Pour en revenir au début de la discussion et à la question du "génie" littéraire et de sa prétendue intemporalité, je pense qu'il est utile de nous déprendre de certains réflexes scolaires hérités d'une trop longue familiarité avec le Lagarde et Michard ...
Un "grand" auteur se signale-t-il par la permanence de sa popularité ? Pas forcément. L'histoire littéraire regorge de ces "résurrections" suscitées par l'activisme de la critique de presse et de l'Université. Bien des auteurs du XV° et du XVI° siècles doivent aux frères Goncourt et à Sainte-Beuve d'avoir échappé aux brumes d'un injuste oubli...Shakespeare lui-même eu son heure d'obscurité entre Baroque et Lumières...Et des génies aussi immortels que Bach et Botticelli n'ont pas toujours eu la gloire qu'ils méritaient (grâces soient rendues à Schumann et Ruskin de les avoir remis au goût du jour !).
La longévité ne fait donc pas le talent. Mais elle reste un indice précieux, et, avouons-le, il est remarquable qu'à l'approche de son cinquantenaire Dune et son cycle continuent à enchanter de nouvelles générations. Avec les 90 ans de la Terre du Milieu et les 70 ans du mythe de Cthulhu, disons qu'il se tient dans une honorable moyenne...
Mais cela ne fait pas tout. L'histoire de la SF se constitue devant nos yeux et il n'est pas certain que les têtes d'affiche d'aujourd'hui soient celles de demain. Il y aurait tant à dire d'ailleurs sur "l'historiographie" du genre et son étrange confusion des rôles où éditeurs, universitaires, auteurs et amateurs se disputent la charge de donner des bons points et des blâmes...Signe sans doute que la SF fut longtemps, de ce côté-ci de l'Atlantique, une para-littérature en quête de respectabilité (ce qui change enfin avec la génération des Langlet, Besson, Saint-Gelais, Berthelot...) et donc d'Histoire militante. Il suffit de consulter ce que nos "historiens" engagés ont put dire d'Herbert, du dithyrambe de Klein à la condamnation de Thaon, l'enthousiasme de Versins, la réserve de Goimard ou le jugement mitigé de Sadoul... Et 30 ans plus tard comparons cela à la production récente, notamment universitaire (exit donc les pages acrimonieuses d'un Valery), pour qui Herbert est un incontestable "classique" au même titre que ...Cordwainer Smith que l'on réhabilite bruyamment après l'avoir si injustement oublié.
La longévité, comme la fortune critique, ne sont donc pas toujours les meilleurs indicateurs de la valeur d'un écrit. Je penche donc pour une autre problématique : plus que l'"intemporalité" d'une oeuvre, n'est-ce pas sa "modernité", c'est-à-dire sa capacité à nous parler à travers le temps, qui la distingue des écrits à la mode, sitôt publiés, sitôt démodés ?
Et l'on comprend que des oeuvres écrites dans des contextes archaïques comme l'Odyssée ou les Écritures continuent à nous parler, malgré la distance du temps et l'évolution de nos moeurs. Une oeuvre est vivante, indépendamment de ses qualités d'écriture et de son contexte historique, quand elle rencontre un public prêt à la réinvestir et à lui insuffler son esprit du temps. Il n'y a donc pas UNE Bible, mais autant de bibles que de contextes et de lecteurs soucieux de la recontextualiser. La tragédie humaine de Saint-Augustin n'est pas la joie du Poverello d'Assise, pas plus que les cercles de Dante ne s'assimilent à l'épopée de Milton-Blake ou à la terribilita de Michel-Ange. et Dieu sait que de l'un à l'autre, c'est toujours le même écrit qui infuse.
Dune va bientôt (2013) fêter ses 50 ans. Elle aura suscité une pléthore de variations, d'écrits, de films, d'images, de sons...Cette oeuvre aura passionné le grand public comme les sphères académiques. Et c'est sans doute dans la diversité de son lectorat et de ses avatars que réside sa marque la plus décisive : avoir rassemblé autour d'un livre-univers un univers non moins étendu de lecteurs et de fans.
PS : il faudrait également parler de la longévité des traductions...mais c'est un autre problème
