Ca compte pas. C'est pas de la SF. Colin aime pas la SF.Transhumain a écrit :YES !systar a écrit :Fabrice Colin vient de finir le premier jet de Big Fan.
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Le Déchronologue de Stéphane Beauverger
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Ah ? Bah, ça va alors...Transhumain a écrit :Moi non plus !Virprudens a écrit :Ca compte pas. C'est pas de la SF. Colin aime pas la SF.Transhumain a écrit :YES !systar a écrit :Fabrice Colin vient de finir le premier jet de Big Fan.
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Ce n’est sûrement pas très utile. On a déjà tant parlé de ce roman, qu’il peut paraître stérile de revenir dessus. Mais bon. Je tiens quand même à apporter ma maigre participation à ce qui a déjà été dit, en espérant soulever quelques remarques intéressantes. Pour ceux qui ont le courage de lire, excusez l’angle d’attaque volontairement analytique. Et le papier s’adresse peut-être plus à ceux ayant déjà lu le roman, qu’à ceux n’ayant pas encore fait le grand saut.
Un roman qui mêle donc habilement les genres : le roman maritime, de piraterie, et le roman SF (la décohérence temporelle). Le décor : la mer des Caraïbes, jonction de trois océans : l’océan atlantique, l’océan pacifique, et le golfe du Mexique. Théâtre de conflits entre les nations qui se livrent une incessante guerre pour asseoir leur domination sur ce carrefour commercial du monde. Les espagnoles affrontent les anglais qui affrontent les français. Le capitaine Villon, corsaire sous l’étendard français, navigue en ces eaux troubles. Il se caractérise par un sens moral aigu, et une droiture d’esprit qui ne sied pas forcément à son physique de brigand ni à ses mœurs d’homme de mer.
La déchronologie
Première caractéristique du roman : sa déconstruction narrative. En effet, les vingt-cinq chapitres qui constituent le Déchronologue ne présentent pas au lecteur une succession chronologique des évènements. Les chapitres sont au contraire livrés décousus, mélangés, intervertis : 1640, 1652, 1649… La continuité temporelle du récit est volontairement brisée par l’écrivain. Pourquoi ? On aurait pu croire à un artifice. Mais ce parti pris révèle en fait plus d’un intérêt : il dynamise tout d’abord la lecture, puisque le lecteur est convié à se livrer à une gymnastique particulière de l’esprit, à un jeu de reconstruction mental à mesure qu’il avance dans sa lecture : remettre en place une à une les pièces du puzzle afin de pouvoir contempler le tableau dans son intégrité. Le Déchronologue se dévoile ainsi au lecteur par une succession de mosaïques qui s’assemblent peu à peu. Les chapitres sont atemporels, comme autant de fragments ballottés dans le néant. A l’image de ces navires ballottés sur les flots de l’océan. A l’image de ces personnages ballottés dans un monde qu’ils ne comprennent plus, ployant sous une menace qui échappe à leur compréhension. Ce procédé de décohérence permet aussi de souligner, par analogie, les heurts intérieurs du capitaine Villon : la culpabilité dont il n’arrive pas à se défaire et qui continue de le hanter (son souvenir du siège de La Rochelle) ; sa volonté naïve, presque pathétique, d’aider ses semblables dans un contexte de chaos, conviction altruiste qui se brise littéralement sur les impératifs de ses missions de commandant… Enfin, ce procédé illustre de manière formelle l’un des enjeux ou thème principal du roman : la dissolution inéluctable du temps auquel la réalité du capitaine Villon est soumise.
Le style
Autre caractéristique du roman : son style, très fleuri, très travaillé. Les dialogues exhalent la haute mer, les embruns, le soleil cognant sur le pont des navires. La prose de Stephane BEAUVERGER, à l’instar de celle d’un certain JAROWSKI, brille par sa précision, sa méticulosité, la force et la pertinence de ses images comme de ses descriptions, et offre une immersion immédiate au lecteur. Elle est un élément inclusif du voyage. Les dialogues nombreux, cultivant un registre oral aussi truculent que succulent, participent à assoire la cohérence et l’exotisme de l’univers maritime du récit directement inspiré des grands classiques du genre (Falkner, Stevenson, Mac Orlan…)
Un roman des confluents
Le roman se caractérise ensuite par une série de jonctions.
Une jonction géographique tout d’abord : la mer des Caraïbes, où se déroule l’action du roman, voit se rencontrer trois océans : l’océan atlantique, l’océan pacifique, et le Golfe du Mexique, pour former une figure géométrique bien connue puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que du fameux « triangle des Bermudes », ou « triangle du diable », lieu maritime redouté des équipages comme de ses capitaines, qui est à l’origine de bien des disparitions demeurées inexpliquées. C’est dans ce cadre privilégié, déjà porteur, par son essence, d’une aura surnaturelle, que Stéphane BEAUVERGER campe l’action de son roman. Le triangle des Bermudes, endroit de tous les mystères, ouvre sur toutes les conjectures et tous les possibles. Il légitime et accrédite, par son statu dans l’inconscient collectif, l’intrusion du surnaturel au cœur du récit.
Une jonction, ensuite, des civilisations : les anglais, les français, et les espagnoles, se battent pour asseoir leur suprématie sur ce carrefour commercial, théâtre de leurs conflits. A cette collision des nations vient s’ajouter deux autres civilisations diamétralement opposées dans le temps : la civilisation Maya, qui plonge ses racines dans les millénaires passés, et la civilisation américaine, jeune adolescente ayant poussé ses premiers cris sur le terreau du XVIIIème siècle.
Une intersection, enfin, des temporalités, puisque le roman fait se rencontrer, dans une même réalité, dans un même continuum, différentes époques : le passé, par l’entremise de civilisations millénaires (les Mayas) ou de grandes figures historiques (Alexandre Le Grand, Cortès…), le présent, marqué par les luttes d’intérêt des peuples européens sur la mer des Caraïbes (anglais, français, espagnoles), et enfin, l’avenir, campé par deux entités : le porte-avion « Georges Washington », et la « civilisation du feu », tous deux visiteurs d’un lointain futurs, tous deux éléments intrusifs initiateurs de l’entropie.
Un roman des oppositions
Sur ce jeu des éléments convergents, semblables à des courants marins qui s’interpénètrent, l’écrivain bâtit une série d’oppositions.
Le « Déchronologue », ultime navire du capitaine Villon dont la caractéristique est de posséder des canons qui tirent du temps, s’oppose au « Georges Washington », monstre d’acier venu d’un lointain futur dont la puissance de feu annihile toutes les escadres. D’où provient réellement ce colosse qui sème la destruction ? Quel est son but ? A ces questions, comme à bien d’autres d’ailleurs, Stéphane BEAUVERGER ne préfère pas répondre. Une manière de laisser au lecteur le loisir de combler par lui-même ces zones d’ombres. Quoi qu’il en soit, cette opposition du bois et de l’acier, de l’archaïque et du technologique, du frêle et du monumental ne peut que susciter la fascination. A ce titre, la première scène qui voit se rencontrer le navire du capitaine Villon et le porte-avions américain constitue sans conteste l’un des temps forts du roman. Cette opposition, qui tourne rapidement à la confrontation, se révèle comme le véritable moteur du récit. Elle rappelle différents mythes : celui de David et Goliath, mais aussi et surtout celui de Moby Dick : le combat de l’homme contre une force qui lui est supérieure, qui le dépasse. Le combat de l’homme contre l’absolu…
Le déphasage temporel permet bien d’autres oppositions. C’est le cas de ces objets anachroniques échoués sur les plages de ce XVIIème siècle : les « maravillas », merveilles étranges et pleines de promesses que le lecteur assimile dans un premier temps à certains trésors arrachés à la civilisation aztèque, mais qui se révèlent en fin de compte provenir du futur. Stéphane BEAUVERGER prend un malin plaisir à pousser au plus loin le jeu sur les anachronismes : c’est ainsi que le capitaine Villon, au cours de ses escales, ne sort jamais sans être armé de son sabre…et d’un pistolet automatique (on devine un Beretta italien). Dans l’un des combats qui l’oppose à un officier vindicatif et provocateur, c’est d’ailleurs la poudre qui vainc la lame… Autre anachronisme jubilatoire, ces « machines à musique » équipées de petites oreillettes qu’on glisse dans le creux de l’oreille et qui diffusent des mélopées venues d’un autre temps. Une image pleine d’un charme décalé lorsqu’on imagine le capitaine Villon, assis dans sa cabine, laisser dériver ses pensées au gré d’une complainte de Nick DRAKE…
Mais les oppositions, rendues possibles par la décohésion temporelle, ne se manifestent pas uniquement au niveau des éléments matériels du récit. Elles sont aussi présentes au sein même des personnages. En tête desquels, évidemment, le capitaine Villon. Un personnage en déphasage par rapport à son époque, à son propre espace-temps. Paradoxe (ou réussite ?) du roman, il ne donne pas l’impression de coïncider avec lui-même. Homme cultivé, sa droiture d’esprit, ses principes humanistes, surprennent et tranchent par rapport à son aspect physique et ses mœurs brutales d’homme de mer (sa disposition envers la littérature évoque au passage la personnalité d’un certain Joseph CONRAD, marin avant d’être devenu écrivain). Ses motivations profondes (et presque anachroniques ?) le poussent instinctivement à aider son prochain. Sa préoccupation première, lorsque le monde qu’il connaît s’effondre après le passage dévastateur de la tempête temporelle, est de venir au secours des peuples meurtris en leur offrant ces « maravillas » seules capables d’assurer leur survie. Malheureusement, cet élan altruiste se voit systématiquement contrecarré par les impératifs de sa fonction : le commandement. Sans sombrer dans l’analyse freudienne, on peut avancer qu’il existe une faille, un hiatus inné, déjà à l’origine, chez le capitaine Villon : sa personnalité caractérisée par un sens aigue de l’empathie ne correspond pas aux actes de violence (l’anéantissement de la flotte d’Alexandre Le Grand) et de barbarie (le massacre de port Marta perpétré par Arcado et sa tribu) que lui impose sa position.
Si l’opposition s’établit au sein même du personnage de Villon, elle est aussi flagrante lorsqu’on place d’autres personnages en comparaison. Ainsi, si le capitaine Villon et Féfé de Dieppe se ressemblent et se complètent sur bien des points, l’unique personnage féminin du roman se pose en opposition au capitaine Villon : il s’agit de Sévère, femme venue du futur et reniée des siens pour ses actions d’insubordination. Si Villon se montre combatif, fervent, cultivant un sens de l’honneur, respectant des principes, Sévère, au contraire, est un personnage glacial, détaché, passif, cantonné au strict rôle de spectateur, amoral par principe, vaincu par conviction… Deux personnage trop éloignés, trop antagonistes, trop opposés temporellement pour qu’une compréhension – et encore moins un amour – puisse s’épanouir entre eux.
Un roman métaphysique ?
Une autre œuvre a été léguée à la postérité semblablement fragmentée, semblablement décousue. Ses éditions successives ont tenté des réorganisations qui prêtaient à l’œuvre bien des interprétations différentes en la détournant peut-être de l’intention originale de l’écrivain. Il s’agit d’une œuvre socle de la pensée occidentale : Les Pensées de Pascal. Œuvre posthume. Une suite de fragments éparses, composés aléatoirement et de manière plus ou moins erratique par le mathématicien et philosophe, et rassemblés avec soin par Louis Perrier, son neveu. Le Déchronologue, par son aspect strictement formel, se rattache à cette œuvre. La comparaison s’arrête-t-elle là ? En creusant un peu, on pourrait peut-être accorder au Déchronologue une certaine aura métaphysique, pour ne pas dire mystique. J’entends déjà les dents de certains grincer. Difficile, pourtant, d’ignorer à la lecture du roman la présence de quelques symboles patents qui peuvent renvoyer à quelques symboliques religieuses. Je pense plus précisément à l’omniprésence du chiffre « 3 ».
Le cadre de l’action du Déchronologue est prisonnier d’un triangle, figure géométrique à trois côtés.
Ce chiffre « 3 » apparaît à d’autres niveaux de lecture. Avant de réaliser l’aboutissement de son navire, avant d’ériger le « Déchronologue », le capitaine Villon arpente les océans sur deux autres frégates : le « Chronos », tout d’abord, puis le « Toujours Debout ». Trois visages, donc, trois facettes d’un même véhicule.
De même, le Capitaine Villon, au cours de son périple, frôle la mort à…trois reprises. Trois expériences redoutables au cours desquelles il manque de peu de sombrer dans la folie. La première, sur l’océan, dans les cales de « La Centinela » de Mendoza, où, après le pilonnage du « Chronos », il est fait prisonnier avec les survivants de son équipage et est abandonné à la faim, à la soif, manquant de peu de trépasser en devenant fou (P233-245). La seconde, sur la terre ferme, dans les geôles de la prison de Carthagène des Indes. Où là encore, abandonné à l’inanition, la mort manque de le cueillir (P67-81). Au cours de cette scène qui retrace son évasion, l’auteur nous décrit d’ailleurs la « résurrection » du Capitaine Villon, dans le sens où, littéralement, ce dernier s’arrache à la mort et aux morts – un passage qui m’évoque une autre belle évasion, celle d’Edmond Dantes dans le Comte de Monte-Cristo de DUMAS. La troisième expérience, enfin, sur les côtes du Yucatan, proche de l’épicentre du cataclysme qui signe la rupture définitive de la continuité temporelle du récit et entraîne la fin du monde connu par le Capitaine Villon : le bombardement de la forêt du Yucatan (P323-339). Trois passages clef tous soulignés par la folie dangereuse qu’ils génèrent chez le personnage central du récit.
Voilà. Une petite analyse sans prétention, donc, d’un roman que j’ai trouvé passionnant, et qui invite, évidemment à une seconde lecture…
Un roman qui mêle donc habilement les genres : le roman maritime, de piraterie, et le roman SF (la décohérence temporelle). Le décor : la mer des Caraïbes, jonction de trois océans : l’océan atlantique, l’océan pacifique, et le golfe du Mexique. Théâtre de conflits entre les nations qui se livrent une incessante guerre pour asseoir leur domination sur ce carrefour commercial du monde. Les espagnoles affrontent les anglais qui affrontent les français. Le capitaine Villon, corsaire sous l’étendard français, navigue en ces eaux troubles. Il se caractérise par un sens moral aigu, et une droiture d’esprit qui ne sied pas forcément à son physique de brigand ni à ses mœurs d’homme de mer.
La déchronologie
Première caractéristique du roman : sa déconstruction narrative. En effet, les vingt-cinq chapitres qui constituent le Déchronologue ne présentent pas au lecteur une succession chronologique des évènements. Les chapitres sont au contraire livrés décousus, mélangés, intervertis : 1640, 1652, 1649… La continuité temporelle du récit est volontairement brisée par l’écrivain. Pourquoi ? On aurait pu croire à un artifice. Mais ce parti pris révèle en fait plus d’un intérêt : il dynamise tout d’abord la lecture, puisque le lecteur est convié à se livrer à une gymnastique particulière de l’esprit, à un jeu de reconstruction mental à mesure qu’il avance dans sa lecture : remettre en place une à une les pièces du puzzle afin de pouvoir contempler le tableau dans son intégrité. Le Déchronologue se dévoile ainsi au lecteur par une succession de mosaïques qui s’assemblent peu à peu. Les chapitres sont atemporels, comme autant de fragments ballottés dans le néant. A l’image de ces navires ballottés sur les flots de l’océan. A l’image de ces personnages ballottés dans un monde qu’ils ne comprennent plus, ployant sous une menace qui échappe à leur compréhension. Ce procédé de décohérence permet aussi de souligner, par analogie, les heurts intérieurs du capitaine Villon : la culpabilité dont il n’arrive pas à se défaire et qui continue de le hanter (son souvenir du siège de La Rochelle) ; sa volonté naïve, presque pathétique, d’aider ses semblables dans un contexte de chaos, conviction altruiste qui se brise littéralement sur les impératifs de ses missions de commandant… Enfin, ce procédé illustre de manière formelle l’un des enjeux ou thème principal du roman : la dissolution inéluctable du temps auquel la réalité du capitaine Villon est soumise.
Le style
Autre caractéristique du roman : son style, très fleuri, très travaillé. Les dialogues exhalent la haute mer, les embruns, le soleil cognant sur le pont des navires. La prose de Stephane BEAUVERGER, à l’instar de celle d’un certain JAROWSKI, brille par sa précision, sa méticulosité, la force et la pertinence de ses images comme de ses descriptions, et offre une immersion immédiate au lecteur. Elle est un élément inclusif du voyage. Les dialogues nombreux, cultivant un registre oral aussi truculent que succulent, participent à assoire la cohérence et l’exotisme de l’univers maritime du récit directement inspiré des grands classiques du genre (Falkner, Stevenson, Mac Orlan…)
Un roman des confluents
Le roman se caractérise ensuite par une série de jonctions.
Une jonction géographique tout d’abord : la mer des Caraïbes, où se déroule l’action du roman, voit se rencontrer trois océans : l’océan atlantique, l’océan pacifique, et le Golfe du Mexique, pour former une figure géométrique bien connue puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que du fameux « triangle des Bermudes », ou « triangle du diable », lieu maritime redouté des équipages comme de ses capitaines, qui est à l’origine de bien des disparitions demeurées inexpliquées. C’est dans ce cadre privilégié, déjà porteur, par son essence, d’une aura surnaturelle, que Stéphane BEAUVERGER campe l’action de son roman. Le triangle des Bermudes, endroit de tous les mystères, ouvre sur toutes les conjectures et tous les possibles. Il légitime et accrédite, par son statu dans l’inconscient collectif, l’intrusion du surnaturel au cœur du récit.
Une jonction, ensuite, des civilisations : les anglais, les français, et les espagnoles, se battent pour asseoir leur suprématie sur ce carrefour commercial, théâtre de leurs conflits. A cette collision des nations vient s’ajouter deux autres civilisations diamétralement opposées dans le temps : la civilisation Maya, qui plonge ses racines dans les millénaires passés, et la civilisation américaine, jeune adolescente ayant poussé ses premiers cris sur le terreau du XVIIIème siècle.
Une intersection, enfin, des temporalités, puisque le roman fait se rencontrer, dans une même réalité, dans un même continuum, différentes époques : le passé, par l’entremise de civilisations millénaires (les Mayas) ou de grandes figures historiques (Alexandre Le Grand, Cortès…), le présent, marqué par les luttes d’intérêt des peuples européens sur la mer des Caraïbes (anglais, français, espagnoles), et enfin, l’avenir, campé par deux entités : le porte-avion « Georges Washington », et la « civilisation du feu », tous deux visiteurs d’un lointain futurs, tous deux éléments intrusifs initiateurs de l’entropie.
Un roman des oppositions
Sur ce jeu des éléments convergents, semblables à des courants marins qui s’interpénètrent, l’écrivain bâtit une série d’oppositions.
Le « Déchronologue », ultime navire du capitaine Villon dont la caractéristique est de posséder des canons qui tirent du temps, s’oppose au « Georges Washington », monstre d’acier venu d’un lointain futur dont la puissance de feu annihile toutes les escadres. D’où provient réellement ce colosse qui sème la destruction ? Quel est son but ? A ces questions, comme à bien d’autres d’ailleurs, Stéphane BEAUVERGER ne préfère pas répondre. Une manière de laisser au lecteur le loisir de combler par lui-même ces zones d’ombres. Quoi qu’il en soit, cette opposition du bois et de l’acier, de l’archaïque et du technologique, du frêle et du monumental ne peut que susciter la fascination. A ce titre, la première scène qui voit se rencontrer le navire du capitaine Villon et le porte-avions américain constitue sans conteste l’un des temps forts du roman. Cette opposition, qui tourne rapidement à la confrontation, se révèle comme le véritable moteur du récit. Elle rappelle différents mythes : celui de David et Goliath, mais aussi et surtout celui de Moby Dick : le combat de l’homme contre une force qui lui est supérieure, qui le dépasse. Le combat de l’homme contre l’absolu…
Le déphasage temporel permet bien d’autres oppositions. C’est le cas de ces objets anachroniques échoués sur les plages de ce XVIIème siècle : les « maravillas », merveilles étranges et pleines de promesses que le lecteur assimile dans un premier temps à certains trésors arrachés à la civilisation aztèque, mais qui se révèlent en fin de compte provenir du futur. Stéphane BEAUVERGER prend un malin plaisir à pousser au plus loin le jeu sur les anachronismes : c’est ainsi que le capitaine Villon, au cours de ses escales, ne sort jamais sans être armé de son sabre…et d’un pistolet automatique (on devine un Beretta italien). Dans l’un des combats qui l’oppose à un officier vindicatif et provocateur, c’est d’ailleurs la poudre qui vainc la lame… Autre anachronisme jubilatoire, ces « machines à musique » équipées de petites oreillettes qu’on glisse dans le creux de l’oreille et qui diffusent des mélopées venues d’un autre temps. Une image pleine d’un charme décalé lorsqu’on imagine le capitaine Villon, assis dans sa cabine, laisser dériver ses pensées au gré d’une complainte de Nick DRAKE…
Mais les oppositions, rendues possibles par la décohésion temporelle, ne se manifestent pas uniquement au niveau des éléments matériels du récit. Elles sont aussi présentes au sein même des personnages. En tête desquels, évidemment, le capitaine Villon. Un personnage en déphasage par rapport à son époque, à son propre espace-temps. Paradoxe (ou réussite ?) du roman, il ne donne pas l’impression de coïncider avec lui-même. Homme cultivé, sa droiture d’esprit, ses principes humanistes, surprennent et tranchent par rapport à son aspect physique et ses mœurs brutales d’homme de mer (sa disposition envers la littérature évoque au passage la personnalité d’un certain Joseph CONRAD, marin avant d’être devenu écrivain). Ses motivations profondes (et presque anachroniques ?) le poussent instinctivement à aider son prochain. Sa préoccupation première, lorsque le monde qu’il connaît s’effondre après le passage dévastateur de la tempête temporelle, est de venir au secours des peuples meurtris en leur offrant ces « maravillas » seules capables d’assurer leur survie. Malheureusement, cet élan altruiste se voit systématiquement contrecarré par les impératifs de sa fonction : le commandement. Sans sombrer dans l’analyse freudienne, on peut avancer qu’il existe une faille, un hiatus inné, déjà à l’origine, chez le capitaine Villon : sa personnalité caractérisée par un sens aigue de l’empathie ne correspond pas aux actes de violence (l’anéantissement de la flotte d’Alexandre Le Grand) et de barbarie (le massacre de port Marta perpétré par Arcado et sa tribu) que lui impose sa position.
Si l’opposition s’établit au sein même du personnage de Villon, elle est aussi flagrante lorsqu’on place d’autres personnages en comparaison. Ainsi, si le capitaine Villon et Féfé de Dieppe se ressemblent et se complètent sur bien des points, l’unique personnage féminin du roman se pose en opposition au capitaine Villon : il s’agit de Sévère, femme venue du futur et reniée des siens pour ses actions d’insubordination. Si Villon se montre combatif, fervent, cultivant un sens de l’honneur, respectant des principes, Sévère, au contraire, est un personnage glacial, détaché, passif, cantonné au strict rôle de spectateur, amoral par principe, vaincu par conviction… Deux personnage trop éloignés, trop antagonistes, trop opposés temporellement pour qu’une compréhension – et encore moins un amour – puisse s’épanouir entre eux.
Un roman métaphysique ?
Une autre œuvre a été léguée à la postérité semblablement fragmentée, semblablement décousue. Ses éditions successives ont tenté des réorganisations qui prêtaient à l’œuvre bien des interprétations différentes en la détournant peut-être de l’intention originale de l’écrivain. Il s’agit d’une œuvre socle de la pensée occidentale : Les Pensées de Pascal. Œuvre posthume. Une suite de fragments éparses, composés aléatoirement et de manière plus ou moins erratique par le mathématicien et philosophe, et rassemblés avec soin par Louis Perrier, son neveu. Le Déchronologue, par son aspect strictement formel, se rattache à cette œuvre. La comparaison s’arrête-t-elle là ? En creusant un peu, on pourrait peut-être accorder au Déchronologue une certaine aura métaphysique, pour ne pas dire mystique. J’entends déjà les dents de certains grincer. Difficile, pourtant, d’ignorer à la lecture du roman la présence de quelques symboles patents qui peuvent renvoyer à quelques symboliques religieuses. Je pense plus précisément à l’omniprésence du chiffre « 3 ».
Le cadre de l’action du Déchronologue est prisonnier d’un triangle, figure géométrique à trois côtés.
Ce chiffre « 3 » apparaît à d’autres niveaux de lecture. Avant de réaliser l’aboutissement de son navire, avant d’ériger le « Déchronologue », le capitaine Villon arpente les océans sur deux autres frégates : le « Chronos », tout d’abord, puis le « Toujours Debout ». Trois visages, donc, trois facettes d’un même véhicule.
De même, le Capitaine Villon, au cours de son périple, frôle la mort à…trois reprises. Trois expériences redoutables au cours desquelles il manque de peu de sombrer dans la folie. La première, sur l’océan, dans les cales de « La Centinela » de Mendoza, où, après le pilonnage du « Chronos », il est fait prisonnier avec les survivants de son équipage et est abandonné à la faim, à la soif, manquant de peu de trépasser en devenant fou (P233-245). La seconde, sur la terre ferme, dans les geôles de la prison de Carthagène des Indes. Où là encore, abandonné à l’inanition, la mort manque de le cueillir (P67-81). Au cours de cette scène qui retrace son évasion, l’auteur nous décrit d’ailleurs la « résurrection » du Capitaine Villon, dans le sens où, littéralement, ce dernier s’arrache à la mort et aux morts – un passage qui m’évoque une autre belle évasion, celle d’Edmond Dantes dans le Comte de Monte-Cristo de DUMAS. La troisième expérience, enfin, sur les côtes du Yucatan, proche de l’épicentre du cataclysme qui signe la rupture définitive de la continuité temporelle du récit et entraîne la fin du monde connu par le Capitaine Villon : le bombardement de la forêt du Yucatan (P323-339). Trois passages clef tous soulignés par la folie dangereuse qu’ils génèrent chez le personnage central du récit.
Voilà. Une petite analyse sans prétention, donc, d’un roman que j’ai trouvé passionnant, et qui invite, évidemment à une seconde lecture…
Modifié en dernier par Goldeneyes le lun. nov. 23, 2009 8:05 pm, modifié 1 fois.
- Don Lorenjy
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En fait, non.Goldeneyes a écrit :un certain JAROWSKI publié chez le même éditeur
Falkner, non (celui de Moonfleet) ?Goldeneyes a écrit :la cohérence et l’exotisme de l’univers maritime du récit directement inspiré des grands classiques du genre (Faulkner, Stevenson, Mac Orlan…)
Très intéressant, merci. De nombreuses pistes à suivre, en effet. Un grand roman "politique", aussi, à mon avis. Comme... Gagner la guerre.
- Goldeneyes
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- Transhumain
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Pas du tout convaincu. D'abord, Villon ne navigue dans le roman, à proprement parler, que sur deux navires : le Toujours-Debout est rebaptisé Déchronologue après qu'il a été équipé des batteries temporelles. Ensuite, pourquoi 3 ? Quel sens attribuer à cette surdétermination, à supposer qu'elle soit patente (ce qui est loin d'être le cas, je trouve tes exemples tirés par les cheveux) ? Et de quel "mysticisme" parles-tu ? Il n'y a aucun Dieu dans Le Déchronologue. Et Villon est clairement athée. Il rêve seulement de se fondre dans le temps et l'espace, parce que ce serait le seul moyen, et poétique en plus, d'échapper à ses démons : ça donne les fusions cauchemardesques des chairs et de l'inorganique (dont tu ne parles pas : tu en penses quoi ?).Goldeneyes a écrit :Je pense plus précisément à l’omniprésence du chiffre « 3 ».
Le cadre de l’action du Déchronologue est prisonnier d’un triangle, figure géométrique à trois côtés.
Ce chiffre « 3 » apparaît à d’autres niveaux de lecture. Avant de réaliser l’aboutissement de son navire, avant d’ériger le « Déchronologue », le capitaine Villon arpente les océans sur deux autres frégates : le « Chronos », tout d’abord, puis le « Toujours Debout ». Trois visages, donc, trois facettes d’un même véhicule.
De même, le Capitaine Villon, au cours de son périple, frôle la mort à…trois reprises. Trois expériences redoutables au cours desquelles il manque de peu de sombrer dans la folie. La première, sur l’océan, dans les cales de « La Centinela » de Mendoza, où, après le pilonnage du « Chronos », il est fait prisonnier avec les survivants de son équipage et est abandonné à la faim, à la soif, manquant de peu de trépasser en devenant fou (P233-245). La seconde, sur la terre ferme, dans les geôles de la prison de Carthagène des Indes. Où là encore, abandonné à l’inanition, la mort manque de le cueillir (P67-81). Au cours de cette scène qui retrace son évasion, l’auteur nous décrit d’ailleurs la « résurrection » du Capitaine Villon, dans le sens où, littéralement, ce dernier s’arrache à la mort et aux morts – un passage qui m’évoque une autre belle évasion, celle d’Edmond Dantes dans le Comte de Monte-Cristo de DUMAS. La troisième expérience, enfin, sur les côtes du Yucatan, proche de l’épicentre du cataclysme qui signe la rupture définitive de la continuité temporelle du récit et entraîne la fin du monde connu par le Capitaine Villon : le bombardement de la forêt du Yucatan (P323-339). Trois passages clef tous soulignés par la folie dangereuse qu’ils génèrent chez le personnage central du récit.
Sur la déchronologie : on ne peut parler, je crois, de "décohérence", puisque seul l'ordre du récit, et non sa cohérence, est bouleversé. Tu écris que "ce procédé illustre de manière formelle l’un des enjeux ou thème principal du roman : la dissolution inéluctable du temps auquel la réalité du capitaine Villon est soumise". Je ne suis pas d'accord. Le temps ne se dissout pas : remets les chapitres dans l'ordre, et tu as un récit parfaitement linéaire, où apparaissent seulement des trouées, des tempêtes. Pour moi, le problème de Villon est plutôt inverse : son incapacité à échapper au temps.
Quant au porte-avions, en quoi représente-t-il l'absolu ? La comparaison avec Moby Dick s'impose, mais ne doit pas nous égarer : le Washington, une fois identifié, ne représente rien que de très trivial...
http://findepartie.hautetfort.com/archi ... index.html
- Goldeneyes
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Pour le mysticisme, c’est un peu de la provocation de ma part… On pourrait peut-être à la limite parler de « symbolisme », mais je conçois que la formulation, comme l’idée sous-jacente, paraissent un peu capillotractée. Cette résurgence du chiffre "3" (trois noms de navires, trois agonies) a peut-être pour seul intérêt d’unir l’homme à son navire… Du reste, tu as entièrement raison. Dieu est le grand absent du roman. Bien que pas tout à fait, cela dit. Il est présent par le biais de quelques figures / personnages (je ne me souviens plus exactement desquels, mais des espagnols, évidemment, dont la volonté expansionniste était essentiellement dirigée et financée par la religion). Je crois avoir aussi gardé en mémoire la présence d’une église en ruines, mais je ne suis pas sûr (je n’ai pas le bouquin sous la main). Cela me fait penser au passage à une thématique très présente dans le roman, que je n’ai pas abordée, et que m’a judicieusement soufflée un cafarnaute : la thématique de l’échec. On parle, de-ci de-là, d’une littérature SF (mais pas que : le constat s’applique à la littérature contemporaine en général) teintée d’un profond pessimisme. L’art anticipe et reflète les préoccupations d’une époque. Je crois que le Déchronologue s’inscrit parfaitement dans cette littérature à la tonalité pessimiste : échec des peuples à asseoir leur suprématie (les espagnoles comme les français et les anglais), échec de l’amour (la relation impossible de Villon et de Sévère), échec de la religion (les espagnols, encore), échec des envahisseurs qui finissent par être déboutés… Mon hypothèse ne tient peut-être pas la route, et on ne peut assurément pas prêter au roman de considérations métaphysiques. Mais cette présence du chiffre trois, que j’ai du mal à m’ôter de la tête, indique peut-être quelque chose…
Je te rejoins pour ton analyse « autocentrée » du roman, avec Villon qu’on serait tenté de placer comme épicentre du chaos. C’est l’une des grandes réussites du roman, à mon sens : cette relation étroite que l’auteur établit entre l’océan, le temps qui se délite, et la conscience du capitaine Villon : tous trois reflets de la même turbulence, de la même fluctuation, du même chaos.
Je reviendrai sur d'autres remarques, mais je manque de temps (un comble !). Désolé.
En es-tu sûr ? Ta remarque soulève une question intéressante. Pourquoi les chapitres du roman sont-ils livrés au lecteur en fragments désordonnés ? Est-ce la résultante d’une action intertextuelle, inhérente au récit (on peut imaginer que ce soit le fait de l’intervention de Mandoza, narrateur provisoire et dernier intervenant du récit, qui a retrouvé les carnets du capitaine Villon, ce que je ne crois absolument pas : pourquoi ne les auraient-ils pas remis dans l’ordre ?) ou plutôt d’une initiative extratextuelle, propre à l’auteur… Je penche pour cette seconde option. Dans ces conditions, le fait de « remettre les chapitres dans l’ordre » de soi-même, à la lecture, comme tu le suggères, m’apparaît comme une HERESIE ! (le terme est un peu fort, c’est volontaire…). Aurait-on idée de modifier quelques accords sur la première sonate de Mozart sous prétexte qu’il manque des notes ? La littérature est un art à part. A mon sens, chaque livre est une porte sur une réalité. Un écrivain est un démiurge qui enfante un univers. Pour déformer ou retourner une formule de BORGES qui disait « qu’on a tendance à accepter les choses car on soupçonne que rien n’est réel », je dirais que dans la littérature « on accepte tout car l’on sait que ce qu’on lit est réel ». Dès lors, je pense que cette déchronologie est loin d’être anodine, et qu’il existe réellement une décohérence au sein du temps du récit. Doit-on rappeler que la conception linéaire et quantifiée du temps est une tare de nos sociétés modernes ? En poussant cette réflexion au plus loin, j’irais jusqu’à dire que, dans l’absolu, Villon a vécu les évènements dans l’ordre présenté par l’auteur (et c’est le seul reproche que je ferais au roman : il existe un après « fin du temps connu » puisque la datation fait sa réapparition dans le tout dernier chapitre, sous la main de Mandoza, ce qui ne légitime pas totalement mon hypothèse…). Mais je concède que tout ça paraisse un brin fumeux…Le temps ne se dissout pas : remets les chapitres dans l'ordre, et tu as un récit parfaitement linéaire, où apparaissent seulement des trouées, des tempêtes.
Je te rejoins pour ton analyse « autocentrée » du roman, avec Villon qu’on serait tenté de placer comme épicentre du chaos. C’est l’une des grandes réussites du roman, à mon sens : cette relation étroite que l’auteur établit entre l’océan, le temps qui se délite, et la conscience du capitaine Villon : tous trois reflets de la même turbulence, de la même fluctuation, du même chaos.
Je reviendrai sur d'autres remarques, mais je manque de temps (un comble !). Désolé.
- Transhumain
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Je ne te suis pas sur le chiffre trois, et Dieu est réellement absent du livre : seuls subsistent en effet les religions, les églises en ruine. Je ne sais pas si l'on peut parler de pessimisme. Bien sûr, la grande partie du roman adopte le point de vue de Villon, qui est sans espoir. MAIS c'est oublier la fin : quand Villon meurt, le monde du Déchronologue échappe enfin à son emprise morbide, et s'apaise.Goldeneyes a écrit :Cela me fait penser au passage à une thématique très présente dans le roman, que je n’ai pas abordée, et que m’a judicieusement soufflée un cafarnaute : la thématique de l’échec. On parle, de-ci de-là, d’une littérature SF (mais pas que : le constat s’applique à la littérature contemporaine en général) teintée d’un profond pessimisme. L’art anticipe et reflète les préoccupations d’une époque. Je crois que le Déchronologue s’inscrit parfaitement dans cette littérature à la tonalité pessimiste : échec des peuples à asseoir leur suprématie (les espagnoles comme les français et les anglais), échec de l’amour (la relation impossible de Villon et de Sévère), échec de la religion (les espagnols, encore), échec des envahisseurs qui finissent par être déboutés… Mon hypothèse ne tient peut-être pas la route, et on ne peut assurément pas prêter au roman de considérations métaphysiques. Mais cette présence du chiffre trois, que j’ai du mal à m’ôter de la tête, indique peut-être quelque chose.
.Ta remarque soulève une question intéressante. Pourquoi les chapitres du roman sont-ils livrés au lecteur en fragments désordonnés ? Est-ce la résultante d’une action intertextuelle, inhérente au récit (on peut imaginer que ce soit le fait de l’intervention de Mandoza, narrateur provisoire et dernier intervenant du récit, qui a retrouvé les carnets du capitaine Villon, ce que je ne crois absolument pas : pourquoi ne les auraient-ils pas remis dans l’ordre ?) ou plutôt d’une initiative extratextuelle, propre à l’auteur… Je penche pour cette seconde option
Moi aussi : rien ne justifie diégétiquement la déchronologie.
OuiDans ces conditions, le fait de « remettre les chapitres dans l’ordre » de soi-même, à la lecture, comme tu le suggères, m’apparaît comme une HERESIE !

Non, rien ne laisse penser que Villon ait vécu ces événements dans l'ordre proposé par l'auteur ! On n'est pas chez Colin ! Le Déchronologue n'est pas un roman schizo : c'est le récit parfaitement cohérent d'un homme qui aspire à la schizophrénie.Dès lors, je pense que cette déchronologie est loin d’être anodine, et qu’il existe réellement une décohérence au sein du temps du récit. Doit-on rappeler que la conception linéaire et quantifiée du temps est une tare de nos sociétés modernes ? En poussant cette réflexion au plus loin, j’irais jusqu’à dire que, dans l’absolu, Villon a vécu les évènements dans l’ordre présenté par l’auteur (et c’est le seul reproche que je ferais au roman : il existe un après « fin du temps connu » puisque la datation fait sa réapparition dans le tout dernier chapitre, sous la main de Mandoza, ce qui ne légitime pas totalement mon hypothèse…). Mais je concède que tout ça paraisse un brin fumeux…
Alors, petit scarabée, tu parviendras peu ou prou aux mêmes conclusions que moi. Villon est bien l'épicentre autour duquel se déploie le vortex temporel. Les dernières lignes, où Mendoza redécouvre le manuscrit, servent précisément, à soustraire l'énonciation de l'emprise morbide de Villon : ce n'était que l'histoire de Villon, pas celle de tout un monde...Je te rejoins pour ton analyse « autocentrée » du roman, avec Villon qu’on serait tenté de placer comme épicentre du chaos. C’est l’une des grandes réussites du roman, à mon sens : cette relation étroite que l’auteur établit entre l’océan, le temps qui se délite, et la conscience du capitaine Villon : tous trois reflets de la même turbulence, de la même fluctuation, du même chaos.
Ils font beaucoup d'efforts pour dissuader de lire ce livre. Saluons la tentative.Jeffx a écrit :Mon Dieu...Transhumain a écrit :diégétiquement![]()
C'est de pire en pire...
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
http://melkine.wordpress.com/
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