En cette nuit de Noël 2008, je ne résiste pas au plaisir de vous raconter cette petite nouvelle ou anecdote vécue de SF en grandeur réelle..
Quand j'avais 15 à 16 ans, un ami de mes parents, peintre espagnol fuyant le régime franquiste émigré en Bretagne et qui exposait entre autre à Pont-Aven, m'a initié à certaines techniques de pastel sec héritées des traditions espagnoles, et en particulier à la technique du "Velours à sauce"...
Eh eh... oui, le "Velours à sauce"... ne cherchez pas, ce n'est pas informé sur le web. Il n'y a pas de Wiki à ce jour sur cette technique - Ce qui permet d'augurer un futur proche où on doutera de l'existence de ce qui ne sera pas relaté sur la toile (par permanence du nooterritoire face à l'impermanence du réel).
Le Velours à Sauce est une technique relativement peu connue, qui consiste à broyer dans des proportions spécifiques différentes sortes de matières noires... (mine de plomb, pastel sec, charbon de bois, craie ... etc.. ) afin d'obtenir un mélange qu'on applique à l'estompe, ou à la brosse dure, qui est d'un noir très dense, ni chaud, ni froid, ni sec ni gras, ou tout cela à la fois...
Le temps a passé, je suis monté à Paris faire mes études, et j'ai perdu de vu mon mentor en dessin qui est retourné vivre en espagne. Heureusement, grace à internet je viens de découvrir qu'il a un site qui montre ses oeuvres, qui s'inscrivent pour moi dans la lignée de Zurbaran... ne ratez pas ses "trompe l'oeil" , Trampantojos en espagnol. (Dans mon enfance, ses trompe l'oeil me fascinaient car il en peignait partout, sur les tables, les armoires, les murs)
http://www.benito-moreno.es/
Ces retrouvailles virtuelles à travers la matrice m'ont rappelé une anecdote de voyage temporel réelle qui m'est arrivée pendant mes études d'art dans la capitale.
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Le velours à sauce spatio-temporel.
Cela se passait en 1977, alors que venais d'être reçu au concours d'entrée aux Zarzas (l'ENSAAMA, une des grandes écoles d'art appliqué parisienne)
En furetant dans un des magasins de fournitures professionnelles pour graphistes : Henry dessin, à Montparnasse, j'avais découvert qu'ils vendaient du Velours à sauce, conditionné par Conté dans de très jolies petites éprouvettes scellées à la cire.
J'achetais trois de ces éprouvettes, surpris et content de découvrir tout préparé et prêt à l'emploi ce mélange de pigments noirs qu'on applique à l'estompe et dont le peintre espagnol et ami de mes parents Benito Moreno, m'avait expliqué la fabrication et la pratique héritée de traditions picturales séculaires.
J'épuisais le contenu des éprouvettes en cours de croquis pour un dessin de carapace d'araignée de mer réalisé à la brosse dure. Outre l'application de cette poudre dense aux noirs ni gras, ni secs, l'utilisation de pierre ponce broyée, mélangée à de la craie blanche pour gommer les traits, contribua à susciter l'intérêt de mes camarades d'atelier qui ne connaissaient ni cette technique, ni son nom.
Dès le mardi suivant, je retournais chez le marchand renouveler ma réserve de Velours à Sauce prêt à l'emploi.
Mais les rayonnages n'offraient plus la moindre trace de ces petits emballages surannés en verre cacheté à la cire.
Je fis plusieurs fois le tour des gondoles, scrutant avec attention les casiers remplis de crayons et autres accessoires de dessin multicolores. Hélas, pas l'ombre d'une éprouvette de velours à sauce. Je finis par demander l'aide d'un jeune vendeur qui ne comprenant pas ce que je cherchais s'adressa à un collègue plus ancien.
- "Tu sais si on a du Velours à Sauce?"
L'homme ouvrit des yeux étonnés, et s'exclama en me regardant attentivement par dessus ses lunettes, sans doute surpris que quelqu'un d'aussi jeune que moi cherche un tel produit :
-"Du velours à sauce ? Oui, effectivement, ça se faisait dans le temps, mais ça fait des années qu'on en vend plus !"
c'était affirmé avec un ton tellement définitif et assuré, que je n'osais pas lui faire remarquer que je venais précisément de leur en acheter la semaine précédente.
Dépité, j'abandonnais ma quête de ce ténébreux mélange de pigments qui n'était plus censé exister, et profitait d'être dans le quartier pour passer prendre de la documentation à la fameuse école de Vaugirard qui formait aux métiers du cinéma.
A l'adresse qu'un de mes anciens professeur de lycée m'avait indiqué, un porche menait dans ce qui ressemblait à une vieille école communale, avec son préau ses arbres et ses fenêtres à petits carreaux. En avançant vers la concierge qui balayait la cour, l'éloignement des bruits de circulation qui laissaient la place au bruissement de son balai poussant les feuilles mortes me donna l'impression de quitter mon époque pour reculer vers le dix-neuvième siècle.
A ma timide requête la cinquantenaire opulente s'exclama avec le même air définitif que le vendeur de chez Henry Dessin :
"L'école de Vaugirard! Ah mais mon jeune monsieur, ça fait des années qu'elle n'est plus ici l'école de Vaugirard !!!"
Avant de remonter dans la petite chambre de bonne que mes parents me louaient, je fis un détour par le supermarché chercher des provisions,
Et la, je connu un instant de panique grandissante lorsqu'après trois tours des rayons je réalisais qu'il n'y avait pas de coca-cola dans les étalages.
J'imaginais la caissière me disant d'un ton définitif:
"Ah mais mon jeune monsieur, ça fait des années qu'il n'y a plus de Coca-Cola !!!".
Yann, NooVoyageur temporel.
PS. Edit. Certains lecteurs m'ont fait remarquer que c'était plus une histoire de mondes parallèles que de voyage temporel.
En fait, cette chronique satisfait aux deux critères, car ce que je n'ai pas relaté car induit, c'est qu'après avoir remonté les six étages du vieil immeuble Haussmannien qui abritait ma chambre de bonne. Alors que, les bras encombrés de victuailles j'essayais vainement d'ouvrir ma porte, celle -ci s'ouvrit brutalement sur une jeune femme qui m'expliqua qu'elle habitait la depuis que le précédent locataire avait mystérieusement disparu quelques années au paravant.