Le droit d'auteur rend-il fou ?

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. août 20, 2009 12:00 am

orcusnf a écrit :Mais il se contredit alors, car quand un livre passe à l'audio, ce n'estni une duplication ni analogique, c'est une transformation semblable à la numérisation puisqu'on change de format !
Je crois que ces raisonnements sur les méthodes de reproduction et les formats aboutissent vite à des impasses. Je ne pense pas que ce soit de bonnes approches pour les questions de droit, sauf à un niveau grossier. On me dira que c'est souvent suffisant à l'usage, pour un moment (qui risque d'être court, d'ailleurs...). Sans doute, mais ne pas se leurrer sur leur valeur logique ou philosophique.
Oncle Joe

Askaris
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Message par Askaris » jeu. août 20, 2009 12:19 am

L'enjeu de ces questions un peu byzantines est de savoir si le législateur et le juge pourront encore tenir le pré carré du droit d'auteur dans un univers numérisé ouvert à la "copie" instantanée et immatérielle.

Les partisans du "droit de la preuve" insistent sur le fait que les catégories habituelles qui encadrent la jurisprudence de la reproduction analogique ne correspondent pas aux réalités de l'univers virtuel :

* que devient la "courte citation" quand l'objet livre est éclaté en des milliers de fichiers ?
* une base de données est-elle assimilable à un objet, un tout homogène ?
* qu'est-ce que l'espace "privé" ou le cercle "familial" quand on peut installer ses archives personnelles sur une base accessible en ligne ?
* que devient le droit de l'image si on peut jouer sur les virtualités du zoom ?(imaginons : une petite image en gris avec des encarts d'agrandissement est difficilement attaquable)
* comment discerner l'original de la copie dans le cas des oeuvres numériques natives ? par définition (et sauf marquage) elles ne sont pas authentifiables

Bref, ces questions me paraissent soulever des lièvres intéressants, ne serait-ce que parce que la technique déborde de tous côtés le juridique. Mais jusqu'à quand ? la loi DADSVI de 2006 n'est encore qu'un bout de papier sans décrets ni jurisprudence..mais jusqu'à quand ? Le net restera-t-il cet espace rétif à la régulation dont l'imprimé et ses 50 ans de législation française est le modèle abouti ? Reproduire, annoter, modifier une oeuvre sur le net seront-ils bientôt autant de vestiges d'une éphémère cyberculture anarchisante ou les jalons des pratiques de demain ? L'affaire du kindle d'Amazon reflète bien les incertitudes de notre époque charnière...

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MF
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Message par MF » jeu. août 20, 2009 8:12 am

orcusnf a écrit :
Contrairement à d'autres sociétés de gestion de droits en Europe ou aux États-Unis, le CFC, en vertu de la loi du 3 Juillet 1995, n'est pas habilité à accorder des autorisations de copie numérique, son mandat ne s'étendant qu'à la reprographie, c'est-à-dire "la reproduction sous forme de copie sur papier ou support assimilé par une technique photographique ou d'effet équivalent permettant une lecture directe".
Mais la reproduction numérique repose sur la photographie non ? Après tout, scanner = photographier. Bon, il reste le problème du support papier, mais je ne pense pas que ce soit véritablement un obstacle.
Eh ben, l'orque, t'es en vacances au Marineland d'Antibes que tu tournes en rond comme ça.
Sand t'a, déjà, donné la réponse.
Le CPI a écrit :Art. L. 122-5. Lorsque l'œuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire :
...
6° La reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire, lorsqu'elle est une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et qu'elle a pour unique objet de permettre l'utilisation licite de l'œuvre ou sa transmission entre tiers par la voie d'un réseau faisant appel à un intermédiaire ; toutefois, cette reproduction provisoire qui ne peut porter que sur des œuvres autres que les logiciels et les bases de données, ne doit pas avoir de valeur économique propre ;

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Lensman
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Message par Lensman » jeu. août 20, 2009 8:21 am

Toutes ces questions se posent, mais il est vain d'y trouver une réponse cas par cas, ne serait-ce déjà (mais aussi bien ce n'est qu'une des raisons imparables parmi d'autres) que parce ce que ces technologies évoluent trop vite.
Il faut porter un regard entièrement nouveau sur la notion même de droit d'auteur, en posant qu'il est complètement inutile d'essayer d'empêcher ou de contrôler les reproductions, en ce qui concerne déjà les matériaux (texte, son, image) dont nous parlons. C'est terminé, ce n'est plus contrôlable "à l'ancienne" (un temps viendra sans doute où ça se posera dans d'autres domaines, je parle de l'impossibilité fondamentale de contrôler la reproduction d'objets, et pas seulement le problème des faussaires et des douanes tel qu'il se présente aujourd'hui, et qui est déjà considérable).
C'est perdre beaucoup de temps et d'énergie que de s'y accrocher, et tout le monde le sait en réalité, mais le désarroi, et la difficulté de la tâche déstabilise les décideurs, les producteurs culturels, etc.
Cela n'a pas de rapport immédiat, mais je me souviens d'une anecdote qui montre la difficulté de projeter dans l'avenir les conséquences de nouvelles techniques: en 1900, Wells pensait que l'automobile n'aurait pas beaucoup d'avenir, parce que... l'on n'arriverait pas à trouver suffisamment de chauffeurs! Imparable.

Il y a aussi un autre piège, général, qui est la fuite vers des législations hyper-tatillonnes pour distinguer les choses de manière trop pointue. L'expérience humaine montre que l'on a toujours besoin de "jeu", de "flou" pour que la mécanique sociale fonctionne, que faire appel à tout moment à des expertises qui, d'ailleurs, ne fonctionnent pas bien car elles tapent à côté du problème fondamental, n'est pas une solution. La masse de lois hyper-précises et tatillonnent qui existent, sont votées et qui ne sont JAMAIS appliquées est considérable, mais alors, vraiment considérable...

Ces découpages de cheveux en 4, 8, 16, etc, sont amusants pour l'esprit (c'est ce qu'on fait...), mais ils ne risquent pas d'aboutir à une législation ayant la moindre utilité pratique... Il faut un changement de paradigme. Je n'ai pas dit que c'était facile.
La SF est parfois davantage passionnante à ce niveau, par ses expériences de pensées ni trop rigoureuses, ni trop sophistiquées, jouant plus sur l' "idée" générale que sur la précision.

Oncle Joe

PS: la seule solution "efficace" que je verrais, ce serait un contrôle total de tout le matériel informatique par un système à la 1984 (on aurait des ordinateurs chez soi et sur soi, partout, bien sûr, mais ils seraient entièrement contrôlés par un organisme extérieur(1)). Mais c'est très, très difficile à mettre en place aussi... (entre autres, le bon vieux "qui est le gardien des gardiens?", qui se pose alors sur une échelle colossale et dans des domaines inédits). Mais faisons confiance à l'imagination!
(1) Celui qui dit "C'est déjà le cas!" sort, ou explique longuement (3 à 4 fois la taille d'un message d'Askaris, sans copier-coller ou renvoi à des sites ou autre endroits du forum,comment organiser tout ça, et qui est chargé de contrôler).

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MF
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Message par MF » jeu. août 20, 2009 9:23 am

Lensman a écrit :Il y a aussi un autre piège, général, qui est la fuite vers des législations hyper-tatillonnes pour distinguer les choses de manière trop pointue.
Je suis, toujours et encore, surpris du faible, trop faible, nombre de recours devant le conseil d'état sur ce pointillisme législatif. Et ce alors que la constitution me semble assez explicite.
Art. 34. - La loi fixe les règles concernant :
...
La loi détermine les principes fondamentaux :
...
* du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ;
...
Si l'on rajoute à cela l'article 5 de la déclaration de 1789 : "La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.", il semble bien que la loi ne puisse déterminer QUE les principes fondamentaux du régime des droits réels (pour ce qui nous concerne les droits d'auteurs).

Je me demande donc par quelle aberration nous en sommes arrivés à produire des législations comme tu l'indiques, hyper-tatillonnes, sans qu'elles ne soient portées devant le CE. Manque de conscience civique individuelle comme collective ?

Un constitutionnaliste dans la salle ?

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Erion
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Message par Erion » jeu. août 20, 2009 9:45 am

MF a écrit : ...Si l'on rajoute à cela l'article 5 de la déclaration de 1789 : "La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.", il semble bien que la loi ne puisse déterminer QUE les principes fondamentaux du régime des droits réels (pour ce qui nous concerne les droits d'auteurs).
Désolé, mais j'ai bien ri. Je sais plus si c'est dans le bilan annuel du CC ou du Conseil d'Etat, mais ça fait très longtemps que lois et règlements se mélangent. C'est même pas 1789, c'est dans la Constitution de la Ve République qu'on a la séparation la plus nette avec une définition du domaine de la loi, le reste étant de l'ordre réglementaire.

Le fait est que les lois votées par le parlement sont d'une précision idiote, et que les règlements/décrets mettent un temps infini à être rédigés.

Bref, MF, ce que tu dis explique pourquoi les juristes se lamentent dès qu'ils ouvrent le JO.
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Message par MF » jeu. août 20, 2009 10:00 am

Erion a écrit :Désolé, mais j'ai bien ri. Je sais plus si c'est dans le bilan annuel du CC ou du Conseil d'Etat, mais ça fait très longtemps que lois et règlements se mélangent. C'est même pas 1789, c'est dans la Constitution de la Ve République qu'on a la séparation la plus nette avec une définition du domaine de la loi, le reste étant de l'ordre réglementaire.
Ben oui, article 37 : "Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire"
Erion a écrit :Le fait est que les lois votées par le parlement sont d'une précision idiote, et que les règlements/décrets mettent un temps infini à être rédigés.
Je constate, comme toi, le fait (et je pleure souvent à la lecture du JO).

Mais ça ne m'explique toujours pas la passivité civique, sociale et politique face à ce fait.

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Erion
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Message par Erion » jeu. août 20, 2009 10:23 am

MF a écrit : Mais ça ne m'explique toujours pas la passivité civique, sociale et politique face à ce fait.
Oh, il y a plusieurs raisons à cela, mais ce n'est pas de la passivité.
Une première cause est historique : avant 1958, le domaine de la loi est purement formel. Il s'agit juste de l'acte voté par le Parlement. Or, nous continuons d'être défini par les lois antérieures à 1958 (et même par les lois de Vichy quand on prend un bus ou un tramway avec un vélo). Il faut donc continuer avec.

La deuxième cause est juridique : Conseil d'Etat et Conseil Constitutionnel ont tous les deux adopté une conception extensive du domaine de la loi, parce que les dispositions d'un domaine peuvent avoir des incidences sur les droits constitutionnels des administrés. La jurisprudence a instauré l"incompétence négative" : est contraire à la constitution une loi qui, renonçant à intervenir dans le domaine que lui a fixé la constitution, permettrait au gouvernement de prendre des mesures qui relèvent d'elle seule. Pour éviter donc d'être sanctionné, on va étendre le domaine de la loi.

La troisième est politique : la majorité du gouvernement étant stable sous la Ve, le gouvernement inclut des mesures réglementaires pour s'affranchir des contraintes de la séparation entre règlement et loi (qui est tout sauf simple). Parfois, il s'agit même d'acte politique symbolique quand on utilise la loi plutôt que le règlement.

En résumant grossièrement. Le pouvoir réglementaire est rarement autonome après 1958, il est presque toujours lié à l'exécution des lois et la Ve République n'est PAS parvenue à changer la tradition française dans le domaine.
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Message par MF » jeu. août 20, 2009 10:30 am

Erion a écrit :La deuxième cause est juridique : Conseil d'Etat et Conseil Constitutionnel ont tous les deux adopté une conception extensive du domaine de la loi, parce que les dispositions d'un domaine peuvent avoir des incidences sur les droits constitutionnels des administrés. La jurisprudence a instauré l"incompétence négative" : est contraire à la constitution une loi qui, renonçant à intervenir dans le domaine que lui a fixé la constitution, permettrait au gouvernement de prendre des mesures qui relèvent d'elle seule. Pour éviter donc d'être sanctionné, on va étendre le domaine de la loi.
J'avais naïvement en tête le 2ème alinéa de l'article 37 "Les textes de forme législative intervenus en ces matières peuvent être modifiés par décrets pris après avis du Conseil d'Etat. Ceux de ces textes qui interviendraient après l'entrée en vigueur de la présente Constitution ne pourront être modifiés par décret que si le Conseil Constitutionnel a déclaré qu'ils ont un caractère réglementaire en vertu de l'alinéa précédent." qui me semblait un garde-fou efficace.

Mais tu as raison, j'avais oublié cette énormité d'incompétence négative.
Donc, plus de garde-fou. Résultat, ils sont lâchés !

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Message par Erion » jeu. août 20, 2009 10:59 am

MF a écrit : Mais tu as raison, j'avais oublié cette énormité d'incompétence négative.
Donc, plus de garde-fou. Résultat, ils sont lâchés !
Les jurisprudences récentes du CE et du CC montrent qu'il y a un léger rétropédalage dans ces questions, mais quand même, n'oublie pas que distinguer le règlement et la loi, n'est pas toujours évident. On atteint facilement les droits individuels, le droit de propriété, etc. C'est pour ça que le gouvernement a une conception étendue du domaine de la loi, pour éviter que ça lui pète à la gueule (hiérarchie oblige).
Donc, certes, le législateur abuse, mais on a une trèèèèès longue tradition historique d'un mélange entre lois et règlements, et on ne se débarrasse pas d'un tel passif avec un article constitutionnel.
La Constitution de 1958 était précisément destinée à lutter contre ce flou, elle s'y est cassée les dents.
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Message par Askaris » jeu. août 20, 2009 2:44 pm

Pour info, la jurisprudence liée au droit de la propriété littéraire et artistique en milieu numérique est très bien expliquée et documentée sur le site "Le Forum des droits sur l'Internet" :
<http://www.foruminternet.org/specialist ... 9&x=86&y=8>
On y trouvera des exemples très concrets et récents des relations souvent complexes et conflictuelles entre droit et environnement numérique. J'en conseille très vivement la lecture pour ceux qui s'intéressent à ces questions.

Askaris
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Message par Askaris » ven. août 21, 2009 4:20 pm

Une interview intéressante d'Emmanuel Rengervé (juriste du SNAC) en réponse aux déclarations du SNE :

<http://www.pcinpact.com/actu/news/49971 ... e-snac.htm>

Texte à méditer pour tous les auteurs tentés de céder leurs droits sur l'exploitation numérique de leurs écrits ...

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