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par Transhumain » jeu. mai 28, 2009 11:05 am
Erion, grand fou, la SF n'est pas la fantasy, n'est pas le fantastique. Certes. Mais, comme tout corpus, celui de la SF n'est pas totalement isolé des autres, et recoupe en partie ceux du fantastique et de la fantasy, mais aussi celui de ce que d'aucuns appellent "mainstream". Ainsi Le Maître du Haut-château, que je prends souvent en exemple lors de discussions telles que celle-ci, ne respecte pas les critères d'une définition étroite de la SF. Pourtant, qui serait assez insensé pour l'exclure du corpus ? Je ne sache pas que Dick ait même tenté d'ébaucher la moindre explication rationnelle à son univers parallèle. Je ne sache pas non plus que le roman obéisse à des codes définissant un genre. Par ailleurs le roman de SF n'est, ontologiquement, ni plus ni moins "réaliste" que tout autre roman (tous, y compris en fantasy, nous parlent d'une manière ou d'une autre de notre monde). L'idiome "littératures de l'imaginaire", qui paraît douteux pour les raisons déjà évoquées (toute littérature relève de l'imaginaire, sauf les guides de voyage, donc) n'est alors, comme le sous-entend Jérôme, qu'une façon de réunir un corpus plus vaste de textes qui entretiennent avec ce qu'il est convenu d'appeler "réalité" des rapports différents de la littérature dite "mainstream" ou "blanche". Bien entendu, plus on élargit un corpus, plus il est malaisé de le définir, mais inversement, plus les critères sont précis, plus le corpus est maigre, et l'on peut imaginer, si l'on est borgésien, une définition de la SF qui ne corresponde qu'à un seul livre.
Essayons tout de même d'y voir plus clair, Oncle Joe...
Les littératures de l'imaginaire nous plongent dans des univers qui, quelle que soit leur ressemblance, plus ou moins grande, avec notre réalité présente ou passée, n'existent pas, ou plutôt : ne se font pas passer pour le nôtre (d'univers), et donc exigent la suspension de notre incrédulité. Seules les modalités changent : le lecteur, selon que le roman est plutôt fantastique (Dracula), fantasy (Le Seigneur des Anneaux) ou SF (Dune), devra accepter l'existence des vampires (qu'il sait pourtant être imaginaires), l'existence d'un monde, souvent parallèle, n'appartenant manifestement pas à notre univers, avec ses lois propres (les Terres du milieu), ou l'avènement de futurs de sociétés techniques qui, aussi rationnels soient-ils, n'en restent pas moins de pures vues de l'esprit (l'empire de Paul Atréides). Il y a dans Ada ou l'ardeur de Nabokov, un long passage où le narrateur Van Veen démontre que seuls le passé et le présent sont des formes (très différentes) du temps : le futur, lui, est un faux-temps : il n'a de réalité que sous forme d'espoir, de prévision, d'anticipation. C'est très juste. Du passé, on ne fait l'expérience que par l'intermédiaire du souvenir. Mais on ne fait jamais l'expérience du futur.
Serge Lehman parle de métaphores réifiées. Disons alors que dans les trois grandes catégories de ces "littératures de l'imaginaire", les métaphores se réifient différemment, et à divers degrés. En fantastique, comme parfois en SF, l'auteur se concentre sur une métaphore, ou sur un faisceau de métaphores qu'il concentre généralement en une image (par exemple, le vampire, ou l'artefact de Rama). En fantasy, comme en SF (space opera, planet opera, livre-univers) l'opération se fait généralement à l'échelle d'un monde : le monde fictif nous renvoie toujours au nôtre. Bien sûr, je ne fais ici que tracer à gros traits les contours d'un début de tentative de définition. Bien sûr, ça reste à creuser (fantastique : le héros creuse son jardin et y découvre un animal aux pouvoirs étranges ; fantasy : le monde peuplé de créatures bizarres où vit le héros est percé d'un trou gigantesque où dort quelque chose qui pourrait être un dieu à cornes et tentacules ; SF : une équipe de scientifique découvre une dimension cachée de l'univers, "sous" notre espace-temps).
Les Belles endormies de Kawabata peut-il être inclus dans notre corpus ? Ce qui importe, ce n'est pas le fait que la situation décrite ne corresponde à aucune situation réelle, mais plutôt que celle-ci ne soit pas totalement exclue dans notre réalité, du moins telle que nous la connaissons. Qu'un vieux client d'une maison close admire les charmes de ses belles occupantes, ne demande pas un grand effort d'imagination. La métaphore, ici, s'il y a métaphore, reste une métaphore : elle n'est pas métamorphosée en image fabuleuse ou technique. Néanmoins, si Les Belles endormies, La Femmes des sables, Le Château, Le Désert des Tartares, etc., sont maintenus au seuil des littératures de l'imaginaire, même si certains d'entre eux pourraient légitimement y prétendre, c'est essentiellement, il me semble, parce qu'ils appartiennent d'abord, dans l'inconscient collectif et selon les élites, à un autre corpus, celui des chefs d'oeuvres littéraires. Je crois.
Enfin, sont apparus les romans postmodernes, et parmi eux, ceux que j'appelle, faute de mieux, les (schizo)romans, c'est-à-dire des romans dont les récits, qui empruntent parfois à l'imaginaire (SF, fantasy, fantastique) ne sont pas donnés pour réalité, ou pour fiction. Ce sont des univers-livres (et non plus des livres-univers) où les métaphores réifiées ne perdent pas totalement leur qualité de métaphore. Prenons le pitch du prochain roman de Fabrice Colin (pardon Fabrice) : un (gros) fan de Radiohead est convaincu que le monde va subir une apocalypse quantique, et que son groupe favori détient seul les clés de notre salut. Sommes-nous dans le fantastique ? dans la SF ? Un peu des deux sans doute. Mais le doute subsistera vraisemblablement : ne sommes-nous pas avant tout dans le crâne du (gros) fan ? Ces romans là (Les textes de Colin et de Calvo sont ceux qui me viennent immédiatement à l'esprit, mais il y en a d'autres, comme Y a quelqu'un de Curval par exemple) ont un pied dans l'imaginaire, un autre dans la littérature blanche : on peut à loisir les inclure dans tel ou tel corpus (je ne vois pas très bien qui ça peut déranger), mais toujours en marge (et les marges, c'est ce qu'il y a(vait) de mieux dans Fluide Glacial).
Mais bon, ça reste à corriger (j'en connais un ou deux qui vont se faire un plaisir de chasser mes arguments du revers de la main), à affiner, ou à creuser disais-je (en (schizo)roman : un trou apparaît dans le corps du héros - un écrivain de SF -, où se niche un nouvel organe érectile qui lui dicte son nouveau livre).