Ted Chiang, La Tour de Babylone
Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m
Ted Chiang, La Tour de Babylone
C’est Gilles Dumay qui m’a mis le nom de Ted Chiang en tête. De mon passage sur son bout de stand au Salon du Livre, je garde le souvenir d’un gars plutôt désagréable, une caricature de libraire déplaisant, mais qui fugitivement s’était réchauffé à la mention de sa prochaine parution, La Tour de Babylone. Comme ça m’avait interpellé, quand le recueil est sorti, j’ai décidé de lui faire un sort.
Je ne connaissais rien de Ted Chiang quand j’ai débuté son recueil, je le soupçonnais juste d’être américain. Je fuis les quatrièmes de couv’, je ne lis quasiment aucunes des nouvelles dans Bifrost. J’ignorais donc tout de sa réputation de noveliste génial, de tous les prix reçus. Je ne m’attendais pas à un choc esthétique ou intellectuel particulier.
La Tour de Babylone, le premier texte, ne m’a pas fait une impression mémorable. Il parvient pourtant à donner à sa tour une présence écrasante, des dimensions littéralement divines, mais j’ai trouvé la fin un peu plate, un défaut majeur quand on évoque la tour de Babylone, non ? J’ai donc laissé Ted Chiang de côté quelques jours.
Puis j’ai commencé Comprends, et là j’ai pris mon pied et une grosse claque. Ca commence comme Des Fleurs pour Algernon et ça se termine sur l’affrontement très cérébral entre deux post-humains dont le vainqueur dirigera la destinée de l’Humanité.
Comme pour me laisser dans l’expectative à propos de la valeur du monsieur, Division par zéro m’a laissé frustré ; certainement parce que mon ignorance des mathématiques m’a empêché d’apprécier ce paso-doble entre théorèmes et itinéraire sentimental d’un couple.
N’empêche que c’est une nouvelle intéressante parce que très révélatrice du " système Chiang " : Si ses extrapolations étaient des diamants, ses nouvelles seraient le moyen de les exposer sous toutes leurs facettes (c’est particulièrement le cas dans Aimer ce que l’on voit : un documentaire) ; il semble vouloir aller au bout de chacune de ses idées, en envisager toutes les conséquences, quitte à les pousser à bout. Et pas question de sacrifier cet impératif sur l’autel des conventions littéraires : très peu de scènes dialoguées, pas beaucoup plus d’action, d’effets pyrotechniques (narratifs ou stylistiques), de suspens, de climax, de personnages très caractérisés. Tout cela est présent chez Chiang, mais avec une parcimonie qui finalement renforce leurs effets sur le lecteur. Dans ce projet, je trouve qu’il parvient à être plus radical que Greg Egan. Et malgré tout, il parvient à insuffler à ses textes une dimension humaine souvent très réussie, très sensible (avec Louise Banks dans le parfait L’Histoire de ta vie, notamment ou avec Neil Fisk dans L’Enfer, quand Dieu n’est pas présent – ah, ce titre !) tout simplement parce que chacune de ses extrapolations comporte un aspect, central ou périphérique, dans lequel il se demande et raconte « pour cette personne, pour ce couple, qu’est-ce que cela implique, comment est-ce qu’ils en sont modifiés, affectés ? ».
Peut-être cela vient-il du fait que, en dehors des mathématiques, les sciences prisées par Ted Chiang sont humaines. Mythologie (La Tour de Babylone, Soixante-douze lettres), théologie (L’Enfer, quand dieu n’est pas présent) linguistique (extraterrestre dans L’Histoire de ta vie, à travers le mythe du Golem dans Soixante-douze lettres), neurobiologie (Comprends, Aimer ce que l’on voit : un documentaire), herméneutique (L’Evolution de la science humaine).
Lire Chiang a donc été un grand plaisir. J’y ai retrouvé la même excitation qu’en lisant mon premier Egan. Du sense of wonder, je crois bien, même si les bases intellectuelles et les outils pour les exploiter n’ont plus rien à voir avec ceux de l’Age d’Or. Pour tenter de convaincre les derniers hésitants, j’avancerai la diversités des ambiances et des contextes (du récit mythologique d’ouverture au faux article publié (réellement) dans Nature) et l’excellente idée d’avoir ajouté en fin de recueil une présentation de chaque nouvelle par l’auteur himself.
Ted Chiang, La Tour de Babylone, Denoël, collection Lunes d’encre, 20 euros (et ça les vaut bien).
Je ne connaissais rien de Ted Chiang quand j’ai débuté son recueil, je le soupçonnais juste d’être américain. Je fuis les quatrièmes de couv’, je ne lis quasiment aucunes des nouvelles dans Bifrost. J’ignorais donc tout de sa réputation de noveliste génial, de tous les prix reçus. Je ne m’attendais pas à un choc esthétique ou intellectuel particulier.
La Tour de Babylone, le premier texte, ne m’a pas fait une impression mémorable. Il parvient pourtant à donner à sa tour une présence écrasante, des dimensions littéralement divines, mais j’ai trouvé la fin un peu plate, un défaut majeur quand on évoque la tour de Babylone, non ? J’ai donc laissé Ted Chiang de côté quelques jours.
Puis j’ai commencé Comprends, et là j’ai pris mon pied et une grosse claque. Ca commence comme Des Fleurs pour Algernon et ça se termine sur l’affrontement très cérébral entre deux post-humains dont le vainqueur dirigera la destinée de l’Humanité.
Comme pour me laisser dans l’expectative à propos de la valeur du monsieur, Division par zéro m’a laissé frustré ; certainement parce que mon ignorance des mathématiques m’a empêché d’apprécier ce paso-doble entre théorèmes et itinéraire sentimental d’un couple.
N’empêche que c’est une nouvelle intéressante parce que très révélatrice du " système Chiang " : Si ses extrapolations étaient des diamants, ses nouvelles seraient le moyen de les exposer sous toutes leurs facettes (c’est particulièrement le cas dans Aimer ce que l’on voit : un documentaire) ; il semble vouloir aller au bout de chacune de ses idées, en envisager toutes les conséquences, quitte à les pousser à bout. Et pas question de sacrifier cet impératif sur l’autel des conventions littéraires : très peu de scènes dialoguées, pas beaucoup plus d’action, d’effets pyrotechniques (narratifs ou stylistiques), de suspens, de climax, de personnages très caractérisés. Tout cela est présent chez Chiang, mais avec une parcimonie qui finalement renforce leurs effets sur le lecteur. Dans ce projet, je trouve qu’il parvient à être plus radical que Greg Egan. Et malgré tout, il parvient à insuffler à ses textes une dimension humaine souvent très réussie, très sensible (avec Louise Banks dans le parfait L’Histoire de ta vie, notamment ou avec Neil Fisk dans L’Enfer, quand Dieu n’est pas présent – ah, ce titre !) tout simplement parce que chacune de ses extrapolations comporte un aspect, central ou périphérique, dans lequel il se demande et raconte « pour cette personne, pour ce couple, qu’est-ce que cela implique, comment est-ce qu’ils en sont modifiés, affectés ? ».
Peut-être cela vient-il du fait que, en dehors des mathématiques, les sciences prisées par Ted Chiang sont humaines. Mythologie (La Tour de Babylone, Soixante-douze lettres), théologie (L’Enfer, quand dieu n’est pas présent) linguistique (extraterrestre dans L’Histoire de ta vie, à travers le mythe du Golem dans Soixante-douze lettres), neurobiologie (Comprends, Aimer ce que l’on voit : un documentaire), herméneutique (L’Evolution de la science humaine).
Lire Chiang a donc été un grand plaisir. J’y ai retrouvé la même excitation qu’en lisant mon premier Egan. Du sense of wonder, je crois bien, même si les bases intellectuelles et les outils pour les exploiter n’ont plus rien à voir avec ceux de l’Age d’Or. Pour tenter de convaincre les derniers hésitants, j’avancerai la diversités des ambiances et des contextes (du récit mythologique d’ouverture au faux article publié (réellement) dans Nature) et l’excellente idée d’avoir ajouté en fin de recueil une présentation de chaque nouvelle par l’auteur himself.
Ted Chiang, La Tour de Babylone, Denoël, collection Lunes d’encre, 20 euros (et ça les vaut bien).
Tout à fait, ce recueil est un vrai bonheur de lecture, bien qu'assez cérébral.
Histoire de ta vie justifie à lui seul, par sa finesse et son intelligence, l'achat du recueil.
A noter dans le dernier Bifrost, une analyse de l'oeuvre par le doc' et une itw de l'auteur par Thomas Day himself.
Histoire de ta vie justifie à lui seul, par sa finesse et son intelligence, l'achat du recueil.
A noter dans le dernier Bifrost, une analyse de l'oeuvre par le doc' et une itw de l'auteur par Thomas Day himself.
On peut dire que ça finit comme Scanners de Cronenberg.Puis j’ai commencé Comprends, et là j’ai pris mon pied et une grosse claque. Ca commence comme Des Fleurs pour Algernon et ça se termine sur l’affrontement très cérébral entre deux post-humains dont le vainqueur dirigera la destinée de l’Humanité.
L'enfer est quelque chose que nous pouvons créer. C'est finalement cela qui fascine.
Thomas M. Disch - Camp de concentration
Thomas M. Disch - Camp de concentration
Toutafé, pour L'Histoire de ta vie. J'ai aussi très apprécié Aimer ce que l'on voit : un documentaire, justement pour sa forme de documentaire, peu courante, sa critique des médias et des groupes de pression et pour la calliagnosie, bien sûr.Olivier a écrit :Histoire de ta vie justifie à lui seul, par sa finesse et son intelligence, l'achat du recueil.
A noter dans le dernier Bifrost, une analyse de l'oeuvre par le doc' et une itw de l'auteur par Thomas Day himself.
C'est vrai que l'écriture n'est pas encore pleinement maîtrisée, loin de là même !La Tour de Babylone, le premier texte, ne m’a pas fait une impression mémorable. Il parvient pourtant à donner à sa tour une présence écrasante, des dimensions littéralement divines, mais j’ai trouvé la fin un peu plate, un défaut majeur quand on évoque la tour de Babylone, non ?
Mais j'ai vraiment apprécié l'immersion dans cette civilisation qui a inventé l'écriture. Le mot de Disch à propos de cette histoire est vraiment parfaitement exact.
L'enfer est quelque chose que nous pouvons créer. C'est finalement cela qui fascine.
Thomas M. Disch - Camp de concentration
Thomas M. Disch - Camp de concentration
Ted Chiang a une formule à ce propos : " Un des éléments les plus admirés dans la fiction, c'est une fin surprenante et pourtant inévitable ". Je ne sais pas si c'est une constatation ou un credo. Il me semble que tout attaché qu'il est à donner à ses idées tous les développements possibles, la fin d'une nouvelle doit représenter le moment où tout est dit et rien d'autre, une conséquence de son processus d'écriture et pas une fin.Hervé a écrit :N'avez-vous pas trouvé que les fins étaient presque systématiquement trop abruptes ?
Tant que j'y pense, et ça n'a rien à voir avec ci-dessus, la seule chose que je regrette, c'est de ne pas avoir trouvé les titres originaux des nouvelles, leurs années de publication, et les supports.
- Nick_Holmes
- Messages : 352
- Enregistré le : mar. juin 13, 2006 11:53 am
- Localisation : Paradise Lost
- Contact :
Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone
Il fallait lui proposer un whisky...DuncanI a écrit :C’est Gilles Dumay qui m’a mis le nom de Ted Chiang en tête. De mon passage sur son bout de stand au Salon du Livre, je garde le souvenir d’un gars plutôt désagréable, une caricature de libraire déplaisant, mais qui fugitivement s’était réchauffé à la mention de sa prochaine parution, La Tour de Babylone. Comme ça m’avait interpellé, quand le recueil est sorti, j’ai décidé de lui faire un sort.

Je n'ai pas vu Gilles lors de mon passage au SdL cette année... Bizarre.
Ted Chiang, j'ai son recueil sur ma pile de lecture. Je verrai ce que cela donne bientôt.
@+,
NicK.
Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone
OK, je prends note pour l'année prochaine. Une suggestion pour la marque ?Nick_Holmes a écrit : Il fallait lui proposer un whisky...![]()

-
- Administrateur - Site Admin
- Messages : 14744
- Enregistré le : jeu. déc. 15, 2005 4:12 pm
- Localisation : Chambéry
Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone
Glenlivet...DuncanI a écrit : OK, je prends note pour l'année prochaine. Une suggestion pour la marque ?
Jérôme
'Pour la carotte, le lapin est la parfaite incarnation du Mal.' Robert Sheckley
'Pour la carotte, le lapin est la parfaite incarnation du Mal.' Robert Sheckley
- Eric
- Administrateur - Site Admin
- Messages : 5185
- Enregistré le : ven. déc. 16, 2005 1:03 pm
- Localisation : Paris
Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone
C'était difficile de le rater pourtant...Nick_Holmes a écrit : Je n'ai pas vu Gilles lors de mon passage au SdL cette année... Bizarre.
"Ueeuuggthhhg", laissa échapper Caity. Ce qui aurait pu vouloir dire n’importe quoi.
- Nick_Holmes
- Messages : 352
- Enregistré le : mar. juin 13, 2006 11:53 am
- Localisation : Paradise Lost
- Contact :
Re: Ted Chiang, La Tour de Babylone
J'ai fait un SdL express marathon sans escale ou presque. Décevant pour moi. Trop de monde de toute façon le samedi. Je pense arrêter complètement le SdL : trop commercial, peu de contacts avec les auteurs/éditeurs/... Bref, décevant.Eric a écrit :C'était difficile de le rater pourtant...Nick_Holmes a écrit : Je n'ai pas vu Gilles lors de mon passage au SdL cette année... Bizarre.
@+,
NicK.
Je suis en plein dedans... Enfin, plus exactement, je viens de lire "L'Histoire de ta vie"...
... Et je me demande si je me suis déjà pris une baffe aussi monumentale avec une nouvelle de SF...
C'est très bien, quoi...
... Et je me demande si je me suis déjà pris une baffe aussi monumentale avec une nouvelle de SF...
C'est très bien, quoi...

Hop : Cédric FERRAND, Wastburg