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par Quynh Lan » dim. mai 25, 2008 2:58 pm
Table ronde : ECRIRE DE LA SCIENCE FICTION… Pour parler d’aujourd’hui
Avec Pierre Bordage, Catherine Dufour, Erik L’Homme, Bertrand Puard
Table ronde dirigée par Olivier Delcroix
Question : Dans les librairies, la SF est une sorte de « ghetto » littéraire, dans lequel on met des couvertures flashy. Le vrai problème de la SF, c’est que quand on met le logo SF, on n’est plus pris au sérieux. Quand Iron Man ou Indiana Jones sort, tout le monde se rue pour voir ces films de SF, mais quand il s’agit de littérature, il n’y a plus de ruée qui tienne. Hollywood puise bien des sujets de films dans la SF, et pourtant personne ne prend la littérature en considération. Alors vous sentez-vous brimés par l’étiquette de SF ou pas du tout ?
EH : La France est un pays qui adore tout cataloguer dans des cases. Non, avant d’être catalogué comme auteur de SF, je suis catalogué comme auteur jeunesse. Mais quand on est auteur jeunesse, on peut parler de beaucoup de choses sans être davantage catalogué.
CD : Il paraît qu’il y a un ghetto. Si mes livres étaient sortis en littérature générale, j’en aurais peut-être vendu plus. Pour moi, c’est une chance d’être dans le monde de SF.
PB : Une fois, j’étais dans un salon, et une dame m’a demandé : « mais vous écrivez aussi des vrais livres ! ». Tout dépend de quelle étiquette vous avez au départ. Quand vous rentrez dans une collection de SF, vous êtes catalogué pour la vie. Quand vous venez de la littérature générale, jamais on ne vous cataloguera dans la SF. Il s’agit d’un problème quasiment insoluble. Ce qui est dommage, c’est que les gens ne sont pas très curieux, et bien des personnes ne mettront jamais les pieds dans un rayon de SF. C’est le mot de SF qui ne rend pas hommage au genre.
BP : Je ne peux pas trop en parler, comme il s’agit de ma première incursion dans la SF. On colle très facilement des étiquettes sur des auteurs, mais je ne sais pas encore si je vais être catalogué comme auteur SF ou pas.
Question : Est-ce plus facile de parler d’aujourd’hui en se décalant dans le futur ?
EH : Quand on m’a demandé quels livres je voulais sur la table pour me présenter, j’ai choisi Phaenomen, où les héros évoluent dans le monde actuel, mais un monde évolué technologiquement. Il s’agit de l’histoire de 4 personnages internés dans une clinique car ils souffrent de maux. A un moment, ils s’évadent de la clinique et sont traqués… Derrière la chasse à l’homme, il y a de la technologie, une technologie qui existe. Et la plupart des scolaires pensent qu’il s’agit de SF. La majorité des jeunes d’aujourd’hui vivent dans ce monde de surveillance sans le savoir. Par exemple, le réseau- échelon : système d’espionnage international dont les infos sont traitées par la NSA et qui capte plus de la moitié des courriers échangés dans le monde, mais qui ne seront pas lus sauf s’il y a des mots-clés. Mais si l’un des courriers intéresse les analystes, il peut être localisé avec l’adresse IP, etc. Dans cette série qui ne fait que reprendre des technologies d’aujourd’hui, les jeunes pensent qu’il s’agit de la SF. On est déjà dans le monde de 1984 de George Orwell.
PB : La littérature d’anticipation, de SF parle sans cesse du présent, c’est un décodage du présent avec un saut dans l’espace-temps pour mettre davantage de relief. La fantasy est plus d’ordre mythologique, pré-civilisationnel, porte davantage sur la nature humaine, sur les archétypes éternels. La plupart des littératures parle du passé. La littérature proustienne parle sans arrêt du passé, du souvenir. Il faut absolument faire un saut dans le futur pour parler du présent.
BP : Dans mon livre, Les compagnons du Sablier, la planète Terre semblable et différente à la fois. En 2030-2040, tout le monde est obligé de déménager vers une autre planète comme la Terre est dégradée, mais sur la planète en question, le temps est palpable, le temps est sous forme de poussière. Les humains ont appris à dominer le temps, où on peut acheter de la poudre du temps pour vivre plus vieux. Il existe un métro du temps, sur le plan du métro parisien, mais par exemple, si on descend à la station Alésia, on sort à l’époque de Vercingétorix. La compagnie du Sablier est chargée de gérer les falaises de temps : ex : Jules César qui veut conquérir l’Amérique. Si une catastrophe est évitable, on peut aller dans le passé pour le modifier. A travers l’idée de poussière temporelle comme monnaie de la planète, c’est une réflexion sur notre société qui cherche l’éternelle jeunesse. (cf pub L’Oréal, il s’agit de publicité de SF !)
PB : La quête de l’immortalité a toujours été là : c’est ce qui relie la fantasy et SF
CD : Je vais quant à moi faire l’antithèse. Je suis en train de lire un livre sur un Londonien de 1660 qui écrit son journal. Il voit Londres brûler, il regarde l’incendie, et personne ne pense à l’éteindre, il s’agit d’un fléau de Dieu. Dans mon livre, j’essaie d’imaginer les changements dans les mentalités qu’il y aura d’ici 100 ans : on va avoir des tours de plus en plus grandes, d’où un changement dans la musculature, comme les hommes seront plus grands. Il y aura des grossesses externes, on va tripoter les gamètes, d’où un changement de la famille comme seulement 5% des gènes proviendront de nos parents. Il y aura un développement de la vie sur le réseau (Second Life, Wow) Je me pose des questions comme : Qu’est-ce que ça va faire quand on n’aura plus de deuil à faire ? (nos animaux de compagnie seront clonés…)
Question : Finalement, vous abordez tous un des fléaux du XXIème siècle dans vos livres : pour Erik l’Homme, il s’agit de la surveillance, pour Bertrand Puart et Catherine Dufour, il s’agit de la recherche de l’éternelle jeunesse et Pierre Bordage dans l’Enjomineur évoque la religion.
PB : Sur bien des plans, nous ne sommes pas si différents de nos ancêtres, notamment sur la superstition. Si l’on regarde l’Europe d’aujourd’hui, il s’agit d’un corps organique relié par la religion, beaucoup ont voulu mettre la religion dans la Constitution. Cela n’a pas évolué depuis 2000 ans. Il y a toujours eu des conflits à cause de la religion. Avant que la religion chrétienne soit imposée par les Romains, il y avait conflit : les officiers romains voulaient imposer la religion mithraïque. Toute l’histoire peut être décrite par une succession de conflits religieux judaïsme / christianisme, puis avec l’islam, le protestantisme… La barbarie est toujours là. On peut avoir une régression technologique, comme en Afghanistan par exemple. Le chaos peut surgir à n’importe quel moment, car nous sommes encore des êtres superstitieux.
Question : Vous semblez tous avoir une certaine tristesse par rapport au présent. Y a-t-il une nuance d’espoir dans la SF ? Ou la SF est-elle seulement une littérature d’alerte ?
EH : Si je veux raconter quelque chose avec de l’espoir, j’écrirais plutôt de la fantasy que de la SF. C’est ce qui explique le succès de la fantasy actuellement. Personne ne se sent extrêmement bien dans le monde d’aujourd’hui, et se souhaite lire un livre qui décrit un monde pire encore.
PB : Tous mes livres se terminent par une note d’espoir, qui est la capacité de réaction de l’individu. « Quand on est plusieurs, on est toujours une bande de cons » Il faut un déconditionnement d’appartenance. C’est ça, l’espoir, chez moi. J’essaie de faire poser des questions au lecteur. Je suis peut-être prétentieux, mais si je n’avais pas une infime sensation de changer qqch dans la vie du lecteur, je n’écrirais pas.
BP : A la fin du 5ème tome, il y aura quelque chose de changé. Tout au long des tomes, je vais essayer d’apporter une solution, ma solution à certains problèmes. Il s’agit d’une forme divertissante pour les jeunes lecteurs, mais tout comme Pierre, je cherche à fasse passer quelque chose.
CD : Je ne vais pas m’étendre sur l’avenir de l’humanité. L’être humain n’est pas quelqu’un être très fréquentable, mais je garde espoir. Au niveau écriture, si j’écris un récit avec un univers où tout est beau et joyeux, on s’ennuie. Il faut qu’il se passe quelque chose pour intéresser le lecteur !