et je dirais même plus, après La Clepsydre de Wojciech Has, un troisième film surréaliste venu de l'Est, où je suis toujours surpris de la prospérité qu'à connu l'héritage bretonnien direct en pleine ère soviétique ; j'en suis d'autant plus surpris pour ce film-ci, de par son ton très provocateur.
Valérie au pays des merveilles (titre français nullissime qui fait penser à un film érotique -ne me dîtes pas que j'ai l'esprit mal tourné, un ami a eu la même pensée que moi- le titre original du roman et du film se traduisant plutôt par Valérie et sa semaine de merveilles) réalisé dans les années 70 par Jaromil Jirès, pionnier de la Nouvelle Vague tchèque, d'après un roman de Vitezslav Neval, n'est pas un film simple à résumer.
Valérie (ou plus joliment en tchèque, Valérié) est une adolescente de treize ans qui vit avec sa grand-mère dans une confortable maison bourgeoise. Un jeune homme, Olrik l'Aiglon (jeu de mot sur Olrik/Olriku -ortho incertaine), par qui elle se sentira attirée tout en se demandant s'il est son frère, joue auprès d'elle un rôle d'ange gardien après lui avoir volé provisoirement, afin de les mettre en sûreté, les boucles d'oreilles qui semblent avoir un rôle protecteur pour la jeune fille. C'est qu'une menace plane sur Valérié : le Putois, un vampire surnommé ainsi en raison de son masque, et qui jongle à l'infini avec les identités, en veut visiblement à elle, et ira jusqu'à passer un pacte avec la grand-mère pour prendre possession de la maison et ses occupants.
Ce film onirique, où il ne faut guère chercher d'intrigue suivie mais plutôt se laisser bercer par la beauté des images poétiques, mélange librement les registres. Le fantastique y est gothique voire expressionniste : le vampire dont l'apparence fait penser à Nosferatu, les nymphes lascives qui inspirent ses premiers émois à Valérié...à des images fantastiques plus ou moins classique mais fortes, se mêlent des images bien plus étranges et bien plus fortes encore, telle la scène stupéfiante où le vampire prend possession de la maison en enflammant de sa torche l'eau de la fontaine dans la cour, ou bien l'étrange cave industrielle dans la maison possédée, ou encore certains choix de mise en scène plus proche des conventions théâtrales que de l'illusion cinématographique, tel le simple fard blanc sur un visage sans ride pour suggérer la vieillesse de la grand-mère.
Aux fantasmagories se mêlent intimement un autre pan de l'héritage surréaliste, les symboles freudiens. C'est que l'initiation sexuelle de Valérié est centrale dans le film, dont l'une des premières scènes la montre d'ailleurs verser sa première goutte de sang menstruel par terre, scène qui transfigure une réalité triviale en instant mythique. Valérié connait plusieurs tentatives de viol, d'abord par un prêtre (l'Eglise joue un rôle ambigu dans le film, bien au-delà d'un anti-cléricalisme primaire, car le démoniaque Putois, qui n'a en théorie rien à y faire, y prêche en personne) puis de façon plus étrange par sa grand-mère rajeunie qui se fait passer par sa cousine (sic). Les aventures consentantes de Valérié ne sont pas beaucoup plus saines, entre l'inceste plus ou moins complaisant, selon le moment du film, avec Olrik l'Aiglon, et une tendre aventure saphique qui pourrait passer pour de la pédophilie s'il n'y avait un doute sur l'âge de l'amante mariée de Valérié, peut-être finalement guère plus âgée qu'elle, malgré son statut marital, dans le cadre rural XIXièmisant du film. Cette dernière liaison est l'exemple même de la fusion réussie par le film entre perversité sexuelle et poésie fantasmagorique : le flirt sauve la jeune mariée de l'emprise du vampire qui la fait dépérir, étrangement, depuis son mariage.
Un film pour spectateur averti, mais surtout un véritable poème visuel aux airs de rêve éveillé (la musique y joue autant son rôle que la mise en scène) bien digne du surréalisme est-européen.
"La Lune commence où avec le citron finit la cerise" (André Breton)
http://karelia.over-blog.com/
Et pour ne pas faire que ma propre promo :
http://musardises.moonfruit.fr/
http://karelia.over-blog.com/
Et pour ne pas faire que ma propre promo :
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Peut-être que, dans ce cas, l'influence du surréalisme à proprement parler n'est pas si considérable. Je ne dis pas qu'elle est inexistante, mais la littérature (et la peinture) d'Europe centrale est très riche en oeuvres étranges qui sont d'une toute autre tradition et n'avaient pas besoin du surréalisme pour exister. Pense par exemple à l'oeuvre d'un Gustav Meyrink.
On a un peu trop tendance à parler de surréalisme là où d'autres écoles esthétiques que nous connaissons moins se manifestent. On oublie parfois la place considérable du symbolisme, par exemple. Dès que l'on voit des choses "bizarres", on parle de surréalisme, c'est très excessif (et surtout, c'est souvent à contresens).
Oncle Joe
On a un peu trop tendance à parler de surréalisme là où d'autres écoles esthétiques que nous connaissons moins se manifestent. On oublie parfois la place considérable du symbolisme, par exemple. Dès que l'on voit des choses "bizarres", on parle de surréalisme, c'est très excessif (et surtout, c'est souvent à contresens).
Oncle Joe
- Soslan
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D'accord pour l'idée, mais le roman de Vitezslav Neval a bien l'air d'être considéré comme affilié au surréalisme tchèque (il est d'ailleurs d'époque, écrit en 1932) et le film aussi par extension.
N'oublions pas que le surréalisme se nourrit de tout un tas d'autre tradition de l'imaginaire, dont le symbolisme et le roman gothique (seule concession de Breton à sa détestation des romans) font partie, en passant par à peu près tout ce qui ne reflète pas la réalité.
N'oublions pas que le surréalisme se nourrit de tout un tas d'autre tradition de l'imaginaire, dont le symbolisme et le roman gothique (seule concession de Breton à sa détestation des romans) font partie, en passant par à peu près tout ce qui ne reflète pas la réalité.
"La Lune commence où avec le citron finit la cerise" (André Breton)
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- Soslan
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Avec des exception comme le roman gothique, pour les images qu'il suscitait, ce qui a peut-être rendu plus pertinents la présence de grands romans jusque dans notre surréalisme bien français, dont j'avais déjà parlé ici.Lensman a écrit :Bon, j'avoue que je suis assez restrictif dans l'application du mot "surréaliste"... mais si le romancier est un surréaliste tchèque... (c'est compliqué: tu le dis toi-même, Breton rejetait le roman...)
Oncle Joe
De toute façon, le propre du mouvement n'est pas de rejeter en bloc le roman, tant que la poésie reste placée au sommet de la hiérarchie des arts...
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J'ai un peu la flemme de rechercher dans le détail, mais durant l'entre-deux-guerre, il y avait un vrai réseau d'échanges entre les auteurs tchèques et français (ne pas oublier que la France était le premier soutien et allié du pays).Lensman a écrit :Bon, j'avoue que je suis assez restrictif dans l'application du mot "surréaliste"... mais si le romancier est un surréaliste tchèque... (c'est compliqué: tu le dis toi-même, Breton rejetait le roman...)
Oncle Joe
http://www.circe.paris-sorbonne.fr/inde ... &Itemid=14
On y voit qu'André Breton se rend à Prague en 1935
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/
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