Fabien Lyraud a écrit :
Il y a un mythe d'une SF, littérature prospectiviste et extrapolatrice qui ne serait que ça et qui à mon avis est dangereux. La Sf est une littérature d'idées. C'est exact mais cela veut dire littérature de concepts et pas littérature d'idéologie. Pour moi le niveau imaginaire est aussi important que le niveau spéculatif; Les idées pouvant donner une créativité somptueuse dont je trouve la SF parlant du proche futur est dénuée trop occupée à vouloir se couler dans une certaine plausibilité.
Hm, la spéculation, c'est précisément de l'imaginaire. Imaginaire, ça ne veut pas dire n'importe quoi. H.G. Wells disait "there's nothing interesting if everything is possible". La SF a une contrainte, c'est le réel, et l'auteur se débrouille avec ça. Pour que ça tienne la route, pour que le lecteur y croit, il faut en général bien connaître les règles du réel pour savoir éviter les pièges (et à ce jeu, Greg Egan est un maître dans l'art d'éviter précisément de rentrer dans les mécanismes précis des théories scientifiques, et de ne pas écrire de hard-science).
Si spéculer n'est pas imaginer, je vois pas ce que c'est. Et ça n'a rien à voir avec le futur proche ou lointain. Par exemple, il ne peut pas y avoir de mécanisme d'invisibilité pour les vaisseaux spatiaux, parce que dans l'espace, le moindre dégagement d'énergie est repérable à grande distance avec des moyens simples. On peut, en tant qu'auteur de SF, imaginer un tel mécanisme, mais cela revient à nier l'existence de la deuxième loi de la thermodynamique, et à changer d'univers (puisque passer outre cette loi conduit d'une part à remettre en cause le fonctionnement des étoiles, d'autre part à créer le mouvement perpétuel et donc virer tous les problèmes de carburant). Le tout, est donc de trouver des solutions pour ne pas se mettre dans la panade (ignorer le problème, mais dans ce cas, éviter tous les détails "réalistes", ou le rendre inopérant, par le récit).
C'est précisément la spéculation qui "dope" l'imaginaire, ce n'est pas une contrainte, c'est un atout. C'est s'aveugler que de croire que le réel est une limitation à l'imaginaire, au contraire.
Ou alors, on écrit autre chose que de la SF. C'est le parti-pris de la fantasy que de créer ses propres règles et contraintes en dehors de celles du réel (les univers de fantasy sont pétris de contraintes limitant l'utilisation de la magie, par exemple). Et c'est ce qui rend les choses intéressantes. Si Gandalf était un magicien tout puissant, il balance l'anneau lui-même dans le volcan et le SdA se termine en 10 pages.
Bref, que la contrainte soit posée par le réel, ou par l'arbitraire de l'auteur, elle ne s'oppose pas à l'imaginaire.