Silent Hill et les vertiges de l'adaptation

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Askaris
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Silent Hill et les vertiges de l'adaptation

Message par Askaris » sam. août 15, 2009 11:16 pm

Avertissement : le texte suivant ne prétend pas couvrir le sujet traité de manière érudite, ni même journalistique. Un simple billet d'humeur. Avec le style difficile qu'on me connaît. Écrit il y a 1 an, il souffre parfois d'une mauvaise maîtrise conceptuelle et multiplie le jargon à l'excès. Tout le monde est prévenu.
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Silent Hill et un nouveau paradigme socio-culturel


Comme tout obsessionnel, j'ai tendance à creuser mes idées au moindre prétexte, et sans crainte de tomber dans l'exotisme.

Ce soir, cette nuit, j'ai visionné, sur le conseil d'un ami, l'étrange film d'épouvante signé en 2006 par Christophe Gans : Silent Hill. Ce film est une adaptation libre des thèmes développés dans les jeux du même nom créés par Akira Yamaoka pour Konami.
Je dois préciser que j'en ignorais jusqu'à l'existence. Ce qui n'est pas rédhibitoire, loin de là, et il faut en remercier le talent rare d'adaptateur de C.Gans. On sait que ce dernier s'était déjà attaqué à l'adaptation du manga Crying Freeman il y a quelques années de cela. Mais peut-on encore parler d'adaptation dans le cas présent ?

Ici, le héros viriloïde a laissé place à une mère éplorée, les 4 niveaux spatio-temporels qui structuraient le jeu sont dans le film autant de dimensions entremêlées d'un même récit... Pourtant d'Akira Yamaoka, lui-même, au plus anonyme (et exigeant) fan, tous s'accordent à louer cette oeuvre subtilement fidèle et dans le même temps iconoclaste. Fidèle parce que rien de l'esthétique initiale n'a été perdu : même climat oppressant, même immersion dans un onirisme fantastique qui bascule très vite dans la terreur nocturne d'un paysage dantesque.

Et que d'invention dans le même temps ! Entre le paysage infernal qui tient de Bosch, Maverick ou Giger, la chorégraphie glaçante de monstres plus dérangeants qu'effrayants (et partant plus efficaces sans doute), quel déploiement baroque ! Et surtout comment ne pas être fasciné par le jeu de clair-obscur, pur-impur , limite-discontinuité qui structure les différentes dimensions de cet acteur omniprésent qu'est l'espace urbain (la ville condamnée du monde "réel", les limbes fantômatiques de la ville morte, les flash-backs du passé,les ténèbres infernaux et cauchemardesques).

Car, à n'en pas douter Christopher Gans a réussi à créer une oeuvre à la fois puissamment fidèle à l'esprit du jeu (dont on sait les dettes à l'égard des grands maîtres du cinéma d'épouvante) et en même temps rythmée par une dynamique toute personnelle. L'esthétique étrange du jeu est ainsi subtilement détournée pour servir un motif mythologique simple qui donne au film sa cohérence : la descente aux enfers d'une mère éplorée, une blonde Cérès à la recherche de sa Proserpine.À la différence près que la fable se termine bien plus tristement, un peu à la manière d'Orphée. L'expérience solitaire et masturbatoire du gamer se trouve ainsi sublimée par une forte immersion psychologique qui n'enlève rien à l'atmosphère de tension constante et de terreur psychologique du jeu. Pour reprendre une phrase du producteur exécutif du film : "Silent Hill est une histoire sur la mort et le destin.(...) ce film parle de la crainte de la solitude, de la peur du noir, de notre refus d'assumer notre part de ténèbres et certaines de nos responsabilités".

Films de genre des 70's, mangas, jeux vidéos, écriture d'un script et d'une esthétique cinématographique : Silent Hill est une création emblématique de l'hypermédialité qui s'empare de nos cultures urbaines éclectiques et "multimédias". Il ne s'agit plus d'une simple adaptation d'un écrit vers l'image, ou d'une image statique à une image animée (comme les pitoyables blockbusters de Marvel). Christophe Gans, comme Quentin Tarantino et d'autres cinéastes récents (notamment asiatiques) est significatif d'une réhabilitation intellectuelle des cultures populaires qui tranche avec le classicisme esthétique du cinéma d'auteur d'il y a encore 30 ans (je pense par exemple à l'âge d'or italien : Fellini-Visconti-Pasolini-Rossellini).Il ne s'agit plus de choisir entre le décorum et le réalisme, entre le baroque et le dépouillement.

Plus qu'un choix esthétique, le moment culturel que nous vivons se situe au croisement entre la logique destructurante de cultures individuelles dispersées et l'unification virtuelle d'un regard vidéosphérique en voie d'universalisation. Isolement, rupture des héritages,bricolage généralisé de la "culture des individus" et parallèlement reconfiguration planétaire d'un rapport nouveau à l'image. Silent Hill comme le Dunivers et certains ensembles flous de la culture de masse sont emblématiques de ce nouveau paradigme référentiel et identitaire.
Modifié en dernier par Askaris le lun. août 17, 2009 11:30 am, modifié 1 fois.

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gutboy
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Message par gutboy » lun. août 17, 2009 8:22 am

Beaucoup aimé Silent Hill, à part la fin cataclysmo-gore dans la ville qui est ridicule comme toute fin cataclysmo-gore de tous les films d'horreur. Et la toute fin téléphonée une heure avant.
Pour le reste un film absolument splendide, parfaitement porté par l'actrice principale, Rhada Mitchell, qui m'avait déjà fait grand effet dans Pitch Black.
Un choix très judicieux et à contre courant (on est a des kilomètres de SupergirlResidentEvil).
Bon en même temps j'aime tous les films de Gans, j'aime sa façon de filmer.

Jamais vu le jeu.
Listen now. Whoever you are, with these eyes of yours that move themselves along this line of text; whoever, wherever, whenever. If you can read this sentence, this one fragile sentence, it means you're alive. (Jeff Noon - Falling out of cars)

Julien d'Hem
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Message par Julien d'Hem » lun. août 17, 2009 8:53 am

Silent Hill est vraiment un bon film, et une bonne adaptation. Mais il pèche par trois fois par rapport au jeu :

1- Il est trop explicatif. Le principe du jeu est de donner suffisamment d'élément pour nouer une intrigue, mais paradoxalement d'en garder sous le coude pour conserver un certain "brouillard mystique" autour du scénario. Et ça marche. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle chaque opus du jeu a six fins.

2- Il manque tout le côté "bizarre" des jeux, ces décors qui mettent mal à l'aise. Et le film n'est qu'à un deux-centième de qu'on rencontre dans le jeu.

3- La terreur. Silent Hill est un bon film d'horreur, mais il ne fait pas peur. Pas comme le jeu, qui n'épargne ni les sursauts, ni l'angoisse sourde qui est omnipéresente à chaque couloir. Cette angoisse qui, quand vous jouez, vous fait dire "nan, mais nan quoi" quand vous ramassez la carte du vaste hôpital que vous allez devoir explorer. Et les hôpitaux, dans Silent Hill, c'est jamais la joie.

Sinon cela reste un très bon film, et la meilleure adaptation d'un jeux-vidéo jamais réalisée. Mitchell colle parfaitement au types de héros et héroïnes des jeux : Perdus, dépassés, mais près à aller jusqu'au bout de l'enfer et bien plus loin pour sauver celui ou celle qu'il aime (fille dans le premier, femme dans le second, père dans le troisième) ; quitte à ne pas en revenir.
"C'est comme une des œuvres de petits et exquis de l'art comme je pense que vous aimerez à croire que je suis droit dans votre propre de voir pour savoir."
Yoyoangel, bot.

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Lisore
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Message par Lisore » lun. août 17, 2009 4:59 pm

Tout pareil que Julien.

Ajoutons également que si l'adaptation est quand même plutôt réussie (même s'il manque l'angoissante tension qui m'a empêchée de terminer seule le jeu), c'est aussi et surtout parce que Gans, outre le fait qu'il n'est pas un tâcheron derrière la caméra, est aussi un vrai passionné. C'est un fan du jeu et ça se sens.
Rien à voir avec les films de commande de studios réalisés par des types qui n'en ont rien à f....
Gans, lui, a poussé le vice jusqu'à confier la BO à Akira Yamaoka , c'est dire.

Askaris
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Message par Askaris » ven. août 21, 2009 4:02 pm

Je signale pour ceux qui voudraient aller plus loin l'existence d'un très beau site consacré au jeu comme au film :

<http://www.silenthill.fr/accueil.htm>

Parmi plein de merveilles (des cartes, des images, des liens, un forum...), on y trouvera un fort intéressant essai de Guillaume Morin consacré à "La Femme dans Silent Hill". À lire.

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