Du sense of wonder à la SF métaphysique

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Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 7:45 pm

Atv' a écrit :[Dès lors, l'écriture de SF consisterait à rapprocher de soi le bouleversement que la science met trop de temps à réaliser.
Ceci est exactement "l'influence du merveilleux-scientifique sur l'intelligence du progrès" (l'effet cognitif de la SF sur la pensée spéculative) telle que le décrit Renard :
[ce nouveau type de roman] dévoile brutalement tout ce que l’inconnu et le douteux nous réservent peut-être, tout ce qui peut nous venir de désagréable ou d’horrible du fond de l’inexpliqué, tout ce que les sciences sont capables de découvrir en se prolongeant au-delà de ces inventions accomplies qui nous en paraissent le terme, toutes les conséquences à côté, toutes les suites imprévues et possibles de ces mêmes inventions, et aussi toutes les sciences nouvelles qui peuvent surgir pour étudier des phénomènes jusqu’alors insoupçonnés. [Ce roman] nous découvre l’espace incommensurable à explorer en dehors de notre bien-être immédiat ; il dégage sans pitié de l’idée de science toute arrière-pensée d’usage domestique et tout sentiment d’anthropocentrisme. Il brise notre habitude et nous transporte sur d’autres points de vue, hors de nous-mêmes.
Voir aussi :
Quelle est la génèse d'un roman scientifique ? Où prendre des sujets qui se puissent traiter ? Quelle est la technique de cet art récent ? (…) La vivissection nous le révèle établi sur une ossature puissante qui est la raison elle-même. (…) C'est en effet le mode de la littérature contemporaine qui confine le plus à la philosophie – qui est la philosophie mise en scène, de la logique dramatisée. Né de la science et du raisonnement, il s'efforce de devancer l'une avec l'autre et il nous apparaît enfin (…) comme l'une des plus belles créations de l'esprit humain, une très grande œuvre d'art qu'une illusion d'optique seule peut faire sembler petite à ceux qui en sont trop distants, et qui ne saurait paraître enfantine qu'aux intelligences puériles.
(…)
A vrai dire, nous avons bien l'intuition que les éventualités qui nous menacent réellement ne sont pas de celles-là [les "prophéties" du roman scientifique] mais nous sentons que des surprises identiques nous attendent, ou nos fils, et que ces évenements produiront, chez les hommes, des bouleversements analogues à ceux que produisent, chez les populations du roman, les merveilles curieuses ou sinistres qu'on y invente. Nous le sentons et nous le savons par expérience, parce que les résultats actuels de la science seraient des prodiges semblables et des sophismes aussi évidents pour un sujet de Sésostris, s'il revenait, et parce que des découvertes nouvelles et inattendues, comme celles des rayons X et du radium, ne nous ont pas moins surpris et émerveillés que celle du Nouvel Accélérateur.

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 7:48 pm

MF a écrit :Nul adolescent n'aime voir un adulte rentrer dans sa chambre et commencer à vouloir la ranger.
Je ne veux pas la ranger ; je signale qu'il y a toute une aile du château à annexer. (Pour une fois, je décline toute responsabilité, c'est la métaphore de MF).

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Erion
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Message par Erion » jeu. déc. 17, 2009 7:51 pm

Lem a écrit :
MF a écrit :Nul adolescent n'aime voir un adulte rentrer dans sa chambre et commencer à vouloir la ranger.
Je ne veux pas la ranger ; je signale qu'il y a toute une aile du château à annexer. (Pour une fois, je décline toute responsabilité, c'est la métaphore de MF).
C'est l'inverse, on a un gigantesque parc d'attraction, et tu veux qu'on rentre dans une remise.
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Lensman
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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 7:53 pm

Ce qui frappe, à relire l'extrait de Renard, c'est tout de même un côté un peu "ahurissement" qui paralyse devant les découvertes de la science ou les nouveautés technologiques. Cela me ramène à l'esprit à la remarque de Versins, qui disait que Lovecraft lui faisait penser à quelqu'un qui s'évanouirait en lisant le Petit Larousse... Dans la SF à la Gernsback et suiveurs, c'est tout de même un poil plus volontariste, on ne se contente pas de regarder les merveilles en question avec des yeux ronds comme des... soucoupes. On se remue, on s'enthousiasme, que diable! OK, quelques planètes explosent dans le mouvement…
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 7:58 pm

Erion a écrit :
Lem a écrit :
MF a écrit :Nul adolescent n'aime voir un adulte rentrer dans sa chambre et commencer à vouloir la ranger.
Je ne veux pas la ranger ; je signale qu'il y a toute une aile du château à annexer. (Pour une fois, je décline toute responsabilité, c'est la métaphore de MF).
C'est l'inverse, on a un gigantesque parc d'attraction, et tu veux qu'on rentre dans une remise.
Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Ai-je parlé d'interdire quoi que ce soit ? Suggéré de ne pas traiter des thèmes, de cesser d'interagir avec la SF mondiale ou un truc de ce genre ?
Je ne parle que d'ajouter.
– Une hypothèse supplémentaire pour expliquer le déni.
– Une tranche d'histoire supplémentaire (un siècle et demi) pour inscrire le phénomène SF ici dans son contexte culturel
– Des liaisons supplémentaires avec d'autres domaines.
– Une représentation conciliatoire pour surmonter la disjonction apparente entre roman scientifique et SF.
En quoi des degrés de liberté supplémentaire et une histoire mieux appropriée peuvent-ils te laisser penser que tu y perdrais quelque chose ? Je ne comprends pas.

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MF
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Message par MF » jeu. déc. 17, 2009 8:01 pm

Lensman a écrit :Ce qui frappe, à relire l'extrait de Renard, c'est tout de même un côté un peu "ahurissement" qui paralyse devant les découvertes de la science ou les nouveautés technologiques.
Né de la science et du raisonnement, il s'efforce de devancer l'une avec l'autre et il nous apparaît enfin (…) comme l'une des plus belles créations de l'esprit humain, une très grande œuvre d'art qu'une illusion d'optique seule peut faire sembler petite à ceux qui en sont trop distants, et qui ne saurait paraître enfantine qu'aux intelligences puériles.
Tu ne ressens pas ça à la lecture des nouvelles d'Egan ?
La Maîtrise Artistique qu'il développe pour, partant d'une hypothèse scientifique, la projeter dans la réalité. Ou plus exactement la projeter contre la réalité.
La "violence" de cette projection ne te laisse pas sur le cul ? ahuri ?
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 8:06 pm

Lensman a écrit :Ce qui frappe, à relire l'extrait de Renard…
Il faut se méfier des effets créés par des fragments isolés. Il y a un raisonnement qui court tout le long du texte (un de ces jours, je vais le saisir en entier pour que tout le monde puisse le lire dans la continuité mais il est long !). Cela dit, tu n'as pas tort. Il y a tout un aspect de la SF telle que Gernsback la conçoit qui n'est pas dans Renard. Mais intuitivement, j'irais bien le chercher du côté de Verne justement. Renard prend grand soin (et Messac après lui) d'écarter Verne du "nouveau genre" alors que Gernsback, au contraire, l'intègre pleinement avec toute la technologie spéculative associée, à la fois plus clinquante, mais aussi plus susceptible de déboucher sur des textes actifs et non contemplatifs. La SF de l'ingénieur, quoi (la future hard science). Si cette représentation est juste, ce serait un étrange paradoxe : que la SF américaine ait acquis son caractère spécifique en intégrant le grand-père français qui embarrassait tout le monde ici.

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Message par MF » jeu. déc. 17, 2009 8:09 pm

Lem a écrit :
MF a écrit :Nul adolescent n'aime voir un adulte rentrer dans sa chambre et commencer à vouloir la ranger.
Je ne veux pas la ranger ; je signale qu'il y a toute une aile du château à annexer. (Pour une fois, je décline toute responsabilité, c'est la métaphore de MF).
Ça marche pas.
L'annexion des châteaux c'est, soit l'enfance, soit la fantasy.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 8:12 pm

MF a écrit :
Lensman a écrit :Ce qui frappe, à relire l'extrait de Renard, c'est tout de même un côté un peu "ahurissement" qui paralyse devant les découvertes de la science ou les nouveautés technologiques.
Né de la science et du raisonnement, il s'efforce de devancer l'une avec l'autre et il nous apparaît enfin (…) comme l'une des plus belles créations de l'esprit humain, une très grande œuvre d'art qu'une illusion d'optique seule peut faire sembler petite à ceux qui en sont trop distants, et qui ne saurait paraître enfantine qu'aux intelligences puériles.
Tu ne ressens pas ça à la lecture des nouvelles d'Egan ?
La Maîtrise Artistique qu'il développe pour, partant d'une hypothèse scientifique, la projeter dans la réalité. Ou plus exactement la projeter contre la réalité.
La "violence" de cette projection ne te laisse pas sur le cul ? ahuri ?
Heu, oui, mais j'en étais resté à ce qui distinguait la SF américaine des début du merveilleux scientifique à la française... après, ça a un peu évolué, dans des tas de sens. Il y a plusieurs maison dans la demeure, un truc comme ça... zut, je ne me souviens plus de la citation...
Oncle Joe

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 8:17 pm

Lensman a écrit :Il y a plusieurs maison dans la demeure, un truc comme ça... zut, je ne me souviens plus de la citation...
Attention, Oncle. La citation que tu cherches est dans le Coran, ça va jaser.

Edité : et dans Saint-Jean, avant.
Modifié en dernier par Lem le jeu. déc. 17, 2009 8:21 pm, modifié 1 fois.

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Message par MF » jeu. déc. 17, 2009 8:19 pm

Lem a écrit :La SF de l'ingénieur, quoi (la future hard science).
Là je tique.
Pour moi, la "SF de l'ingénieur" n'est pas de la "hard science".
La SF de l'ingénieur c'est la mise en œuvre de technologie. Ça a, en général, au moins trente ans de retard, sur la pointe scientifique.
Je vais reprendre Egan comme exemple. Il y a peu, très peu, de technologie dans ses nouvelles. Tout simplement parce que la technologie associée aux hypothèses scientifiques qu'il utilise n'existe pas et qu'il ne se donne pas la peine d'en inventer une.
Ça ne tiendrait d'ailleurs pas dans le format d'une nouvelle.
Tu peux lire L'assassin infini, Radieux, Vers les ténèbres, et même La plongée de Planck. Tu vas y trouver du concept scientifique (avec des choses nommées qui n'existent pas sinon sous forme d'hypothèse), des postulats mathématiques, mais pas de technologie différente de celle que nous utilisons. C'est d'ailleurs, à mon sens, un des facteur de l'émerveillement que j'éprouve avec cet auteur.
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Lem

Message par Lem » jeu. déc. 17, 2009 8:25 pm

MF a écrit :
Lem a écrit :La SF de l'ingénieur, quoi (la future hard science).
Là je tique.
Tique. Ce n'était qu'une idée comme ça. Mais elle était déjà dans la préface d'Escales, titrée pour cette raison : les enfants de Jules Verne – parce que l'héritage de Verne, l'absence d'inhibition devant la technologie, me semblait une vertu spécifique de la SF américaine et qu'il avait fallu l'attendre pour remettre la main dessus. Mais il est possible que le lien avec la future hard science soit abusif.

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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 8:26 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Ce qui frappe, à relire l'extrait de Renard…
Il faut se méfier des effets créés par des fragments isolés. Il y a un raisonnement qui court tout le long du texte (un de ces jours, je vais le saisir en entier pour que tout le monde puisse le lire dans la continuité mais il est long !). Cela dit, tu n'as pas tort. Il y a tout un aspect de la SF telle que Gernsback la conçoit qui n'est pas dans Renard. Mais intuitivement, j'irais bien le chercher du côté de Verne justement. Renard prend grand soin (et Messac après lui) d'écarter Verne du "nouveau genre" alors que Gernsback, au contraire, l'intègre pleinement avec toute la technologie spéculative associée, à la fois plus clinquante, mais aussi plus susceptible de déboucher sur des textes actifs et non contemplatifs. La SF de l'ingénieur, quoi (la future hard science). Si cette représentation est juste, ce serait un étrange paradoxe : que la SF américaine ait acquis son caractère spécifique en intégrant le grand-père français qui embarrassait tout le monde ici.
Et quels sont, d'ailleurs, les arguments pour écarter Verne? De fait, non seulement Gernsback ne l'écarte pas, mais il en fait un emblème. Le paradoxe, il serait surtout... français. Et encore: les auteurs français de romans scientifiques qui se réclament de Verne à partir de la fin du XIXe siècle ne sont pas rares, c'est même une règle assez générale (voir tel numéro du "Rocambole"). Ce serait donc certains théoriciens français du genre qui l'en écarteraient? Ce serait un comble!
En passant, mais c'est un autre problème, il me semble, le discours critique mettant en avant la méfiance, voire l'hostilité de Verne vis à vis de la science (technoscience?) est un discours récent, à chaque fois qu'on faisait référence à lui, c'était comme chantre du progrès technologique..
La tête de Verne doit être sur le premier numéro de "Fiction" (et je pense qu'il est là pour attirer le lecteur potentiel de SF...). Il faut vraiment avoir l'esprit compliqué pour ne pas voir en Verne de la proto SF (mais si que proto...)
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le jeu. déc. 17, 2009 8:30 pm, modifié 1 fois.

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Message par Lensman » jeu. déc. 17, 2009 8:28 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :Il y a plusieurs maison dans la demeure, un truc comme ça... zut, je ne me souviens plus de la citation...
Attention, Oncle. La citation que tu cherches est dans le Coran, ça va jaser.

Edité : et dans Saint-Jean, avant.
Tu m'as fait peur... je me voyais déjà anathémisé par Momo...
Oncle Joe

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Message par Atv' » jeu. déc. 17, 2009 8:29 pm

Lem a écrit :
Atv' a écrit :[Dès lors, l'écriture de SF consisterait à rapprocher de soi le bouleversement que la science met trop de temps à réaliser.
Ceci est exactement "l'influence du merveilleux-scientifique sur l'intelligence du progrès" (l'effet cognitif de la SF sur la pensée spéculative) telle que le décrit Renard :

[...]
Effectivement, c'est la même idée de rapprochement des possibilités.

Ceci dit, mon interrogation portait également sur l'idée d'impatience, de frustration qui provoque le déclic de l'écriture, seule manière d'accéder à l'inaccessible. Mon humble hypothèse est que l'auteur de SF est plus créateur qu'analyste passif, que l'écriture de SF procède de quelque chose de ludique comme un jeu de construction, qu'elle est l'expression d'une envie terrible d'avancer, plus que d'une démarche contemplative. Évidemment, c'est à nuancer, sans doute par sous-genre, sans doute même par auteur. Mais je ne vois pas d'autre type de littérature qui s'éclate autant à faire sauter les limites et à découvrir sans cesse, à construire inlassablement des objets de tout type. La science est là encore un outil redoutable pour la SF : en s'enrichissant sans cesse, en explorant sans cesse, elle garantit à la SF de pouvoir à son tour élargir son champ exploratoire ad vitam eternam, ou en tout cas tant que la science progressera.

Je trouve cette idée que le vivier d'idées de la SF ne s'épuisera jamais, que le genre ne tournera jamais en rond, que sa vitalité restera à peu près intacte, particulièrement réjouissante !

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