Du sense of wonder à la SF métaphysique

Modérateurs : Eric, jerome, Jean, Travis, Charlotte, tom, marie.m

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » sam. déc. 26, 2009 10:38 pm

Je remarque qu'avec ce morceau de bréviaire offert par Gérard Klein, l'avenir revient une nouvelle fois au cœur de la science-fiction, et n'est plus seulement un motif éventuellement important.
Oncle Joe

Avatar du membre
bormandg
Messages : 11906
Enregistré le : lun. févr. 12, 2007 2:56 pm
Localisation : Vanves (300 m de Paris)
Contact :

Message par bormandg » sam. déc. 26, 2009 11:10 pm

Et je reprends mon commentaire du texte de Gérard, interrompu par un problème de connexion.
Le problème central de l'anticipation est, pour moi, celui de la construction de l'avenir. Quand elle apparaît, l'avenir n'est plus le seul jouet du hasard et des fantaisies des Dieux, ou de Dieu et Satan, il est l'objet, le résultat, de la création humaine. Et, bien sûr, on sait ce qu'on a, pas ce qu'on aura quand et si on le construit. Comme dit le proverbe, "on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs"; les oeufs, c'est à dire ce qui existe aujourd'hui, on les connait. L'omelette que nous réussirons si une Mère Poulard nous guide, on peut l'imaginer, c'est ce que fait la science-fiction, mais on peut aussi, plus facilement presque, imaginer un ratage complet, mal battu, mal cuit. D'où la crainte d'un avenir que nous n'aurons pas bien construit... Comme écrit Gérard: si on lui tourne le dos, l'avenir ne nous rate pas.
Sans compter qu'il y a ceux qui sont satisfaits du présent, les possédants, les dirigeants: ceux là ont une vision négative du changement à venir, quel qu'il soit. Ce n'est pas pour eux que "les lendemains chantent". D'où toute l'anticipation catastrophiste.
Il y a aussi ceux qui réalisent que, avant de bâtir le monde nouveau, il faudra détruire le monde ancien. D'où les reconstructions post-apocalyptiques...
J'en oublie; certainement. Mais la résistance au changement est quand même basée sur cette idée de l'omelette ratée. Comme écrivait (déjà) Nicolo Macchiavelli: "L'Homme est amoureux du progrès, mais ne supporte pas le changement". :twisted:
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

Avatar du membre
dracosolis
Messages : 7417
Enregistré le : mar. févr. 07, 2006 8:08 pm
Contact :

Message par dracosolis » sam. déc. 26, 2009 11:46 pm

déjà, rien que la gueule du type qui vient de changer de portable...
Antéchrist N°4
Idéologue Relativiste à mi-temps
Antéchrist N°4 :

Avatar du membre
Thomas Geha
Messages : 692
Enregistré le : ven. févr. 10, 2006 10:15 am
Localisation : Rennes
Contact :

Message par Thomas Geha » sam. déc. 26, 2009 11:47 pm

Roland C. Wagner a écrit :
Lensman a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Gérard Klein a écrit :Le problème, c’est que si on tourne le dos à l’avenir, que ce soit sous la forme de science-fiction ou de prospective, lui ne vous rate pas.
Merci.

Vivement la suite.
Tu n'a pas pu tenir, hein? Il ne faut jamais dire jamais...
Oncle Joe
J'y peux rien : l'avenir, ça m'interpelle.
Roland, en tant que sujet grammatical du verbe advenir, se construit à la fois comme narrateur intra-homodiégétique qui dit je, et comme spectateur d’un objet de la vision : La Science-Fiction, le plus souvent.

Mais que fait la police littéraire ?
:lol:

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » dim. déc. 27, 2009 2:26 am

bormandg a écrit : Quant aux lectrices, je crois qu'elles sont aussi nombreuses que les lecteurs; de même qu'en classe de seconde, j'avais souvent des filles plus douées en maths que les garçons, je crois que la SF attire les filles créatrices comme les garçons.
Hélas, depuis cinquante ans, parmi les lecteurs de science-fiction, la proportion de lectrices n'a pas changé, du moins de façon perceptible.
Au travers des estimations, au demeurant rares et sans doute contestables que nous avons, il n'y a pas aujourd'hui plus de dix ou au mieux vingt pour cent de lectrices parmi les lecteurs de science-fiction. Et cela n'a pas beaucoup évolué, voire pas du tout.
Et cette proportion semble universelle, à en juger notamment par les statistiques de Locus et à considérer la fréquentation des conventions.
Il y a dans le livre des Bogdanov des déclarations éclairantes.
Le pire étant que les livres d'auteurs féminins se vendent en général moins bien que ceux de leurs homologues masculins, avec l'exception à la fois faible et marginale d'Ursula Le Guin.
Bon, il y a ce prix Hugo à répétition pour de négligeables space op mais ce n'est pas mon verre d'Islay.

À comparer avec les plus de soixante pour cent de lectrices de la fantasy, certains disent plus de quatre-vingt pour cent de lectrices de la bit-lit, façon Stéphanie Meyer et alii.
Mon immortalité est provisoire.

Matthieu
Messages : 182
Enregistré le : mar. nov. 11, 2008 8:11 pm
Localisation : Paris
Contact :

Message par Matthieu » dim. déc. 27, 2009 4:48 am

Lensman a écrit : D'après toi, comment se fait-il que nous ne soyons pas, et depuis bien longtemps, dans le monde décrit à la fin de "Ravage"? S'il y a tant d'hostilité, de rejet, dans la société, à tant de niveaux, comment se fait-il que, actuellement, nous dialoguons au moyen d'un outil technologique d'une puissance et d'un complexité remarquables, apparemment mis au point et installé par une poignée de conspirateurs isolés? A ce stade, ce n'est pas de la contradiction, mais de la schizophrénie. La schizophrénie, à une échelle aussi colossale, est-ce ça a un sens?
C'est bien de la schizophrénie à grande échelle, et elle s'explique facilement par le fait que la science et la technologie sont d'une redoutable efficacité. Il est possible de dénigrer la science, d'éviter le moindre effort nécessaire pour la comprendre, de l'accabler de tout les maux. Par contre il est impossible se passer des progrès de la médecine, des moyens de télécommunications, d'armes plus performantes que celles du voisins...

Avatar du membre
Lensman
Messages : 20391
Enregistré le : mer. janv. 24, 2007 10:46 am

Message par Lensman » dim. déc. 27, 2009 10:42 am

Matthieu a écrit :
Lensman a écrit : D'après toi, comment se fait-il que nous ne soyons pas, et depuis bien longtemps, dans le monde décrit à la fin de "Ravage"? S'il y a tant d'hostilité, de rejet, dans la société, à tant de niveaux, comment se fait-il que, actuellement, nous dialoguons au moyen d'un outil technologique d'une puissance et d'un complexité remarquables, apparemment mis au point et installé par une poignée de conspirateurs isolés? A ce stade, ce n'est pas de la contradiction, mais de la schizophrénie. La schizophrénie, à une échelle aussi colossale, est-ce ça a un sens?
C'est bien de la schizophrénie à grande échelle, et elle s'explique facilement par le fait que la science et la technologie sont d'une redoutable efficacité. Il est possible de dénigrer la science, d'éviter le moindre effort nécessaire pour la comprendre, de l'accabler de tout les maux. Par contre il est impossible se passer des progrès de la médecine, des moyens de télécommunications, d'armes plus performantes que celles du voisins...
C'est vrai, mais elle trouve tout de même des serviteurs suffisamment efficaces, à défaut d'être nombreux. Et ils ne sont pas l'objet d'une opprobe officielle: on ne les sollicite pas en cachette, ils ont pignon sur rue, sont honorés (à part quelques courageuses manifestation par le passé contre des provocateurs dangereux type Gallilée et cie).
Peut-être peut-on dire que si les gens se plaignent de la techno-science, ils se plaignent aussi de tous les gouvernements, et pourtant ils ne se passent pas de gouvernements... Ce serait un phénomène du même ordre?
Oncle Joe
Modifié en dernier par Lensman le dim. déc. 27, 2009 11:06 am, modifié 1 fois.

Avatar du membre
Hoêl
Messages : 4288
Enregistré le : mer. mars 04, 2009 5:20 pm
Localisation : GREAT NORTH

Message par Hoêl » dim. déc. 27, 2009 11:04 am

Le pire étant que les livres d'auteurs féminins se vendent en général moins bien que ceux de leurs homologues masculins, avec l'exception à la fois faible et marginale d'Ursula Le Guin.
Bon, il y a ce prix Hugo à répétition pour de négligeables space op mais ce n'est pas mon verre d'Islay.

Je trouve que c'est faire un sort bien expéditif à des auteurs comme Mc Intyre , qui a d'ailleurs été publiée par A.&D. , , Cherryh , dont Cyteen ou Les oubliés de Gehenna ne me paraissent pas "négligeables" , ou même Mc Master Bujold qui semble avoir trouvé un public .
Cela dit , je ne connais pas les chiffres mais je serais curieux de savoir si les tendances de consommation que vous évoquez sont identiques aux U.S.A. car c'est bien là qu'est née la 1ère vague d'écrivains de S.F. féminins ainsi que les suivantes .
"Tout est relatif donc rien n'est relatif !"

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » dim. déc. 27, 2009 5:47 pm

Lensman a écrit :
Gérard Klein a écrit : La détestation de l’avenir a bien des choses en commun avec la détestation de la science que j’ai déjà évoquée. C’est que la science et les techniques changent le monde, et que la science-fiction décrit plus ou moins bien ces changements. Le groupe dominant n’aime pas trop ces changements car ils risquent de mettre en danger son pouvoir. Mais le reste du genre humain non plus, car tout changement est menaçant. L’espèce humaine, vous l’avez peut-être remarqué, est profondément conservatrice. Et parfois innovatrice. C’est une contradiction un peu difficile à assumer.
D'après toi, comment se fait-il que nous ne soyons pas, et depuis bien longtemps, dans le monde décrit à la fin de "Ravage"? S'il y a tant d'hostilité, de rejet, dans la société, à tant de niveaux, comment se fait-il que, actuellement, nous dialoguons au moyen d'un outil technologique d'une puissance et d'un complexité remarquables, apparemment mis au point et installé par une poignée de conspirateurs isolés? A ce stade, ce n'est pas de la contradiction, mais de la schizophrénie. La schizophrénie, à une échelle aussi colossale, est-ce ça a un sens?
Oncle Joe
Peut-être faudrait-il me lire plus attentivement.
Je n'ai nulle part écrit que l'ignorance ou même la détestation de la science dont j'ai parlé conduisait à des pogroms de scientifiques. Les derniers qu'on a vus, c'était en Union Soviétique et en Chine communiste du temps de la glorieuse Révolution Culturelle qu'ont tellement appréciée nos grands intellectuels, genre Sollers, depuis virés catholiques romains.
J'ai écrit en substance qu'une partie non négligeable de notre belle élite ignorait la science et s'en méfiait, voire avouait la craindre au point de la détester. Ce qu'on ne comprend pas, il reste à le haïr. Mais celle-là même ne renonce pas à en tirer des avantages.
Encore que dans les comités d'éthique, on entende parfois des choses curieuses. Pourquoi en France, le travail sur les cellules souches prélevées sur des embryons non développés de quelques cellules et surgelés est-il soumis à autant de limitations? Bien entendu, il ne faut ni tout faire ni tout autoriser. C'est un autre débat.
L'humanité est certes schizoïde en bien de ses comportements. Mais les humains renoncent rarement à servir leurs intérêts même si cela contrevient à leurs convictions intimes.
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » dim. déc. 27, 2009 6:05 pm

Hoêl a écrit :
Le pire étant que les livres d'auteurs féminins se vendent en général moins bien que ceux de leurs homologues masculins, avec l'exception à la fois faible et marginale d'Ursula Le Guin.
Bon, il y a ce prix Hugo à répétition pour de négligeables space op mais ce n'est pas mon verre d'Islay.

Je trouve que c'est faire un sort bien expéditif à des auteurs comme Mc Intyre , qui a d'ailleurs été publiée par A.&D. , , Cherryh , dont Cyteen ou Les oubliés de Gehenna ne me paraissent pas "négligeables" , ou même Mc Master Bujold qui semble avoir trouvé un public .
Cela dit , je ne connais pas les chiffres mais je serais curieux de savoir si les tendances de consommation que vous évoquez sont identiques aux U.S.A. car c'est bien là qu'est née la 1ère vague d'écrivains de S.F. féminins ainsi que les suivantes .
Ici encore, une lecture même rapide aurait permis de s'apercevoir que je parlais d'UN auteur de space op ayant obtenu des Hugo à répétition: soit Mc Master Bujold dont en effet je n'aime rien.
En ce qui concerne hélas McIntyre dont j'aime beaucoup Le Serpent du rêve que j'ai effectivement publié et qui a obtenu un prix Hugo et tous les autres prix, ça a été trois fois un bide total. Dans A&D puis chez J'ai lu (Sadoul aimait beaucoup aussi) puis au Livre de Poche.
Sadoul et moi en avons beaucoup parlé et nous n'avons jamais compris la raison de cet échec répété sur plus de vingt ans. Peut-être que ça ressemblait trop à de la fantasy, comme l'ont relevé les critiques.
Je ne sais pas quel succès il a rencontré aux États-Unis mais je ne pense pas que ça a dû être colossal puisqu'elle a dû se mettre à des StarWareries pour gagner sa croûte..
Je n'aime pas trop l'œuvre de Caroline Chérie mais je ne sais rien de son accueil.
En Amérique, je ne sais pas que ça donne. Je n'ai pas les chiffres.
Il y a eu des auteurs féminins de sf en Europe et en particulier en France bien avant les USA. Il suffit de parcourir le Versins pour s'en apercevoir.
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » dim. déc. 27, 2009 6:17 pm

Thomas Geha a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Lensman a écrit :
Roland C. Wagner a écrit :
Gérard Klein a écrit :Le problème, c’est que si on tourne le dos à l’avenir, que ce soit sous la forme de science-fiction ou de prospective, lui ne vous rate pas.
Merci.

Vivement la suite.
Tu n'a pas pu tenir, hein? Il ne faut jamais dire jamais...
Oncle Joe
J'y peux rien : l'avenir, ça m'interpelle.
Roland, en tant que sujet grammatical du verbe advenir, se construit à la fois comme narrateur intra-homodiégétique qui dit je, et comme spectateur d’un objet de la vision : La Science-Fiction, le plus souvent.

Mais que fait la police littéraire ?
:lol:
Tu veux dire: la police des caractères?
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » dim. déc. 27, 2009 6:26 pm

bormandg a écrit :Comme écrivait (déjà) Nicolo Macchiavelli: "L'Homme est amoureux du progrès, mais ne supporte pas le changement". :twisted:
Je dois dire que ce Nicolo me plaît bien, vu qu'il pense comme moi.
Je peux avoir son adresse mail?
Mon immortalité est provisoire.

Gérard Klein
Messages : 1595
Enregistré le : ven. oct. 06, 2006 6:06 pm
Localisation : En face de la Fac Jussieu

Message par Gérard Klein » dim. déc. 27, 2009 6:41 pm

MF a écrit :Question bête (ce ne sera ni la première, ni la dernière).

Sauf erreur de ma part, Renard indique dans son approche identificatrice du merveilleux "l’introduction volontaire, dans la chaîne des propositions, d’un ou de plusieurs éléments vicieux de nature à déterminer, par la suite, l’apparition de l’être, ou de l’objet, ou du fait merveilleux".

Quelle était, à l'époque, la définition commune de ce qualificatif "vicieux" ?
Le même qu'aujourd'hui en sens second: Qui va à l'encontre des règles, des normes.(Robert)
Mon immortalité est provisoire.

Avatar du membre
MF
Messages : 4466
Enregistré le : jeu. déc. 28, 2006 3:36 pm
Localisation : cactus-blockhaus

Message par MF » dim. déc. 27, 2009 7:42 pm

Gérard Klein a écrit :
MF a écrit :Question bête (ce ne sera ni la première, ni la dernière).

Sauf erreur de ma part, Renard indique dans son approche identificatrice du merveilleux "l’introduction volontaire, dans la chaîne des propositions, d’un ou de plusieurs éléments vicieux de nature à déterminer, par la suite, l’apparition de l’être, ou de l’objet, ou du fait merveilleux".

Quelle était, à l'époque, la définition commune de ce qualificatif "vicieux" ?
Le même qu'aujourd'hui en sens second: Qui va à l'encontre des règles, des normes.(Robert)
Si seulement le sens second pouvait être aussi le sens commun...

Autre texte "fondateur" paru en l'année 1909, avec lequel confronter celui de Renard.
Marinetti, dans le « Manifeste du futurisme», a écrit :...

1. Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité.
2. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace et la révolte.
3. La littérature ayant jusqu'ici magnifié l'immobilité pensive, l'extase et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l'insomnie fiévreuse, le pas gymnastique, le saut périlleux, la gifle et le coup de poing.
4. Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive... Une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.
5. Nous voulons chanter l'homme qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la Terre,
lancée elle-même sur le circuit de son orbite.
6. Il faut que le poète se dépense avec chaleur, éclat et prodigalité, pour augmenter la ferveur enthousiaste des éléments primordiaux.
7. Il n'y a plus de beauté que dans la lutte. Pas de chef-d'oeuvre sans un caractère agressif. La poésie doit être un assaut violent contre les forces inconnues, pour les sommer de se coucher devant l'homme.
8. Nous sommes sur le promontoire extrême des siècles !... A quoi bon regarder derrière nous, du moment qu'il nous faut défoncer les vantaux mystérieux de l'Impossible? Le Temps et l'Espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l'absolu, puisque nous avons déjà créé l'éternelle vitesse omniprésente.
9. Nous voulons glorifier la guerre - seule hygiène du monde, - le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent, et le mépris de la femme.
10. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le
féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires.
11. Nous chanterons les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; les gares gloutonnes avaleuses de serpents qui fument; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées; les ponts aux bonds de gymnastes lancés sur la coutellerie diabolique des fleuves ensoleillés; les paquebots aventureux flairant l'horizon; les locomotives au grand poitrail, qui piaffent sur les rails, tels d'énormes chevaux d'acier bridés de longs tuyaux, et le vol glissant des aéroplanes, dont l'hélice a des claque¬ments de drapeau et des applaudissements de foule enthousiaste.

C'est en Italie que nous lançons ce manifeste de violence culbutante et incendiaire, par lequel nous fondons aujourd'hui le Futurisme, parce que nous voulons délivrer l'Italie de sa gangrène de professeurs, d'archéologues, de cicérones et d'antiquaires.

...

Viennent donc les bons incendiaires aux doigts carbonisés!... Les voici! Les voici!... Et boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques! Détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées!... Oh qu'elles nagent à la dérive, les toiles glorieuses! A vous les pioches et les marteaux! Sapez les fondements des villes vénérables!
Les plus âgés d'entre nous ont trente ans; nous avons donc au moins dix ans pour accomplir notre tache. Quand nous aurons quarante ans, que de plus jeunes et plus vaillants que nous veuillent bien nous jeter au panier comme des manuscrits inutiles !... Ils viendront contre nous de très loin, de partout, en bondissant sur la cadence légère de leurs premiers poèmes, griffant l'air de leur' s doigts crochus, et humant, aux portes des académies, la bonne odeur de nos esprits pourrissants, déjà promis aux catacombes des bibliothèques.
Mais nous ne serons pas là. Ils nous trouveront enfin, par un nuit d'hiver, en pleine campagne, sous un triste hangar pianoté par la pluie monotone, accroupis près de nos aéroplanes trépidants, en train de chauffer nos mains sur le misérable feu que feront nos livres d'aujourd'hui flambant gaiement sous le vol étincelant de leurs images.
Ils s'ameuteront autour de nous, haletants d'angoisse et de dépit, et tous exaspérés par notre fier courage infatigable s'élanceront pour nous tuer, avec d'autant plus de haine que leur coeur sera ivre d'amour et d'admiration pour nous. Et la forte et la saine Injustice éclatera radieusement dans leurs yeux. Car l'art ne peut être que violence, cruauté et injustice.
Les plus âgés d'entre nous ont trente ans, et pourtant nous avons déjà gaspillé des trésors, des trésors de force, d'amour, de courage et d'âpre volonté, à la hâte, en délire, sans compter, à tour de bras, à perdre haleine.
Regardez-nous! Nous ne sommes pas essoufflés... Notre coeur n'a pas la moindre fatigue! Car il s'est nourri de feu, de haine et de vitesse !... Ça vous étonne? C'est que vous ne vous souvenez même pas d'avoir vécu! Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles!

Vos objections? Assez ! Assez ! Je les connais ! C'est entendu ! Nous savons bien ce que notre belle et fausse intelligence nous affirme. - Nous ne sommes, dit-elle, que le résumé et le prolongement de nos ancêtres. - Peut-être ! Soit !... Qu'importe ?... Mais nous ne voulons pas entendre ! Gardez-vous de répéter ces mots infâmes ! Levez plutôt la tête !
Debout sur la cime du monde, nous lançons encore une fois le défi aux étoiles !
Futur... Anticipation... Futurisme...
Défi aux étoiles...
Comment ces mots ont-ils bien pu être reçu ?
Le message ci-dessus peut contenir des traces de second degré, d'ironie, voire de mauvais esprit.
Son rédacteur ne pourra être tenu pour responsable des effets indésirables de votre lecture.

Papageno
Messages : 2270
Enregistré le : dim. sept. 10, 2006 10:28 am
Localisation : Auxerre (Yonne)

Message par Papageno » dim. déc. 27, 2009 7:58 pm

Je n'y connais rien, mais ton texte à un arrière gout de bottes cadencées assez inquiétant.
je me trompe surement !

Répondre

Retourner vers « Vos dernières lectures »