Du sense of wonder à la SF métaphysique
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Je dois dire que je trouve personnellement la piste du rejet évoquée par Fabien bien plus convaincante que celle de la métaphysique, et surtout, bien plus souvent évoquée spontanément chez les intellectuels que j'ai pu avoir autour de moi et qui rejettent l'idée de Sf comme immature.
Et je reviens à la fantasy, parce que oui, la piste est intéressante : aujourd'hui, c'est la Fantasy qui gagne le pompon de l'attribution d'étiquette "ado boutonneux" (et je ne parle pas de la Bit lit, mais l'idée est la même), pendant qu'en même temps, on voit nombre d'adultes se plonger dans la littérature adolescente à la HP.
Chez beaucoup d'intellectuels, c'est vécu comme une régression.
Alors je pose deux questions :
- est-ce que cette vision régressive n'a pas quelque chose à voir avec le fait que, là où la Sf s'approprie une métaphysique élargie, ces autres formes littéraires reviennent à une métaphysique dualiste ?
- est-ce qu'on peut lier ce retour en force de cette métaphysique dualiste avec le retour du spirituel dans la vie publique de plus en plus prégnant, et est-ce que (c'est une conséquence, pas une question séparée) il faut vraiment s'étonner aujourd'hui de voir qu'on préfère une littérature du bien et du mal à une littérature de la complexité ?
Dans ce cas, on n'explique pas par la métaphysique le rejet originel de la SF, mais on peut expliquer par le retour du dualisme l'étouffement actuel de la SF...
Et je reviens à la fantasy, parce que oui, la piste est intéressante : aujourd'hui, c'est la Fantasy qui gagne le pompon de l'attribution d'étiquette "ado boutonneux" (et je ne parle pas de la Bit lit, mais l'idée est la même), pendant qu'en même temps, on voit nombre d'adultes se plonger dans la littérature adolescente à la HP.
Chez beaucoup d'intellectuels, c'est vécu comme une régression.
Alors je pose deux questions :
- est-ce que cette vision régressive n'a pas quelque chose à voir avec le fait que, là où la Sf s'approprie une métaphysique élargie, ces autres formes littéraires reviennent à une métaphysique dualiste ?
- est-ce qu'on peut lier ce retour en force de cette métaphysique dualiste avec le retour du spirituel dans la vie publique de plus en plus prégnant, et est-ce que (c'est une conséquence, pas une question séparée) il faut vraiment s'étonner aujourd'hui de voir qu'on préfère une littérature du bien et du mal à une littérature de la complexité ?
Dans ce cas, on n'explique pas par la métaphysique le rejet originel de la SF, mais on peut expliquer par le retour du dualisme l'étouffement actuel de la SF...
"Ils ne sont grands que parce que vous êtes à genoux"
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Merci Erion.Erion a écrit :«La Création est un acte non pas d’expansion de soi, mais de retrait, de renoncement. [...] Il a vidé de soi une partie de l’être» (Attente deDieu)Gérard Klein a écrit :Tu peux me rappeler laquelle?Erion a écrit :A cette question, il me semble que Simone Weil y a apporté une réponse.Gérard Klein a écrit : Quand même la question théologique fondamentale, variante du fameux "pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?", demeure: "Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde, puisqu'il est parfait et complet?"
Il s'ennuyait?
Il me semblait avoir déjà rencontré cette proposition mais pas chez cet auteur.
Mais pourquoi l'aurait-Il fait? C'est ça ma question.
Certes, la psycho-théologie est encore une discipline en devenir.
Je retourne à Gene Wolfe qui n'en est pas si éloigné.
Mon immortalité est provisoire.
Vraiment, c'est l'inverse qui me paraîtraiit ahurissant!!! Imaginer qu'il soit envisageable de savoir le "fond des choses", je ne vois même pas bien ce que ça peut vouloir dire...Gérard Klein a écrit :
Si ça ne te donne pas le vertige, Oncle Joe, de savoir après des siècles de conviction du contraire, de découvrir qu'on ne saura jamais le fond des choses physiques et que notre langage le plus rigoureux est sans fondement, tu as le cœur bien accroché.
Oncle Joe
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La fantasy ne se limite pas à une littérature du bien et du mal. C'était sans doute le cas il y a quelques années. Mais plus aujourd'hui. La rupture massive date du milieu des année 90. Curieusement c'est à cette époque que la fantasy a commencé a surpasser commercialement la SF. Si certaines oeuvres de Sf se limitent au dualisme et même si certaine sont parmi les succès du genre c'est une approche que je trouve très limitative. La fantasy comme la SF est une littérature d'approche anthropologique et elle dialogue avec nos racines. A un moment où la question de l'identité devient primordiale il est peut être bon de répondre au "d'où venons nous". Il n'y pas d'avenir sans passé et finalement la fantasy questionne notre culture la plus profonde. Et je pense justement que plus il y aura d'oeuvre qui dépasseront ce dualisme plus le genre fonctionnera.Alors je pose deux questions :
- est-ce que cette vision régressive n'a pas quelque chose à voir avec le fait que, là où la Sf s'approprie une métaphysique élargie, ces autres formes littéraires reviennent à une métaphysique dualiste ?
- est-ce qu'on peut lier ce retour en force de cette métaphysique dualiste avec le retour du spirituel dans la vie publique de plus en plus prégnant, et est-ce que (c'est une conséquence, pas une question séparée) il faut vraiment s'étonner aujourd'hui de voir qu'on préfère une littérature du bien et du mal à une littérature de la complexité ?
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Page 781.Lem a écrit :Dans l'essai de Nef, cité bien plus haut, il y a cette proposition conclusive assez belle : "Il y a quelque chose pour qu'il y ait quelque chose de vrai."Gérard Klein a écrit :Tu peux me rappeler laquelle?
Mais on peut dire aussi "pour qu'il y ait quelque chose de faux".
Et puis pourquoi Dieu aurait-il eu besoin de quelque chose de vrai puisqu'il contient déjà toute la vérité.
Je dois dire que cette jolie phrase de Nef m'a paru, à la réflexion, particulièrement creuse.
D'autant que Nef ne sait pas du tout ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, et que ce ne sont ni Bitbol ni Gödel qui le lui diront.
Et sa sortie finale, page 783, est anti-bouddhiste au possible.
Nef, disciple de Van Vogt? Enfin, de celui des mauvais jours.
Mon immortalité est provisoire.
Je veux dire que, pour moi, le concept "le fond des choses" est vide de sens, cela ne veut rien dire. Je ne vois pas du tout la contradiction avec la démarche d'observer et de comprendre ce que l'on peut (le moyen de faire autre chose?). Les idées qui n'ont pas de sens pour moi, ce sont ces histoires d'"absolu".Lem a écrit :Ça veut dire être matérialiste – d'où les problèmes affrontés plus haut.Lensman a écrit :Imaginer qu'il soit envisageable de savoir le "fond des choses", je ne vois même pas bien ce que ça peut vouloir dire...
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le dim. nov. 22, 2009 9:01 pm, modifié 1 fois.
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le dualisme invoqué, ce n'est pas celui qui existe entre le bien et le mal.
Mettons de côté la thèse gnostique des deux mondes (monde du bien, monde du mal).
C'est la série d'oppositions:
- horizontal/vertical
- matière/esprit
- immanence/transcendance
Et on peut en rajouter d'autres:
- rationalisme/vitalisme
- sujet/objet
- théorie/monde
Le fil sur la fantasy est de plus en plus désirable et appétissant.
Il faudrait juste s'accorder sur ce qu'on va lui demander de traiter, à ce fil:
- les présupposés intellectuels, théoriques, philosophiques de la fantasy?
- les raisons qui génèrent le paradoxe d'un succès commercial et pourtant d'un procès en loufoquerie et en vacuité intellectuelle bonnes pour les ados?
- autre chose?
Mettons de côté la thèse gnostique des deux mondes (monde du bien, monde du mal).
C'est la série d'oppositions:
- horizontal/vertical
- matière/esprit
- immanence/transcendance
Et on peut en rajouter d'autres:
- rationalisme/vitalisme
- sujet/objet
- théorie/monde
Le fil sur la fantasy est de plus en plus désirable et appétissant.
Il faudrait juste s'accorder sur ce qu'on va lui demander de traiter, à ce fil:
- les présupposés intellectuels, théoriques, philosophiques de la fantasy?
- les raisons qui génèrent le paradoxe d'un succès commercial et pourtant d'un procès en loufoquerie et en vacuité intellectuelle bonnes pour les ados?
- autre chose?
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Oui, je le pense volontiers. J'ai écrit quelque part que le succès de la fantasy et de la bit-lit me semblait obscurément correspondre à la montée des intégrismes religieux un peu partout dans le monde, fournissant une ironique réponse à la prétendue interrogation de Malraux sur la religiosité du XXI° siècle.Le_navire a écrit : Et je reviens à la fantasy, parce que oui, la piste est intéressante : aujourd'hui, c'est la Fantasy qui gagne le pompon de l'attribution d'étiquette "ado boutonneux" (et je ne parle pas de la Bit lit, mais l'idée est la même), pendant qu'en même temps, on voit nombre d'adultes se plonger dans la littérature adolescente à la HP.
Chez beaucoup d'intellectuels, c'est vécu comme une régression.
Alors je pose deux questions :
- est-ce que cette vision régressive n'a pas quelque chose à voir avec le fait que, là où la Sf s'approprie une métaphysique élargie, ces autres formes littéraires reviennent à une métaphysique dualiste ?
- est-ce qu'on peut lier ce retour en force de cette métaphysique dualiste avec le retour du spirituel dans la vie publique de plus en plus prégnant, et est-ce que (c'est une conséquence, pas une question séparée) il faut vraiment s'étonner aujourd'hui de voir qu'on préfère une littérature du bien et du mal à une littérature de la complexité ?
Dans ce cas, on n'explique pas par la métaphysique le rejet originel de la SF, mais on peut expliquer par le retour du dualisme l'étouffement actuel de la SF...
Mon immortalité est provisoire.
Boum! ça commence direct à l'arme lourde!Gérard Klein a écrit :
Oui, je le pense volontiers. J'ai écrit quelque part que le succès de la fantasy et de la bit-lit me semblait obscurément correspondre à la montée des intégrismes religieux un peu partout dans le monde, fournissant une ironique réponse à la prétendue interrogation de Malraux sur la religiosité du XXI° siècle.
Oncle Joe
Parfait. Tu n'as donc effectivement rien à voir avec le matérialisme car pour cette forme de pensée, la matière est un absolu.Lensman a écrit :Les idées qui n'ont pas de sens pour moi, ce sont ces histoires d'"absolu".
Et je ne pense que tu puisses trouver ce terme sous ma plume.
Ma bifurcation par le non-A t'a-t-elle aidé à mieux comprendre ma position ?
L'eau lourde c'est la SF et l'eau bénite la fantasy ?Lensman a écrit :[Boum! ça commence direct à l'arme lourde!
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.
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Il ne s'agit pas d'absolu (ce qui reste quand on a dissout tout ce qu'on pouvait). Du solide.Lensman a écrit :Je veux dire que, pour moi, le concept "le fond des choses" est vide de sens, cela ne veut rien dire. Je ne vois pas du tout la contradiction avec la démarche d'observer et de comprendre ce que l'on peut (le moyen de faire autre chose?). Les idées qui n'ont pas de sens pour moi, ce sont ces histoires d'"absolu".Lem a écrit :Ça veut dire être matérialiste – d'où les problèmes affrontés plus haut.Lensman a écrit :Imaginer qu'il soit envisageable de savoir le "fond des choses", je ne vois même pas bien ce que ça peut vouloir dire...
Oncle Joe
Le projet de la science, depuis quatre siècles au moins, a été de décrire et d'expliquer le réel dans sa totalité, en tout cas dans sa base la plus élémentaire. En passant de fonder un matérialisme.
Je n'ai pas écrit que les scientifiques pensaient que c'était réalisable. J'ai écrit que c'était le projet explicite de la science à la limite, en dehors même de tout scientisme car il n'est pas question de répondre à toutes les questions, comme je l'ai déjà fait remarquer. Mais de connaître l'étoffe des choses, la structure intime du réel, comme on l'a cru avec l'atomisme. Après, le produit de la combinatoire des éléments premiers, la biologie et tout le reste, c'est plus compliqué, c'est de la technologie.
C'est du reste le rêve que poursuivent encore certains théoriciens des cordes.
On a quelque raison de savoir aujourd'hui, depuis environ soixante-dix ans, que ce n'est pas possible, ni même pensable, pour des raisons très profondes, celles-là même du reste qui font l'efficacité de la science (et des mathématiques).
Su tu ne trouves pas que c'est un bouleversement épistémologique, je me demande ce qu'il te faut.
En tout cas, je retiens de ta réponse que tu considères que le matérialisme est vide de sens.
Mon immortalité est provisoire.
C'est gentil mais si je lis bien ton paragraphe suivant sur la censure catholique, c'est plutôt Roland qui marque (sf rejetée car trop rationaliste). Il faudrait examiner tout ça soigneusement. Je me suis intéressé au sujet aussi, à une époque, et la censure catholique surveillait toute la production pour enfants pendant l'entre-deux-guerres. Par ailleurs, la sf n'était pas encore vrament identiée comme genre en soi. Après la guerre, c'est évidemment une autre histoire mais quel est le poids de la pensée catholique, alors, dans la façon dont sont reçues les innovations culturelles. A mon avis, très faible. Ce serait au moins aussi intéressant de s'intéresser aux cadres de perception communistes, beaucoup plus prégnants à mon avis.Fabien Lyraud a écrit :D'un coté tu marques un point.
Il y a du vrai, sur le jeu mais c'est loin d'être un facteur décisif. Pour ne prendre qu'un seul exemple : le jeu est au centre du laboratoire littéraire français le plus prestigieux : l'oulipo. Tout le monde s'extasie devant Mille milliards de poèmes et La Disparition de Perec. Le cahier des charges ludico-esthétique de La vie mode d'emploi a été publié dans une édition prestigieuse et il a fait l'objet d'une exposition si je me souviens bien. Toute la critique trouve ça génial. Personne ne dit que les gens de l'Oulipo sont des ados décérébrés. Donc…aller chercher la réponse à cette mauvaise image du genre chez Freud. Le psychanaliste autrichien nous dit en effet que un enfant qui joue est un créateur de monde. Si la création de monde relève du jeu ce ne peut être sérieux.
Modifié en dernier par Lem le dim. nov. 22, 2009 9:27 pm, modifié 1 fois.
On l'a cru avec l'atomisme... hum, des esprits, parfois extrêmement brillants, l'ont cru. S'ils en étaient satisfaits, tant mieux pour eux...
Là, je fais appel à Systar: suis-je le seul farfelu à penser que l'idée de posséder une explication complète de tout le bastringue n'a pas de sens?
Je n'arrive vraiment pas à imaginer qu'on me dise: "tiens, voilà le monde. Il est fabriqué comme ci, comme ça. tout est bien clair, sait tout ce qu'on peut savoir, on a fait le tour de la question". Espérer cela me paraît assez farfelu. Par contre, qu'on s'escrimer à décortiquer le plus que l'on peut, ça, je comprends, et ça me plait.
Oncle Joe
Là, je fais appel à Systar: suis-je le seul farfelu à penser que l'idée de posséder une explication complète de tout le bastringue n'a pas de sens?
Je n'arrive vraiment pas à imaginer qu'on me dise: "tiens, voilà le monde. Il est fabriqué comme ci, comme ça. tout est bien clair, sait tout ce qu'on peut savoir, on a fait le tour de la question". Espérer cela me paraît assez farfelu. Par contre, qu'on s'escrimer à décortiquer le plus que l'on peut, ça, je comprends, et ça me plait.
Oncle Joe