Un problème philosophique, lié aux "deux pardadigmes" auxquels je me réfère: la différence entre créer du nouveau, et modifier l'existant (façon de se l'approprier). Pour nombre de fondamentalistes, par exemple, Créer est blasphématoire, Modifier ne l'est pas.Lensman a écrit :Il y a quand même un problème psychologique (ou psychanalytique, je ne sais pas..) derrière ça, parce que, dans les faits, les humains passent leur temps à tout modifier (et de plus en plus vite). Si l'obsession était de ne rien changer, j'ai l'impression que ça se verrait davantage...bormandg a écrit : Or la SF positive est entièrement bâtie sur la volonté de créer: pas étonnant que personne n'en veuille.
Oncle Joe
Une SF plus positive
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- bormandg
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Imaginons que le monde change si vite (à cause des humains) qu'il y ait chez les lecteurs de SF (et pas seulement de SF) un désir de stabilité…Lensman a écrit :Il y a quand même un problème psychologique (ou psychanalytique, je ne sais pas..) derrière ça, parce que, dans les faits, les humains passent leur temps à tout modifier (et de plus en plus vite). Si l'obsession était de ne rien changer, j'ai l'impression que ça se verrait davantage...bormandg a écrit : Or la SF positive est entièrement bâtie sur la volonté de créer: pas étonnant que personne n'en veuille.
Oncle Joe
Voici quelques années, Jacques Goimard a écrit ceci, cité par Claude Ecken dans son article La SF et les idées :
Il est clair que la voie du romanesque, du "long roman" comme disait Goimard, a de nos jours la faveur de nombre de lecteurs, qui semblent apprécier (ou avoir besoin) de s'immerger dans des pavés ou des séries de pavés."Le romanesque est une propriété ou un ensemble de propriétés permettant de vivre imaginairement avec un roman comme s'il s'agissait d'un monde qui devient rapidement familier, quotidien, banal (même la première ligne si l'auteur est vraiment habile)."
Claude Ecken commente la citation ci-dessus avec une phrase lapidaire : "La banalité comme exercice de style !"
Seulement, la SF "positive" ne peut pas se permettre d'être banale, justement. Parce que, de nos jours, la banalité, c'est l'inéluctabilité d'un futur pire que notre présent — réchauffement climatique, épuisement des ressources, pollution, singularité, etc. Pour réussir à être "positive", ou "optimiste", la science-fiction a besoin d'innover, de proposer de nouvelles voies, de créer, oui.
Je pense que c'est une condition essentielle pour qu'elle puisse continuer à être subversive, dérangeante et déstabilisante, pour qu'elle continue à titiller l'intellect de ses amateurs. Et j'ai l'impression que c'est peut-être ce que ces auteurs anglais ont saisi.
Extrapoler des problèmes qui sont tombés dans le domaine public et qu'évoquent chaque jour — avec plus ou moins de bonheur et de rigueur, mais là n'est pas la question — des futurologues, des journalistes, des hommes politiques, voire madame Michu elle-même quand il lui reste un peu de temps de cerveau disponible, eh bien, ça c'est banal. Les dystopies futures prévisibles, celles dont s'est emparée la doxa, ne peuvent plus jouer le rôle des dystopies du passé pas si lointain, quand il y avait sans cesse de nouveaux cris d'alarme à lancer.
Alors il ne faut pas non plus tomber dans l'angélisme, ni se voiler la face. Mais, depuis quelques années, nombre d'indices (parmi lesquels le scepticisme croissant face à une amélioration future des conditions de vie de l'espèce humaine sur notre planète) me suggèrent que les angles d'attaque "positifs" constituent désormais des approches plus dérangeantes et subversives que la bonne vieille méthode dystopique.
Je rappelle ce que disait Louis Thirion en 1974 :
Débrouillez-vous avec ça.Il y a quelque chose que je ne veux pas faire : c'est une certaine qualité de rêve que je me refuse à provoquer, parce que je me suis rendu compte que c'était une chose... je ne dirai pas politique - je n'aime pas ce mot -, mais disons que c'est une manière de combler un vide - un vide qu'il vaudrait mieux combler autrement. Il vaudrait mieux le combler par une certaine qualité de vie que par une certaine qualité de rêve... C'est pour cela que je préfère maintenant des bouquins qui obligeraient les gens à prendre conscience. Mais c'est beaucoup plus difficile, parce que ce que les gens qui tiennent les leviers veulent, ce sont des livres qui apportent une certaine qualité de rêve qui permet d'éviter de donner cette qualité de vie.
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Dans mes bras !!!bormandg a écrit : Je reviens à mon obsession: il est aujourd'hui interdit et malséant d'imaginer qu'on peut FAIRE quelque chose, à part détruire. "Créer" est devenu un mot malséant (d'abord pour les fondamentalistes (Monopole de Dieu auquel toucher est blasphémer), mais aussi pour tous les prédateurs qui disent: "Ce qui est bien, c'est s'approprier les choses" et pour les collectivistes qui disent "il faut se laisser donner les choses par la collectivité" et par les (mauvais, mais c'est le modèle courant) écologistes qui disent "On ne touche à rien".
Or la SF positive est entièrement bâtie sur la volonté de créer: pas étonnant que personne n'en veuille.

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Ben... dans mes bras aussi !Roland C. Wagner a écrit : Je rappelle ce que disait Louis Thirion en 1974 :
Débrouillez-vous avec ça.Il y a quelque chose que je ne veux pas faire : c'est une certaine qualité de rêve que je me refuse à provoquer, parce que je me suis rendu compte que c'était une chose... je ne dirai pas politique - je n'aime pas ce mot -, mais disons que c'est une manière de combler un vide - un vide qu'il vaudrait mieux combler autrement. Il vaudrait mieux le combler par une certaine qualité de vie que par une certaine qualité de rêve... C'est pour cela que je préfère maintenant des bouquins qui obligeraient les gens à prendre conscience. Mais c'est beaucoup plus difficile, parce que ce que les gens qui tiennent les leviers veulent, ce sont des livres qui apportent une certaine qualité de rêve qui permet d'éviter de donner cette qualité de vie.
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A la lecture de ce fil, je comprends mieux pourquoi depuis quatre décennies, j'ai très peu lu d'auteurs français de SF et j'ai toujours donné la préférence aux auteurs anglosaxons. Ils n'étaient pas positifs et apparemment beaucoup ne le sont toujours pas (ou bien ils doivent se mettre à la fantasy). J'ai toujours écarté les livres qui indiquaient sur le quatrième de couverture "post-cataclysmique". Seuls quelques exceptions ont passé ce filtre.
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Tu résumes fort bien l'un des problèmes auquel on est confronté lorsqu'on écrit de la science-fiction en français.marc a écrit :A la lecture de ce fil, je comprends mieux pourquoi depuis quatre décennies, j'ai très peu lu d'auteurs français de SF et j'ai toujours donné la préférence aux auteurs anglosaxons. Ils n'étaient pas positifs et apparemment beaucoup ne le sont toujours pas (ou bien ils doivent se mettre à la fantasy).
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Et quelle est la différence? On éléments donnés (les composants de l'univers) et on les dispose différemment. C'est une modification.bormandg a écrit : Pour nombre de fondamentalistes, par exemple, Créer est blasphématoire, Modifier ne l'est pas.
après, employer le mot "création", c'est juste pour faire snob...
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Cela dit, je ne vois toujours pas très bien ce qu'il faut entendre par "positif".Roland C. Wagner a écrit :Tu résumes fort bien l'un des problèmes auquel on est confronté lorsqu'on écrit de la science-fiction en français.marc a écrit :A la lecture de ce fil, je comprends mieux pourquoi depuis quatre décennies, j'ai très peu lu d'auteurs français de SF et j'ai toujours donné la préférence aux auteurs anglosaxons. Ils n'étaient pas positifs et apparemment beaucoup ne le sont toujours pas (ou bien ils doivent se mettre à la fantasy).
Positif pour l'égo du lecteur?de l'auteur? Pour l'humanité dans son ensemble ? (si tant est qu'on arrive à parler pour l'humanité..)? pour les personnages du romans?
Ce mot "positif" me semble bien vide de sens...
Par contre, on pourrait, pour certains textes, parler de vision "optimiste" ou "pessimiste", ce qui est déjà un poil plus clair (même si ça reste assez problématique)
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Dans la mesure où on admet que l'ensemble des idées et des concepts n'est pas pré-existant à l'homme (donc on récuse le platonisme) et ou ce réarrangement donne lieu à une conception différente de l'univers ambiant, la différence d'interprétation est tout autre chose qu'un snobisme. C'est vrai que le platonisme conduit au créationnisme. Mais à partir du moment où je crois que la création humaine existe depuis au moins 12000 ans, où j'intègre dans mon paradigme les Singularités passées et l'importance de l'observateur dans l'existence même du phénomène (vision de Schrödinger), la différence est assez profonde.Lensman a écrit :Et quelle est la différence? On éléments donnés (les composants de l'univers) et on les dispose différemment. C'est une modification.bormandg a écrit : Pour nombre de fondamentalistes, par exemple, Créer est blasphématoire, Modifier ne l'est pas.
après, employer le mot "création", c'est juste pour faire snob...
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On pourrait aussi employer le mot "progressiste" s'il n'avait pas été dévoyé par Staline.Lensman a écrit :Cela dit, je ne vois toujours pas très bien ce qu'il faut entendre par "positif".Roland C. Wagner a écrit :Tu résumes fort bien l'un des problèmes auquel on est confronté lorsqu'on écrit de la science-fiction en français.marc a écrit :A la lecture de ce fil, je comprends mieux pourquoi depuis quatre décennies, j'ai très peu lu d'auteurs français de SF et j'ai toujours donné la préférence aux auteurs anglosaxons. Ils n'étaient pas positifs et apparemment beaucoup ne le sont toujours pas (ou bien ils doivent se mettre à la fantasy).
Positif pour l'égo du lecteur?de l'auteur? Pour l'humanité dans son ensemble ? (si tant est qu'on arrive à parler pour l'humanité..)? pour les personnages du romans?
Ce mot "positif" me semble bien vide de sens...
Par contre, on pourrait, pour certains textes, parler de vision "optimiste" ou "pessimiste", ce qui est déjà un poil plus clair (même si ça reste assez problématique)
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C'est pour ça que les guillemets me semblent indispensables.Lensman a écrit :Cela dit, je ne vois toujours pas très bien ce qu'il faut entendre par "positif".
L'une des interprétations possibles est pour moi la suivante : serait "positive", ou "optimiste", une science-fiction qui ne décrirait pas de dystopies, ni d'avenirs dont on aimerait éviter qu'ils surviennent. Seulement, c'est très réducteur.
On peut aussi voir ça sous l'angle émotionnel. Là, ce n'est plus la nature du monde décrit qui joue, mais les émotions qui se dégagent du texte. Une histoire située dans un monde dystopique peut émettre des vibrations sinon bonnes, du moins pas trop mauvaises.
Quelqu'un, dans les années 80, m'avait dit que la SF française était trop "noire" à son goût. Je crois même que cette personne avait aussi employé l'adjectif "dépressive".
Je serais tenté de dire qu'on pourrait parler de SF où l'on marche vers l'avenir et de SF où l'on se prend l'avenir dans la tronche. Mais, là encore, c'est réducteur.
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Je suis tout à fait d'accord avec ce que tu dis, Roland 
C'est réducteur, mais ça va dans le bon sens.

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Ou plutôt pas QUE des dystopies, AMARoland C. Wagner a écrit :C'est pour ça que les guillemets me semblent indispensables.Lensman a écrit :Cela dit, je ne vois toujours pas très bien ce qu'il faut entendre par "positif".
L'une des interprétations possibles est pour moi la suivante : serait "positive", ou "optimiste", une science-fiction qui ne décrirait pas de dystopies, ni d'avenirs dont on aimerait éviter qu'ils surviennent.
Toute tentative de caractérisation est réductrice, bien sûr.Seulement, c'est très réducteur.
On peut aussi voir ça sous l'angle émotionnel. Là, ce n'est plus la nature du monde décrit qui joue, mais les émotions qui se dégagent du texte. Une histoire située dans un monde dystopique peut émettre des vibrations sinon bonnes, du moins pas trop mauvaises.
Quelqu'un, dans les années 80, m'avait dit que la SF française était trop "noire" à son goût. Je crois même que cette personne avait aussi employé l'adjectif "dépressive".
Je serais tenté de dire qu'on pourrait parler de SF où l'on marche vers l'avenir et de SF où l'on se prend l'avenir dans la tronche. Mais, là encore, c'est réducteur.
Toujours avec mon filtre des deux paradigmes, dans le paradigme créateur, une SF est positive si elle cherche à imaginer des créations souhaitables, négative si elle ne voit que des défauts à toute création.
Dans le paradigme prédateur, la SF positive est la SF caricaturale des Conquêtes spatiales et de la prédation sans limites (il y en a eu, hélas), et toute SF de prédation raisonnable ou de non-prédation se doit d'être négative.

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Vers 1974, j'ai demandé aux auteurs français de l'époque des utopies, c'est à dire la description de mondes où ils aimeraient vivre. Michel Jeury avait accepté, si je me souviens bien, de coordonner les efforts.
Ça a donné Utopies 75, dans Ailleurs et demain.
En 1984, j'ai relancé la bille.
J'ai reçu si peu de textes qu'il a été impossible d'en faire un recueil collectif.
Rassurez-vous: ceux que j'ai reçu ont été publiés.
Je n'ai pas recommencé en 1995 ni en 2005.
Mais l'idée était bien là. Faire se rejoindre science-fiction et projet utopique. Ou su moins assez bonne société.
Il semble que les trolls l'aient emporté.
Ça a donné Utopies 75, dans Ailleurs et demain.
En 1984, j'ai relancé la bille.
J'ai reçu si peu de textes qu'il a été impossible d'en faire un recueil collectif.
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Je n'ai pas recommencé en 1995 ni en 2005.
Mais l'idée était bien là. Faire se rejoindre science-fiction et projet utopique. Ou su moins assez bonne société.
Il semble que les trolls l'aient emporté.