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par Gérard Klein » mar. déc. 22, 2009 9:56 pm
Il me semble néanmoins que les textes de Renard, signalés et cités par Lem, sont importants parce qu'ils montrent qu'il y a, à cette époque, et bien avant sans doute, une réflexion sur les particularités de cette espèce littéraire, sa singularité et sur son importance. Il ne faut pas sousestimer leurs effets. Ils indiquent d'autre part, comme bien d'autres, dont les accusations de plagiats, qu'il y a bien, dès lors et dès avant, une intertextualité, que les auteurs se lisent, s'inspirent les uns des autres et se disputent l'originalité d'une idée, voire d'un thème.
Il serait extrêmement utile, et je l'ai déjà souligné dans des conversations privées et peut-être des textes, de publier un recueil de ces textes fondateurs, en commençant par celui de Bodin et peut-être par d'autres plus anciens. En n'oubliant pas Flammarion. Beaucoup de textes aujourd'hui oubliés ont participé de ce dialogue infini.
Il est évident que la science-fiction archaïque et moderne ne commence pas, tout nationalisme mis à part, avec Amazing, et Gernsback serait le premier à le reconnaître, voire à le soutenir. Du reste, s'il était le premier et l'unique pionnier, on voit mal où il aurait trouvé les auteurs américains qu'il publie très vite dans ses revues. G. cristallise quelque chose qui existait déjà en Amérique et bien entendu ailleurs.
Qu'il y ait eu de la science-fiction en Bulgarie et pourquoi pas en Corée, je ne le discute évidemment pas. Ce qui serait intéressant serait de savoir quand cela apparaît dans ces pays et à partir de quelles influences, probablement étrangères et notamment françaises à partir de Verne. Le fait me semble demeurer que le courant international part de trois pays, France, Grande-Bretagne et ensuite États-Unis, qu'entre ces pays l'intertextualité est précoce, pour ainsi dire immédiate, aux intervalles des guerres près et encore, alors qu'ailleurs elle est à sens pour ainsi dire unique et pas seulement pour des raisons linguistiques. Capek est très vite traduit.
La question que je me pose depuis très longtemps et à laquelle je n'ai pas trouvé de réponse satisfaisante est de comprendre pourquoi d'autres grands pays industrialisés et dotés d'une tradition scientifique, je pense évidemment d'abord à l'Allemagne et ensuite à l'Italie, ne semblent pas avoir développé depuis le dix-neuvième, de telle tradition. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de textes mais qu'on en trouve peu et qu'ils ne sont pas majeurs.
La littérature allemande est très bien connue et admirée en France au moins depuis le dix-huitième siècle et s'il y avait eu par la suite des textes significatifs relevant de la la science-fiction archaïque, ils auraient sans doute été traduits. Il y en a peut-être mais marginaux ou tardifs. Voir à ce sujet mes préfaces au Werfel, L'étoile de ceux qui ne sont pas nés, où je reviens sur le fait qu'en dix ans environ paraissent des textes fondamentaux, Hesse, Werfel, Jünger. Avant, et après, pas grand chose.
Je voudrais enfin revenir, au risque de dire des banalités, sur la question des définitions que je trouve en général stupides, du niveau de la discussion sur le sexe des anges.
On distingue classiquement entre définitions exhaustives et définitions compréhensives.
Il serait absurde ici de prétendre, comme en général en sciences humaines, à des définitions exhaustives, bien rares en dehors des mathématiques. Même en biologie, ce n'est souvent pas simple comme le montre l'histoire de la systématique.
Plutôt qu'à des définitions compréhensives, déjà beaucoup plus floues, je préfère le recours à des définitions centrales fondées sur des collections de textes caractéristiques et intégrant l'idée que sur les bords les choses deviennent complexes et qu'il y a des recouvrements et superpositions entre genres. Les frontières sont des lieux de rencontre, d'oppositions et donc de redéfinitions. C'est souvent l'étude des cas problématiques qui est intéressante à la fois d'un point de vue historique et réflexif. C'est ce qui m'est arrivé à propos de Lovecraft et cela m'a personnellement beaucoup appris.
Tout cela ne voulant pas dire qu'il n'y a pas lieu de s'embarrasser de définitions centrales du tout, et que tout est dans tout et réciproquement, comme semblent le penser certains intervenants. La distinction est le début de l'intelligence.
Je voudrais insister aussi sur le fait que les "experts", moi y compris, n'ont pas reçu de révélations du ciel et que leurs textes ne sont pas à interroger sans fin sur des points de doctrine. Chacun a sa culture propre, plus ou moins étendue, et souvent un programme sous-jacent, voire parfois des intérêts, à défendre. Je suis très loin de partager toutes les opinions de Jacques Sadoul, de Versins, de Van Herp et de Jacques Bergier, opinions souvent antagonistes qu'il faudrait chaque fois replacer dans leur contexte, qui sont parfois présentées ici comme paroles d'évangile. Les travaux de Darko Suvin avec qui j'ai eu de longues discussions intéressantes sur nos points de désaccord sont à mettre en relation avec son étude de Berthold Brecht et des écrits théoriques de ce dernier que j'ignore hélas à peu près complètement mais qui ont fortement coloré sa pensée sur le novum.
La science-fiction est allée se loger dans les endroits les plus inattendus. La publication pour enfants Mon Journal, remontant au tout début du 20° siècle a publié au moins une nouvelle illustrée sur l'histoire de l'arrivée sur Terre d'un extraterrestre monstrueux (Jupitérien?) que j'ai lue quand j'avais environ cinq ans et que je n'ai jamais retrouvée malgré de longues recherches dans des volumes familiaux dépenaillés et sans doute incomplets mais dont je suis absolument certain de l'existence.
Si quelqu'un…
Mon immortalité est provisoire.