kemar a écrit :Lem a écrit :Cette non-inscription (également appelée déni) n'est pas liée aux succès ou revers commerciaux du genre. Elle se manifeste dans l'absence de discours critique et de représentation médiatique hors domaine, dans l'absence de référence au genre dans les histoires littéraires qui font par ailleurs une place honorable au polar ou à la BD, et dans la quasi-absence de recherche universitaire jusqu'à une date très récente.
Je ne suis pas entièrement convaincu par la logique de ces deux phrases.
La seconde parle de l'absence de discours critique et de couverture médiatique. J'imagine donc que les auteurs habituels de ces discours critiques et des médias dont tu parles constituent donc "l'élite" évoquée précédemment.
Sont ils réellement indépendants et affranchis vis à vis de l'impact commercial ou du succès d'estime des œuvres qu'ils commentent? Créent ils la tendance ou la subissent ils?
Ne lisant pas d'ouvrages d'histoire littéraire et n'étant pas non plus intéressé par la recherche universitaire sur la SF, je ne m'avancerai pas dessus.
Il me semble cependant que définir le mode de fonctionnement général des "élites" (et pas seulement vis à vis de la SF) fait partie intégrante des éléments de réponse.
Les critiques, les universitaires, les prescripteurs et les médias ne sont certainement pas indifférents et affranchis du succès commercial, ni du succès d'estime. La tendance générale – c'est pratiquement la règle en fait, sauf chez quelques esprits forts – consiste plutôt à essayer de capter le succès (intellectuel ou commercial) d'une œuvre en en faisant la critique : en gros, on parle de ce qui marche ou de ce qui est valorisé pour marcher ou être soi-même valorisé. Et ça vaut dans tous les domaines.
Pour répondre à ta question dans les termes ou tu la poses : la tendance est créée. C'est à dire qu'elle
se crée, dans le chaudron complexe où se mêlent intérêt sincère, lobbying, bouche à oreille du public, réputation, calcul, valeur de l'œuvre et une multitude de facteurs. Et ensuite, il y a un phénomène de troupeau qui pousse les autres acteurs à la subir, c'est à dire à la renforcer.
Mais j'énonce des généralités.
L'anomalie de la non-inscription ne réside pas dans la prudence, la timidité, le conservatisme ou tout autre nom qu'on voudra lui donner des prescripteurs. Comme je l'ai écrit, la SF a eu ses heures pleines et ses heures creuses en France. L'anomalie, c'est l'invisibilité complète après un siècle d'existence. C'est le fait que jusqu'à une date très récente, le mot "science-fiction" ait été utilisé comme synonyme de "grotesque" ou "ridicule". C'est le fait que dans les Histoires littéraires, tout le monde note que la crise du naturalisme commence avec le Manifeste des Cinq contre Zola rédigé en 1887 par J.-H. Rosny mais que personne ne mentionne, la même année, le fait que le même Rosny devient l'un des pères fondateurs de la sf mondiale avec les Xipéhuz. C'est le fait que ces mêmes Histoires mentionnent toutes le rôle de Vian et Queneau dans les années 50 mais exclue la sf de leur production. C'est le fait qu'elles désignent Volodine ou Houellebecq comme des auteurs contemporains importants sans dire ce qu'ils empruntent à la sf alors qu'elles soulignent l'origine polar de Manchette, Pennac ou Benacquista. Un tel différentiel, ce n'est pas du snobisme parisien, du conservatisme, du refus ou je ne sais quoi mais quelque chose de plus profond : comme si la catégorie même de la science-fiction ne
pouvait pas exister.