Allez, zou. On ne refuse rien à la patronne.Charlotte a écrit :Nébal, puisque visiblement tu es en train de lire toute la série des Nicolas Eymerich, tu ne voudrais pas ouvrir un topic consacré à la saga et nous donner les meilleurs ?

L'auteur italien Valerio Evangelisti a consacré plusieurs romans à son personnage d'ores et déjà culte qu'est l'inquisiteur Nicolas Eymerich. Ce fascinant personnage historique (et bien réel ; il est surtout connu pour être l'auteur du fondamental Manuel des inquisiteurs) fournit un prétexte original pour une série assez unique en son genre, au succès tant critique que commercial, et mélangeant avec astuce roman historique et science-fiction, thriller et horreur, avec un habillage de fantastique et de fantasy.
En France, six volumes sont parus, d'abord dans la défunte collection Rivages fantasy, puis en poche chez Pocket, d'abord collection "Pocket Best", puis "Pocket SF" (sauf le sixième, semble-t-il). A vrai dire, certains volumes n'ayant pas été réédités depuis quelque temps, c'est parfois un peu le bordel pour s'y retrouver... d'autant que Valerio Evangelisti a livré entre temps de nouvelles éditions des premiers romans. Enfin, depuis la disparition de Rivages fantasy, je ne sais pas si l'on peut encore espérer une traduction des volumes ultérieurs (au moins deux, mais on m'a parlé d'un troisième).
Dernière remarque en passant : le personnage de Nicolas Eymerich apparaît semble-t-il dans le recueil Métal hurlant, et des liens pourraient être établis avec une autre série de l'auteur... Quoi qu'il en soit, je ne vais parler ici que des romans de la série Nicolas Eymerich.
Si les romans ne s'enchaînent pas dans l'ordre chronologique et sont prévus pour être lus indépendamment, on notera cependant que les liens sont nombreux entre les différents volumes, qui constituent progressivement un univers cohérent... et même plusieurs, puisque c'est là une des originalités de la saga.
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1. Nicolas Eymerich, inquisiteur
Le roman fondateur, qui pose les bases de la saga. L'histoire se déploie sur trois niveaux, qui n'ont a priori rien à voir entre eux :
- Au XIVe siècle, Nicolas Eymerich, qui vient tout juste d'être nommé Inquisiteur Général d'Aragon, enquête sur d'étranges phénomènes sataniques. C'est déjà un salaud magnifique, anti-héros idéal, diablement rusé et charismatique, fascinant et répugnant ; les autres romans approfondiront progressivement le personnage.
- De nos jours ou presque, le savant nerd texan Marcus Frullifer développe sa peu orthodoxe théorie des psytrons qui le met au ban de la communauté scientifique.
- Vers la fin du XXIIe siècle, un vaisseau spatiotemporel s'engage dans une expédition qui tourne mal...
Tout le talent de Valerio Evangelisti consiste à faire se rejoindre ces trois trames si différentes a priori. Et il y arrive (le bougre) essentiellement grace à la pseudo-science farfelue de Frullifer, qui ne séduira sans doute guère les intégristes de la hard science, mais aboutit néanmoins à un résultat parfaitement cohérent quand bien même totalement dingue, et d'autant plus réjouissant.
On retrouvera cette structure et des thèmes assez comparables (avec des hérétiques très contemporains) dans ce qui constitue à mon sens les meilleurs volumes de la saga. Celui-ci en fait clairement partie : c'est un type idéal du divertissement de qualité, pas sans défauts, mais tellement astucieux, inventif et prenant (et pas bête, qui plus est) que l'on passe l'éponge sans souci.
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2. Les chaînes d'Eymerich
Si le récit se situe à nouveau sur plusieurs époques, le procédé diffère quelque peu du précédent. L'enquête d'Eymerich au XIVe siècle est mise en parallèle avec diverses petites saynètes contemporaines. Les deux trames ne sont pas aussi franchement reliées que dans le volume précédent, il s'agit surtout de "troublantes coïncidences" ; c'est tout aussi invraisemblable (et réjouissant), quand bien même Valerio Evangelisti n'a pas recours cette fois à la pseudo-science. Un volume très sympathique, mais un peu inférieur au premier probablement. Notons par contre qu'on y rencontre pour la première fois le père Jacinto Corona, personnage récurrent par la suite, et que l'on commence à entrevoir un sombre futur avec les premières mentions de la RACHE.
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3. Le corps et le sang d'Eymerich
En suivant un canevas très proche du précédent, Valerio Evangelisti tire cette fois un peu trop sur la corde : une certaine lassitude s'installe, et la fin est totalement invraisemblable. Dommage, car le personnage de Jacinto Corona y est approfondi, et, avec le personnage abominable de Lycurgus Pink, un événement très important pour la partie "anticipation" de la saga a lieu dans ce volume... qui n'en est pas moins le plus faible de la série à mes yeux.
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4. Le mystère de l'inquisiteur Eymerich
Le niveau remonte sacrément, ce quatrième volume étant peut-être celui que j'ai préféré. Valerio Evangelisti retrouve la structure du premier volume, mais avec plus d'astuce encore : en effet, le futur décrit repose cette fois sur des bases cohérentes développées par les épisodes précédents ; surtout, le pseudo-scientifique qui permet de relier le tout n'est plus un personnage totalement imaginaire, mais le troublant Wilhelm Reich, dont les théories farfelues des bions et de l'orgone sont ici appliquées de manière parfaitement cohérente. Du coup, c'est à nouveau un excellent divertissement, mais, plus encore que dans les précédents (incomparablement plus...), le roman peut être lu à une multitude de niveaux, ce qui le rend d'autant plus riche. Enfin, le personnage d'Eymerich est encore plus approfondi que d'ordinaire, notamment au travers de ses confrontations avec Reich, et n'en est que plus fascinant.
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5. Cherudek
Un volume radicalement différent des précédents, et sans conteste le plus ambitieux de la saga. L'enquête d'Eymerich au XIVe siècle (on retrouve le père Jacinto Corona) est cette fois mise en parallèle avec l'enquête de trois jésuites dans une étrange ville hors du temps et de l'espace. L'atmosphère de cette deuxième ligne narrative est cette fois avant tout fantastique (la quatrième de couv' évoque Borges, Poe et Lovecraft, et, pour une fois, n'a pas tort...). Là encore le roman est suceptible d'une multitude de lectures, et il est peut-être plus complexe et astucieux encore que les précédents. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'on en ait parfois fait le meilleur volume de la saga... Mais ce n'est pas mon avis : si Cherudek reste un très bon roman, il souffre quand même à mon avis de défauts de construction et d'une trop grande longueur qui l'affaiblissent un peu... Bon, ça n'engage que moi, d'autres forumers (Bouse bleuâtre et Papageno, notamment, si je ne m'abuse) ont pu émettre un avis très différent, et tout à fait légitime, hein...
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6. Picatrix - L'échelle pour l'enfer
Après l'expérience du volume précédent, Valerio Evangelisiti retrouve plus ou moins la structure de Nicolas Eymerich, inquisiteur et du Mystère de l'inquisiteur Eymerich. On retrouve Marcus Frullifer, mais aussi la RACHE dans un futur africain cauchemardesque ; quant à l'enquête d'Eymerich, elle le conduit cette fois, non auprès des hérétiques à proprement parler, mais au coeur du monde musulman (il s'allie temporairement à rien moins qu'Ibn Khaldûn !). Là encore, plusieurs niveaux de lecture, science, pseudo-science et magie s'imbriquent à merveille, Eymerich est plus fascinant et répugnant que jamais. Une réussite.
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Donc, si je devais en recommander... heu... ben je dirais que toute la série est intéressante, déjà.

'fin bon. Tout cela n'engage que moi. Et c'est à débattre. Mais dans tous les cas, cette série, si elle n'est certainement pas sans défauts à l'occasion, me paraît bien constituer le type même du bon divertissement, donc.
En espérant avoir satisfait les demandes de l'obersturmführer Charlotte...

