Herbefol a écrit :Y a-t-il quelqu'un encore conscient dans les maisons d'éditions que la hausse des prix ne fait que pousser les ventes à la baisse ?
Les directeurs de collection font ce qu'ils peuvent pour sortir les livres qu'ils aiment (et moi, au jour d'aujourd'hui, je ne peux plus faire grand chose, je vais pas faire semblant de...). Ce ne sont pas eux qui fixent les prix de vente, ce sont des services qui analysent le marché.
L'investissement s'est porté depuis quelques années sur le secteur du young adult dans l'imaginaire, et comme c'est là qu'il y a l'effort, c'est là qu'il y a les prix de vente les plus raisonnables.
Pour la SF "adulte" le marché est dans une impasse totale (j'ai passé hier deux heures en réunion avec les "forces de vente" présentes aux Utopiales) qui mettent aujourd'hui en place 1000 ex les livres qu'elles mettaient en place à 3000 ex il y a ne serait-ce que cinq ans. On ne finance pas une traduction avec cette mise en place, donc l'achat d'un texte étranger par l'éditeur passe par une étude de l'antériorité s'il y en a une, une estimation "réaliste" des ventes sur 12 mois (et vaudrait mieux 18, en ce qui me concerne). Je refuse de mentir sur ces estimations, donc ça ne passe pas. PLUS RIEN NE PASSE. Sauf le nouveau Robert Charles Wilson, et encore c'est pas la joie... A 1000 ex de mise en place, je ne finance même pas un auteur français, actusf oui, Le Bélial" oui, moi non.
Aujourd'hui, disons que je veuille acheter
Who Fears Death de Nnedi Okorafor (l'agent me l'a envoyé après le naufrage d'Eclipse), je fais une étude... Ca phosphore dans les bureaux. Le couperet tombe. Même si j'en vends 4000 (sur 4000 de tirage) je ne gagne pas d'argent, je ne produis pas une réelle marge opérationnelle, Personne ne va croire dans le groupe Gallimard que je vais faire 4000 avec ce texte d'une inconnue, youpi, qui a certes reçu le World Fantasy Award, mais se passe en Afrique. Re-youpi. Le seul truc qui est moins vendeur que l'Afrique, ce sont les livres pastoraux qui se passent en Ouzbékistan. Et donc l'ordinateur calcule la gamelle et dit, voilà vous avez statistiquement 80% de chances de faire 1500ex vendus après retours et votre collection perd 23 000 euros dans l'opération. Si vous faites 2500 ex, vous perdez tant.. Si vous vendez le tirage (ce qui est impossible avec les retours, les SP, les exemplaires d'auteurs/collaborateur) vous gagnez environ 1 euro et 13 cents. Donc faut retirer pour gagner de l'argent, le dernier livre (nouveauté) que j'ai retiré c'est
Julian et j'ai repris dans la gueule tout mon retirage ou presque.
Tout ça est très déprimant, mais comme je disais hier à Robert Charles Wilson, il n'y a qu'une seule option envisageable "continuer", donc je me bats pour continuer, c'est dur, c'est douloureux, c'est parfois déprimant, les livres sont trop chers (c'est à dire proche du prix où ils devraient être s'ils avaient suivi la courbe de la hausse des coûts, ce qui n'est pas le cas). On a l'impression de vivre une injustice constante, mais voilà le marché est comme ça. C'est comme ça. Je fais 9 livres dans l'année, je peux pas en faire moins, ça n'aurait plus aucun sens de mon point de vue et en faire plus, what's the point, je vais pas en vendre plus... On s'adapte ou on meurt.
GD