Je vais répondre à une question significative de Roland.
Roland C. Wagner a écrit :Pourquoi, alors qu'il y a autant de fois le mot dieu que le mot métaphysique dans ta préface, affirmer qu'on te fait un procès d'intention quand on le fait remarquer ?
Le mot Dieu ou dieux apparaît dix fois dans la préface. Par curiosité, j'ai fait une recherche. Voici les dix extraits pour que tout le monde puisse contextualiser. Le premier figure dans la première page :
Ce livre fête un double anniversaire. Le premier est celui des dix ans de la collection Lunes d’Encre, pour lequel on a rassemblé toutes sortes d’histoires bizarres, épiques, scientifiques ou déviantes. Traverser un Canada hanté par les drônes de Dieu. Cheminer vers une forme de vie impalpable… etc.
"Les drônes de Dieu", c'est le sujet de la novella de Gilles,
Lumière Noire. Je veux dire que ce n'est pas une interprétation de ma part, c'est vraiment le sujet, exprimé dès le début du texte. L'entité nommée Lumière Noire est Dieu dans l'histoire. Comment c'est arrivé et qu'est-ce que ça implique pour les hommes qui ont survécu à cet événement, c'est là toute l'histoire. Jusqu'ici, je ne me souviens pas avoir vu dans les critiques adressées à Gilles celle d'être prosélyte, d'essayer de convertir secrètement ses lecteurs à je ne sais quel culte bizarre. Je considère donc que ce "dieu" là ne pose pas de problème (sauf si l'ange dans
Un Ange s'est pendu de R. C. W. pose problème aussi).
Ensuite, dans la préface, il n'y a plus le mot qui fâche jusqu'au moment où j'en viens à l'hypothèse M, introduite comme suit :
"quel domaine offre plus que la théologie un champ vaste et définitif à l’interrogation, à la spéculation et à l’interprétation ? (…) Il peut être fait une place dans bien des romans classiques à la religion, au mysticisme ou même (rarement) à la métaphysique. Mais le personnage de Dieu, ou d’un dieu, n’y apparaît jamais."
Cette observation fera sans doute sourire beaucoup de lecteurs. Le personnage de Dieu ? D’un dieu ? La théologie ? Que viennent faire ces concepts dans un texte sur l'état de la science-fiction en France ?
Quatre d'un coup ! C'est vrai que c'est impressionnant. Mais je rassure tout le monde tout de suite : les deux premiers, ceux du passage en italiques, ne sont pas de moi mais de Gérard Klein dont je cite explicitement la préface à l'anthologie
Histoires Divines. Et les deux suivants ne sont que leur répétition suivis de points d'interrogation pour bien montrer que j'ai conscience du caractère surprenant de l'hypothèse.
Le roman qui lance Maurice Renard sur la scène littéraire en 1908 s’intitule Le docteur Lerne, sous-dieu. De l’autre côté de la Manche, le très rationnel H. G. Wells écrit (sans même mentionner les « Elois » de Time machine) L’homme qui pouvait accomplir des miracles, Un rêve d’Armageddon, M. Barnstaple chez les hommes-dieux.
Encore deux d'un coup ! Mais cette fois, ce sont des titres de livres, cités pour soutenir l'hypothèse M et rendre visible cette présence de la métaphysique et de la religion dès l'aube de la sf.
King Kong, Superman, le monolithe noir de 2001, la Matrice, sont les figures d’un mythocosme peuplé de surhommes et de dieux.
Dans le cadre de l'hypothèse, je rend compte de la nature de ces objets très connus du grand public. King Kong est un dieu pour son peuple. Superman est aujourd'hui classé comme tel dans la typologie des super-héros (voir en particulier la série
Kingdom Come). Le monolithe noir de 2001 et tout l'univers de Matrix n'ont besoin de personne pour dénoter leur origine religieuse.
Ces subtilités n’ayant pas leur place ici, je me contente de formuler une hypothèse sur le déni, et les raisons pour lesquelles il s’achève. Au siècle de Nietzsche et de Freud, la métaphysique et les dieux ont déserté le champ culturel, pour la première fois depuis Homère…
Formulation définitive de l'hypothèse.
Les nouvelles de Maheva Stephan-Bugni et Laurent Klœtzer racontent de telles crises qui débouchent, dans le second cas, sur cet autre grand classique de la SF : l’arme métaphysique ultime. C’est à dire la fin du monde. Thomas Day s’empare du sujet, le combine au thème de la Singularité et en tire la conclusion qui s’impose. L’arme en question, c’est Dieu. Le livre prend alors un virage étrange, etc.
Bouclage final de la préface en faisant retour sur les textes présentés au début dans l'optique de la préface. Le seul Dieu cité ici une nouvelle fois est celui de Gilles.
A chacun de juger s'il était intellectuellement honnête, de la part de Roland, de s'appuyer sur ces dix occurrences pour suspecter la préface (et moi, par translation) d'arrière-pensées. Car dans son papier, Roland n'a pas dit "il y a dix fois le mot dieu et c'est beaucoup", il a dit ceci :
En incipit, Roland a écrit :On peut être surpris de découvrir, dans la préface d'une anthologie de nouvelles de science-fiction, une expression telle que Ad majorem dei gloriam. Un rapide survol de l'histoire du genre depuis ses origines, voire ses prémisses, suggère plutôt que ceux qui y sacrifient, y compris nombre d'évidents croyants, en ont employé les outils spécifiques pour interroger et remettre en cause les concepts de sacrés et de divinité. Hormis quelques exceptions, glorifier le Seigneur n'a jamais fait partie de leurs préoccupations et objectifs.
Ce que je lis, moi, dans cette ouverture, c'est un message très simple et très peu propice à l'instauration d'un débat serein sur l'hypothèse… Roland précise-t-il ultérieurement dans son papier qu'Ad Majorem est utilisé par moi dans la préface pour qualifier la "réaction extrême de Maurice Dantec ? Non. Précise-t-il que pas plus la préface que les nouvelles de l'anthologie n'ont pour préoccupations de "glorifier le seigneur" ? Non. Par contre, trois paragraphes plus loin…
Roland a écrit :Postuler que s'il y a un dieu, ou quelque chose d'approchant, c'est par les mathématiques qu'on peut le trouver, revient à évacuer la notion de transcendance. Dans cette optique, il n'y a rien au-delà de la physique, pas de transcendance, pas de "surnature". Et James Morrow suit une logique identique lorsqu'il fait découvrir et remorquer le cadavre de Dieu sur les océans dans sa "Trilogie de Jehovah". Même chez les les plus "mystiques" des écrivains de science-fiction, la métaphysique est toujours réductible à la physique.
C'est néanmoins une idée diamétralement opposée que développe Serge Lehman dans sa préface. Poursuivant sa quête des raisons du déni dont la science-fiction souffre en France, il suggère que la cause profonde en serait une "variable cachée" – la métaphysique. Et de convoquer Gérard Klein, Maurice Renard, H. G. Wells, Olaf Stapledon et – n'en jetez plus – H. P. Lovecraft dont "la carrière littéraire a été presque entièrement dévolue à l'invocation des Grands Anciens dans le Mythe de Cthulhu."
Roland est écrivain, c'est un professionnel du langage. Il a choisi de me mettre en cause sur le nombre d'occurrence du mot "Dieu" dans la préface. Je serais moi assez enclin à examiner de très près l'usage de ses "plutôt" et de ses "néanmoins".