Questions sur l'anticipation ancienne : les interviews

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Lem

Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 12:44 pm

Oncle > Chouette post. J'aime bien les images.

Sur la nécessité de se méfier des passés mythiques, je suis tout à fait d'accord. C'est ce que j'essaie de faire avec les pulps. (Oui, oui, je sais : ce n'est pas ce que tu voulais dire. Mais le propre des passés mythiques, c'est de sembler intouchables et sacrés et c'est justement le cas des pulps.)

Et sur les créateurs oppressés, je pense que ça dépend. Et que ça change au fil du temps. Pour se sentir oppressé, il faut d'abord avoir appartenu.
Lensman a écrit :Déjà, il faut arriver à prouver que l'on a bien contribué à construire la maison en question, et ce n'est pas si évident... et même si on y parvient, il faut voir sous quel statut ça c'est déroulé (comme esclave, à coup de triques, ou comme architecte, ou comme artisan indépendant, etc.). puis décider s'il y a lieu de s'en réjouir, de s'en lamenter, ou de dire que, finalement, ce n'est pas si important...
S'en réjouir, s'en lamenter, s'en foutre… On fait ce qu'on veut du moment qu'on sait où on est. Personnellement, je vois l'aile française à la fois classique – presque guindée par endroits –, complètement biscornue à d'autres, partiellement effondrée et reconstruite avec des matériaux de récup, fragile, obscure mais avec des fenêtres brillamment éclairées ici et là, souvent inutilement compliquée… L'important, c'est qu'elle permet d'accéder au corps central du bâtiment.

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Lensman
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Message par Lensman » lun. févr. 21, 2011 12:56 pm

Lem a écrit :S'en réjouir, s'en lamenter, s'en foutre… On fait ce qu'on veut du moment qu'on sait où on est. Personnellement, je vois l'aile française à la fois classique – presque guindée par endroits –, complètement biscornue à d'autres, partiellement effondrée et reconstruite avec des matériaux de récup, fragile, obscure mais avec des fenêtres brillamment éclairées ici et là, souvent inutilement compliquée… L'important, c'est qu'elle permet d'accéder au corps central du bâtiment.
C'est une vision... Mais si on prend la casquette de l'histoirien de l'architecture (il faut une belle collection de casquettes, finalement), il y a des précautions à prendre, et des présupposés à expliquer à ceux auxquels on s'adresse. Et parle-t-on aux propriétaires, qui veulent lancer de nouveaux travaux ? à des touristes, qui viennent visiter? A des étudiants d'une école d'architecture? est-on soi-même partie prenante dans l'entreprise de ravalement? tendance Viollet le Duc, ou Frank Lloyd Wright, ou Le Corbusier, ou etc...

Oncle Joe

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silramil
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Message par silramil » lun. févr. 21, 2011 1:00 pm

Image
Ce dont on ne peut parler, il faut le faire.

Lem

Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 1:09 pm

Lensman a écrit :parle-t-on aux propriétaires, qui veulent lancer de nouveaux travaux ? à des touristes, qui viennent visiter? A des étudiants d'une école d'architecture? est-on soi-même partie prenante dans l'entreprise de ravalement? tendance Viollet le Duc, ou Frank Lloyd Wright, ou Le Corbusier, ou etc...
On parle aux occupants de l'aile F. On leur révèle que, contrairement à ce qu'ils ont appris à l'école, ils sont propriétaires depuis cent-trente ans, et non locataires depuis soixante. Ils peuvent donc faire les travaux qu'ils veulent, comme ils veulent. Il n'y a pas de style imposé.

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Erion
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Message par Erion » lun. févr. 21, 2011 1:27 pm

Lem a écrit :
Lensman a écrit :parle-t-on aux propriétaires, qui veulent lancer de nouveaux travaux ? à des touristes, qui viennent visiter? A des étudiants d'une école d'architecture? est-on soi-même partie prenante dans l'entreprise de ravalement? tendance Viollet le Duc, ou Frank Lloyd Wright, ou Le Corbusier, ou etc...
On parle aux occupants de l'aile F. On leur révèle que, contrairement à ce qu'ils ont appris à l'école, ils sont propriétaires depuis cent-trente ans, et non locataires depuis soixante. Ils peuvent donc faire les travaux qu'ils veulent, comme ils veulent. Il n'y a pas de style imposé.
Sauf que c'est un bâtiment qui se visite, et que les visiteurs ont certaines attentes. Du coup, les proprios ne peuvent pas faire tout ce qu'ils veulent, quand même.

Edit : et je rajoute que j'aimerais bien qu'on me démontre en quoi les auteurs de SF français n'ont pas fait ce qu'ils voulaient depuis 60 ans. C'est plutôt le regard de l'extérieur sur la maison qui peut éventuellement être un problème, mais les occupants de l'aile F. on fait tout ce qu'ils ont voulu, depuis le space opéra hyper classique, jusqu'à l'expérimentation formelle.
"There's an old Earth saying, Captain. A phrase of great power and wisdom. A consolation to the soul, in times of need : Allons-y !" (The Doctor)
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Lem

Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 1:42 pm

La métaphore a des limites ; ce serait oiseux de pousser plus loin. Oui, le bâtiment se visite. Oui, il y a sans doute des règles d'architecture élémentaires pour éviter que les plafonds ne s'effondrent sur les visiteurs. Mais mon boulot à moi – tel que je le conçois – n'a pas de dimension prescriptrice, vraiment. Aucun créateur véritable ne l'accepterait, de toute façon. Il s'agit juste d'établir que le lieu, quel que soit ses défauts, est à nous, et depuis longtemps.

Edité après ton édité : ne le formule pas ainsi. Vois-le plutôt comme une expérience. Est-ce que le fait de modifier – hypothétiquement – notre rapport au lieu modifie aussi ce qu'on y fait ? Est-ce que cela change notre propre autorité (voir l'étymologie de ce mot) ? C'est une question, je ne connais pas la réponse. Et avant que tu me le fasses remarquer : oui, je fais ça pour moi aussi.

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Erion
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Message par Erion » lun. févr. 21, 2011 1:52 pm

Lem a écrit :Il s'agit juste d'établir que le lieu, quel que soit ses défauts, est à nous, et depuis longtemps.
Je poursuis : mais est-ce que le fait de savoir ça ou de l'ignorer a changé quoi que ce soit pour les auteurs français ? Est-ce que, du fait de lire "le péril bleu" a modifié la façon d'écrire de, mettons au hasard, Jean-Marc Ligny ou Pierre Bordage ? Fondamentalement, qu'est-ce que ça change pour un auteur de savoir qu'il a un héritage français ? Est-ce que l'écriture d'un Volodine ou d'un Barbéri serait différente s'ils avaient eu conscience de cet héritage ?

Je n'ai pas l'impression, en lisant de la SF française, que les auteurs se soient châtrés parce qu'ils ignoraient le passé français du genre. Ils ont sans doute lu beaucoup de SF américaine, vu beaucoup de films SF américains, lu des comics, et ce n'est pas négligeable. Qu'ils s'opposent ou qu'ils imitent, ils se sont définis par rapport à cette production massive. Avoir lu ou pas de la SF franco archaïque n'aurait pas, de mon point de vue, changé quoi que ce soit à cet état.
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Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 2:03 pm

Je suis d'accord, Erion. Je répète : c'est improuvable. J'admets par avance que ça pourrait être une lubie personnelle, sans effet. A rebours, conserve dans ton espace mental la possibilité d'une action, ne serait-ce que par curiosité intellectuelle.

Lem

Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 2:17 pm

Erion toujours, parce que cet exemple me paraît à la fois simple et parlant et qu'il vient juste de me frapper : une des choses qui changent quand on découvre l'histoire "longue" de la SFF, c'est qu'il y a eu une époque où le paysage ici – celui de Paris, mais pas seulement – pouvait être le théâtre de grandes histoires de SF. Quant on lit Le péril bleu, La force mystérieuse ou La grande panne, on éprouve (1) une sorte d'euphorie en découvrant que des invasions extraterrestres hallucinantes ont eu lieu à Paris, avec toutes les figures classiques de ce genre de récit. On retrouve tout ce qui aujourd'hui paraît le privilège "naturel" de la fiction américaine : les scènes de panique géantes, les créatures qui se juchent au sommet des bâtiments, l'intervention de l'armée, etc.. Je prends délibérément cet exemple archiclassique parce que tout le monde a les images en tête grâce au cinéma us. Découvrir que le topos parisien a pu susciter de tels récits a quelque chose de libérateur.



(1) D'accord : j'éprouve – mais j'ai vu après Chasseurs de chimères et La Brigade des lecteurs me faire part d'impressions identiques, exprimées exactement dans les mêmes termes : "ça alors, on ne savait pas que nous aussi…" etc. Je n'en rajoute pas là-dessus ; ça représente trop peu de témoignages pour être significatif. Mais j'ai quand même trouvé l'expérience frappante.

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bormandg
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Message par bormandg » lun. févr. 21, 2011 2:36 pm

C'est certain que, sans alle jusqu'à revendiquer une fois pour toutes "La Force soit avec vous!" (p.191 de La Roue Foudroyante dans Chaseurs de Chimères), le fait de rappeler quelques oeuvres françaises d'avant l'arrivée de la SF en France permet de vaincre le complexe d'infériorité français face aux sommets atteints par la SF anglo-saxonne. La Guerre des mouches, La Fin d'Illa, La Planète de cristal, et quelques autres en plus des titres déjà cités par Serge, ont leur place au panthéon de la littérature "scientifique"... 8)
"If there is anything that can divert the land of my birth from its current stampede into the Stone Age, it is the widespread dissemination of the thoughts and perceptions that Robert Heinlein has been selling as entertainment since 1939."

Lem

Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 2:38 pm

Tiens… Je reviens brièvement sur ce post dépité de JDB.
JDB a écrit :EDIT : Apparemment, Struggle for Empire n'est disponible que dans un omnibus de cinq romans de "vieille SF" publié par Routledge à quelque 150 euros... Je passe.
Notre Club pourrait ici prouver sa fermeté d'âme. On se cotise pour que JDB puisse se procurer ce texte apparemment décisif – et éventuellement le traduire ? Ce serait beau. 15 x 10 €…

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Message par Erion » lun. févr. 21, 2011 2:50 pm

(nan, nan, le fait que dans mes deux romans, on évoque l'europe soit à travers le futurisme italien, soit à travers Prague, ne pèse pas du tout dans la balance pour expliquer mon intérêt sur la question de l'identité française ou européenne. Cette parenthèse juste pour qu'on ne pense pas que je fasse allégeance à la puissance américaine ou que je néglige toute importance à l'aspect européen de notre littérature.)

Ceci étant dit, on parle du "complexe d'infériorité français", mais comment il s'exprimerait ? Je veux dire qu'est-ce que les auteurs français n'oseraient pas ? Ou, si on veut formuler cela autrement : si les français ne font pas de la SF comme les américains en font ou comme la SF franco archaïque en a fait, est-ce lié à un complexe ou juste à l'évolution de la littérature post 1945 ?
Est-ce que la littérature SF française des Carsac, Wul, Klein, Curval était si peu ambitieuse que cela ?
Est-ce que ce n'est pas le regard critique sur ces écrivains qui a formé cette idée d'un complexe d'infériorité ?
En résumé, est-ce les auteurs qui auraient "failli", ou le regard extérieur qui a créé cette image ?
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Message par JDB » lun. févr. 21, 2011 2:53 pm

Lem a écrit :Tiens… Je reviens brièvement sur ce post dépité de JDB.
JDB a écrit :EDIT : Apparemment, Struggle for Empire n'est disponible que dans un omnibus de cinq romans de "vieille SF" publié par Routledge à quelque 150 euros... Je passe.
Notre Club pourrait ici prouver sa fermeté d'âme. On se cotise pour que JDB puisse se procurer ce texte apparemment décisif – et éventuellement le traduire ? Ce serait beau. 15 x 10 €…
Surtout pas ! Cela entraînerait de ma part un engagement moral à le traduire, ce dont je n'aurai peut-être pas envie. "Baskerville", c'est uniquement des coups de coeur -- de moi-même pour l'instant, puisque je suis le seul collaborateur (enfin, presque).
Essayons (essayez) plutôt de voir si on ne peut pas se le procurer à moindre frais. Pour 20 à 30 €, je suis prêt à payer un livre et à le lire dans une optique de traduction/publication (quitte à renoncer à celle-ci si le livre ne me convainc pas).
JDB
EDIT : C'est quand même bizarre qu'une recherche sur le net ne donne comme édition de ce roman que l'omnibus précité. Abebooks ne le recense même pas, et une recherche sur le site de la British Library me fait planter Internet Explorer. Bleiler donne-t-il des références de publication ? Si ça se trouve, il n'est sorti qu'en magazine...
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Message par bormandg » lun. févr. 21, 2011 3:29 pm

JDB a écrit : EDIT : C'est quand même bizarre qu'une recherche sur le net ne donne comme édition de ce roman que l'omnibus précité. Abebooks ne le recense même pas, et une recherche sur le site de la British Library me fait planter Internet Explorer. Bleiler donne-t-il des références de publication ? Si ça se trouve, il n'est sorti qu'en magazine...
Amazon me signale ceci:
The Struggle for Empire. A story of the year 2236 by Robert William Cole (Unknown Binding - 1900)
Currently unavailable
Trouvé un certain nombre d'offres pour la réédition 1999 à des prix variés, mais élevés (156£, 900DKr, 183€) sur des sites de vente...
Modifié en dernier par bormandg le lun. févr. 21, 2011 3:37 pm, modifié 1 fois.
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Lem

Message par Lem » lun. févr. 21, 2011 3:33 pm

Erion a écrit :Ceci étant dit, on parle du "complexe d'infériorité français", mais comment il s'exprimerait ? Je veux dire qu'est-ce que les auteurs français n'oseraient pas ? Ou, si on veut formuler cela autrement : si les français ne font pas de la SF comme les américains en font ou comme la SF franco archaïque en a fait, est-ce lié à un complexe ou juste à l'évolution de la littérature post 1945 ?
Je passe sur le reste de ta question car ce n'est pas une affaire d'ambition.

Et je ne crois pas non plus que ce soit une question de complexe d'infériorité (je l'ai dit dans l'itw anticipation ancienne).

C'est plutôt une affaire de catégories manquantes. Pour reprendre l'exemple des invasions ET (tout le monde comprend et ça évite d'en rester aux généralités), il me semble que, dans un genre aussi attaché à l'intertextualité que la SF, les auteurs, et sans doute aussi les lecteurs, n'ont pas pu ne pas souffrir de constater que ce thème semblait, de facto, un truc typiquement américain. Un des sujets centraux de la SF – un de ses motifs les plus ludiques et jouissifs, aussi – ne pouvait apparemment pas être traité "à la française", simplement parce qu'il n'y avait pas de référence française disponible (1). Une des grandes fonctions de la SF, poétiser/mythifier les paysages et les cadres de vie (le fameux régionalisme cosmique que Meurger voit à l'œuvre chez Lovecraft), n'a pas pu s'accomplir ici. (2) Il me semble que ça a pu avoir des conséquences, non pas en terme d'ambition, mais d'autolimitation inconsciente.





(1) Il y a évidemment des exceptions, dont le merveilleux Avis aux directeurs des jardins zoologiques de Klein – mais c'est une invasion "de poche" en quelque sorte. Et c'est aussi un parfait "récit scientifique." Un contre-exemple de grande ampleur : le Fleuve Noir où il y a eu plein d'histoires d'invasion ET à Paris et en France. Or, le Fleuve est le seul lieu éditorial où l'influence du roman scientifique se soit poursuivie après-guerre jusqu'à… la fin des années 70, je dirais. Le problème ici est plutôt la qualité globalement faible des textes, dont une toute petite poignée seulement sont devenus des classiques. Il n'y a pas eu constitution de modèle ; la catégorie manquante n'a donc pas été rétablie.

(2) Je me souviens de ma stupeur en lisant les cent premières pages des Racines du Mal de Dantec : un barjo s'hallucinant lui-même en victime d'influences secrètes ET à Ivry-sur-Seine, suivi d'un road-trip en Auvergne et en Bretagne d'une grande puissance. Je pense qu'une des raisons de son succès se trouvait là : dans cette absence d'inhibition à utiliser un cadre typiquement français pour faire – et bien faire – des trucs supposés us-only.
Modifié en dernier par Lem le lun. févr. 21, 2011 3:37 pm, modifié 1 fois.

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